Chronique

Duckdown Records
15 Years of Duck Down Music

Duckdown Records - 2010

Pour son quinzième anniversaire, Duck Down Records a eu une idée intéressante, à savoir demander au public d’élire son morceau favori pour chaque année d’existence du label. Afin, bien évidemment, de compiler le tout en un album qui retrace ainsi le parcours de l’écurie, de 1995 à 2010.

Mais qui dit Duck Down, dit avant tout Black Moon et Smif-N-Wessun. Ces groupes ont connu leurs heures les plus glorieuses avant même la création de Duck Down, avec Enta da Stage pour les premiers et Dah Shinnin’ pour les seconds. Dru Ha et Buckshot ont donc tranché dans le vif : on fera bien référence à ces deux classiques, via des bonus tracks qui interviendront donc… en début de disque. 1993 sera l’année de ‘Who got the Props’, 1994 celle de ‘Sound Bwoy Burial’.

‘Who got the Props ?’ est brillant, mais tient rétrospectivement plutôt du balbutiement. Buckshot y rappe comme un possédé sur une prod jazzy, onctueuse et dynamique. L’identité sonore de Duck Down et de la Boot Camp Clik de la grande époque prend forme avec ‘Sound Bwoy Burial’. Le minimalisme est exacerbé, l’ambiance sombre et les flows en rupture avec l’atmosphère pesante mise en place par les Beatminerz. Cette ligne sera parfaitement suivie lors des premières années d’existence du label, symbolisées ici par l’inévitable ‘Leflaur Leflah Eshkoshkah’ (1995) du Fab 5 et ‘No Fear’ (1996) de OGC. La technique de Tek, Steele et Buckshot laisse place à la folie de la jeune garde, mais les supports restent les mêmes : des beats dont l’efficacité réside essentiellement en des breaks de batterie puissants et des lignes de basses lourdes.

La fin des années 1990 nous précipite directement sur l’écueil, ou plutôt l’iceberg, auquel s’exposaient les New-Yorkais avec ce best-of amélioré. Proposer un morceau pour chaque année est une bonne initiative, à condition que la qualité des sorties n’ait pas évolué decrescendo. Malheureusement, on le sait, ce n’est pas le cas pour Duck Down Records. ‘Headz R Readee pt. II’, ‘Black Trump’, ‘2 Turntables & a Mic’, ‘Super Brooklyn’ ne sont pas mauvais, au contraire même. Mais ils montrent que les particularités qui faisaient le succès de Duck Down se sont délitées, et que le label est en proie à la « normalisation » en cette fin de millénaire.

Le changement de siècle n’infléchit malheureusement pas le mouvement. L’originalité de l’écurie n’est plus qu’un souvenir et, au fil des morceaux, on a de plus en plus de mal à trouver des points communs entre les artistes. Finalement, c’est Sean Price, un temps considéré comme le maillon faible de la Boot Camp Clik, qui parviendra à tenir seul la baraque pendant quelques années. Grâce à un univers propre à lui, et des choix de prods efficaces à défaut d’être audacieux. ‘Don’t say Shxt to Ruck’ ou ‘P-Body’ éclairent ainsi une deuxième partie d’album plutôt fade, à l’instar de ‘Stay Real’, sursaut de Black Moon. Pour le reste, les titres présents auraient pu porter le sceau de n’importe quel label de musique Hip-Hop, et souffrent de la comparaison avec les premiers morceaux du disque.

Plusieurs explications peuvent être apportées quant à ce déclin : l’éloignement progressif des Beatminerz, architectes sonores de Duck Down en est une. Comme l’incapacité de la Boot Camp Clik, crew regroupant tous les MCs du label, à sortir un album référence en tant que collectif. Toutefois, malgré cette régression assez nette à l’écoute de 15 Years of Duck Down Music, Duck Down a réussi à devenir un label majeur du rap new-yorkais, profitant surtout du vide ambiant. Son roster actuel est impressionnant, et les prestations récentes de certains de ses artistes (Torae, Ruste Juxx) incitent à l’optimisme. Sans même renouer avec sa grandeur d’antan, si Duck Down Records devenait un peu plus constant dans la qualité de ses sorties, ce serait déjà très bien.

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