Nos 30 morceaux du premier semestre 2024
RAP ANGLOPHONE

Nos 30 morceaux du premier semestre 2024

De l’underground californien à l’affrontement entre superstars au sommet des charts, retour sur six mois de rap en trente morceaux commentés.

Photographies : Mach Hommy par Manfred Baumann,
Dezzy Hollow par Thee Chemist,
Schoolboy Q et Chief Keef par Scott Dudelson,
Z-Ro par Ray Tamarra,
Headie One par Frank Fieber

Dezzy Hollow – « The cut »

Son titre malicieux le laisse entendre : Caught in the Funk de Dezzy Hollow est un album hybride, un peu funk, un peu rap, résolument californien. Les trois minutes de « The Cut » symbolisent cet éclectisme : s’y mêlent un refrain chantonné, un solo de guitare, un couplet rappé et un autre parlé, des claps nerveux, une ligne de basse inévitablement jouée au moog. En résulte un party anthem enjoué mais dénué de légèreté et d’exubérance. Un peu plus loin, Dezzy Hollow dira, dans une intro bravache : « We some of the coldest motherfuckers to ever touch the funk. » Dans « The Cut » les sourires sont de mise mais les embrouilles ne sont jamais loin. Et c’est surtout un sentiment de nostalgie qui affleure : Dezzy et les siens font la fête pour ceux qui ne sont plus là, pour profiter tant qu’ils le peuvent encore. Les corps sont bien sur le dancefloor, mais les esprits sont déjà tournés vers le prochain obstacle que la vie mettra sur leur chemin. – Kiko

Anycia  – « Back Outside » feat. Latto

Dégager un sentiment de puissance tout en affichant le plus grand calme, c’est à ça qu’on reconnaît une vraie démonstration de force. « Back Outside » est une marche militaire tout en majesté. Sur une ligne de cuivres synthétique que n’aurait pas reniée un DJ Toomp du milieu des années 2000, Anycia et Latto se pavanent avec aisance. La jeune rookie d’Atlanta a pour elle l’avantage d’une voix profonde et enfumée avec un grain rauque, sur laquelle elle joue en poussant la carte du détachement. Le contraste avec Latto, plus énergique et offensive, fonctionne pleinement. Parmi la flopée de producteurs qui ont mis la main à ce single, on compte Jetson, qui après avoir fourni une pelletée de tubes à DaBaby il y a quelques années, prouve qu’il n’a pas perdu son sens de la mélodie entêtante. Il a en partie façonné Princess Pop That, le premier album réussi d’Anycia où figure ce « Back Outside », carte de visite idéale pour la rappeuse. L’autre détail aussi anecdotique qu’essentiel qu’on retient d’Anycia, c’est cet ad-lib un peu bête, ce « Huuuuuh » exagéré, comme une ado qui se foutrait du monde en faisant mine d’avoir mal entendu. Il n’en faut parfois pas plus. – David

Skrilla – « God damn »

La disparition du troisième couplet depuis longtemps entérinée, les frontières pour la déconstruction formelle du rap continuent à être repoussées jusqu’à l’absurde. Pour son EP Underworld sorti en février, Skrilla confine la plupart de ses morceaux autour des deux minutes et d’un unique couplet. Un format ultra ramassé, conditionné pour la viralité maximum sur TikTok, Twitter ou autres, au service d’une esthétique nocturne de film d’horreur sur fond de pandémie d’opiacés. Le rappeur de Philadelphie, originaire du quartier de Kensington au cœur de cette épidémie, se revendique ainsi comme « the face of Zombieland » à la limite parfois franchie d’un voyeurisme morbide (notamment dans cette « performance »). Difficile cependant de nier le caractère profondément addictif de ce « GOD DAMN », l’instrumental de Hardheaded fait la majorité du travail pour poser l’ambiance et Skrilla n’a plus qu’à laisser libre cours à ses élucubrations dans un état second. Confessions sur son impuissance sexuelle, sourire tordu comme le Grinch et quelques menaces bien senties, il donne à voir un personnage aussi dérangé qu’amusant, un genre de Joker sous codéine qui se serait infiltré en studio pour enregistré son nouveau message à Gotham. Les quelques jeu de mots qui témoignent d’un petit effort lyrical (« servin cuddies, got the block hot, that shit in my genes », « Rackies-rackies, got that sack, I feel like Santa Claus ») marchent moins pour leur qualité d’écriture que pour leur interprétation habitée. « GOD DAMN » serait finalement la dernière évolution de la consommation du rap en snippet, ces cours extraits de morceaux souvent capturés en studio, comme un instantané halluciné à attraper avant qu’il ne se volatilise pour sitôt passer au suivant. Cette très courte durée maintient l’illusion et empêche de trop se questionner, et permet de profiter pleinement de ce spectacle d’épouvante burlesque joué dans un théâtre crépusculaire.– Pap’s

WateRR & Wavy Da Ghawd  – « Du sable » feat. Rufus Sims

Jean Baptiste Pointe du Sable est considéré comme le premier habitant de Chicago et, par conséquent, comme le fondateur de la ville. Au-delà de ce fait d’armes, son parcours est assez peu documenté. WateRR et Rufus Sims n’ont pas vraiment l’intention de nous en apprendre plus : si leur morceau a pour titre le nom de cette figure historique, c’est surtout afin de chanter les louanges de Windy City. « Everybody love Chicago » clame ainsi WateRR dans le refrain : à croire que les taux d’homicide d’un pays en guerre et les températures glaciales sont des facteurs méconnus d’attractivité territoriale. Si « Du Sable » a fini dans cette sélection, ce n’est pas vraiment pour des questions de fond ; non, c’est davantage parce qu’il s’agit d’un morceau où les planètes s’alignent. Et il est temps de parler du troisième larron de l’affaire, le beatmaker new-yorkais Wavy da Ghawd. Sur Washed Ashore, son album commun avec WateRR, ses productions sont superbes, amples, lourdes et atmosphériques. Mais le rappeur peine à se mettre au niveau, la faute à un flow trop linéaire pour ces ambiances orageuses. « Du Sable » rompt avec cette platitude un peu frustrante : enfin il y a de la variation, enfin ça se lâche. Sur des claviers lourds et sentencieux, WateRR et Rufus Sims y vont de leur flow double time. Leurs rodomontades n’en sont que plus impactantes et le beat usiné par leur compère est honoré comme il se doit. Et, tout de suite, « Du Sable » prend une dimension toute autre que les titres qui l’ont précédé.  – Kiko

Baby Osama – « Free Max B »

Les années COVID ont permis l’émergence d’une nouvelle figure de rappeuse : la séductrice chronically online, dont l’érotisme paradoxalement froid et intime passe davantage par le rêve et la projection que par le pur flirt. Se nourrissant d’influences très diverses allant de la plugg à l’hyperpop en passant par la drum’n’bass ou le R’n’B des 90s, des artistes comme Bktherula ou BABYXSOSA ont su imposer un son à part, romantique et métallique, sensuel et solitaire. Originaire du Bronx, Baby Osama s’inscrit dans cette tendance, tout en pouvant être rattachée à la scène new-yorkaise actuelle, celle du rap mélodico-salace de Cash Cobain et Chow Lee. Sur « Free Max B » la rappeuse invoque directement le roi du rap-chanté à fort potentiel sexuel, la légende de Harlem Max B, incarcéré depuis 2009. Le morceau reprend l’instrumental de « Porno Muzik » du Wave God, sans le mixage moite de l’original remplacé ici par un mastering « chromé » adapté à la voix semi-robotique de Baby Osama. Pas aussi hédoniste que son modèle, l’artiste teinte ses bars des regrets liés à une vie d’errance sentimentale, où l’anxiété domine et où tout le monde est toxique avec tout le monde : « I told him I love him but I fucking lied /And I need revenge cause I tried. » Ainsi le titre du morceau semble autant renvoyer à la libération de son père spirituel musical qu’à celle de l’énergie wavy qu’il incarnait, avant que tout ne change. – chosen

« Dezzy Hollow et les siens font la fête pour ceux qui ne sont plus là, pour profiter tant qu’ils le peuvent encore. »

Sideshow – « Rip ty rip ricco (T-Pain) »

Jusqu’à présent, Sideshow, rappeur de Washington signé sur le label 10k du new-yorkais MIKE, à su tirer son épingle du jeu avec une proposition musical essentiellement défini par un éclectisme stylistique fort et soutenu par un talent au micro indéniable. Une proposition toujours digne d’intérêt, quoique parfois compliqué à cerner, fatalement rattrapée par un vieil adage encore vrai en 2024 : quand on est bon en tout, on excelle dans rien. Avec F.U.N. T.O.Y., la formule reste la même, mais le résultat semble pourtant bien plus convaincant. Porté par une sorte de cohérence artistique chaotique et maîtrisée à la fois, cimenté par une vision globale, l’ensemble de l’album brille en tant que tel et non plus seulement grâce à ses morceaux individuellement. Les boucles lounge de AYOCHILLMAN côtoient presque naturellement les productions frénétiques et digitales de Popstar Benny. Sur le single « RIP TY RIP RICCO (T Pain) », produit par ce dernier, Sideshow s’abandonne avec beaucoup d’arrogance et de confiance en soi à un rap au kilomètre et sans refrain, ce qu’il sait faire mieux. Il en balance une pour les anciens sceptiques (« I was broke, they ain’t care ’bout my feelings / Got paid and ain’t shit changed, it’s now, at least they pretend they do ») et avertit la concurrence de sa motivation inébranlable, prêt à braquer n’importe quel rappeur local ou même la Maison-Blanche pour arriver à ses fins (« Your favorite rapper a bitch / I’m thinkin’ ’bout robbin’, n***a / (…) / I’m thinkin’ ’bout goin’ to the White House, n***a, I’m thinkin’ ’bout robbin’ n****s »). – Hugo

Big Ghost Ltd, 38 Spesh & Conway The Machine – « Been Through » feat. El Camino

Clin d’œil appuyé à The Chronic de Dr Dre, dans The Ghronic, Big Ghost Ltd revisite l’album Speshal Machinery mené par Conway The Machine et 38 Spesh, à travers une inclinaison très G-Funk. Du groove épais imparable. Preuve en est, avec « Been Trough », titre qui s’incruste dans la mémoire sans trop d’effort, grâce au sample familier du « I Want’a Do Something Freaky To You » de Leon Haywood, et sa ligne de basse irrésistible jouée par Wilton Feder (déjà utilisé pour « Nuthin’ But A « G » Thang » de Dre). De plus, le refrain efficace d’El Camino semble être exécuté exprès pour cette nouvelle production. De quoi pousser le volume, baisser les fenêtres de la voiture, hocher de la tête en rythme. Et sans faire mine de ne pas comprendre ces lyrics gorgés de passés criminels et d’ego-trips nouveaux riches. – Hugues

Cash Cobain & Bay Swag – « Fisherrr »

La jeunesse new yorkaise a choisi son nouveau champion. En mars dernier, le rappeur et producteur originaire du Bronx Cash Cobain organisait au Irving Plaza, et à l’occasion de son anniversaire, son propre festival, le Slizzy Fest, accompagné de son crew et autres membres affiliés. Un moment idéal pour célébrer en beauté une ascension fulgurante qui, cette année, s’est manifestée en un point culminant incarné par le single « Fisherrr » en collaboration avec Bay Swag. Dévoilé extrait par extrait au compte-goutte et rapidement devenu culte grâce à une danse sur les réseaux sociaux avant même sa sortie officiel, le morceau s’inscrit dans le style musicalement très épuré et aérien de la sexy drill, énième mutation du style de Chicago revendiqué par Cash Cobain lui-même. Cette nouvelle version de la drill, festive et ouvertement sexuelle, renonce au costume très rustre de la première vague new yorkaise du genre et adopte une attitude générale empreinte d’une certaine fraîcheur. Seulement, à peine le concert débuté, une bagarre isolée éclate et la police annule l’événement. Cash Cobain, dans un élan de motivation euphorique, réussi à rameuter au parc d’Union Square le public venue spécialement pour lui pour performer tous ses tubes en communion au son des sirènes en arrière-plan, enceinte bleutooth à la main et en live Instagram pour capturer un moment déjà culte. Le genre de moment auxquels ceux qui y ont participé vous diront qu’il fallait être là pour comprendre. – Hugo

Schoolboy Q – « Bueslides »

Dans le dernier album de ScHoolboy Q, une sensation d’accomplissement personnel se dégage. Après nous avoir affiché ses contradictions et ses errances, Q semble reconnaissant d’être là, presque chanceux, et peine encore à le réaliser. Ce sentiment est palpable dans chaque mesure. Dans « Blueslides », il se demande encore comment a-t-il fait pour sortir des rues de Figueroa ? Pourquoi est-il encore là ? Pourquoi lui et pas un autre ? Le morceau touche aux sujets sérieux du deuil et de la dépression, des thèmes sous-jacents dans toute la discographie de son auteur. Cette fois-ci, l’artiste de TDE décide de prendre le sujet à bras-le-corps avec deux couplets pour penser à ses amis partis trop tôt ou encore aux jours les plus sombres (« I done broke down so many times, next time, it gon’ catch me »). L’ensemble est brillamment mis en valeur par la mélancolie du sample choisi. Créé par Mario Luciano, fondateur de Polyphonic Music Library, librairie musicale de qualité supérieure (« 8am in Charlotte » de Drake ou encore « Savior » de Kendrick Lamar), avec l’aide de Jason Wool sur la boucle de piano et la douce voix de Lauren Santi – elle aussi co-fondatrice de cette même banque de samples -, les trois artistes parviennent à recréer un instant de pure magie, entre violons, cuivres et notes noires et blanches. L’écrin soyeux, consolant, idéal pour trouver une forme de paix… Tout ce dont ScHoolboy Q a besoin. – ShawnPucc

Cuzzos – « Pop Out »

Les formations collectives autrefois pléthoriques dans le hip-hop semblaient une espèce en voie de disparition sur la dernière décennie. Curieusement, la plupart des exceptions en réussite semblaient émerger de la Californie avec les exemples évidents de SOBxRBE et Shoreline Mafia. Si Cuzzosx5 partagent avec ceux-ci un nombre assez élevé de membres (au départ en tout cas), les influences de ce quintet féminin de Los Angeles sont sans doute plus à chercher du côté de Drakeo The Ruler et ses dérivés. Ce phrasé si particulier du premier et les marqueurs de ces production (notamment ce doorslam infectieux) ont contaminé un grande partie du rap californien et une approche plus légère, plus fun des sonorités de la Stincteam se retrouvent ici comme chez le duo Bluebucksclan. Pas étonnant donc de retrouver dans ce « Pop Out »  un shit-talking tout en relâchement sans avoir besoin de surjouer l’opulence (« I’m a cold bitch now, imagine me with six figures »). Autre point commun : celui de se tenir à l’écart des affiliations de gang : « Gangbanging bitches pressin’. Silly hoe I’m a civilian/Say I turned down a fade, could you point me to a witness ? ». La douce mélodie donne une couleur estivale et ludique à un exercice d’égotrip assez classique mais pas dénué de flair, couronné par un refrain efficace et indéniablement addictif. D’autres titres issus de Stay Safe leur EP sorti en début d’année pourraient mieux servir de ticket vers la gloire notamment « Goochie Mayne », mais « Pop Out » résume parfaitement l’attrait de leur musique et son ancrage local. Si le succès national semble encore loin, les cinq comparses peuvent déjà se targuer d’avoir été adoubées par Kendrick Lamar, se voyant offrir quelques minutes sur la scène du  Kia Forum d’Inglewood et une place de choix dans la photo déjà légendaire venant conclure le show The Pop Out : Ken and Friends. Le rap californien a de beaux jours devant lui et Cuzzosx5 semble prêt à y jouer tout son rôle. – Pap’s

« « Blueslides » touche aux sujets sérieux du deuil et de la dépression, des thèmes sous-jacents dans toute la discographie de Schoolboy Q. »

Z-Ro – « Mad Ain’t Ya »

Les haricots blancs et le pain de maïs sont parmi les plats emblématiques de la soul food, la cuisine afro-américaine des États du Sud. C’est riche, réconfortant et ça tient au ventre. C’est aussi le nom que s’est donné le duo de producteurs Beanz N Kornbread, des incontournables de la scène rap de Houston qui ont officié pour tous les tauliers de la région. Cette année, ils se sont chargés de l’intégralité du nouvel album de Z-Ro, Ghetto Gospel, en lui offrant une ossature musicale bien ancrée dans la tradition de la ville, avec des synthés généreux, un groove à l’ancienne et un souffle de dimanche matin à l’église. Des ingrédients simples et intemporels travaillés avec amour. Les haricots et le pain de maïs. Les années passent et Z-Ro poursuit sa livraison en indé d’albums inégaux mais attachants. La direction artistique de ces opus n’est pas toujours limpide, mais l’essentiel, le pilier qui résiste à toutes les tendances, c’est le talent inaltérable de Ro. Le crooner écorché, éternel revanchard prompt à se brouiller avec la Terre entière, mêle avec toujours autant de savoir-faire le chant et le rap. À l’approche de la cinquantaine, la légende de Houston s’est un peu aigrie comme un vieux tonton, mais ça lui va bien, comme sur ce « Mad Ain’t Ya » où il nargue les profiteurs et profiteuses en tout genre (son obsession de toujours). Les guitares wah wah et le petit orgue sudiste sont de sortie, et Z-Ro se fend même d’une interpolation salée de « What You Won’t Do For Love », le classique de Bobby Caldwell, en fin de morceau. L’assaisonnement est au poil. – David

Maxo Kream – « Talkin in Screw » feat. That Mexican OT

« Make a n***a slow his roll like he talkin’ in Screw » rappe Maxo Kream sur le refrain. Menace pour les potentiels rivaux, en même temps que référence à l’histoire du rap texan (Screw, fameux dj de Houston dont la méthode de production consistait notamment à ralentir des morceaux préexistants). Cette phase bien balancée est aussi un pont entre anciennes et nouvelles générations, puisque l’invité sur ce titre, That Mexican OT fait parti des rappeurs les plus talentueux du Lone Star State à l’heure actuelle, en partie grâce à son flow à double temps avec lequel on ne s’ennuie jamais. A peu près dix ans de moins que Kream, mais comme lui un bagage d’influences rap solide. En l’occurrence, du sud à New-York en passant par le Midwest, des fulgurances de Busta Rhymes à la gouaille d’un Lil Wayne. Et cette seconde collaboration apparaît comme un cercle vertueux, après « Opp or 2 », titre sur lequel OT invitait Maxo Kream en 2023.  TMOT s’impose toujours un peu plus, il écume les scènes de son état et brille aux côtés de la légende Paul Wall sur le hit « Johnny Dang », sorti l’année dernière. Pourtant, ni le succès, ni un passé familial chaotique ne semblent avoir d’emprise sur cet artiste de la banlieue sud de Houston. Il reste ancré, imperturbable : « Ain’t shit change on the Southside, reppin’ brown pride ’til the day that I drop in the casket / Tried to kill me, but them bullets was not enough. » Hugues

Sainté – « Alone » feat. Beattie

Dans le paysage musical britannique, Sainte, un rappeur indépendant déjà bien ancré dans le cœur de ses compatriotes et de plus en plus dans celui des francophones a livré sa première mixtape Still Local en mars 2024. Niché au milieu de la mixtape se trouve le morceau « Alone », en featuring avec Beattie. Ce titre se distingue par une ambiance brumeuse, quasi onirique qui explore les nuances de la solitude. Contrairement à ses habitudes, Sainte opte ici pour un style plus chanté que rappé, offrant ainsi une texture sonore différente qui incite à la réflexion. La mélodie, douce et vaporeuse accompagnée des backs chantés et travaillés à l’autotune de Beattie crée une atmosphère propice à l’introspection. Les paroles sont simples mais évocatrices: « I’ve been out here, I’ve been on a road / I can’t decide if I like being alone. » Sainte exprime ici une ambivalence quant à la solitude, oscillant entre l’attrait d’un espace personnel et la réalité souvent crue de l’isolement. Cette dualité, accentuée par la production minimaliste et les harmonies éthérées de Beattie, apporte au morceau une sincérité remarquée dans l’ensemble de la mixtape. – Inès

Doja Cat – « Aknowledge me »

Doja Cat se révèle davantage avec la version deluxe de son album Scarlet. Intitulée Scarlet 2 CLAUDE, cette version fait référence à Claude Frollo, l’antagoniste du roman Le Bossu de Notre-Dame. Selon Doja Cat, la personnalité tyrannique du personnage fait écho à son histoire servant de « métaphore pour les obstacles que les créatifs doivent surmonter quotidiennement. » Elle profite de cette version deluxe pour proposer une nouvelle cover : une (très) simple photo du haut de sa tête qui reflète son désir exprimé lors de son passage dans l’émission Hot Ones de se « libérer des superficialités, comme les perruques de 40cm et le maquillage à outrance. » Aussitôt dit, aussitôt fait, c’est à travers sept nouveaux titres que l’artiste de 27 ans se lâche sur l’écriture et se met à nu. Elle affirme sa masculinité avec le titre « MASC », exprime son urgence de parler sans filtre avec « URRRGE!!!!!!!!!! » et part en égo trip avec « ACKNOWLEDGE ME ». Ce morceau à la production triomphale, victorieuse – sonne presque comme un sample d’un titre de rap américain des années 2000 mais pourtant, c’est bien une production originale de DJ Camper. Le producteur idéal pour créer un équilibre entre R&B et Rap, laissant l’espace à Doja Cat de rapper de manière brut sur les couplets (« DHL package came, I don’t have to sign it” / “You ain’t stupid, but you probably ain’t as smart as me ») et de chanter sa vulnérabilité sur les refrains. (« I get crazy, angsty When you get under my skin »). Elle marque d’avantage son désir d’exister de façon plus authentique en disant ne pas vouloir être appelée « Doja Cat » dans sa sphère privée (« Don’t you ever in your life call me « Doja Cat » (Nah) »). Un titre équilibré en termes de paroles et de proposition instrumentale qui lui sert d’ouverture à cet album deluxe. – Makia

Future & Metro Boomin – « Crazy Clientele »

Résonnait depuis quelques années déjà dans nos oreilles une petite mélodie familière, celle d’un album commun « officiel » entre Future et Metro Boomin. Une réunion attendue et porteuse d’un poids symbolique fort pour ces deux têtes d’affiche d’Atlanta en perte de vitesse artistique assez flagrante ces temps ci, masquée par des prestations commerciales individuelles éclatantes et qu’ils n’avaient respectivement jamais atteintes auparavant. Mais un album survendu, annoncé trop longtemps à l’avance et qui tarde à sortir, est bien souvent un album voué à décevoir d’une manière ou d’une autre. Pour marquer le coup et contourner le piège des attentes excessives, le duo a donc décidé d’être avant tout généreux avec son public : l’annonce d’un second album, un trailer digne d’un film d’action XXL et un casting all-star tout aussi prestigieux qu’inattendu et choisi stratégiquement pour certains moments bien précis, gardé secret jusqu’au bout. Le véritable coup de maître de cette campagne réside cependant dans cet EP surprise au format mixtape jusqu’au-boutiste et qui joue sans concession la carte de la nostalgie. Certains des suspects habituels d’une certaine époque font leur retour comme le producteur Will A Fool sur « Crazy Clientele ». Les violons sont menaçants, la flûte funeste, les tags sont totalement lugubres, Future coupe la drogue avec ses ongles et pèse ses paquets sans pesette. Aucun doute possible sur la provenance de ce morceau, Future et Metro Boomin ont finalement réussi à retrouver ce fameux disque dur perdu par DJ Esco à Dubai en 2015. Une fois n’est pas coutume, on a envie de donner raison aux propos de Charlemagne Tha God sur la piste d’introduction : dans cette histoire de top 3, Future a largement de quoi prétendre à la première position. – Hugo

« Les années passent et Z-Ro poursuit sa livraison en indé d’albums inégaux mais attachants. »

Headie One – « Cry No More » feat. Stormzy

En 2020, EDNA, le premier album d’Headie One fut salué par la critique tant la palette de ce que pouvait faire le londonien était large. UK Drill, R&B, Afroswing, notamment, étaient au rendez-vous. Son deuxième album, The Last One, clôture sa série de mixtapes The One et permet au rappeur de Tottenham de finaliser son storytelling afin de rester maître de sa propre histoire. Cela passe par « Cry No More » en featuring avec Stormzy, dans lequel l’heure est à la paix de l’esprit pour les deux trentenaires, colosses du rap anglais. « Nobody don’t wanna cry no more. » Sous ballade sauce drill composée par Tay Keith et Pooh Beatz (beatmaker prometteur d’Atlanta) avec un certain sens de la formule, Headie One décrit la résilience nécessaire à l’ascension d’un homme noir à la jeunesse obscure (« Fifteen with a sawn-off, long like a bottle of Belvedere »). Une obscurité qui ne s’éclaircit pas vraiment, tant la police reste oppressante envers lui (« Feds still comin’ with quеstionnaires, how can I live my life in fear? »). Stormzy, sûr de lui comme à son habitude, enchaîne les images et métaphores, avec autant de flow que la vague d’Hokusai, se proclamant taulier du rap anglais, lesté du poids du game sur les épaules (« I got back pain and I got neck pain ‘cah I got the weight of the game on my shoulder »). L’instrumental épuré permet à l’auditeur⸱trice de se plonger pleinement dans les performances des deux rappeurs, qui font de « Cry No More » une démonstration de prouesses techniques et textuelles sans omettre la musicalité. – AndyZ

Jay Royale – « Macy’s Lo Section » feat. Nym Lo

Pour la première fois de sa courte carrière, Jay Royale a un peu tapé à côté avec son dernier album. The Bea Gaddy Soup Kitchen manque clairement de sel et de piquant. La même recette est appliquée à la plupart des morceaux, qui deviennent ainsi interchangeables : un instru, un premier couplet, un second souvent assuré par un invité, puis basta. Il n’y a que rarement de refrain et presque pas de variations dans les beats. En somme, ça manque d’identité, de cohérence et d’efforts, un peu comme si on avait calé aléatoirement sur des prods des enregistrements faits à droite et à gauche. Mais sur la fin du disque, Jay Royale se rattrape quelque peu avec des chansons plus structurées. Sur « Macy’s Lo Section », il invite ainsi DJ Eclipse qui s’acquitte d’un refrain scratché du meilleur effet, convoquant Slick Rick, Raekwon et Ghostface Killah. La production assurée par Crown est à la fois légère et mélancolique, avec son doux sample de claviers et sa voix féminine qui va et qui vient. Quant à Jay Royale, il renoue ici brillamment avec une vieille obsession du rap et des ghettos de la côte est, les fringues Ralph Lauren, accompagné par un énième descendant des Lo Lifes, Nym Lo. Si The Bea Gaddy Soup Kitchen est dans l’ensemble un album paresseux, « Macy’s Lo Section » vient démontrer que le talent du jeune rappeur de Baltimore n’est pas pour autant à remettre en question. – Kiko

Drake – « Family matters »

Le 5 mars 2019, le Real Madrid affronte en huitième de finale de Ligue des Champions l’Ajax Amsterdam. Alors que le club espagnol semblait une nouvelle fois parti pour se qualifier, un homme va tout perturber. Deux passes décisives, un but en lucarne, une roulette sur Casemiro : en l’espace de 90 minutes, le serbe Dusan Tadic va livrer une des prestations les plus mémorables de ces dernières années dans le football européen, en ratatinant les joueurs du Real Madrid un par un. Jusqu’à les éliminer. Cinq années plus tard, un autre géant se met à vaciller par la simple volonté d’un adversaire particulièrement décidé à l’écraser. Roi des charts, Drake se retrouve au milieu d’une série d’offensives menées par Kendrick Lamar et y répond avec « Family Matters » : une contre-attaque de 7 minutes, découpée en trois périodes, pour venir enterrer son opposant. Piqué à vif et rempli d’aigreur (« Kendrick just opened his mouth, someone go hand him a Grammy right now ») le Canadien va alors sortir un de ses meilleurs morceaux depuis un long moment. Un titre où il montre qu’il sait autant découper des couplets que fusiller ses ennemis sur une petite sérénade (notamment sur la troisième partie – brillante – avec son sample menaçant de jazz funk de The Grodeck Whipperjenny). Le résultat : une successions de tacles sur les postures de Kendrick et sur sa vie privée (jusqu’ici toujours pas vérifiées) tout en tirant sur ses nombreux autres détracteurs, à la manière de Neo dans le hall d’entrée.  Seulement voilà : vingt minutes après cette belle démonstration, Kendrick Lamar égalise avec « Meet The Grahams ». Et va faire immédiatement oublier la très bonne performance du Canadien. Intouchable, K-Dot semble, avoir, tel un Dusan Tadic des grands soirs, décidé d’écraser une montagne en élevant son niveau de jeu de manière absolument inatteignable. Sans l’avoir bien réalisé, Drake a affronté un homme décidé à marcher sur l’eau et ce sans aucune pitié. Pour triompher, et pour la beauté du geste. Comme une roulette sur un des milieux les plus respectés du Real un soir de mars 2019. – Brice Bossavie

Kendrick Lamar – « Meet the grahams »

La joute verbale qui a opposé Kendrick Lamar à Drake reste encore indigeste par la place laissée aux femmes. Elle a symbolisé – une fois de plus – la misogynie, la manipulation ou encore le mépris face à des affaires judiciaires avérées. Ce point étant mentionné,  « meet the grahams » est peut-être l’archétype de la « diss track » moderne. Avec une viralité implacable – une réponse musicale en moins d’une heure additionnée à des lives Twitch de tous les influenceurs -, l’auteur de Mr. Morale & the Big Steppers dénigre l’image de son adversaire avec de prétendues grandes révélations. Si ce mode opératoire nous rappelle à tous qu’il y a bien un avant et un après « The Story of Adidon » de Pusha T (« You are hiding a child »), il souligne également le côté pernicieux voire voyeuriste qu’une partie du public aspire désormais. Néanmoins, le titre produit par The Alchemist reste incendiaire grâce à sa conceptualisation. En élaguant une à une les branches de l’arbre généalogique de son opposant, K. Dot vise à défaire sa mythologie. Un couplet pour son fils. Un couplet pour son père et sa mère avec des intonations épouvantables (« more paper, and more paper and more, uh, more paper »). Un couplet pour Aubrey avec une anaphore clinique pour accentuer son aspect artificiel. Et un couplet très certainement pour sa fille fictive, dans lequel Kung-Fu Kenny réalise la prouesse de promouvoir son dernier album et son côté cathartique et authentique, un élément manquant cruellement aux dernières œuvres du natif de Toronto. L’arc narratif est dessiné. D’un côté, l’artiste intègre. De l’autre, l’artiste préfabriqué. Dans cette trame narrative redoutable, Kendrick Lamar prend plaisir pendant plus de six minutes à décortiquer la psyché de son rival tout en se proposant d’être un mentor pour son fils… Un vilain plaisir, mais un plaisir certes. Attaché à l’idée de marquer le rap de son empreinte, difficile de penser que Cornrow Kenny n’a pas un jour secrètement aspiré à un moment comme celui-ci. Alors, quitte à marquer le coup, autant le faire de la plus grande manière avec quatre diss tracks en moins d’une semaine. Rome ne sait pas faite en un jour, mais Drake s’est défait en moins d’une heure. Un nouveau récit à écrire dans les livres d’histoire. – ShawnPucc

Ghostface Killah – « Plan B »

Qu’attendre raisonnablement d’un album de Ghostface Killah en 2024 ? Les heures de gloire de Tony Stark sont passées depuis longtemps maintenant et même sa résurgence autour d’albums plus conceptuels ou collaboratifs comme 12 Reasons To Die ou 36 Seasons s’est éludée. Dernière sortie en date Set The Tone : Guns & Roses  est un album assez inégal, perclus de featurings oubliables mais qui se ménage néanmoins des moments pour rappeler le charisme et le magnétisme de son auteur. « Plan B » est de ceux-là : une balade aérienne qui raconte une relation extra conjugale entre soirées luxueuses, haute couture, gastronomie et grossesse non prévue. Si le refrain flirte avec la parodie, Ghostface a le talent, l’autodérision et le brin de désillusion pour rendre le tout cohérent, drôle, envoutant et ridicule tout à la fois. Il y peint l’image d’un old man in the club qui continue à revivre sa jeunesse imbu de sa propre légende (« Remember hitting it from the back while I was wearing my mask », « Fat ass over the stove wearing my robes ») qui finit dépassé par les évenements. Vient alors l’aveu aussi hypocrite que pathétique : « If my girl find out, it’ll fuck up my family » concluant un récit qu’il est un des rares à assumer de bout en bout sans tomber dans la caricature de la toxicité surjouée (bien que tout à fait réelle). Au vu de la manière dont il traite certains de ses enfants, Ghostface est d’ailleurs bien inspiré de reconnaître qu’il ne lui en faut pas plus encore. « Plan B » constitue un exercice plus complexe qu’il n’y paraît sous ses atours légers et révèle une écriture qui navigue de manière fluide entre luxury rap storytelling et dialogues permettant à cette personnalité unique et débordante d’exprimer toutes ses facettes même les moins glorieuses. Si l’album sorti en mai est censé donner le ton pour un Supreme Clientele 2 à venir, cette suite s’annonce compliquée mais reste une certitude : si Ghostface Killah échoue il le fera au moins avec panache. – Pap’s

« Avec The Last One, Headie One finalise son storytelling afin de rester maître de sa propre histoire.  »

Chief Keef – « Runner »

Almighty So 2 aura fait suer les fans de Chief Keef tant ce cinquième album aura été retardé, la première date de sortie étant le 22 janvier 2023. Mais le chef chicagoan a su faire patienter la foule en sortant DIRTY NACHOS (mixtape en collaboration avec Mike WiLL Made-It), concoctant ses meilleures recettes pour Almighty So 2, la suite logique du premier volume sorti en mixtape en 2013 hostée par DJ Scream. L’une de ses recettes s’appelle « Runner ». Sur ce morceau, Chief Keef ne manque pas d’agilité pour rapper dans l’incendie et l’urgence provoqués par sa propre production et nous transporte avec lui dans sa gamberge de streetrunner. Réflexion qu’il confie à un prêtre dans un confessionnal, tentant d’expier ses péchés, conscient du mal qui l’habite (« I can make a bad bitch out of a nun »), dans le clip réalisé par John Ross. Pour faciliter son inspiration, le rappeur se laisse bercer par la soul de Nancy Wilson qui lui rappelle sa jeunesse fougueuse dans le southside de Chicago : O’Block (« Growing up, you ran the streets / Learned young the cold street code »). Avant le submergement d’un ouragan de cuivres et Nancy Wilson qui résonne en arrière-plan du spectacle enflammé des 808 qui essaient d’exorciser Sosa de ses propres démons. Enflammé par sa flamboyance  (« I buy what I want, n****, you know I got thе funds » , Keef démontre qu’il n’a plus rien à prouver à personne, qu’il a fait ses classes, que ce soit dans la street ou dans le game (« I was in Chiraq ridin’ with that Bernie Mac »). – AndyZ

Dabbla & JaySun – « No plan » feat. DJ Kermit

C’est par un message loin de l’image de dératé psychotique qu’il cultive souvent dans son œuvre que Dabbla a annoncé son album. Alors qu’il sort G.W.O.A.T (traduit en français, ça donne : « le plus grand branleur de tous les temps »), le rappeur de Potent Funk Records se fend d’un court texte touchant. Il y explique à quel point la musique est cathartique, même si le temps, et donc l’argent, restent le nerf de la guerre. L’histoire de ce 4ème opus solo a débuté en plein COVID en 2020, et dans un tourbillon d’emmerdes personnelles. Dans cette période de galères au temps suspendu, le disque a pris vie de lui-même pour paraphraser les mots de son auteur. Et il commence par ce « No Plan ». Prélude aux treize pistes qui vont suivre (dont la géniale « Alec Baldwin », déjà commentée dans ces colonnes), le titre laisse découvrir un artiste qui n’a rien à perdre, et dont la rancœur n’a d’égale que le je-m’en-foutisme déterminé. Clôturé par une admirable phase de scratches signée DJ Kermit, illustré par un clip dans lequel Dabbla excelle une nouvelle fois dans l’humour barré et le rôle du dingue de service typiquement british, « No Plan » est l’ouverture d’un concentré d’attitude issue des faubourgs du nord de Londres. À l’intersection entre Grime et Hip-Hop, pas besoin de plan pour s’y retrouver avec Dabbla. – zo.

Rapsody – « 3:AM » feat Erykah Badu

Troisième album de Rapsody, Please Don’t Cry emprunte le chemin de l’introspection, bien plus que les deux précédents de la rappeuse de Caroline du Nord. Et si l’ensemble est inégal, « 3:AM » n’en reste pas moins un des titres les plus réussis de cet opus. Marlanna Evans (de son vrai nom) ouvre ici les portes de sa mémoire amoureuse, et se penche sur une relation majeure dans son parcours de vie. C’est à travers un savent mélange d’honnêteté brute et de recul sur sois-même qu’elle se livre par des détails légers autant que des réflexions profondes. Son timbre de voix chaud, son flow précis et quasi parlé portent ses lyrics avec conviction. Et pour transformer cette confession nocturne en conversation, difficile de trouver meilleure alliée qu’Erykah Badu sur le refrain. Sous auto-tune, la chanteuse texane dessine un funk sexy comme une nuance parfaite aux couplets de Rapsody. L’alchimie est telle entre les deux artistes, qu’elles concluent ensemble le morceau sur une touche douce-amère qui ne laisse pas tout à fait indemne. – Hugues

Mach Hommy – « Lon Lon »

Écrire un texte sur un morceau de Mach-Hommy est une épreuve. Aucune trace de ses lyrics sur Internet, le rappeur d’origine haïtienne invoque le droit d’auteur et a la dent dure contre quiconque publie ses textes. S’il n’est pas le premier à vendre ses œuvres à des tarifs élevés, l’absence de ressources sur ses paroles fait presque de lui une exception (son compère Your Old Droog suivra cette démarche). Une particularité qui nous fait revenir en arrière, avant que Genius ne nous mâche le travail, en y ajoutant des analyses parfois superflues, et même avant ohhla.com, site précurseur qui a pu faire office de classe d’anglais à certains auditeurs passionnés. Une démarche qui soulève quelques questions dont celle-ci : qu’est ce qui fait que, sans avoir toutes les clés, la magie opère ? Pour « Lon Lon », treizième piste de #Richaxxhaitian, c’est d’abord une flûte issue d’un sample psychédélique de Archie Whitewater, accéléré par le producteur Fortes, qui plonge l’auditeur dans un ersatz de rêve où le ciel semble se confondre avec la mer dans une brume opaque. C’est ensuite la voix caverneuse de Mach-Hommy et des bribes de textes qui se solidifient en îles sur lesquelles l’auditeur peut se raccrocher avant que le rappeur n’accélère son débit. « Time is flying for both of us / You only getting older / Yo, go ahead and sign on our disclosure » pour les présentations, « I made it on a map without a token / I’m not your token n***a boy rapping / I’m a charmant ass composer » pour une auto description express. Le ton est amer et devient, dans un refrain en créole, une charge contre une Babylone oppressante mais aux abois. Quant au troisième couplet, il se transforme en un défouloir où s’entrechoquent les termes « slaves »« crack » et « oil in the desert ». L’histoire sanglante et oppressante d’une Amérique post-Christophe Colomb derrière le style mystique de Mach-Hommy. – JulDeLaVirgule

Vince Staples – « Shame on the devil »

Si Vince Staples a pris l’habitude de s’épancher longuement sur son environnement et les cruautés que cause la culture des gangs, il est plutôt rare d’entendre le natif de Long Beach s’épancher sur ses sentiments les plus profonds. Un exercice de mise à nu rare pour cet artiste marqué par la pudeur, que l’on retrouvait énormément sur l’album Vince Staples en 2021 et aujourd’hui sur Dark Times. Sixième album dévoilé presque sans trop prévenir fin mai, on y voyait alors le rappeur se livrer sur ses conflits intérieurs, notamment sur son premier single « Shame On The Devil ». Porté par une production intime et instrumentale avec guitare-basse et batterie boom bap signée de sa nouvelle garde rapprochée (Michael Uzowuru, Saint Mino…) le morceau raconte en trois minutes les conflits intérieurs qui animent Staples, notamment à travers son rapport à la foi. Avec une voix encore plus laconique qu’à son habitude, le rappeur déroule alors ses contradictions (quête d’amour et tentations plus vaines, relations superficielles, conflits avec ses proches) tout en regardant avec satisfaction le chemin qu’il a parcouru jusqu’ici. Sans être totalement satisfait ni pleinement désenchanté, Vince Staples livre avec « Shame On The Devil » un rare exercice de confessions où la foi semble à la fois l’aiguiller et le plonger dans l’océan de questionnements qui peuvent l’habiter. Un exercice d’autocritique intime et de célébration douce-amère qui continue de donner des indices sur la personnalité du rappeur de Long Beach, autant en questionnements dans sa musicalité que dans sa spiritualité – Brice Bossavie

« Chief Keef ne manque pas d’agilité pour rapper dans l’incendie et l’urgence provoqués par sa propre production. »

Common & Pete Rock – « Wise up »

Sur « Dunfiato » en 2014, Redman réclamait « some beats, some elements ». La même année, Common sortait Nobody’s Smiling avec No ID à la production. Quant à Pete Rock, il répondait au webzine Conçu Pour Durer, dans une interview de 2013 : « Le monde digital a pris l’ascendant. Mais c’est ce qui fait que nous, en tant que diggers, nous sommes encore plus relevants. Je dois être l’un des derniers types à fonctionner comme ça, et c’est juste dope. »  Dix ans plus tard, les éléments auxquels Redman se référait font un retour flamboyant dans trois singles portant la patte du Soul Brother Number One et le timbre vocal si particulier de Common. Dans une période où le rap sombre de Griselda a noirci le ciel du Nord Est, « Wise Up », « Dreamin' » et « All Kind Of Ideas » mettent consécutivement un coup de soleil dans les rues étroites et verticales des métropoles américaines. Paradoxalement, ce sont donc des anciens qui ont plus de trente ans de carrière qui viennent souffler ce vent de fraîcheur avec une formule qui n’a pourtant pas changé depuis The Main Ingredient de Pete Rock et CL Smooth. Common a donc pris la place de ce dernier pour un autre album commun avec un producteur. Et au vu de la qualité de ces trois titres, dont le premier « Wise Up » duquel il est impossible de retenir un hochement frénétique de la nuque que ce soit grâce à sa production élémentaire ou au delivery impeccable de Common, il y a fort à parier que The Auditorium Vol. 1 fera sa place parmi les plus belles œuvres des deux légendes. – JulDeLaVirgule

Big Hit, Hit Boy & The Alchemist – « Champion »

Il y a quelque chose de touchant dans l’histoire de Big Hit. Père du producteur Hit-Boy, c’est derrière les barreaux qu’il vit le succès de son fils par procuration. Depuis sa sortie du pénitencier, pas de temps à perdre, direction le studio pour archiver sa vie. Derrière le micro, c’est un rappeur un peu plus que moyen. Toujours bien calé sur ses placements, sans aller dans des zones d’inconfort, sa voix grave et rauque participe aussi au charme de sa proposition musicale. Entre rédemption et récits homériques, quelques fois, le rappeur quinquagénaire peut se perdre à vouloir revivre la vie du rappeur – et ses clichés – qu’il n’a pas pu connaître. En revanche, dans un titre comme « Champion », c’est bien là où il trouve sa substance. Sans forcer les traits, il affiche une résilience face aux épreuves de la vie qui ne peut que forcer le respect : « Don’t blame the one for your downfall, take it on the chin ». Composé par The Alchemist – encore lui -, une boucle suffit pour embellir le discours. Ne vous méprenez pas, en plus d’être un bon morceau, l’album Black & Whites produit par Uncle Alc et Hit-Boy est un très bon disque. – ShawnPucc

RXKNephew – « Walmart »

Il est parfois difficile de qualifier de « rap » la musique de RXKNephew, tant le terme paraît à la fois trop sérieux et trop réducteur pour décrire son flot de pensée décousu et ses monologues intérieurs sans filtres. Sur « Walmart », le rappeur de Rochester retrouve la house de Chicago qu’il affectione, la production de son complice BrainStorm ayant à peine besoin d’être « pimpée » sur le plan rythmique pour que Nephew puisse s’exprimer en toute liberté. Liberté totale si l’on peut dire, le rappeur s’autorisant à faire rimer neuf fois « Walmart » avec… « Walmart », le supermarché américain devenant un théâtre farcesque où les filles cherchent un sugar-daddy et où l’on achète vingt télévisions. C’est cependant dans la deuxième moitié de ce couplet-morceau que le sel lyrical s’intensifie, quand visiblement perdu dans ses pensées, Nephew se met à multiplier les hot-takes : « Beyonce shoulda cheated on Jay-Z », suivi par une envolée régressive et jubilatoire contre J. Cole, conclue abruptement par un hommage au regretté Bankroll Fresh. Quelques crottes de nez envoyées à Too $hort, Lil Wayne et 2Chainz, une dédicace au Hennessy et à son hood et Neph remballe sans cérémonial. Sa voix, qui se teinte avec le temps d’un grain « blues » caractéristique, évoque presque un Gil Scott-Heron de cartoon, antidote possible à un rap US mainstream miné par les calculs marketings, les beefs-spectacles et autres moodboards cyniques. « You being everything that Nephew not. » chosen

JasonMartin & DJ Quik – « Since I Was Lil » feat. Jay Worthy, Bun B & Curren$y

Non, JasonMartin n’est pas un chanteur de R&B auquel DJ Quik aurait fait la faveur de produire son album. Derrière ce nom se trouve Problem, rappeur de Compton lui aussi présent au grand rassemblement West Coast organisé par Kendrick Lamar, placé dans le line-up entre Shoreline Mafia et Tommy The Clown. Si le concert The Pop Out : Ken & Friends rassemble de nombreux noms de la scène West Coast actuelle, il en va de même pour Chupacabra, deuxième album en commun de David Blake et JasonMartin, nom au civil et donc nouveau nom de scène de Problem. Le titre, irrésistible pied-de-nez aux (auto-)proclamations de « goat » florissantes et intempestives de ces dernières années, est attrayant et la vue du tracklisting et sa pléiade d’invités donne au successeur du déjà très réussi Rosecrans des airs de compilation. À l’image de « Since I Was Lil » qui convie Jay Worthy, Bun B et Curren$y pour un morceau qui repousse les frontières de la West Coast jusqu’en Louisiane. Ligne de basse saturée, clavier ressemblant à celui de « Lightspeed », la g-funk produite par JasonMartin et Dominique Sanders, bassiste de Kansas City ayant notamment participé aux derniers efforts de Janelle Monaé et de Marsha Ambrosius, est ardente. La composition ne ressemble pas au style chatoyant de DJ Quik mais lorgne les partitions abrasives du Still Brazy de YG en 2016. Avec trois couplets flamboyants de ses invités, « Since I Was Lil » revient sur les embûches parcourues par les quatre rappeurs et revient sur un instinct de survie made in USA se transformant au fil des années en force d’entreprendre. Comme disaient les Beastie Boys, it takes time to build. – JulDeLaVirgule

Blue & Evidence – « Los angeles » feat. Nana

Ce n’est pas assez souvent rappelé : Evidence est un redoutable producteur. Ce n’est de toute façon jamais un hasard de former un duo avec Alchemist. Ce n’est pas non plus donné à tout le monde de signer le beat de « Last Call », l’une des meilleures chansons de Kanye West quand celui-ci n’était pas encore un narcissique maniaque et manipulateur. Et ce n’est surtout pas rien de tracer depuis près de 30 ans un sillon en indépendant, aussi bien en tant que rappeur que beatmaker. Alors si la patte d’Evidence derrière le micro a souvent été décortiquée dans ces colonnes, celle derrière les machines n’en mérite pas moins : le son de Michael Peretta est un puzzle lo-fi, une sorte de tessiture rock garage adaptée au hip-hop, une soie pleine de grain plutôt que de saturation, avec des boucles organiques en guise de riffs électriques. Construits sur un séquençage autour de caisses étouffées les instrus d’Evidence se sont faits, ces dernières années, une spécialité d’accueillir des rappeurs adeptes du rap dit « drumless ». Mais la musique d’Evidence, c’est aussi cette photo toute particulière de L.A et de son attitude laidback. Ça tombe bien, c’est exactement ce qu’est venu faire Blu sur les beats d’Evidence. Ses chansons sont d’une fausse nonchalance et se baladent dans la Cité des Anges, de Compton à Venice, de Crenshaw à Long Beach en invoquant Nipsey Hussle. Et si la signature instrumentale aux allures de coucher de soleil  passé au tamis d’une pellicule Hi-8 se fait bien sentir sur des titres comme « Wild Wild West », c’est toute la nervosité exprimée en filigrane de cet album qui explose sur « Los Angeles », sorte d’accélération nocturne une fois le soleil tombé dans le Pacifique. L’heure Blu, quoi. – zo.


Cette sélection est disponible en playlist sur Spotify et Deezer.

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