"Started from the Bottom", c’est cet homme
Quel effet ça fait de se faire sampler par une superstar ? Nous avons posé la question à Bruno Sanfilippo, compositeur argentin échantillonné sur le single de Drake « Started from the Bottom ».
C’est donc possible. En 2013, on peut porter un toast et faire la danse de la victoire sur une boucle de piano triste. C’est la grande leçon donnée par Drake il y a quelques mois avec « Started from the Bottom », le premier extrait de son Nothing Was the Same.
Produit par le jeune Mike Zombie et Noah « 40 » Shebib, cet hymne à l’ascension mêle un son poussiéreux à une rythmique-perceuse, comme si on avait greffé les tresses de Chief Keef sur le crâne chauve d’Havoc. Magie de YouTube, on a appris la semaine dernière que le morceau emprunte sa touche de mélancolie à « Ambessence Piano & Drones 1 », une rêverie de dix minutes composée en 2008 par un Argentin et un Allemand, Bruno Sanfilippo et Matthias Grassow. Une collision improbable mais finalement assez logique entre le monde de Drake et l’univers suspendu de l’ambient music. Pour en savoir plus, nous avons échangé par mail avec l’auteur du morceau original.
Abcdr du Son : D’après votre biographie, vous êtes un musicien « obsédé » par tout ce qui a trait au « surprenant, au magique et au profond ». D’où vient cette obsession ?
Bruno Sanfilippo : Je prends toujours ces trois éléments en considération quand je fais de la musique. C’est lié à mon identité d’artiste, mon mode de pensée, ma manière de ressentir les choses, et j’espère que ça se reflète dans mon travail. Je vis dans les montagnes en dehors de Barcelone, et mes compositions voient le jour dans un silence absolu. Je ne suis pas un artiste très urbain.
A : Le monde de la musique « ambient » paraît éloigné du monde mainstream. Comment décririez vous ce genre à un néophyte ?
B : Avant de vous répondre, je dois dire que certains artistes (moi y compris) n’aiment pas trop parler de genres musicaux. Nous pensons que ces genres sont un moyen bien pratique inventé par l’industrie pour nous labelliser. Ça a toujours été un territoire étrange pour moi. Quand Brian Eno a utilisé le mot « ambient » pour la première fois, il l’a présenté comme une forme de musique que l’on pourrait écouter de deux manières, attentive ou non-attentive. C’est un effet comparable à un encens : ça peut pousser à l’introspection, ou élever ton instinct créatif quand tu explores d’autres disciplines.
A : Quels disques recommanderiez vous pour un débutant ?
B : Dans la liste qui suit il y a des styles très différents, et je dois dire que la plupart des artistes cités sont des amis : A Winged Victory For The Sullen, Brambles, Chichei Hatakeyama, Sylvain Chauveau, Max Corbacho, Marsen Jules, Bvdub, Mathias Grassow, Olan Mill, Rafael Anton Irisarri, Field Rotation, Alio Die, Christina Vantzou… parmi d’autres. Nous sommes arrivés à un point où, en termes de diversité et de quantité d’artistes, nous appartenons à tous les genres musicaux. Nous sommes entrés dans un « nuage », un « cloud », pour reprendre un mot à la mode mais qui résume bien le phénomène.
A : Vous avez sorti beaucoup d’albums. L’une de vos compositions vient d’être samplée par Drake dans « Started from the Bottom ». C’est une première pour vous ?
B : Oui, c’est la première fois, en tout cas de cette façon. Ma musique a déjà été remixée, mais le travail de Drake, c’est quelque chose de différent.
A : Le sample est issu d’un album de 2008 appelé Ambessence. Quelle était la direction de cet album ?
B : Ambessence, Piano & Drones fut la première collaboration entre Matthias Grassow et moi-même. Matthias est un musicien allemand réputé, c’est un expert des sonorités type drones. L’album est sorti en CD via mon label ad21music, et ça fait quelque temps qu’il est épuisé. Nous avons fait un deuxième album, appelé Cromo, en 2010.
A : Vous connaissiez la musique de Drake ?
B : Je n’avais jamais écouté sa musique, et j’avais à peine entendu parler de lui.
A : Comment s’est déroulé la procédure d’autorisation du sample ?
B : D’abord une entreprise de « clearance » nous a contactés, puis il me semble qu’on a parlé avec une personne de la société de production de Drake. Ils étaient sympathiques mais très intenses. C’était le mois de janvier 2013, j’allais partir à Prague et Bratislava pour des concerts, donc je voulais boucler le contrat avant mon départ. Comme d’habitude, c’est Ximena, ma femme et agent, qui a organisé tout ça.
A : Quelle a été votre réaction en découvrant « Started from the Bottom » ?
B : Pendant les quelques jours de préparation du contrat, ils m’ont envoyé un échantillon au format mp3 de ce que Drake était entrain de faire avec son « Started from the Bottom ». Quand j’ai écouté le titre pour la première fois, je n’en suis pas revenu. C’était une sensation à la fois agréable et bizarre. J’ai remarqué qu’il avait fait un boulot incroyable à partir du sample pris dans Ambessence. Par contre, je ne m’identifie pas énormément au message de la chanson.
« Je vis dans les montagnes, mes compositions voient le jour dans un silence absolu. Je ne suis pas un artiste très urbain. »
A : Vous voyez des ponts entre votre musique et celle de Drake ? A sa manière, Drake est très « piano et drones ».
B : Au départ il n’y a pas de pont entre nos musiques, mais quand j’entends mon son de piano sur « Started from the Bottom », je commence à en douter. Quand il y a de la créativité et du bon goût, les ponts entre des genres a priori opposés finissent par apparaître.
A : Ces dernières années, un style de rap à la limite de l’ambient est apparu. Ça a été baptisé, justement, « cloud rap ». L’un des pères du genre est un beatmaker appelé Clams Casino. Vous connaissez ?
B : Pour être honnête, je n’en avais jamais entendu parler avant que vous m’en parliez. Par curiosité, je suis allé écouter ce qu’il fait. Et je pense qu’effectivement, quand on écoute Clams Casino, on est vraiment à la croisée des chemins entre rap et ambient. Qui l’eut cru ? C’est un bon exemple que vous citez là.
A : En tant que compositeur issu de l’école classique, que pensez-vous du sampling ?
B : Avoir une formation classique ne signifie pas nécessairement avoir une pensée conservatrice. Mes compositions incluent par exemple un son de violoncelle traité à un point où il en devient à peine identifiable. Dans ma série Piano Textures, j’utilise des sons de piano que j’ai samplé sur mon propre piano. Je considère d’ailleurs le piano comme un instrument venu du futur, tant son ingénierie est incroyable. Je pense bien sur que le sampling est une technique tout aussi légitime qu’une autre quand il s’agit de créer de la musique.
A : Avez-vous le droit de dévoiler la compensation que vous avez reçu pour l’utilisation de ce sample ?
B : En général, il y a des taux pré-établis pour l’utilisation de samples. C’est une pratique courante. Il ne nous a pas fallu longtemps pour tomber d’accord là-dessus avec les producteurs de Drake.
A : « Started from the Bottom » est l’un des gros succès de l’année. Peut-on dire que ce morceau va changer votre vie ?
B : Non, pas du tout. Ma vie n’a pas changé, c’est lui la star.
A : Le compositeur et pianiste canadien Chilly Gonzales a été samplé par Drake en 2009. Il est aujourd’hui un de ses collaborateurs réguliers. Ça vous tenterait aussi ?
B : Oui, j’étais au courant que Chilly Gonzales avait fait quelque chose pour lui. La vérité, c’est qu’il serait formidable pour moi de continuer à collaborer avec Drake. Il est évident que j’en serais honoré.
Drake - Started from the Bottom
Bruno Sanfilippo - Ambessence Piano & Drones 1
Je découvre la musique du gars. Il y a des trucs incroyables dans Cromo (piano & drones). Dans le deuxième morceau, la petite mélodie qui monte à partir de 1’30 donne des frissons… Aucune idée si c’est samplable, mais c’est très joli !
Le sample est grandiose en tout cas.
Un lien qui pourrait vs intéresser : https://myspace.com/discover/trending/2013/09/24/drake-nothing-was-the-same-album-credits-liner-notes/
Ca m’a donné envie d’écouter ce qu’il fait. Merci
Super concept ! Beau boulot.
Très très intéressant , surtout qu’on se demande souvent ce que peuvent penser des artistes venant d’univers lointains ( voir opposés) au rap quand une de leur compo est samplée. Même si évidemment ils donnent leur accord, je me dis que dans le cas présent, quelqu’un qui vit plus ou moins isolé dans les montagnes espagnoles , peut être surpris par le message du son de Drake .
Et quand on pense a des artistes traditionnels africains ou asiatiques , le décalage peut être encore plus grand…
Super intéressant, comme d’hab