Chronique

Z-Ro
Angel Dust

Rap-a-Lot / Fontana - 2012

The less I fuck with you, the better I feel”. Z-Ro entame Angel Dust sur ces mots, amers comme à son habitude. Joseph W. McVey semble avoir emmagasiné assez de bile pour tenir plusieurs vies. Et il tient à nous faire partager son amertume de la plus belle manière qui soit. Pris entre l’envie de chanter et celle de rapper, il a fondu les deux dans un mélange inextricable pour donner naissance à un style, unique. Il rappe, il chante, puis, comme par magie, il semble faire les deux en même temps. Mais ne vous y trompez pas, on est à mille lieux d’un Drake (aussi brillant ce dernier soit-il). Z-Ro, c’est avant tout une voix, aussi profonde et obscure qu’une fosse océanique, et douce cependant. Le contraste entre ce chant presque apaisant et la menace latente qu’il véhicule est saisissant. Pour parler grossièrement, c’est du chant de bonhomme.

Chaque année, Z-Ro nous livre un nouvel album. Faible exposition, pas de singles, ventes modestes. Il semble s’en foutre, il fait ce qu’il a à faire, et il a le respect du milieu. Crack avait eu un joli succès d’estime en 2008, mais depuis ses sorties sont de plus en plus confidentielles, et la qualité ne suit pas toujours. Ce rythme annuel est peut-être trop soutenu. Mais rien ne semble pouvoir faire dévier The City Don. Depuis Crack, il donne systématiquement le nom d’une drogue dure à ses albums. S’il continue sur sa lancée, il va bientôt être à cours de titres. On est embêtés pour lui. Il faut dire que ce champ lexical de poudres et de petits cailloux correspond bien à sa musique : puissante, addictive, terrible aussi.

Sur Angel Dust, le rappeur fait preuve de quelques coups de génie dont il a le secret (« Never Been », « When I Get Free »…). Certains morceaux sont là pour faire le nombre, c’est vrai, mais l’album contient assez de mélodies et de phases mémorables pour donner un souffle et une unité à l’ensemble, ce qui n’est pas toujours le cas chez Z-Ro. Sans surprise, la couleur du disque est sombre. On y parle, entre autres, de prison, de deuil, de trahison. Si bien qu’au milieu de tout cela, une piste plus légère telle que “DiccOnU” paraît presque décalée. Artiste foncièrement mélancolique, Z-Ro ne verse pourtant pas dans l’abattement complaisant. Ce qui domine chez lui, c’est cette rancœur qui lui reste en travers de la gorge, comme un sale arrière-goût qui ne passerait pas. L’homme est du genre farouche, solitaire. Ce qui ne l’empêche pas de convier sur plusieurs morceaux des vétérans du Sud. Des noms que l’on n’était plus habitués à voir comme K-Rino ou Lil Flip. Aucun signe en revanche de son compère Trae Tha Truth, le croquemitaine de Houston. Tant pis pour cette fois.

Ce dernier opus est un peu moins direct, un peu moins hargneux que les précédents, mais aussi un peu moins fouillis et sans doute plus solide sur la durée. Avec Angel Dust, Z-Ro réussit à nous séduire une fois de plus avec ses atmosphères nostalgiques, son vécu d’écorché vif et ses faux airs de gospel. Par-dessus les traditionnelles caisses de TR-808, il pose sa voix sentencieuse tel un bluesman. La violence de ses récits de rue combinée à la mélancolie de son chant donne à sa musique une force peu commune. Définitivement un personnage atypique dans le paysage du rap. Comme il le dit lui-même : « I ain’t the last, I’m the only one of my breed« . Brillant, à part, mais forcément seul. Finalement, pour le bien de son œuvre et le plaisir égoïste de l’auditeur, cette demie-gloire, qui est et restera sans doute son lot, est sans doute ce qui pouvait lui arriver de mieux.

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