Lucien & Neirda
82-83
Genre mésestimé, le hip-hop instrumental a pourtant déposé de jolies pièces sur son passage au cours de la dernière décennie, du Soulmates de Nobody (2000) au Shadow of a Rose de Fred Yaddadden (2010), en passant (parmi d’autres) par les Lo-Fi Chronicles de Omega One (2005) ou le Cluster Ville de Abstrackt Keal Agram (2003). Autant de disques pour lesquels l’écho public fut à peu près inversement proportionnel à la qualité. Création d’un duo français encore inconnu, 82-83 est certainement promis à une confidentialité au carré et c’est dommage, car c’est une réussite.
Avec pour pochette les fragments d’une carte du monde éclatée, 82-83 a pour prétexte le constat d’un monde en crise. Bonne nouvelle, ce point de départ politique n’est pas exprimé par des rappeurs (auquel cas la digestion risquait d’être difficile), mais par des instrumentaux ponctués d’inserts vocaux, dont on peut s’amuser à chercher la source. Ils ne sont pas présents sur tous les morceaux, évitant au procédé de tourner à la recette. Le titre du deuxième morceau, « À l’anglaise », une petite minute portée par des cuivres angoissés, semble faire prématurément écho à la vague de rébellion qui a agité la perfide Albion début août. Mais c’est une Angleterre d’un autre temps qui est à l’origine de la datation originale qui sert de titre. De même que Buck 65 avait choisi 1954 (et non 1968) pour Situation, Lucien & Neirda ont évité la référence orwellienne convenue à 1984 pour se situer juste avant, en pleine guerre des Malouines.
Du coup, 82-83 déploie un son tendu fait de rythmiques plutôt soutenues et de samples relevés de scratches, traversés de variations, de breaks de batterie, de voix trafiquées, de nappes souterraines, de moments jouant habilement sur la panoramique. Avec, régulièrement, des incursions flûtées, histoire de redonner vaguement espoir. Le disque débute avec un beat nerveux trituré de scratches sur fond d’orgue lointain, avant qu’un habile changement de cap en cours de route ne fasse suivre une voix soul étouffée. Il s’achève sur un emballement drum n’bass accompagné d’un saxo chaleureux. Dans l’intervalle, l’itinéraire fait passer d’un piano de mauvais augure en pleine plongée downtempo (« Défibrillateur ») à un accordéon saccadé venant perturber une flûte (« Appel d’offres »), des percus sèches de « Subterfuge » à la cascade aquatique de « L’enfant bulle ». Parmi les meilleurs moments, les éléments qui se greffent peu à peu sur la ligne de basse d’un « Tu t’es vu devant ta TV » plein d’élan, et la façon dont un sample aérien fait décoller « Photographique », avant qu’un violon plaintif soit rejoint par cordes, chœurs et percus.
Le disque est court : à peine trente minutes. C’est aussi ce qui fait sa force. Surtout, malgré ce que suggère sa pochette, il est tout d’une pièce. Pas de pauses entre les morceaux, mais des transitions habiles, parfois insensibles. Et au final un chouette album, à ranger sur la même étagère que le Express Way des Troublemakers ou le Ill Insanity de Ground Zero.
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