Big Cheeko
Block Barry White
Album embaumé d’un épais nuage de fumée et parsemé d’une touche de blaxploitation, Block Barry White n’enverra pas grand monde sur la piste de danse mais scotchera les auditeurs assidus de soul à leur canapé.
« Mais qui est Big Cheeko ? » À la vue du clip de « Spin Off », sorti en février 2022, la question brûle les lèvres. D’autant plus que le bonhomme est secondé par Mach-Hommy équipé d’un lance-flammes. Le piano de Corey Gipson est envoûtant, sombre, minuté par des hi-hats et des bips de marche-arrière de poids lourds. Une odeur de soufre, des visions de terres brûlées : c’est le panorama noir laissé par les deux bougs en l’espace de deux minutes quatorze. Un décor qui clôture Block Barry White, album de onze titres embaumé d’un épais nuage de fumée et parsemé d’une touche de blaxploitation. Une outro sombre pour un album qui commence pourtant par une introduction rayonnante et chaleureuse. Une chaleur qui sera toujours latente dans un disque qui, aux dires de son auteur, compte plus d’un an et demi de maturation.
Originaire d’East Atlanta, souvent nommé East Atlanta Village pour cette spécificité de bourg au cœur de la ville, Big Cheeko sort d’un tout autre modèle de production que celui qui a mis à l’honneur la métropole ces dernières années. Seuls des roulements de hi-hats ramènent parfois vers la trap, et ce sont les featurings qui donnent l’orientation sonore d’un disque que l’on pourrait facilement classifier de stoners : Devin The Dude, Styles P, Smoke DZA et Mach-Hommy par deux fois. Ce dernier, qui avait déjà invité Big Cheeko sur son album Tuez-les tous, fait également office de producteur exécutif et sa patte grimy se fait ressentir. Block Barry White propose un univers plus sombre que les deux dernières mixtapes de 2017 et 2018 où Big Cheeko s’auto proclamait Soul God, probablement en référence aux trois volets de Trap God de son voisin Gucci Mane (lui aussi ayant grandi dans East Atlanta), et où l’atmosphère donnait dans un boom-bap radieux. Ici, sa voix a pris de l’épaisseur, en ayant également recours aux machines sur « Goldteeth », et son flow se rapproche de ceux de Trae The Truth ou de Slim Thug, roulant au ralenti pour coller à un univers dirty sudiste que l’on ne trouvait pas forcément dans ses précédentes sorties. Avec son titre faisant référence au feu baryton-basse le plus romantique de la côte ouest, Block Barry White n’enverra pas grand monde sur la piste de danse. Mais il scotchera sûrement les auditeurs assidus de soul à leur canapé ou à leur siège de voiture.
Sur « Ghetto », un sample cramé de War tourne derrière un couplet sociétal et spirituel. Big Cheeko y rattache les luttes civiles des années 70 à celle des années 20 (les actuelles, pas celles de 1900) : « Hustle is hustle and ain’t we all / Politicians want us lock’d behind bars / While we fightin each other, n****s die behind bars ». Sur « Goldteeth », samplant lui un morceau d’un guitariste jazz brésilien, il dévoile un peu plus de sa personne dès les premières rimes : « Flow lazy but the hustle crazy / Second generation but the streets raised me / I almost died three times, this is destiny » pour atterrir quelque mesures plus tard sur « Ugly n***a with a confidence / Once you realized that I’m the truth / don’t matter how time was spent ». Derrière un slow flow nonchalant, l’assurance du rappeur peut prêter à sourire du coin des lèvres tant ses formules sont aussi simples qu’elles font mouche. Quant aux productions, elles transpirent la moiteur du sud des États-Unis et atteignent leur pic sur un enchaînement faisant la part belle aux instruments et où Stag O Lee l’accompagne brillamment au saxophone sur trois titres consécutifs. Sur « Recipe » d’abord, où le cuivre planant est accompagnée d’une guitare vrombissante. Puis sur « Level Up » où le souffle du musicien se fait discret et se met au service de l’ambiance suffocante du morceau. Un souffle qui mute enfin en une partition chaude et suave pour les dernières secondes de « Goldteeth ». Un triptyque ingénieux qui pousse Block Barry White vers d’autres sphères musicales, lorgnant vers le blues et le jazz. Des sphères qui englobent également l’univers pimp du film Willie Dynamite, samplé sur « Been Pimpin' », et un esprit de hustle présent sur la trentaine de minutes d’un album offrant des passerelles vers des icônes de sa ville et du dirty south. Sur « Watchin' », le duo formé par Big Cheeko et Devin The Dude ressuscite le smokin’ word de « Spottieottiedopaliscious » de Outkast tout en prenant le soin d’insérer des plans de panneaux signalétiques de Decatur dans le clip. Une vidéo où le flegme apparent et la forme physique de Big Cheeko évoque le personnage d’Alfred « Paper Boi » Miles imaginé par Donald Glover pour sa série Atlanta.
Chikaodili Umunna, son nom au civil, dégage cette impression de force tranquille, de grand gaillard qui ne quitte pas son grinder, avec une ligne de conduite claire qu’il tient depuis dix ans. Car depuis House shoes & gold watches, mixtape datant de 2012, et alors que le rap était en pleine transformation trap, Cheeko faisait déjà sa musique sans céder à la tendance locale. Une décennie plus tard, sa musique s’est affinée et a pris du volume. Celle de Block Barry White évoque la country rap tunes de Pimp C en étant plus ruff, proche de celle d’un Big K.R.I.T. lorsqu’il maniait une soul magnétique à la fin de son Live From The Underground. La production, minutieuse et organique, est à mettre au compte de Matic Lee sur neuf des onze titres. Corey Gipson y met donc la touche finale sur « Spin Off », mais aussi sur « Euphoric », egotrip à la rythmique ultra lente et hypnotique où Big Cheeko clame dès l’intro « Can’t do regular shit, that’s too boring » et relance d’un « I’m a cool n***a for real, you n****s too hype ». Faire son argent dans la marge, Big Cheeko rappe défoncé et s’en bat les couilles des conseils mais vient audacieusement chatouiller Curren$y ou Dom Kennedy sur leur terrain. Celui d’un rap laid-back aux couleurs chaudes. Block Barry White est un des albums surprise de ce début d’année 2022, à faire tourner dans un système hi-fi de qualité pour en saisir toutes les subtilités et les subs prolongés. Au final, il est un peu plus qu’un album de stoners et montre qu’il est possible de faire autre chose que de la trap tout en étant d’Atlanta. En ce sens, Big Cheeko vient probablement d’ouvrir, ou plutôt de rouvrir, une porte pour de nouveaux ATLiens.
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