Ce qu’on retiendra de Watch The Throne Paris
Les oreilles encore endolories, le cerveau hanté par une mélodie obsédante (quelque chose du genre « Ta-ta. Ta-Ta. Ta-Ta. Ta-Ta-TA. »), essayons de revenir sur les deux concerts phénoménaux donnés par Jay-Z et Kanye West ce week-end à Paris.
Le séquençage
Le show a été pensé comme un greatest hits monumental des catalogues de Jay-Z et Kanye West. Jay-Z seul. Kanye seul. Jay-Z avec Kanye producteur. Kanye West featuring Jay-Z… Leur imbrication donnera lieu à des enchaînements mémorables. En tête : l’arrivée de Jay-Z sur « Diamonds from Sierra Leone » (sans doute l’un des meilleurs couplets de sa carrière), Kanye dans le rôle du flic sur « 99 Problems », la transition « Big Pimpin' » / « Goldiggers »… Autre excellente idée : la décision d’utiliser l’instrumental de « Angels » pour « Where I’m from ». Une façon astucieuse d’aligner le morceau, vieux de quinze ans (mais repris l’année dernière par Puffy et Rick Ross), avec le futurisme baroque de Watch The Throne.
Le contraste Jay-z / Kanye West
Ce n’est pas seulement la complémentarité des répertoires qui a fait la qualité du spectacle, mais aussi le contraste des personnalités : un Jay-Z impérial, dissimulant les années de pratique aguerrie sous une nonchalance élégante, et un Kanye félin, le visage constellé de sueur, dont les traits prendront parfois une forme littéralement monstrueuse sous l’effet des jeux de lumière. Cette dichotomie fascinante sera judicieusement illustrée par les gros plans projetés sur les énormes écrans géants qui surplombaient la scène. Deux écrans séparés.
L’héritage musical
Les invités invisibles de la tournée Watch The Throne s’appellent Louis Armstrong, Otis Redding, Michael Jackson, James Brown ou Frank Sinatra. Ça n’était pas nécessairement évident par le passé, mais les samples utilisés par Jay/Kanye sont devenus avec le temps des outils pour affirmer leur appartenance à la grande tradition de la musique populaire américaine. Impression confirmée par la présence discrète, avant le concert, de samples originaux (notamment ceux de « Luchini » ou « Guess who’s back »), glissés en fond sonore, comme une note d’intention du spectacle à venir.
Le record
Sur Twitter, dans le torrent de commentaires qui a accompagné le show, certains se sont offusqués que « Ni**as in Paris » soit joué onze fois d’affilée (oubliant au passage que ce rappel-marathon avait été précédé d’un show de deux heures et une quarantaine de morceaux). C’est sûr, Jay-Z et Kanye auraient pu se contenter de faire un rappel standard. A la place, ils ont crée un rituel absurde, une compétition surréaliste dont ils sont à la fois instigateurs et victimes consentantes. L’expérience est idiote, interminable, éreintante et terriblement jouissive, à condition d’être sur place et de bien vouloir jouer le jeu. L’expliquer reviendrait à vouloir donner un sens à l’expression »Going gorillas » : personne ne sait vraiment ce que ça veut dire, mais ça fait péter un câble à tout le monde. Demandez à Will Ferrell.
Les symboles
Il y a quelques mois, nous déclarions Watch The Throne »album rap conscient » de l’année 2011. Non, ce n’était pas une blague, et le spectacle de vendredi a achevé de nous en convaincre. Au fil du show, il y avait quelque chose de profondément perturbant dans ces images de savane, d’émeutes, de bombe atomique et de cérémonies du Ku Klux Klan. Quelque chose d’inspirant dans ce drapeau géant et cette casquette des Brooklyn Nets, symbole ultime d’un rêve américain transformé en motivateur universel. Et quelque chose de carrément flippant dans ces trous humains s’effondrant sur eux mêmes pendant les reboots compulsifs ( »Again ! ») de « Ni**as in Paris ». Les images choisies sont peut-être familières dans le décorum pop (la guerre, c’est mal, peu importe le chanteur), mais une sensation de violence abstraite et de décadence inéluctable traversait quand même le spectacle. Au final, la réalisation live de Watch The Throne ne fait qu’en amplifier les étranges paradoxes.
Le design
Bien sûr, il y avait des effets spectaculaires : les lasers ponctuant les notes de piano de « Runaway », les crachats de flamme qui chauffaient les visages des spectateurs jusqu’aux derniers gradins, ou ces impressionnantes plateformes jumelles criblées de cristaux liquides. Kanye l’avait prouvé lors du Glow in the Dark Tour : il est un excellent designer scénique. Mais là où le show aurait pu être froidement millimétré (comme celui de Sade au même endroit un an plus tôt), Jay-Z et Kanye ont su apporter à leur démonstration de force une vraie dimension chaleureuse. Quand ils ont rappé « New Day » assis côte à côte sur un banc imaginaire, on avait presque l’impression de traîner dans le même square qu’eux.
Le drapeau
Difficile de resituer à quelle itération de « Ni**as in Paris » c’est arrivé. La huitième ? L’avant dernière ? Jay-Z et Kanye qui demandent aux spectateurs de leur faire passer deux drapeaux français : l’un pour Jay-Z qui l’enroule autour de son poignet, l’autre pour Kanye qui se met dos au public pour le brandir au dessus de lui sous les ovations de la foule. Deux rappeurs américains ont donc réussi à provoquer un moment d’unisson patriotique autour d’un symbole bleu-blanc-rouge habituellement détesté. Alors oui, leur France à eux commence et finit peut-être dans une suite du Meurice, mais il n’empêche, la puissance de l’instant nous a jeté à la figure une question bien embarrassante : pourquoi aucun rappeur français ne pourrait oser le même geste sans se couvrir de quolibets ou de ridicule ?
L’inconnue
Le répertoire bourré de hits, l’attitude flamboyante, les moyens logistiques haut de gamme… On peut rationaliser le succès de Jay-Z et Kanye West de mille et une manières. Mais ce qui les place définitivement au dessus de la mêlée, c’est qu’ils sont les rares artistes du rap à rester inexplicables. Pourquoi Jay-Z commande une arène entière comme il discuterait avec un pote ? Qu’est-ce qui pousse Kanye West à passer vingt minutes seul, à autotuner son cœur brisé en haut d’une plateforme mécanique ? Comment revenir d’un tel appétit de record, et y retourner de soir en soir ? Et qu’est-ce qui peut bien se cacher sous cette foutue scène hors de prix ? Au fond, le fantasme illuminati autour de Jay-Z et Kanye West n’est rien d’autre que le négatif caricatural de leur force la plus profonde : celle d’être les derniers vrais mystères du rap.
[…] 8Ce qu’on retiendra de Watch the Throne Paris(https://www.abcdrduson.com/blog/2012/06/watch-the-throne-paris/) […]
On peut dire que Paris c’était VRAIMENT mieux Avant.
Voilà pourquoi je crois les rappeurs français ne peuvent glorifier ce drapeau comme ils le feraient.
C’est tout un symbole pour un Afro-Américains; heureusement qu’ils n’ont pas connue Guaino et Sarko 🙂
C’est pas la même classe que Boris Vian et De Gaule
Pas à ma connaissance, mais ça vaudrait le coup étant donné la qualité des images vues sur l’écran géant pendant le concert. Par contre il devrait y avoir un livre (cf notre interview de Nabil Elderkin).
Bon ben voilà JB je vais m’écouter Watch The Throne 🙂
Ton dithyrambisme jiggazien & kanyewestien (!) est communicatif.
Tu sais si un live vidéo/audio est prévu ?
Bonjour,
Je dois vous dire que j’ai fait pas mal de concert dans ma vie que ce soit de rap (Snoop, Wayne, Ross, Nas, Busta, 50 ….) et des concerts de rock (Kravitz, Red Hot) ou encore Prince et je dois avouer que j’ai été très surpris par la performance de ses deux personnages. En effet, on a souvent l’habitude de se faire avoir par les rappeurs ricains hors là, il s’agit d’un concert, d’une démonstration de 3 heures de concert sans temps mort.
En outre, on voit qu’en terme de scénographie, ils n’ont rien a envié aux plus grands.
En effet, ce concert c’est fait dans un esprit hip-hop, avec une puissance rock et une touche pop.
Au niveau de la setlist, il y a eux des sons à la fois pour les fans de la première heure (Where I’m From, Jesus Walks, Izzo, hard knock, All Falls) que pour les nouveaux venus (Empire State of mind, Run this town, All Of the light, Stonger…)
Quant à Watch The Throne, je n’avais pas était emballé par cet album à sa sortie puis avec le temps, je l’ai apprécié et je constate qu’il y a des morceaux comme Niggas, Who gon stop,Otis, Welcome to the jungle qui sont taillés pour la scène.
Enfin, pour revenir à l’épisode du drapeaux, les rappeurs américains peuvent le brandir plus facilement car ils sont des descendants d’esclaves: ils n’ont pas d’autre patrie alors que les rappeurs français sont pour la plupart originaires des anciennes colonies et leur « intégration » est plus fraîche car ils sont issus de la seconde génération qui est né, qui a grandi et étudié en France. Hélàs avec les problèmes d’intégration que nous connaissons c’est très compliqué.
PS: J’ai constaté que beaucoup de chroniques qui relatent cet évènement, reprennent les mêmes termes mot pour mot,il s’agit sans doute une dépêche AFP. Donc, une fois de plus, je salue le style, le partie pris d’Abcdr et comme dirait Booba : « C’est bandant d’être indépendant. Longue vie à Abcdr.
« pourquoi aucun rappeur français ne pourrait oser le même geste sans se couvrir de quolibets ou de ridicule ? »
Peut-être parce que nos rappeurs, eux, connaissent l’histoire qui accompagne ce drapeau et la vivent au quotidien ?
La place « assise » etait a 68 euros et je ne regrette pas une seconde d’y être allé!
Je n’étais pas un grand fan de l’album en y allant , j’en suis sorti avec l’envie de l’écouter en boucle….
Tres grosse prestation des deux monstres du Rap US. Les « Niggas in paris » était a chaque fois un grand moment de musique malgré la répétition (11x)
La place en fosse coutait 56 euros.
Honnêtement je n’étais pas un grand fan de l’album, mais le show n’est pas tant que ça axé sur celui-çi. Personnellement, j’ai vraiment adoré entendre » Jesus Walk », je ne pensais pas qu’ils allaient sortir des titres aussi « vieux » ( a l’échelle du grand public on va dire).
Show exceptionnel, je ne regrette vraiment pas mes 56 euros
A part « Niggas In Paris », « Primetime » et « The Joy » (les deux derniers avec pas mal de modération) je n’ai pas aimé cet album mais l’article donne envie de voir le show, surtout quand je lis : « la transition “Big Pimpin’” / “Goldiggers” … », c’est alléchant.
Sinon, c’était combien la place pour le concert ?
Diamonds from Sierra Leone” (sans doute l’un des meilleurs couplets de sa carrière…..
c’est une blague n’est ce pas? un couplet a justifier le mutisme de Bleek
superbe article en tout cas
@Bandini : Envoie-nous une chronique, je sens un gros potentiel.
« pourquoi aucun rappeur français ne pourrait oser le même geste sans se couvrir de quolibets ou de ridicule ? » Du fait que 99,9% du rap francais critique et insulte la france je vois pas comment l’un d’eux pourrait faire ca… Trop mélangent etat et pays.. Bien dommage.
Finalement, après quelques relectures, on s’aperçoit que l’article colle bien à l’état actuel de la carrière de ceux dont il parle – et notamment Jay-Z : à leur image, il est poussif et manque cruellement de souffle.
Le vocabulaire redondant fait penser aux choix des beats de monseigneur Kanye West et le manque de concision de l’auteur nous évoque la discographie à rallonge de Jay-Z, dont les œuvres sont bien souvent facultatives.
Il ne suffit pas d’employer des mots comme « inéluctable » ou « dichotomie » , qui doivent passer pour savants chez certaines personnes, pour qu’un article gagne en crédibilité.
Enfin, et là on touche au problème récurrent et commun chez les auteurs de l’abcdaire du son, l’emploi excessif de tournures de phrases peu heureuses voir douteuses qui font écho à pas grand chose : une « dimension chaleureuse » en est un exemple plutôt probant.
Il manque décidément une bonne paire de ciseau chez ce site qui s’escrime à démontrer d’une manière laborieuse que non, le rap n’est pas que fait par et pour les sauvages, et qu’une presse civilisée peut tout à fait avoir sa place dans le milieu de la presse musicale.
Nous laisserons au Dark Vador du rap français ( dans le sens où c’est celui au plus fort potentiel qui a gâché sont talent) l’honneur de finir ce petit commentaire : « et à l’école ils me disaient de lire, voulaient m’enseigner que j’étais libre : va te faire niquer toi et tes livres ».
Peace
« Les derniers vrais mystères du rap », faut pas déconner, il ya bien d’autres rappeurs « incompréhensibles »…
Très bon article bravo.
Ce dernier paragraphe putain…point d’orgue d’un papier parfait. Chapeau!
Peut-être sont-ils si attirés par la France, car la France est un pays qui donnent des possibilités incroyables aux riches, et que quand Kery James prend le drapeau français dans sa main noir, c’est plus un geste politique qu’un encouragement au patriotisme.
Il ne faut pas oublier l’essence du rap les gars.
Mon Dieu l’article juste parfait!
Comme le concert !!!!
Bravoo bel article!!! Je « plussoie »!!!
Top l’article un complément vidéo http://vimeo.com/43346851
dope article