Slim Thug
Already Platinum
La décennie sera sudiste ou ne le sera pas. Après une première vague à la fin des années 90, avec le succès retentissant des labels No Limit et Cash Money, la « third coast » a entamé dès 2002 une véritable OPA sur le monde de la musique. Encore en retrait il y a quatre ans, hormis l’exception notable de quelques têtes d’affiche, les artistes de Géorgie, du Mississipi ou de la Nouvelle Orléans sont aujourd’hui les stars du genre. Du crunk juice de Lil’ Jon au film « Hustle and flow », en passant par une pluie de signatures en major pour Young Jeezy, Webbie et consorts, le sud n’est plus seulement bankable dans le monde du rap, il est en le centre névralgique.
En 2005, le phénomène s’est localisé au niveau de Houston, ville des Geto Boys et de DJ Screw. Mort il y a cinq ans, le DJ texan est l’inventeur d’un style énigmatique, la Screw Music, solution codéinée qui consiste (grossièrement) à ralentir le tempo d’un morceau jusqu’à révéler sa seconde nature, sombre et hypnotique. Cette technique, dite du « chopped and screwed », elle est le dénominateur commun de toute une génération de jeunes artistes, dont les trois héros de l’année : Mike Jones, Paul Wall et Slim Thug, nouveaux porte drapeaux du Texas aux côtés des indéboulonnables UGK.
Entre la sortie de « Who is Mike Jones ? » et « The People’s Champ », solo de Paul Wall, il y a « Already Platinum », première sortie nationale de Slim Thug, « tha boss » (prononcez « debâosse »). Son leitmotiv est simple : j’étais riche avant que tu me connaisses, et aujourd’hui encore plus. Sa situation actuelle ? « Got a million dollar worth of cars, bought a million dollar house ». Sa méthode ? « Making words rhyme out my million dollar mouth ». « Already platinum », c’est 60 minutes d’immersion dans les quartiers nord de Houston. En véritable superstar locale, Slim Thug ne décrit sans doute pas la vraie vie, mais plutôt un style de vie, avec une voix d’ogre et un argot directement assimilable à sa région : woodgrains, syzzurp, candy paint, custom grills, keep it trill. Ce régionalisme, c’est l’une des grandes qualités d’ »Already Platinum », et plus généralement du rap sudiste, qui apporte – au delà de ses poncifs – de nouvelles perspectives au genre avec une identité sonore très marquée. Lenteur écrasante des rythmiques et voix d’outre-tombe dans ‘Diamonds’ : des ingrédients imparables, les mêmes qui ont transformé un succès du trio, ‘Still tippin’, en un véritable classique. Dans ce registre, en superposant Tr-808, samples cuivrés et scratchs de Lil’Jon, l’inconnu Mr Lee offre à Slim Thug, T.I. et Bun B la bande originale rêvée pour faire étalage de leur frime dans ‘3 Kingz’.
L’autre qualité de l’album – Interscope oblige – c’est d’aller plus loin que la carte postale exotique. On ne devient pas platinum en restant dans son état, et Slim Thug a su bien choisir le vaisseau qui l’emmènerait vers le succès national : Star Trak, label des omnipotents Neptunes – même si, dans l’absolu, le géant texan court encore après un disque d’or. Comme Kelis et The Clipse avant lui, Slim Thugga a su faire confiance à Chad Hugo et Pharrell Williams, qui prennent en charge la moitié des productions avec une inventivité et une fraîcheur presque routinières. Le songwriting du duo fonctionne – toujours – à plein régime, entre les percussions tamponneuses de ‘I ain’t heard of that’ (initialement destiné à Jay-Z) ou les sirènes spatiales d’un ‘This is my life’ en apothéose. En soutien, Jazze Pha leur volerait presque la vedette le temps de deux producshizzles ensoleillées : ‘Everybody loves a Pimp’ et le bien nommé ‘Incredible Feelin ». Le sujet ? Devinez : « I was a mill’ plus before this record deal stuff, you niggaz talking but we walking shit, for real wit us ». Tantôt sucrées (‘Ashy to classy’), classiques (‘Interview’) ou dépouillées (‘Already platinum’), les productions du disque sont à chaque fois honorées avec une égale aisance par un Slim Thug massif et étonnament régulier. Une révélation.
Aux yeux d’une partie de l’auditoire, pour qui New York est l’endroit où tout commence et tout finit en matière de hip-hop, le sud est une abomination – même s’il y a plus de scratchs dans un album « chopped and screwed » que dans l’intégralité des mixtapes de la Grosse Pomme. Ce rejet irrationnel est voué à perdurer, mais à l’heure actuelle, peu de gros albums en provenance de la côte est ont la trempe d’un « Already platinum ». Evidemment, la réflexion y frise le zéro, l’imagerie hustler-rappeur y est usée, mais la redondance quasi-obsessionnelle des thématiques (argent, sexe, drogue, argent) est largement compensée par une réalisation impeccable et la prestance d’un artiste capable de flamber pendant tout un album sans se brûler les ailes.
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