AL
Le masque du ravisseur / Matière Première
« J’exploserai comme une bombe larguée à partir du trou du cul du monde« . Avec le fracassant ‘Les lions vivent dans la brousse’ en 1998, sur la compilation « Opération Freestyle » de Cut Killer, on croyait bien cette déclaration d’intention en voie de réalisation. Al, rappeur dijonnais, y dressait avec ironie et minutie le décor d’une ville provinciale à l’écart du mouvement. Un constat prolongé quelques semaines plus tard, sur un ton plus grave, à l’occasion de ‘Correspondance’ en featuring sur « Détournement de son », le plus incontournable des albums de Fabe. De quoi laisser augurer du meilleur.
Quelques mois plus tard, en 1999, l’association avec Adil El Kebir – dont l’aisance et la finesse au micro ne sont pas à la hauteur des qualités de son complice – ne fut pas la déflagration escomptée. Au-delà du peu d’écho dont il fut l’objet, A force de tourner en rond reste un EP en demi-teinte, intéressant à parcourir mais peu enthousiasmant à approfondir. Alternant freestyles, mixtapes et compilations, en solo (Que de la Haine 2, La bande originale) ou avec Adil (Extralarge, Focalise), Al s’est donc remis en selle pour un travail de fond.
« J’exploserai comme une bombe larguée à partir du trou du cul du monde ». La prophétie reste encore à réaliser. Dès lors, ce maxi peut sonner comme un nouveau départ. En effet, bien qu’aujourd’hui exilé à Paris, le fauve est loin d’être repu. Le fait de rejoindre la structure indépendante « Matière Première », dont le logo figurait déjà sur la pochette du EP, atteste de cette volonté de rebondir et de prendre en mains son destin. En ce sens, ‘Le masque du ravisseur’ constitue le morceau idéal. On y retrouve tout le talent d’écriture du rappeur, ses tournures insolites aussi bien que la profondeur du sens : « Ils se poudrent le visage comme les femmes camouflent leur âge. Par dépit, ils se réfugient derrière leur rage. Effrayés par le monde comme des gosses une nuit d’orage, ils ont le masque du ravisseur, mais ce sont les otages. » Un thème finalement commun sur la jeunesse des quartiers qu’Al aura su investir avec son style personnel. Au sein des couplets, il s’évertue à faire rebondir son flow sur des phrases à rallonge, régulièrement ponctuées par une rime venue de loin pour se donner de l’air. DJ Saxe, déjà à l’origine des sons du EP, s’emploie dès lors à mettre en scène les tournures de Al : un beat sombre rehaussé par une légère nappe synthétique plante le décor de ces « tours aux innombrables étages« , tandis que la petite mélodie qui s’y superpose renvoie à l’idée de mascarade, de façon à donner un écho symbolique aux propos du rappeur. Tout y est. On tient enfin un morceau de Al à la hauteur des ambitions affichées lors de ses premières apparitions.
Le deuxième titre, ‘Matière première’, s’avère en revanche décevant. Au premier abord, on a affaire à un simple egotrip aux formules largement convenues, jouant sur des images éculées (« Matière Première, un rap en reconstruction. Nous sommes les armes d’une guerre, le ciment d’un maçon« ). La production n’enchante pas non plus, avec un DJ Saxe peu inspiré cette fois-ci, cherchant à rendre un son lourd et imposant qui ne permet pas à Al de se lâcher. L’exemple d’un titre sacrifié au motif de présenter la structure, un faire-valoir pour ‘Le masque du ravisseur’ sur un maxi deux titres. Au final, un morceau qui tombe un peu à plat, même si le temps et les écoutes successives gomment en partie les quelques lacunes pour ne laisser que la satisfaction de laisser couler la voix de Al sur le sillon.
Pour ce nouveau départ, Al nous livre donc un maxi intéressant et très encourageant qui aurait pu être la bombe longtemps attendue, si seulement le second titre avait lui aussi été à la hauteur d’une telle prétention. En tout cas, ‘Le masque du ravisseur’ confirme les belles promesses de ses débuts et annonce le renouveau d’un rappeur qui n’a rien perdu de ses qualités durant toutes ces années passées dans l’ombre.
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