Large Professor
Beatz volume 1
Eminent compositeur, chef d’orchestre imprévisible reconnu comme l’un des pianistes de Jazz les plus influents, Duke Ellington avait également quelques théories pleines de bons sens. Particulièrement lorsqu’il s’agissait de musique. Pas franchement fanatique des étiquettes musicales, il se faisait notamment une fierté de distinguer deux types de musiques : la bonne et la mauvaise. Simple finalement. Oui, vu que par delà les sacro-saints clichés en carton sur l’incroyable éclat de l’underground et la perfidie des majors- forcément- il y a avant tout de la musique. De la musique, beaucoup de passion et des références.
1991. William Paul Mitchell A.K.A Large Professor n’a pas encore vingt ans. A peine sorti de l’adolescence et alors membre du trio Main Source, il forge avec Sir Scratch et K-Cut « Breaking Atoms », un premier ovni passé depuis à la postérité. Innovant dans son approche de l’échantillonnage, fort d’une véritable couleur musicale, les compositions de Large Pro contribuent à (re)définir l’identité d’une musique devenue la bande originale des rues new-yorkaises. Auteur par la suite d’une foultitude de pépites pour le gratin de la grosse pomme (‘It ain’t hard to tell’ (Nas), ‘Keep it rollin’’ (ATCQ), ‘Streets of New-York’ (Kool G Rap), ‘It’s us’ (Non Phixion), le remix de ‘Peer Pressure’ (Mobb Deep), ‘Step Back’ (Eric B. & Rakim),…) P aurait dû sortir en 1995 The LP. Un album solo qui l’aurait porté au firmament. Un grand coup dans l’eau puisque Geffen, sur le coup pas franchement inspiré, préféra retirer ses billes, plombant au passage la carrière de cette icône du Queens. Cet opus ne sortira finalement jamais par les voies officielles– officieusement, quelques bootlegs ont réussi à se disperser insidieusement. Passé une période de silence et d’inactivité, le professeur sortira finalement sept ans plus tard son premier album solo, le plutôt décevant 1st Class.
Aujourd’hui plutôt reclus dans l’ombre, le Mad Scientist disperse toujours ses productions, notamment auprès de Jin, Cormega ou Jurassic 5 ; tout en continuant à gérer son propre label Paul Sea Productions (l’appellation renvoie à son comparse de longue date aujourd’hui disparu Paul C.) Sans surprise, c’est sur ce label que sort aujourd’hui Beatz, nouvelle galette de Large Pro débarquée dans une confidentialité certaine et sans ambition de tenir le haut du pavé.
Composé de dix-huit titres entièrement instrumentaux, ce nouvel album fait figure de concentré des inspirations de cet oligarque de la production. Il alterne différentes atmosphères, parfois aériennes (‘Out All Night’, ‘Tribe Called Quest’), parfois abruptes (‘Flushing Queens Day’), parfois débordantes d’enthousiasme et d’énergie (‘Love Wit U’) tout en revisitant quelques classiques, notamment ‘Just Hangin’ out’, classique de Main Source, ou le ‘Tres Leches’ de Big Pun. Si l’ensemble s’avère indéniablement cohérent, il manque parfois de relief et demeure loin de briller constamment de mille feux. On détache néanmoins quelques illuminations du lot (‘Love Wit U’, ‘Beginning’, ‘After School’), juste assez pour replonger avec le sourire dans une ambiance qui transpire le New-York du début des années quatre-vingt-dix.
On dit parfois que la patience est l’art d’espérer. Alors soyons clairs : cet album n’a ni la carrure ni même l’ambition d’être l’essai ultra abouti que l’on aurait pu, un peu naïvement, attendre. Il fait plutôt figure d’échappée inattendue et inégale. Une surprise discrète pour les fans d’un passionné injustement oublié.
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