Tim Dog, éloge d’un chien fou
Hommage

Tim Dog, éloge d’un chien fou

Illustre inconnu pour les plus jeunes, icône d’une époque révolue pour les trentenaires endurcis, Tim Dog restera pour l’éternité l’auteur d’un des disques les plus incroyables que le rap ait pu enfanter.

Une triste nouvelle s’est répandue sur les réseaux sociaux, ce jeudi 14 février. Timothy Blair, 46 ans, alias Tim Dog, vient de nous quitter. Illustre inconnu pour les plus jeunes, icône d’une époque révolue pour les trentenaires endurcis, l’homme restera pour l’éternité l’auteur d’un des disques les plus incroyables que le rap ait pu enfanter. Retour sur l’album clé d’une carrière en dents de scie, mais riche en testostérone.

1991. La rue new-yorkaise souffre en silence. Même si des groupes comme De La Soul ou A Tribe Called Quest, relativement accessibles pour le grand public, parviennent à laisser leur empreinte dans les charts, la plupart des figures légendaires de la côte est sont en perte de vitesse. Public Enemy ? Boudés par une partie de leur public qui peine à suivre leurs nouvelles orientations musicales. Big Daddy Kane ? Accusé d’avoir vendu son âme aux démons du R&B. Slick Rick ? Emprisonné pour une durée indéterminée, et toujours sous le coup d’une demande d’extradition vers l’Angleterre. Boogie Down Productions ? Une équipe moribonde déchirée par des conflits internes. Quant à Biz Markie, il est en plein démêlés juridiques pour une sombre histoire de sample non déclaré qui l’éloignera des studios pendant de longs mois. La liste est longue et le tableau semble bien morose.

Pendant ce temps, à l’ouest, les cieux rapologiques semblent plus cléments. Portée par des compositions plus mélodiques pour l’oreille d’un grand public souvent néophyte en la matière, la musique de la cité des anges et son imagerie issue de la culture des gangs se font une place de choix dans les rayons des disquaires. NWA, allégé depuis peu de Ice Cube, prépare tranquillement son deuxième LP. Chauffée à blanc, l’industrie est en émoi. Chaque label cherche à capitaliser sur le phénomène en signant à tire-larigot tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin au combo de Compton : Compton’s Most Wanted (Epic/Orpheus), DJ Quik & 2nd II None (Profile), 2Pac (Interscope), WC & The Maad Circle (Priority) et consorts. Débarrassé d’une certaine conscience politique et/ou poétique, ce rap plus hédoniste, voire nihiliste, n’hésite pas à enfoncer des portes que ses cousins new-yorkais se sont toujours plus ou moins refusés à emprunter. Quand à l’est, on refroidit ses rivaux avec les rimes les plus cinglantes, à l’ouest on préfère la sinistre mélodie d’un chargeur qui vient transformer ses opposants en passoires. Chacun son truc.

« Avec Tim Dog, ce sont les tripes et la hargne qui parlent, quitte à froisser quelques égos au passage. »

Niché au cœur du Bronx, terre mère de la culture hip-hop, un homme va décider de redonner à la grosse pomme ses lettres de noblesse. Cet homme, c’est Timothy Blair, évoluant dans le milieu depuis la fin des années 80 sous le pseudonyme de Tim Dog. Proche de feu Scott La Rock, puis des légendaires Ultramagnetic MC’s, il va d’abord se faire remarquer en les accompagnant sur de nombreuses tournées. Il partage le micro avec eux lors de longs freestyles radiophoniques qui lui donnent rapidement envie de s’émanciper en solo. En termes d’écriture, le clébard du Bronx est malheureusement loin de posséder la plume d’un Rakim, ce qui lui vaudra d’ailleurs quelques entretiens à la limite du pugilat avec de grands D.A. de l’époque – l’un d’entre eux, Dave Funkenklein (Hollywood Records), aura droit en retour à quelques piques sur une pochette d’album. Le véritable coup de génie de Tim Dog, celui qui dictera les coups d’éclat de sa future carrière, va alors s’imposer à lui comme une évidence : exit le lyricisme, place au charisme et à la rage. La forme l’emporte sur le fond, ce sont les tripes et la hargne qui vont alors parler, quitte à froisser quelques égos au passage.

Fin 1991, le brûlot hardcore est enfin lâché, le bien nommé Penicillin On Wax, porté par l’incroyable single « Fuck Compton », déclaration de guerre à l’attention du quatuor NWA. Le chien fou tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge et qui déshonore selon lui l’essence du rap. Le premier pressage de l’album s’ouvre d’ailleurs sur une reprise d’Eazy-E et ses acolytes (l’intro de Niggaz 4 Life). Ceux-ci décident rapidement de faire retirer le morceau des bacs et contraignent Ruffhouse à modifier légèrement l’ensemble. Coup dur ? Bien au contraire, Tim Dog se sert de l’affaire pour les ridiculiser de plus belle, s’étonnant que des gangsters auto-proclamés puissent faire appel à des avocats pour régler leurs litiges. Ils auront même droit à une deuxième chape de plomb sur le terrassant « Step To Me », qui tacle également leur compatriote DJ Quik au détour d’une phase bien sentie (« DJ Quik? You can suck my dick.« ). Le disque est dense, menaçant, trimballant ce funk gras et hypnotique dont seul le clan Ultramagnetic MC’s (en la personne de Ced Gee, Moe Love & T.R. Love) pouvait accoucher. Un tracklisting épique de vingt plages au total, parfumé au napalm du début à la fin, qui magnifie la colère et la frustration avec un brio encore inégalé à ce jour.

En terme d’image, le rendu se voulait également à la hauteur du message. Comment ne pas devenir dingue en découvrant la pochette du maxi Fuck Compton, représentant une casquette brodée au nom de la ville dévorée par les flammes, fièrement brandie par la main de son auteur ? La vidéo accompagnant le morceau n’était pas en reste. Elle met en scène des sosies de NWA malmenés par Tim Dog et une escouade de golgoths aux mines patibulaires, façon kidnapping musclé qui s’achèverait dans le sang. Les inimitiés dans le rap étaient loin d’être une nouveauté en 1991, mais le fait de nommer précisément ses cibles et d’en arriver à les singer dans un clip était par contre totalement inédit. Ironie suprême, quelques années plus tard, Dre & Eazy-E useront chacun des mêmes artifices via vidéos interposées pour régler leurs différends. « Et le merci, on l’attend encore » aurait alors pu s’exclamer le sieur Blair.

Même si la suite de sa carrière sera moins flamboyante en comparaison de cet opus magistral, Tim Dog retrouvera par moments la fougue de ses débuts, notamment avec l’excellent Big Time, enregistré en 1996 aux côtés de Kool Keith et Kutmasta Kurt. Un disque plus complexe qu’il n’y parait, rongé par une bile acide et revancharde, dirigée cette fois-ci non pas contre les gangsters de studio mais contre l’industrie du disque toute entière. Et comme pour boucler la boucle, sorte de testament avant l’heure, le canidé fâché lâchera son dernier grand couplet entouré du crew Ultramagnetic au complet. C’était en 2006, sur un morceau nommé « Love 4 Us », et ça donnait ceci :

« First dog in the game / First dog with the name / You don’t believe me, go to ’88 / Ain’t shit changed, I’m a trendsetter / And when it comes to vendetta, put a hole in your sweater with the beretta / Don’t fuck with the D.O. / Don’t fuck with Ultra / Or we gonna swarm on y’all niggas like vultures / All you young cats, we coached ya / Taught you how to spit, how to make your pants sag & shit / And now you think you’re better than / Than a 15 years motherfuckin’ rap veteran? »

Du Tim Dog dans toute sa splendeur, bête et méchant, mais terriblement attachant.

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9 commentaires

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  • Olfool,

    C’est lui qui m’a fait aimer le rap US. Le clip de « Step to me » était incroyablement puissant et l’album d’après quand même pas mal. « I get wrecked » avec KRS bien cool aussi. Il avait aussi une track (pas très réussie) contre Snoop Doggy Dog (« Bitch with a perm »)…
    Une époque qui s’en va et je crois que j’aime pas le rap de maintenant, ses prods et son flow…

  • mutuelle sante chat,

    un chien fou, voire sans conscience du danger!

    Marine

  • […] 2. Par contre, aucun JT n’a relayé le décès de l’inventeur du beef inter-côtier, Tim Dog, qui aurait mérité une fin plus hardcore et surtout moins prématurée. À défaut de son tube […]

  • 7th Disciple,

    « le fait de nommer précisément ses cibles et d’en arriver à les singer dans un clip était par contre totalement inédit »
    En 88/89, « Travelling At The Speed Of Thought » des Ulrtamagnetic MC’s, voit dans son clip l’apparition de Cool Moe Wack, Slick Wick Wack et LL Cool Wack, ce qui laisse peu de place au doute sur les personnes visées.

  • RAGEMAG,

    […] 7/ Retour sur la carrière du rappeur Tim Dog, inconnu pour la plupart des gens, il est pourtant à l’origine de la rivalité East/West via son morceau “Fuck Compton“. Tim Dog, éloge d’un chien fou […]

  • #187prodplaylistadaweek07 | 187 Prod,

    […] 2. Par contre, aucun JT n’a relayé le décès de l’inventeur du beef inter-côtier, Tim Dog, qui aurait mérité une fin plus hardcore et surtout moins prématurée. À défaut de son tube […]

  • Bboy Lightness,

    C’est plutôt en 93 que la rue new-yorkaise souffre en silence (et encore y avait quand même Digable Planets, Wu-Tang, Guru Jazzmataz et Midnight Marauders d’ATCQ) , même si ce qui est dit n’est pas faux mais un peu trop simpliste.

    En complétant le com’ de Trickykid, en 91 y avait aussi Leaders of the New Shool avec Busta Rhymes, Ed O.G & Da Bulldogs, Pete Rock & CL Smooth, les Nice & Smooth, Naughty by Nature, Son of Bazerk, Derelict of Dialect des 3rd Bass etc… bref 1991 était une grosse année East Coast.

    Avec du recul, Tim Dog défendait l’orthodoxie du rap new-yorkais contre la nouveauté « gangsta » de l’Ouest, dommage que ce clash typiquement hip hop ait pris des proportions aussi malsaines avec les morts de 2pac et Biggie…

  • Trickykid,

    Euh… 1991 c’est plutôt l’année du foisonnement créatif sur la côté est avec les 1ers albums de Main Source, Black Sheep, Organized Konfusion, KMD, UMC’s. Et un putain de chef d’oeuvre : Step in the Arena.

    BDP est peut-être en décomposition, mais Live Hardcore Worldwide, quel album !

  • DoN MoSs,

    Repose en paix bronx nigga