Chronique

Apathy
Handshakes With Snakes

Dirty Version Records - 2016

Voilà quelqu’un dont on suit la trajectoire depuis les débuts du site, ou pas loin. Dans l’intervalle, Chad Bromley aura démenti son nom de scène. Loin de verser dans l’indolence, Apathy a déployé de l’énergie à revendre, en solo comme en groupe, sans ralentir la cadence ces dernières années. Sa saison, c’est le début de l’été : juin 2014 pour Connecticut Casual, juin 2015 pour Weekend at The Cape, juin 2016 pour ce Handshakes With Snakes et sa pochette verdâtre signée Dave Quiggle.

Alors évidemment, Apathy ne réinvente pas quoi que ce soit, pas plus qu’il ne se réinvente lui-même. Il fait ce qu’il sait faire, dans le fond comme dans la forme : du boom-bap viril et querelleur, assorti d’une louche de sarcasme et d’une pincée de storytelling. Quitte à rejouer la partition bien connue de la défense des valeurs perdues, fil directeur du disque : alors que le premier morceau, « Pay Your Dues », vise d’emblée les nouveaux venus qui, brûlant les étapes, cherchent le succès immédiat par l’imitation, sans trimer, le rappeur remet le couvert sur le thème des requins (ou plutôt des serpents) de l’industrie du disque deux morceaux plus loin seulement, avant d’en rajouter périodiquement plusieurs couches par la suite. En contrepartie, il multiplie les références plus ou moins explicites aux anciens et aux classiques, que ce soit dans les textes, par l’intermédiaire de samples vocaux (Digable Planets à la fin de « Rap is Not Pop », Redman sur « Blow Ya Head Off » ou De La Soul sur « No Such Thing », ce dernier extrait inspirant le nom de l’album) ou même via les instrus (« Run For Your Life », basé sur le même sample de Mandrill que « By The Time I Get to Arizona » de Public Enemy). Rien de neuf, donc, mais on ne s’en lasse pas, parce qu’il fait ça très bien, l’humour compensant la tendance à l’aigreur.

Le truc, c’est qu’Apathy est foutrement doué au micro. Ce n’est bien sûr pas une découverte, mais le fait est qu’il n’a rien perdu de ses capacités. Il n’a peut-être pas une palette très étendue (encore que), mais son flow est toujours d’une précision implacable, particulièrement éblouissant dans les accélérations. En témoignent entre autres « Attention Deficit Disorder », « Rap is Not Pop » ou, dans un style plus saccadé, « Moses », où il est rejoint par Twista et Bun B. Le membre des Demigodz pourrait être seul sur les treize titres, ça ne poserait pas problème. En l’occurrence, il est beaucoup et bien entouré. On compte des invités sur les deux tiers des morceaux, parmi lesquels les rescapés Ras Kass et O.C. (deux fois même pour ce dernier), le compère de toujours Celph Titled (également crédité comme co-producteur de l’album) et même B-Real et Sick Jacken alias Psycho Realm sur le morceau-titre final, adouci par la voix légèrement éthérée de la chanteuse Maria Grazia. Il y en a d’autres moins connus, mais aux prestations tout aussi honorables. L’un d’eux, Pumpkinhead, ayant cassé sa pipe depuis l’enregistrement, Apathy lui rend hommage après son couplet en conclusion de « Amon RAW ».

Mais il y a plus : musicalement Handshakes with Snakes ne déçoit pas ; or il se trouve que c’est le rappeur qui est, ici aussi, à la manœuvre. Quitte, là encore, à ne pas forcément y aller avec le dos de la cuiller, à coups de sampling bourrin à souhait, à commencer par le pillage sans vergogne du « You Can’t Hurry Love » des Supremes sur « Pay your Dues », agrémenté d’un cut de Busta Rhymes. Idem six plages plus loin, où il s’amuse en plus à couper la chique à Julie Driscoll. Mais Ap’ est plus malin qu’il en a l’air : il glisse des variations (le début du second couplet de « Pay Your Dues »), choisit un sample délicat même pour un morceau intitulé « Blow Ya Head Off », déniche un sample dans une série télé des fifties pour accompagner son humeur de forban (« Pieces of Eight »), ou prend des virages inattendus, comme le trip hippie de « Don’t Touch the Dial », qui se passe de beat pour ne tenir que sur un sample aérien de Theatre West (à la fin, la voix enfumée, O.C. voit des soucoupes volantes). Et c’est limite s’il ne nous arracherait pas une larmichette sur « Charlie Brown », flashback introspectif qui, sans être son premier, est l’un de ses plus réussis.

Résultat, Handshakes With Snakes n’est ni novateur ni subtil (faut dire que le logo du rappeur est une batte de base-ball traversée de clous…), mais s’écoute de bout en bout sans rien à jeter. Pas mal pour ce qui, au départ, ne devait être qu’une mixtape en prélude à un projet plus ambitieux, The Widow’s Son. On se demande bien, du coup, ce que celui-ci nous réserve.

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