The Alchemist
1st infantry
D’Alchemist, on retient souvent les classiques : ‘Keep it thoro’, ‘We gonna make it’ ou ‘Mobb Niggaz’. Pourtant, ALC n’est pas seulement ce producteur au son menaçant qui vole souvent la vedette aux rappeurs qu’il produit. Son parcours est très atypique : élevé dans le confort de Beverly Hills, Alan Maman commence par rapper dans le duo The Hooligans, à 14 ans. Sa rencontre avec DJ Muggs et DJ Lethal (House of pain) lui permettra de faire ses premières armes derrière la SP-12. Producteur de l’ombre, il rencontre le crew Infamous Mobb pendant l’enregistrement du projet Soul Assassins, à New York. Celui qui se faisait appeler Mudfoot à Los Angeles deviendra alors Alchemist lors de ses études à NYU, et signera plusieurs collaborations marquantes à l’est (High and Mighty, Big Daddy Kane) comme à l’ouest (Dilated People, Defari). Très apprécié pour sa capacité à dénicher des samples ébouriffants, The Alchemist est aujourd’hui une référence dans le monde de la production et du crate diggin’.
Après plusieurs mixtapes et d’innombrables collaborations, 1st infantry est le premier long format d’ALC, sur lequel il fait son retour au micro. Boosté par ses succès récents, le producteur a réuni un casting hollyw(h)oodien, autour de trois familles cousines : G-Unit/Aftermath (The Game, Stat Quo, Lloyd Banks), D-Block (Jae Hood, Jadakiss, Styles P), Infamous Family (Prodigy, Chinky, Twin). Un choix basique mais cohérent : le style outrancier et volontairement intimidant des invités va de pair avec l’univers sonore d’Alchemist -sombre, urbain, criminel. C’est d’ailleurs sa grande qualité : ses compositions plantent le décor. A l’écoute de ‘Boost the crime rate’ ou de ‘Different worlds’, on imagine bien les survols de New York en hélicoptère, les bouches d’égouts enfumées, et les sirènes de police étouffées. Ce style cinématographique parfaitement rôdé donne toute sa saveur aux compositions du boy Al’.
L’enthousiasme est pourtant tempéré aux premières écoutes : The Alchemist nous a tellement habitué à être au dessus de la mêlée le temps d’une production ponctuelle -notamment dans les derniers albums de Mobb Deep- qu’on s’attendait à écouter 19 titres avec 19 boucles ahurissantes. Finalement, ce n’est pas le cas… mais presque. Du rock à la soul en passant par d’obscurs échantillons vinyliques, Alchemist compose un panel d’ambiances d’une puissance jubilatoire. De nombreux titres sortent du lot : ses retrouvailles avec Dilated People (‘For the record’), le détachement de Lloyd Banks dans ‘Bangers’, le sample intemporel de ‘Tick Tock’ (Nas et Prodigy), et le morceau final, ‘Different worlds’, dans lequel la voix posée d’ALC se mêle à celle rocailleuse de Twin Gambino pour évoquer leurs destins croisés. Alchemist s’est également aventuré dans des genres moins habituels chez lui. Outre l’addictif ‘Hold you down’, on appréciera donc ‘Strength of pain’ de Chinky, chanteuse RnB du 41st side, et les collaborations inattendues et laid-back avec le Texan Devin the Dude (‘Where can we go’) et le Géorgien T.I. (‘Pimp squad’). Une fois n’est pas coutume, les interludes tirent leur épingle du jeu -mention spéciale à l’improbable chanson ‘Your boy Al’, et l’hilarant dialogue surréaliste entre ALC et un A&R démago (‘Industry rule 4080’).
Alchemist fut surnommé pendant un temps le « DJ Premier blanc », un sobriquet aussi idiot que dépassé : beatmaker influencé devenu producteur d’influence, The Alchemist s’est fait un nom depuis longtemps, et l’album 1st infantry en est la preuve. « We ain’t invent the wheel but we made the Goodrich tire« , lançait récemment Jay-Z. La métaphore sied parfaitement à Alchemist : il possède les fondamentaux du rap brutal des années 90 et a su les perfectionner en y incorporant les effets rutilants du son d’aujourd’hui. Ses invités l’ont bien compris, et livrent tous une prestation au moins aussi offensive que les productions de leur hôte. Efficace et homogène, 1st infantry rappelle que le rap n’est jamais aussi jouissif que lorsqu’il repose sur un sample bien trouvé et un beat qui frappe fort.
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