The Odd Couple
Alcohol/Ism
2004 était trop belle et trop propre.Excédés par la virtuosité et la distinction des premiers de la classe, les cancres des derniers rangs se devaient de réagir. C’est ainsi qu’après neuf mois passés sous le charme des travaux d’orfèvres tels que Raw Produce, The Others ou encore Dutchmassive, l’underground East Coast a vu en cette fin d’année ses plus grands méchants faire leur réapparition, avec la ferme intention de rappeler que le rap crade, vulgaire et ignorant a encore de beaux jours devant lui. Dans le sillage de l’infâme R.A. the Rugged Man et du truculent J-Zone, c’est donc Louis Logic qui nous revient, flanqué de son compagnon de beuverie, Jay Love.
Et même après une première écoute très succincte, on comprend très vite que le couple que forment ces deux-là n’a rien d’étrange, tant il semble soudé par certaines passions communes : celle pour les boissons alcoolisées surtout, mais également pour les bastons, les postérieurs féminins, et tout ce qui touche au sexe de près ou de loin. Bref, rien de bien enrichissant sur le plan culturel ou intellectuel, mais un disque très divertissant, regorgeant de smash hits potentiels. En témoigne le classique ‘Por Que’ (déjà présent sur « Debacle in a Bottle » de Louis Logic), et ses quelques notes de guitares entêtantes, soulignant à merveille les paroles des deux compères : « Who got a problem with a bottomless beer, that could make a pessimist smile and an optimist tear ? ». On connaissait aussi au préalable ‘Pimp Shit’ et ses paroles joyeusement débiles (« I busted dead on her eye, Now she’s a blinded bitch, Walk around with one eye shut, On some pirate shit ») et le légèrement plus subtil ‘The Day I was born’, où Jay et Louis nous expliquent que dès le début, c’était déjà foutu pour eux.
Et les titres enregistrés pour l’occasion sont du même acabit : si « Sin-a-matic » de Louis Logic laissait une petite part au second degré et à la réflexion, « Alcohol/Ism » ressemble à s’y méprendre à un gigantesque exutoire, grossièrement orchestré par deux fous furieux entrés en studio avec la ferme intention de se défouler. Tous les prétextes semblent bons pour déblatérer des insanités et se mettre le maximum de personnes à dos. C’est tellement énorme que ça en devient franchement jouissif, les textes des deux MCs faisant appel au plus bas et vils de nos instincts : violence, perversité et aigreur, comme dans ‘Wreckyalife’, ou
Louis et Jay insultent copieusement leurs ex-copines (« I take pot shots
at my ex when I bless the mic, She’s a freak, five days of the week, The
other two she’s a filthy fuckin’ whore laid out on the sheets« ). On remarquera les tout aussi distingués ‘Between your Legs’ et ‘Beat Your Ass’.
Au jeu des comparaisons, sans surprise, Louis Logic reste un ton au dessus de Jay Love : plus charismatique, plus complet dans l’écriture, plus souple dans le flow. Toutefois, certaines phases et punchlines de Jay nous font déjà attendre avec impatience son futur album solo. Les invités au micro, triés sur le volet, se montrent tous à la hauteur. J.J. Brown, malgré un style un peu étrange de prime abord, s’avère être un performer très correct. On retrouve également Celph Titled et J-Zone, sur l’excellent posse cut ‘Open the Mic’, où, une fois n’est pas coutume, Zone livre un couplet désabusé lui permettant de sortir avec brio de son registre habituel. ‘Open the Mic’ est d’ailleurs à compter parmi les grands moments de l’album, les MCs éclairant parfaitement la prod très soul servie par The Avid. Autre perle, ‘Simple Words’ : construit autour de célèbres phrases de Prodigy dans ‘Shook Ones pt.II’ (« Your simple words just don’t move me(…), Don’t make me have to call your name out »), le morceau voit s’illustrer Jay et Louis sur un instru plus brutal et sombre qu’à l’accoutumée, parfaitement appuyé par les scratchs du polyvalent Avid the Record Collector.
Celui-ci justement est le véritable homme-clé de l’album : quasiment inconnu jusque là, il produit treize titres sur les seize du tracklisting, et nous laisse entrevoir d’énormes possibilités, qui pourraient lui permettre très rapidement de tutoyer les grands concepteurs sonores du boom-bap underground actuel que sont Stoupe, 7L ou les Molemen. Il suffira d’écouter ‘Por Que’, ‘Simple Words’ ou encore ‘The Lounge’ pour s’en convaincre. Les samples sont souvent tirés de la musique latine, les breaks de batterie puissants, la recette imparable. J.J. Brown, qui lui n’a déjà plus rien à prouver, s’en voit presque condamné à jouer les utilités, se contentant de sortir les trois instrus restant, dont l’excellent ‘Bully’, prouvant une fois de plus, si nécessaire, la parfaite alchimie entre Louis Logic et son producteur attitré.
Vous l’aurez donc compris, si vous exécrez les Svinkels et considérez les Beatnuts comme un duo de primates décérébrés, « Alcohol/Ism » est à éviter, tant Louis Logic et Jay Love semblent avoir pris le parti de pousser le bouchon le plus loin possible. Vous passerez toutefois à côté d’un très bon disque d’un boom-bap gras et remuant, facilement trouvable en nos contrées mais promu de façon très laxiste, comme pour mieux coller à l’ambiance de l’album…
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