Chronique

45 Scientific

45 Scientific - 2001

Composé au départ des seuls JP Seck, Géraldo, Ali et Booba, 45 Scientific s’est élargi pour aboutir à un croisement entre Time Bomb crû 97 – Lunatic, Hi-Fi, Ill – et le Beat de Boul’ – Malekal Morte, Sir Doum’s, Lim. Après une première sortie couronnée de succès, le label indépendant compte bien monopoliser l’attention : la réédition de Mauvais œil, une série de quatre maxis et enfin cette compilation. A la fois rampe de lancement des albums à venir et bilan-anniversaire, elle semble d’ailleurs davantage destinée à présenter les artistes affiliés qu’à combler le public qui les suit de près, la moitié des titres seulement étant inédits.

Huis clos parfait, aucun élément extérieur n’a été sollicité : les producteurs-maison se partagent donc la réalisation. Cinq titres – plus l’intro et l’outro – sortent des consoles de Géraldo tandis que les quatre autres sont confiés à un concepteur musical chacun. L’ambiance distillée est d’une unité exceptionnelle pour un projet collectif. Reconnaissable entre mille, le style sombre que l’on croyait propre à Géraldo se propage et s’enrichit de la personnalité des autres collaborateurs. Hi-Fi se contente de percussions pour accompagner sa voix (‘L’élévation’), Jim Profit et Clement, respectivement sur ‘Stargate’ et ‘Repose en paix’, recyclent avec brio les orgues sourds et oppressants déjà utilisés dans le premier album de Lunatic, tandis que Lim passe un peu inaperçu par un son trop en retrait (‘Juste hyper’).

La qualité la plus évidente du crew 45 Scientific, tout comme sa marque de fabrique, se situe donc bien au niveau des productions. Dans la lignée directe de l’oppressant et imposant Mauvais œil, elles ne brillent évidemment pas par leur finesse mais par l’émotion qu’elles dégagent. Minimalistes à outrance – « pour mettre en avant les voix » dixit Généraldo -, elles fonctionnent souvent grâce à une fragile alchimie entre un beat lourd presque inaudible et de lointaines touches aiguës. Pas d’évolution de ce côté-là donc : les conquis seront ravis, les sceptiques garderont la sensation de n’entendre aucune variation d’un titre à l’autre. Paradoxalement, si l’atout de l’écurie est indéniablement instrumental, ses poulains sont loin de passer inaperçus.

En première ligne du fait de la sortie imminente de son album solo, Temps mort, Booba continue de creuser l’écart entre le personnage qu’il a créé – qu’il est ? – et les clones qu’il a engendrés. Rappeur racailleux par excellence, son style cru ne cesse de se bonifier pour aboutir sur ‘Repose en paix’ à une succession de phases tranchantes : « Pé-sa en noir avec une faux, j’contourne les MC’s à la craie blanche. Résultat d’une blanche et d’un nègre : un coup de hanche et c’est le ravin ; fais pas ton nid sur la branche d’un aigle ». Le titre ‘Têtes brûlées’, en rimes croisées avec Ali, est l’occasion, pour ceux qui l’ont raté, d’avoir un aperçu de leur brillant album.

Hi-Fi est tout aussi efficace, dans un genre radicalement opposé. Deux extraits de ses deux derniers maxis lui suffisent pour déployer son talent d’écriture. Lesly apparaît furtivement dans ‘C’que les négros veulent’ et est dédicacé dans ‘L’élévation’ mais Hi-Fi est définitivement un rappeur solitaire. Humour lucide et acide enfoui sous des propos légers et un flow très épuré, le style reste le même : « Trop bourré pour faire l’amour à ta go, alors d’autres lui font la cour, c’est cool pour eux, mais toi, t’es heureux d’être gars amoureux d’une coureuse de gars ? Pourtant, dans tes textes, tu maîtrisais les tass’, de face, de dos. Tu disais « J’fume tout ce qui est bien roulé comme un bédo ». Aujourd’hui, ton ex-femme est si enflée de face que t’oses la regarder que de dos parce que tu sais que’c’est pas ton sse-go qu’elle porte ».

Ill non plus n’a pas vraiment changé, mais la magie ne fonctionne plus. Décidément doué au micro, il lasse tout de même sur ses deux apparitions solo – ‘Intro’, ‘Juste hyper’. Ne misant que sur son flow, il délaisse ses textes, égotrips mille fois entendus. Cassidy, son compère complémentaire présent sur ‘Professionnels’, n’a pas signé sur 45 Scientific. Leurs deux échecs commerciaux (Jeunes, coupables et libresBig Bang) sont-ils à l’origine de cette scission des X-Men ? La direction actuellement prise par Ill en solo n’est pour l’instant pas rassurante. Les transfuges du Beat de Boul’ n’ont droit qu’à trois titres. Makelal Morte convainc à moitié avec ‘Stargate’ et son refrain lourdaud. Les voix de Brahms et surtout d’Issaka commencent à devenir familières et, pour la première fois, prennent le dessus sur celle de Mala. De son côté, Sir Doum’s confirme tout le bien que l’on pensait de ses récentes apparitions – Mauvais œilDans la ville. Un style toujours proche des Sages Po’, la hargne en plus. L’instru de Geraldo, bien plus rapide que d’accoutumée, colle parfaitement à son débit. La grosse déception vient de LIM, assez indigeste sur ‘Tous Illicites’. Déjà agaçant lors de son dernier morceau solo – ‘Kidnapping’ -, il affiche un flow aux intonations encore plus forcées et des paroles faussement osées.

Au final, malgré sa courte durée, cette compilation est l’objet idéal pour suivre l’évolution de 45 Scientific sans acheter tous les maxis disponibles. En tous cas, avec Booba et Hi-Fi, le label semble avoir son avenir largement assuré. Il suffit que Mala, Ill ou Sir Doum’s explose pour qu’il devienne incontournable.

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