Ahmad
Le môme qui voulut être roi
Le môme qui voulut être roi, où comment croiser en un titre passé et présent, comment organiser la rencontre entre rêves de gosse et réalité d’adulte. A la vie à la mort se jure-t-on enfant, « faire du neuf avec de l’ancien » constate-t-on majeur. Le temps qui passe, les temps qui changent, les origines qui habitent chaque être, les influences auxquelles sont soumises les gamins, pour leur construction comme leur déconstruction, voilà ce qui guide Ahmad le long des 40 minutes de son second album.
« On ne refait pas sa vie on la continue ». C’est ce qu’il se dit, de Amhad à Yves Montand. Le passé poursuit. Qu’il soit bon ou mauvais ? Peu importe, les conseils de maman, distillés sur des samples de Nina Simone et Betty Wright, sont toujours d’actualité. Ahmad fait l’éloge de l’enfance, se rappelle de son « man’s man’s world » d’adolescent de 13 piges qui préfère faire le con avec les potes plutôt que d’avouer être intimidé par l’amour. L’orgueil des années collège… Générations 90’s, aujourd’hui balancée entre espièglerie et mélancolie, qui n’hésite plus à dire à Cupidon qu’il est un sale con à « chouchouter salauds et filles faciles ». De toute façon « l’enfance, c’est juste un CDD » et « la vie une maladie incurable ». Alors Ahmad s’affirme, dans son coin de rue, « du béton sur une savane », et revendique, avec l’amusement propre aux gens depuis trop longtemps désabusés. Mama avait raison, de toute manière elle a toujours raison : « terre d’accueil ne signifie pas ferme ta gueule ».
Comme tous les mômes, Ahmad voulait être le roi, rêvait du « buzz d’un gars qui a esquivé neuf balles ». Finalement, il n’est même pas devenu Petit Prince, malgré son goût pour l’amitié. Il a laissé sa candeur sur le trottoir, là où « la B.O c’est Marley Marl et le bruit des gyrophares », au milieu de ceux pour qui « Dieu est mort mais 2Pac toujours en vie ». Méfiant des « extrémistes au regard laïque », Ahmad est pourtant de ces types qui, naturellement, arrondissent les angles, même si tout ne tourne pas rond dans leur tête. Il observe le présent, passé en tête. Nostalgique le rap d’Ahmad ? Surement. Malicieux ? Oui. Conscient ? Totalement. Chiant ? Jamais !
Il colporte des valeurs positives, emballées d’auto-dérision et de punchlines, dont la vérité, aussi grave soit elle, arrache toujours un sourire. Une écriture qui préfère l’humour à l’humeur noire, tantôt touchante, tantôt tranchante, et où la forme permet d’éviter les poncifs et les niaiseries. Ahmad se joue des contraires, s’amuse à coup d’oxymores et rappe des textes techniques où se croisent les références comme s’y entrecroisent consonances et assonances. Des textes cousus mains, des phases dédiées aux « gosses à la douleur couleur Rosa Parks », des clins d’oeils qui balaient large. Des morceaux d’existence dépeints avec leurs hauts et leurs bas. Bref, du « blues urbain », des thèmes que le rap connaît de près ou de loin, livrés par un MC qui sait que dans la vie, les erreurs coûtent chères. Il l’a compris en se rachetant. « Seul le crime paie…
… Pour les avocats ». De Booba au boom bip de Q-Tip, de James Brown à O.D.B, Ahmad enrobe son disque de références, jusque dans ses instrus. L’album s’ouvre sur une reprise de la bande son de Wildstyle que Nasir Jones incluait aux premières secondes d’ »Illmatic ». S’y fond un sample déjà écumé par 2Bal 2Neg. Plus tard, c’est le piano que s’est approprié Jay-Z pour réaliser ‘Devils’ qui est emprunté. Ahmad a autant d’envie que d’audace et tente de s’improviser Ahmadeus en réalisant 7 des 10 véritables productions présentes sur « le môme qui voulut être roi ». Des sons aux beats bien frappés et variés, allant du classique poom tchak à la frappe sur l’arceau de caisse claire en passant par des toms aux peaux distendues. Les breaks sont nombreux, souvent redoutablement bien placés, et se logent parmi des samples très souvent pitchés, voix, soul et ambiances jazzy étant les univers les plus côtés.
Avec son flow souple posé sur amortisseurs et son ton nonchalant, barbouillé d’interjections et de fins de syllabes pleines de malice, la musique d’Ahmad a mûri, est devenue un véritable ressort. Peut-être même l’un des derniers capable de rebondir sur les réalités de ce monde sans faire du quotidien une tension permanente. 13 pistes, 10 véritables titres, trois featuring sans failles ni étincelles, et un ironique épitaphe en guise de clôture. L’album passe l’arme à gauche sans laisser le temps à l’auditeur de voir sa vie défiler. De la vie à la morgue, il n’y a pas grand-chose à reprocher à Ahmad. Un flow trop dégingandé ? Ce ne serait pas avoir compris sa démarche. Ici, la surprise n’est pas synonyme d’agression. Tout juste quelques un de ses refrains, un peu trop systématiques, basés sur des gimmicks, et son quasi désert scratchophonique -où est DJ Poska ?-, peuvent être pointés du doigt. Encore faut il en avoir le temps, car si l’opus est court, il s’écoute surtout d’une traite, sans jamais effleurer la touche avance rapide. , définitivement l’un des albums français de 2007 à retenir, frais de part sa couleur chaude et son redoutable sens de la formule : « voilà ce que je peux donner, un j’accuse de Zola et les excuses de Dieudonné ».
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