Nos 50 morceaux de l’année 2023
RAP ANGLOPHONE

Nos 50 morceaux de l’année 2023

La tête dans le guidon d’un vélo nommé « 1990 -1999, une décennie de rap français », la rédaction n’avait pas proposé sa traditionnelle sélection au premier semestre 2023. Session rattrapage ici même avec 50 morceaux anglophones, classés par ordre chronologique, qui nous ont marqués cette année.

Photographies :
MIKE par David Nuvany,
ENNY par Timo Spurr,
Kari Faux par Randijah Simmons,
LaRussell par Jason Hayes,
Noname par Melissa Simpson pour WXPN

Little Simz – « Silhouette »

Dans le quartier de Londres dont elle est originaire, c’est la pop et le rock qui donnaient le ton pendant les années 1990. Pourtant, durant son adolescence à Islington, c’est vers Estelle et Lauryn Hill que s’est tournée Little Simz. Logique, donc, qu’en 2021 lors de son précédent disque auréolé d’un Mercury Prize, elle ait rendu hommage aux femmes. Mais sur le bien-nommé Sometimes I Might Be Introvert, Simz revenait aussi sur ses origines et ses anxiétés. Deux ans plus tard, la Londonienne se veut encore plus introspective, mais aussi incisive et c’est probablement l’une des raisons pour lesquelles No Thank You résonne encore en cette fin d’année. Six minutes de ce nouvel album sorti il y a douze mois ressortent en particulier. Elles s’intitulent « Silhouette » et démontrent une composition musicale maîtrisée de bout en bout. Sa chorale permanente, ses drums rythmés, son refrain de Cleo Soul et ses influences nigérianes forment une harmonie parfaite, au point de transformer chaque écoute en un réel moment suspendu. Guidée par sa foi, la rappeuse y aborde la quête de soi, la complexité des relations mais aussi sa spiritualité : « Don’t you know I’m God’s child ? Got here on my own ». Pas question que Simz ne laisse quiconque nuire à son bien-être. L’impression cathartique et spirituelle prend encore une autre dimension lorsqu’arrive un solo symphonique de trois minutes. Composé de sonorités tribales et d’une trompette, une chorale y chante « Find your way » et « Time will heal you ». Cette recette fait écho à d’autres titres de l’Anglaise. Comment ne pas repenser à « Introvert » par exemple, morceau poignant dont le refrain est également chanté par Cleo Sol ? Là-aussi c’était du Little Simz pur-jus, cette faculté à se placer seule contre le monde avec, comme résonance à qui veut bien l’entendre, un hymne à suivre son propre chemin. – Makia

Luh Tyler – « Can’t Move Wrong » feat. Trapland Pat

Thématiquement, le choix judicieux du morceau « Love Is A Long Road » par les équipes de Rockstar Games fonctionne bien pour illustrer une version modernisée de Vice City, ses bayous alentours et l’histoire d’amour à la Bonnie & Clyde du nouveau couple star de la bande-annonce du prochain GTA. Mais le rock de Tom Petty, aussi cool soit-il, ce n’est pas ce que l’on trouve de plus excitant en Floride ces dernières années et encore moins ce qui peut donner envie de twerker sur le toit d’une voiture en pleine accélération sur l’autoroute. Cette année, le renouveau est incarné en partie par un jeune rappeur de 17 ans, Luh Tyler, originaire de Tallahassee. L’arrogance de la jeunesse qui transpire de ses attitudes et l’espièglerie de son sourire en coin lorsqu’il se met à rapper apporte une fraîcheur comme on en voit rarement. À son meilleur, comme sur sa collaboration avec Trapland Pat sur « Can’t Move Wrong », la musique de Luh Tyler donnerait envie à n’importe qui de prendre un billet pour Miami, louer un jet ski, une arme à feu, acheter de la drogue en quantité démesurée et se donner une dose d’adrénaline qu’une seule vie ne suffirait pas à apporter. Tout ça en restant le plus cool possible. En fait, exactement ce que tout le monde a essayé de faire la première fois qu’il a mis les mains sur GTA. Même si pour le moment la majorité des regards est naturellement tournée vers Luh Tyler et sa juvénilité éclatante, c’est aussi une toute nouvelle génération de rappeurs floridiens qui frappe à la porte et sur laquelle il faudra certainement compter dans les années à venir. – Hugo

PinkPantheress & Ice Spice – « Boy’s a Liar pt. 2 »

Chacun le sait désormais, la seconde moitié de la décennie 2010 a marqué aux Etats-Unis (et au-delà) l’intronisation du rap comme bande-son par excellence des millenials, principaux protagonistes culturels de la période. Une pandémie plus tard, les crises infernales et l’anxiété généralisée auront raison des nerfs de cette génération, qui abandonne à contre-cœur le « cool » à ses petites sœurs et petits frères de la génération Z, souvent plus ouverts et combatifs que leurs ainés fatigués. Au placard les chapelles et les modes, la « Gen Z » fait feu de tout bois, s’amourache pour la drum’n’bass, le rock progressif et l’afro-pop, mais aussi pour l’euro-dance, le happy hardcore ou la musique de Bollywood. PinkPantheress, révélée sur Tik Tok en plein Covid à l’âge de 17 ans a immédiatement incarné l’un des visages de ce renouveau, de par sa musique qui elle aussi navigue entre les genres et les esthétiques sans jamais choisir. Il aura pourtant fallu attendre 2023 pour que l’anglaise dépasse son statut d’« internet baby » et investisse jusqu’aux ondes de Chérie FM, à la faveur d’un tube planétaire inattendu : le remix de « The Boy’s a Liar » avec la new-yorkaise Ice Spice. Inattendu car un monde sépare sur le papier les deux artistes ; l’anglaise laconique toute en pudeur auto-tunée, et l’américaine exubérante, plus grande star de la drill new-yorkaise depuis Pop Smoke. La rappeuse insuffle pourtant, avec quelques mesures simples, une énergie vulnérable et fière, parfaitement intégrée à l’écrin pop produit par PinkPantheress et son co-producteur Mura Masa. Au point d’en devenir le cœur battant et la preuve par la pop que le rap, en 2023, continue de tirer les hits vers le haut. – chosen

Tonedeff – « Waiting »

Il en faudrait des lignes pour raconter ici la trajectoire singulière de Tonedeff. Freestyler hors-pair, désigné comme « Flava of the future » du programme télévisé Arsenio Hall Show dans les années 1990, figure du fast-flow à laquelle il a été réduite, dirigeant de label hier et aujourd’hui, proche des CunninLynguists autant que de Lucy Camp, auteur d’un album instrumental dans lesquels il se qualifie lui-même d’Hans Zimmer hip-hop, la carrière d’Anthony Peter Reid est riche… et underground malgré tout. Des raisons à cela, il y en a probablement des tonnes, mais le rappeur explore très joliment l’une d’elles dans « Waiting » : le temps passé à chercher la flamme créatrice, la procrastination cachée derrière un perfectionnisme de façade. Dans un texte à la fois cryptique et limpide, où il en réfère à Platon autant qu’aux problèmes du quotidien, Tonedeff raconte la perte d’inspiration, le poids des attentes, et la peur de se décevoir soi-même. Entre refrain chanté et rap sur le ton de la conversation publique, le boss du label Polymer livre un témoignage poignant et universel sur l’enfermement artistique et les excès de la gamberge lorsqu’il est question de créer. « Délivré, libéré » chantait la Reine des neiges pour les petits et les grands. En parlant avec une franchise cachée derrière la pointe de sophistication dont il est coutumier, Tonedeff ne fait aujourd’hui pas autre chose, si ce n’est rappeler que la dépression et la perte de sens ne font pas le distinguo : elles peuvent toucher tous les artistes, « petits » comme « grands ». Universel plutôt qu’Universal. – zo.

ENNY – « No More Naija Men »

ENNY exprime son art depuis le sud de Londres. Son flow et les sujets percutants qu’elle aborde dans ses textes font son unicité et sa force. Hommages aux femmes noires, dénonciation des violences sexuelles et du racisme, elle frappe fort avec ses paroles tranchées rappant sur des rythmiques jazz, r&b et parfois pop. Avec son premier album sorti en 2021, Under Twenty Five, ENNY encourage les femmes à poursuivre leurs rêves et faire entendre leurs voix dans une société où elles ne se sentent pas toujours représentées. Son single « No More Naija Men » marque son retour et fait partie de son dernier EP We Go Again. Dans ce titre signifiant « Assez des mecs nigériens », la rappeuse exprime sa frustration envers les hommes de sa communauté. Tout comme la chanteuse Jazmine Sullivan (pour ne citer qu’elle), ses morceaux ne parlent pas seulement de ses expériences personnelles mais également de celles de ses proches. « Cette chanson est un résultat des choses observées et ressenties. Des conversations sur l’amour interracial et interculturel et la conclusion ultime que les hommes nigérians sont fous » déclarait Enny à Hypebeast. La londonienne enchaîne les toplines de manière cadencée sur une production smooth-jazz accompagnée de percussions. Avec sang-froid, elle dessine le portrait des hommes nigériens qu’elle décrit comme infidèles, impulsifs et malhonnêtes. Cette description transpire jusque dans le clip de « No more naija men » que la rappeuse a scénarisé : disputes enragées de couples, conversations téléphoniques, tableaux brûlés. Rien n’est laissé au hasard pour que le titre et le clip soient en parfaites symbioses. De son vrai nom Enitan, ENNY n’en est ni à son premier, ni à son dernier titre dénonciateur. Son EP We Go Again  est un livre ouvert où chaque titre fait réfléchir. Un message fort de 6 pistes. – Makia

« Dans une année de transition dans le rap américain, les explorations de Yeat auront particulièrement été bénéfiques pour l’élan collectif sonore du genre. »

Yeat – « No Morë Talk »

Cagoulé et la voix toujours aussi trafiquée, Yeat aura encore cette année continué à répandre ses ondes synthétiques dans le rap américain. Star des bandes-son TikTok malgré lui, nouveau héros de l’underground plus si underground, le rappeur de Portland a en effet franchi un nouveau palier. D’abord en sortant un album aux chiffres d’écoutes se comptant par plusieurs dizaines de millions, et ensuite en apparaissant sur le nouvel album de Drake sur « IDGAF », devenu le titre le plus plébiscité de For All The Dogs. Pour comprendre un tel engouement, il faut sans doute tout simplement lancer le premier morceau de AftërLyfe, dernier album en date du représentant officiel du rap des fans des Minions : intégralement produit par BNYX, homme de main officiel du rappeur (et sans doute producteur de l’année 2023 aux États Unis). « No morë talk » révèle en quatre courtes minutes tout le charme de la musique du rappeur à la voix élastique. Porté par une ligne mélodique synthétique menaçante et des basses rebondissantes rappelant la bande son d’une phase de course poursuite dans le jeu vidéo Wipeout sur PS1, « No morë talk » est avant tout la démonstration de l’alchimie parfaitement maitrisée d’un duo aujourd’hui rodé. Le temps d’un tour de manège menaçant, la production expérimentale et à la fois entêtante de BNYX fait ainsi corps avec les vocalises d’un Yeat aussi dur à déchiffrer qu’habile pour dompter les montées et descentes du manège de son producteur. Dans une année de transition dans le rap américain, les explorations de Yeat auront particulièrement été bénéfiques pour l’élan collectif sonore du genre. Gageons que la tendance continuera en 2024, si possible avec de nouveaux rappeurs en passe-montagne. – Brice

JID, Tierra Whack & BJ The Chicago Kid – « In The Room »

La saga des films Creed semble partie pour durer au même titre que celle des Rocky. Pour ce troisième volet, la bande originale a été confiée à Dreamville, le label de J. Cole. Le résultat est un peu fourre-tout, mais contient quelques morceaux sympathiques, jusqu’à ce « In The Room », caché vers le fond du disque, qui éclipse tout le reste. La combinaison de JID, Tierra Whack et BJ The Chicago Kid avait de quoi faire saliver et elle ne déçoit pas. JID est particulièrement en forme. Faire un morceau d’entrée de ring pour rouler des épaules est un exercice facile pour lui. C’est le terrain de jeu idéal pour donner libre cours à son phrasé délié. Mais la vraie star de ce titre, c’est sans doute la production signée par Tommy Brown, Pluss et Ty Dolla $ign, taillée pour le concours de l’instru la plus lourde de l’année. Les sonorités font penser à des fûts vibrants qu’on cogne, à des valves qui relâchent de la pression comme on souffle après un coup dans le buffet. Le tout est gonflé par des cuivres conquérants – boxe oblige –, des chœurs fiévreux et des percussions tribales. Depuis Black Panther en 2018, les bandes originales hip-hop fleurissent et semblent s’épanouir quand elles embrassent ce registre hollywoodien : frontal, léché, terriblement efficace. Ce serait dommage de bouder son plaisir. – David

Kari Faux – « Turnin’ Heads » feat. Big K.R.I.T.

Vedette du web grâce au succès de son EP Laugh Now, Die Later sorti en 2014, la rappeuse originaire de l’Arkansas a ensuite gagné en notoriété grâce à des titres utilisés dans la série HBO Insecure, dont « No Small Talk » avec Childish Gambino. Malgré un charme certain, la musique de Kari Faux donnait par moment l’impression d’une confection bien calibrée sans pour autant briller de plein feu. Après les décès d’une cousine et de son amie, la rappeuse Chynna Rogers, l’artiste tente de sublimer sa peine à travers l’album Real B*tches Don’t Die, dans lequel l’ego trip ressemble à de la résilience (sinon l’inverse) : « I’ve been talkin’ to God, I’ve been talkin’ to my motherfuckin’ angels that protect me » balance t-elle sur ce « Turnin’ Heads » au slap de basse redoutable adouci d’une mélodie céleste. Son flow gagne en ferveur, et n’a rien à envier à celui de l’invité Big K.R.I.T, pourtant toujours en grande forme. Aussi, la rencontre de la rappeuse avec le producteur Phoelix, présent sur tout l’album, semble avoir apporté un rare degré d’émotion et une plus grande ampleur à ses productions. Tout en conservant des inclinaisons pop, Faux affirme ses racines sudistes mieux que jamais, jusque dans la présence sur ce LP de la regrettée Gangsta Boo. – Hugues

Navy Blue – « Window To The Soul » feat. Kelly Moonstone

Le rap comme moyen d’expression peut constituer une ouverture sur le monde d’une infinité de manières différentes. Un regard unique à travers les yeux d’un autre être humain sur son environnement, souvent raconté soit dans une position d’observateur soit en tant qu’acteur principal de sa propre histoire. Toujours très spirituelle et méditative, la musique de Navy Blue propose le chemin inverse en ouvrant la fenêtre de son âme à qui souhaite s’y engouffrer. Son premier album sorti en major chez Def Jam, Ways of Knowing, composé entièrement par Budgie, producteur londonien d’origine, est un virage artistique légèrement plus accessible mais bien négocié et qui ne dénature pas l’essence soulful de son œuvre. Sur le titre « Window To The Soul » et son sample de lovers rock, il continue d’aborder en toute transparence son processus d’apprentissage et la déconstruction de ses vérités au contact de celles des autres. En témoigne notamment ce moment dans son couplet lorsqu’il évoque les agissements d’un proche à l’égard d’une tierce personne qu’il a pu juger à tort, lui faisant questionner ses propres valeurs et la notion d’acceptation (« I project she was a jezebel, but that was insecurities, eternity is met »). Seule MC invitée sur le disque, Kelly Moonstone, rappeuse du Queens auteure d’un premier album prometteur en début d’année, profite de cette tribune pour poser le genre de couplet signature qui provoque l’emballement des labels. En embrassant inconditionnellement toutes ses imperfections, Navy Blue se laisse le droit à l’erreur et au progrès personnel. Surtout, il ne triche pas, ni envers lui-même ni envers ses auditeurs. – Hugo

Mestizo – « Stronger not weaker »

Il y a trois ans, le polyvalent Pascal Boudet – aussi connu musicalement sous le nom de Cyesm – réalisait un court portrait vidéo de Mestizo. Second couteau aiguisé de labels emblématiques ayant proposé une alternative au rap américain de la première décennie des années 2000, le rappeur de Los Angeles y disait être en pleine transition musicale. Puis il expliquait ne même plus être sûr d’aimer encore le rap, du moins ce qu’il était devenu. Trois ans plus tard, le visionnage de cette brillante et attachante carte de visite en images laisse songeur. Mestizo n’a presque jamais été aussi productif et il continue bel et bien à faire du rap. Singulier, comme avant, et aujourd’hui à la frontière entre le spoken word et le double-time. En duo avec DoseOne, une autre figure du rap parallèle au mainstream du début du siècle, il a réalisé deux excellents albums sous le nom de A7pha. S’y sont ajoutés trois autres disques solos. « Stronger not weaker » est issu du dernier en date. D’une superbe voix basse dont le ton descend encore un peu plus les années passant, le rappeur passé par Galapagos 4 ou Fake Four se lance dans un monologue d’épreuves de vie, laissant un sample de guitare électrique découpé et redécoupé à la note près par Mopes porter son propos. C’est brillant de sobriété et de présence, à la fois hypnotisant et incarné. Finalement, des rappeurs qui disent ne plus aimer le rap, il en faudrait plus. –  zo.

« De son vrai nom Enitan, ENNY n’en est ni à son premier, ni à son dernier titre dénonciateur. »

RIM – « New Gritty » feat. Eddie Kaine & UFO Fev

Avant de rendre l’âme, Sean Price avait fondé Ruck Down, une filiale de Duck Down Music. Son label continuera d’exister quelques années après son décès en 2015. Hormis ses albums et mixtapes, le catalogue compte un EP et des singles de DaVillains, duo de Brooklyn réunissant Villin P et Karim Tejada alias RIM. C’est ce dernier qui va ensuite tirer son épingle du jeu, et se faire un nom dans l’underground new-yorkais. Sa façon de rapper plutôt élastique mais néanmoins précise, son timbre de voix quelque peu nasillard imposent un style marquant qui le place sans réserve dans la lignée du Boot Camp Click. Bien entouré, le rappeur est l’un des nombreux membres de The Walkers, un collectif formé à la fin des années 2010 qui réunit entre autres le beatmaker Whavy da Ghawd, ou la fine gâchette Rome Streetz, mais aussi un proche de RIM, Eddie Kaine. Ensemble, ils participent au renouveau d’un certain rap new-yorkais, celui qui a du cran accompagné d’un son granuleux, un « New Gritty » donc. Et puisque « All hood’s the same » comme le dit RIM dans son refrain accrocheur, pourquoi pas inviter le lyriciste stylé de East Harlem UFO Fev, histoire de montrer que cette clique de jeunes vétérans représentent la Grosse Pomme entièrement, et qu’elle n’a pas besoin de charité pour s’imposer sur la carte. – Hugues

Illaman x Pitch92 – « Gods » feat. Dubbledge et Dabbla

Vu de France, l’attelage qui rappe sur ce « Gods » issu de l’inestimable label Potent Funk Records est un condensé du charme de la scène anglaise : foutraque, drôle, singulière, arrogante mais non sans humour, un peu punk, et surtout tout terrain. Illaman est de ces rappeurs qui accompagnent le pionnier de la drum n’ bass sur scène, Goldie, ou encore qui se rencontre sur les albums de Chinese Man. Moins visible, Dubbledge puise ses racines dans le hip-hop anglais du début du siècle, apparaissant aussi bien auprès d’artistes ayant popularisé la scène dans les années 1990, comme Braintax, qu’auprès de ceux qui l’ont révolutionné en 2000, à l’instar des Foreign Beggars. Quant à Dabbla, qu’en dire, si ce n’est qu’il est depuis bien longtemps un génial dingue, un créatif déjanté capable de retourner un beat à 130bpm autant qu’il rappera deux minutes plus tard avec la nonchalance d’un Evidence dopé à l’insolence ? En 2023, ce n’est pas la première fois que tout ce beau monde se rassemble. Mais quand les trois rappeurs se retrouvent sur une production tout en rondeur pour l’album d’Illaman avec le beatmaker Pitch92, il émane une impression de facilité déconcertante. Ici, pas de cabriole stylistique, juste de l’aisance. C’est fluide, avec la pointe de suffisance amusée qu’il faut pour rendre fun un égotrip d’anciens. Au point que pour une fois, des rappeurs d’humeur à chier sur la terre entière paraissent sympathiques. Ça n’arrive pas tous les jours. – zo.

King Kashmere & Alecs DeLarge – « Most Blunted »

Jusque dans le rap UK, l’influence de Madvillain est toujours présente aujourd’hui. Preuve en est ce « Most Blunted » (qui sample « America’s Most Blunted »), extrait de The Album To End All Alien Abductions signé par le marathonien King Kashmere, connu sur la scène londonienne pour son EP Raw Styles sorti en 2002, et le plus jeune Alecs DeLarge, producteur inspiré mais également rappeur. Pour bien servir la voix imposante de Kashmere, son cadet livre une instrumentale assez proche du style de Madlib, avec cette ligne de basse remaniée, qui sert de mélodie autant que de rebond, et diffuse un groove singulier. Influencé par la science-fiction et la fumette, les bravades de King Kashmere défient l’espace et le temps : « If life is a joint you better smoke it and start traveling space », « Never been afraid of black holes, we flying into ’em. » Moins imaginatif, DeLarge n’en reste pas moins confiant et adroit dans l’exercice rap. – Hugues

DJ Drama & Jack Harlow – « Mockingbird Valley»

En 2023, le producteur DJ Drama n’a pas chômé puisqu’il a collaboré sur huit projets différents en passant de Kash Doll à Yo Gotti ou encore French Montana. Il sort en mars 2023 son album studio I’M REALLY LIKE THAT composé de titres glorifiants, hymnes de rues, et quelques bangers. Le neuvième titre de l’album est interprété par Jack Harlow et porte le nom d’une ville de son état natal, le Kentucky. « Mockingbird Valley » laisse l’espace parfait au rappeur pour parler de son ascension et de la réussite de sa carrière. Le thème principal de la chanson tourne autour du parcours de Harlow vers le succès et des défis qu’il a rencontrés tout au long de son chemin. Elle aborde également des idées plus profondes telles que l’authenticité, l’amitié, la confiance en soi et la quête de l’acceptation. « Je parle enfin de tout ce qui ne me convient pas. » Ces paroles explorent le thème de la confiance en soi et de la recherche de sa voix. Quant à Drama, côté production, il se tourne vers le Canada puisque le morceau est un sample de Justin Bieber. Le morceau R&B piano-voix « Change Me » du chanteur et est un de ses morceaux les plus introspectifs de son album Journals sorti en 2013. Comme Justin, Harlow profite de la légèreté de l’instru pour se confier sans retenue. – Makia

B. Cool-Aid – « ChalkRoundIt » feat. Ladybug Mecca

Pink Siifu sait rapper sur différents styles, tout en imposant à chaque fois sa personnalité. Avec son ami, le producteur Ahwlee, c’est le versant le plus organique, nourri de boucles soul, de sonorités jazz, et d’ambiances enfumées qui s’exprime dans leur duo B.Cool-Aid. À travers Leather Blvd, leur dernier album, c’est aussi la voix qui tient une place importante. Comme souvent avec Pink Siifu, c’est l’émotion du moment qui semble guider l’artiste, autant à l’aise avec un timbre de  crooner qu’un autre un peu plus écorché, il s’embaume même de mumble rap ici et là. Quoi qu’il en soit, difficile de rester indifférent à ses propositions.  Et quand il s’agit de voix marquante, comment ne pas penser à Ladybug Mecca du groupe Digable Planets ? La rappeuse a signé quelques refrains des plus addictifs au sein de cette formation influencée par le jazz. Ladybug laisse à nouveau son empreinte sur ce titre. Elle dessine la concurrence à la craie, sans arme ni violence, grâce à cette intonation plutôt douce,  cette diction à la fois syncopée et souple. C’est sûrement le point d’orgue de ce riche ensemble qui lorgne autant du côté de Slum Village et de ses rythmiques relâchées,  que de celui de Madlib, façon Yesterdays New Quintet. – Hugues

« Sur « Thank Allah », Niontay semble errer comme un fantôme dans un monde sans hommes, se parlant à lui même entre égotrip et prière, entre paradis et enfer. »

Niontay  – « Thank Allah »

Ce n’est pas l’odeur du souffre ni les cris des démons qui s’échappent de la porte entrouverte par Niontay sur son enfer personnel, son Dontay’s Inferno, du nom de sa mixtape sortie au printemps dernier. C’est au contraire une humidité pesante, un brouillard épais sur un marécage dans lequel sont tapis quelques alligators diaboliques et patients, à peine inquiétés par la pluie acide qui tambourine d’un bout à l’autre du disque. Sur « Thank Allah », titre phare de la mixtape, Niontay semble errer comme un fantôme dans un monde sans hommes, se parlant à lui même entre égotrip et prière (« Preacher man and a dope boy, it ain’t no difference »), entre paradis et enfer (« Granny keep me close to God, I don’t acknowledge Satan / Had to take my time with the work, ’cause I know they waitin on a n**** »). Si le caractère poisseux et tout en violence contenue du rap de Floride imbibe le morceau et la musique de Niontay en général (l’esprit tourmenté de Kodak n’est jamais loin), l’artiste lorgne également Detroit et Brooklyn. C’est la somme de ces influences qui semble désinhiber musicalement le rappeur, « révélé » par son complice MIKE, autre voix passionnante et décomplexée du rap actuel. « Wake up, plot on gwala and thank Allah I’m alive ». Un fantôme vivant et libre, dont la musique devrait continuer à nous hanter. – chosen

100GrandRoyce – « Stars In The Ceiling »

Il est des sonorités dont la puissance évocatrice justifie l’usage quasi intact. Cette boucle à peine pitchée de Keisa Brown en fait partie, transportant directement au milieu des années 80 et à l’imaginaire des hustlers qu’il charrie avec lui. La production du beatmaker Syer tisse une toile parfaite pour les coups de pinceaux précis et élégants de 100GrandRoyce qui dessinent le motif (certes déjà vu mais impérissable) du come up, des nuits sans sommeil qu’il impose et des rêves qui le nourrissent. Le MC d’Harlem maîtrise parfaitement ses codes et son histoire, convoquant habilement aux détours du premier couplet Notorious Big, Bone Thugs-N-Harmony, Guy Fisher et Rich Porter comme autant de marqueurs temporels et d’inspirations. Certains placements et constructions de rimes rappellent AZ sans tomber dans la pâle imitation. Loin des hymnes opulents à la MMG auxquels l’instrumental pourrait pourtant inviter, il livre plutôt un point de vue plus terre à terre de la juste récompense et d’une réussite plus simple : « Time for the fruit of my labour / Tom Ford and Ralph Lauren ignore what you do with the paper ». « Stars in The Ceiling » propose un moment réflexif sur le chemin parcouru (« Can’t be a hero, been a larger villain ») propice à la contemplation et la reconnaissance tirée de l’expérience (« Never complaining, just a ghetto n**** with a different view/ Worlwide mileage on my vehicule »). Extrait de l’album It’s Personnal (entièrement produit par Syer) , le morceau est une démonstration orthodoxe et mature d’un rappeur à la croisée des chemins entre le neo boom bap crasseux et les balades plus aériennes. 100GrandRoyce semble trouver son équilibre en travaillant avec un unique producteur : son long partenariat avec 183rd, cette deuxième combinaison avec Syer (après Classic Material avec Red Inf en août 2022). Et s’il cherche un nouveau complice, il serait bien inspiré d’aller toquer à la porte d’Harry Fraud. – Pap’s

Venna – « Misty » feat. Knucks

Morceau présent sur l’EP de Venna EQUINOX sorti en avril 2023, « Misty » pousse Knucks et sa palette sonore, principalement portée par la drill, à se réinventer. En fusionnant des motifs de batterie syncopés avec des éléments de jazz, comme la boucle de piano trébuchante ou l’utilisation d’un saxophone, les deux artistes ont créé une identité musicale se voulant intemporelle. Derrière cette composition aux influences soul se cache Venna, l’un des musiciens les plus talentueux du paysage musical britannique. Il était donc évident qu’il fasse appel au rappeur londonien apparaissant ici à la hauteur de ses ambitions artistiques. Leurs talents reconnus pour produire une musique passionnante qui apporte depuis peu un souffle différent au rap britannique sont d’autant plus réinventés sur le morceau « Misty ». Les deux artistes partagent une vision musicale profonde et ancrée dans l’héritage musical hip-hop, jazz et blues. Knucks appose ces mesures sur un rythme décalé de batterie et accompagné d’un synthé. Une autre palette sonore qui pourrait permettre au duo de s’inscrire dans le temps. – Inès

Black Thought & El Michels Affair – « The Weather »

Rap cinématographique, « The Weather » dépeint un espace-temps de manière précise et vivante. Sous l’élocution impeccable de Black Thought, c’est tout un block de South Philadelphia durant les années 70 qui prend forme. Black Thought contient ainsi tout l’attirail du réalisateur dans son esprit et son organe vocal. Pas besoin de caméra ni de lumière additionnelle ou de maquillage. Le membre de The Roots se rapproche d’ailleurs plus du peintre que du cameraman grâce à une science sophistiquée de la rime  : « Them old heads be shootin’ craps and droppin’ jewelry / In high tops sneakers and slacks, but it’s a eulogy ». Le portrait qu’il dresse au fur et à mesure de ses coups de pinceau se construit dans l’imaginaire, et surtout dans les souvenirs pour ceux et celles ayant partagé les mêmes étés caniculaires, les mêmes marches d’escaliers en marbre, les mêmes playgrounds. Une performance à deux vitesses et en one shot qui impressionne Leon Michels, l’homme derrière le band El Michels Affair, lors de la prise de son, qualifiant le rappeur de « savant » et allant jusqu’à le comparer à Charlie Parker. Et si le morceau fonctionne autant, comme tout l’album Glorious Game, c’est aussi grâce au talent du producteur derrière le label Big Crown, celui qui perfectionne sa cinematic soul avec Menahan Street Band ou The Dap Kings, entre autres. Sur « The Weather », il s’inspire du morceau « Don’t cry » de J Dilla, ralentissant et accélérant la boucle d’une de ses propres compositions abandonnées. Un changement de cadence que Black Thought surmonte sans effort, créant une torsion supplémentaire du temps dans un morceau qui s’écoute soit comme une madeleine de Proust soit comme une performance bluffante. Ou les deux. – JulDelaVirgule

Armani White – « Billie Eilish Legends Mix » feat. Ludacris, Busta Rhymes et N.O.R.E.

En 2002, N.O.R.E. sortait un tube de soirée avec « Nothin’ ». Sans enlever son mérite au rappeur du Queens, l’attrait du titre tenait beaucoup à la production des Neptunes, dont Pharrell assurait d’ailleurs le refrain. Mélodie orientalisante, chœurs féminins, rythmique au bounce indéniable, des « oh ! » pour lever les bras en l’air : pas de doute, c’est un single du début des années 2000. Vingt ans plus tard, Armani White casse la baraque avec une reprise de « Nothin’ ». La recette est connue : on réactualise avec plus ou moins d’imagination – ou de flemme – une instru mythique et le tour est joué. Le clin d’œil appuyé plaît aux anciens et on capitalise sur un titre dont la capacité infectieuse a déjà fait ses preuves. Là où Armani White a réussi son coup, c’est avec ce refrain « Glocked up / Big tee-shirt / Billie Eilish » (au cas où vous ne le sauriez pas, la chanteuse affectionne donc les tee-shirts démesurés) qui joue à fond sur l’effet de rebond de ce kick monstrueux. Le reste de l’EP n’est pas inoubliable, mais on y trouve une petite friandise cachée à la fin : un remix avec des vieux briscards qui se donnent la bourre. Luda sait faire vivre un couplet comme personne et Busta n’a rien perdu de son charisme. Quant à N.O.R.E., il vient donner sa bénédiction (« It’s my old hit, but this new hit is yours ») et rappeler au passage qu’il n’est pas qu’un présentateur d’émission aux invités imbibés. Cette tradition des remix pléthoriques mériterait d’être ressuscitée plus souvent. – David

« La rencontre de Kari Faux avec le producteur Phoelix semble avoir apporté un rare degré d’émotion et une plus grande ampleur à ses productions.. »

Estee Nack – « Angeldior »

Grosse voix, flow gueulard, adlibs surabondants, appétence pour les ambiances sombres… Établi comme ça, le portrait d’Estee Nack ne diffère pas vraiment de celui d’une palanquée de rappeurs actuels. Si sa musique a évolué depuis ses débuts avec son groupe Tragic Allies, le résident de Lynn, Massachusetts, multiplie les projets assez difficiles à distinguer les uns des autres. Mais comme chez son compère al.divino, il y a parfois dans la musique de Nack des éclairs, des inspirations fugaces qui le rendent fascinant et lui permettent de se détacher du peloton suçant la roue de Westside Gunn et Roc Marciano. Exemple avec « Angeldior » sur l’album Nacksaw Jim Duggan : tout commence avec un beat massif et sombre comme le rappeur d’origine dominicaine en a poinçonné des dizaines ; il y a des chapelets de cloches, des claviers inquiétants, une voix féminine et lointaine… Et Nack qui part de son timbre éraillé dans un refrain mi rappé mi chanté, alourdissant encore l’atmosphère et donnant un charme à la fois envoûtant et vénéneux au morceau. La crapulerie à son meilleur, déclinée avec talent, goût et audace, pour une virée nocturne fort plaisante. En espérant que ça cartonne et que ça donne des idées à Estee Nack pour la suite. – Kiko

Baby Keem & Kendrick Lamar – « The Hillbillies »

Ceux qui ont pu assister à la représentation scénographique de Kendrick Lamar à l’Accor Arena dans le cadre du Big Steppers Tour en octobre dernier le savent sûrement déjà, le single « Family ties » de son cousin Baby Keem avec lequel il partage la vedette s’est imposé en moins de deux ans comme un morceau référence de sa setlist. Même les plus grands moments de DAMN. conçus pour le live n’arrivent pas à provoquer une telle explosion chaotique d’énergie dans la fosse. C’est également le seul moment où le concert s’émancipe de son orchestration très codifiée pour offrir au public une expérience plus palpable. Cette connexion familiale affichée jusqu’à présent sur scène est révélatrice à la fois d’une alchimie authentique et d’une forte émulation artistique mutuelle. « The Hillbillies », le seul et unique single sorti par les deux artistes cette année, vient officiellement enfoncer le clou. Sur une production jersey drill signée EVILGIANE, figure de proue du crew Surf Gang, et qui sample un passage vocal de Bon Iver, Kendrick et Keem dédoublent et combinent au micro avec des une-deux dignes des meilleures performances de Messi et Neymar au Barça. Aux côtés de son cousin, le rappeur de Compton donne l’impression d’être libéré de toute pression qu’il semble s’être lui-même imposé depuis trop longtemps en solo pour renouer avec le simple plaisir de rapper. Un projet commun apparaît désormais comme une évidence et constituerait assez logiquement la prochaine étape pour installer l’agence pgLang dans les conversations. Ce n’est peut-être pas celui que certains fans de Kendrick Lamar attendent, mais c’est certainement celui qui fait le plus sens à l’heure actuelle. – Hugo

Metro Boomin, Swae Lee, NAV, A Boogie Wit Da Hoodie – « Calling»

Le compositeur et réalisateur de la bande originale du film Spider-Man : Across the Spider-Verse, Metro Boomin, a capturé les émotions clés du film afin de les exprimer musicalement. Le morceau « Calling » réunit Swae Lee, NAV et A Boogie Wit Da Hoodie, une équipe pouvant se calquer aux Avengers, unissant ainsi leurs atouts respectifs pour une durée d’un peu plus de trois minutes. Accompagné de sept compositeurs, Metro Boomin retire une force du collectif pour amener une piste instrumentale où plusieurs harmonies de violons et de piano s’imbriquent sur un tempo assez lent. Ces mélodies offrent une tonalité propice au songe pour nous transporter dans les rues de New York sur les pas de Miles Morales, le personnage principal. Le refrain reprend la problématique principale du super-héros quant à son envie de sauver tout le monde : « Just to save you, I’d give all of me, I can hear you screamin’ out, callin’ me » et laisse également une porte ouverte à l’imagination de sa signification. La complémentarité des couplets rappés interprétés par NAV et A Boogie Wit Da Hoodie avec le refrain chanté par Swae Lee amène une certaine légèreté à l’écoute, replaçant alors au centre du morceau les émotions perçues par le héros. Une construction musicale qui puise son inspiration de l’univers cinématographique de Spider-Man tout en se créant une identité indépendamment du film. – Inès

Dave & Central Cee – « Our 25th birthday »

La création de l’EP commun Split Decision entre Dave et Central Cee fût une belle pierre apposée au rap UK. Sorti en juin 2023, le troisième titre « Our 25th Birthday » se structure d’un refrain de huit mesures interprété par Kamal et de deux longs couplets respectifs pour Dave et Central Cee. Sur un tempo lent et un rythme doux, les deux artistes se livrent sur leur vingt-cinquième anniversaire et ce que cela implique : « We’re twenty-five, livin’ like this was our second life. I see the pressure rise, everybody lookin’ to us when it’s time to get it right. » Une certaine fragilité émane de ce titre, une manière de se délivrer d’un bagage, d’une réflexion pesante pour les deux artistes. Le terrain de l’introspection est bien connu de Dave, ainsi il y emmène son homologue où son écriture s’étend sur des sujets teintés d’une simplicité touchante : « Collect my tears, you could fill a pool and breaststroke in it ». Central Cee décrit également la transformation de son rythme de vie loin des marques de luxes et des voitures imposantes mais dans son quotidien : « Look, I was eatin’ beans out the tin, now it’s avocados ». Kamal, Dave et Joe Reeves composent ensemble, ce qui explique l’homogénéité sur l’ensemble du morceau. Le trio avait notamment travaillé sur l’album de Dave We’re All Alone In This Together où se mêlent notes de piano et percussions délicates. Les voix ajoutées en boucle amènent un caractère de mise à nu, de pure délivrance de la part des deux  interprètes, dans un ensemble assez simple, comme une discussion intime. – Inès

Teflon – « Contraband »

La grande épopée du rap new-yorkais est remplie de rimeurs affiliés à des groupes et qui ont fait preuve de coups d’éclats remarqués. Il en va ainsi de Teflon, ami d’enfance de M.O.P., en cabane lors des débuts du « Firing Squad » et qui a depuis toujours été dans le giron du groupe. Son premier disque My Will, en 1996, était au diapason de l’esthétique du duo de Brownsville, et ses apparitions sur leurs albums ont fait de lui l’équivalent d’un Big Noyd pour Mobb Deep : toujours tranchant, notamment grâce à sa voix rêche et agressive. Il a fallu attendre vingt-six ans pour que Teflon sorte son deuxième opus, 2 Sides To Every Story, produit équitablement par Jazimoto et DJ Premier. Sur « Contraband », premier extrait de l’album, Preemo réveille une ambiance martiale et percutante longuement disparue de son répertoire, pour laisser Teflon faire parler ses vers comme autant de douilles sortant d’un canon. Dans ce style de rap où les mentions à divers modèles d’armes à feu se succèdent aussi vite que les rimes internes, Teflon n’a rien perdu de sa superbe, dès son entrée en matière sur le morceau (« I got the .38 tucked when I snapped through the Pearly Gates »). Un rap de tirailleur millésimé, direct, puissant, et gueulé d’un timbre vocal légèrement esquinté qui ajoute un peu plus à sa superbe de MC qui est resté dans les murs sans prendre la poussière. – Raphaël

« Tous les traits de personnalité et les obsessions de Veeze ressortent de ce festival de punchline à l’humour souvent corrosif. »

Flyana Boss –  « You Wish »

C’était une des petites claques de 2023 : la découverte du duo Flyana Boss (détournement de Diana Ross) sur les réseaux sociaux à travers leur titre « You Wish ». Derrière les nombreuses mises en scène autour de ce morceau (qui ont pu en agacer certains), il y a deux jeunes femmes qui n’hésitent pas à lâcher des punch’ sur leurs sentiments ou leur sexualité, avec un humour incisif. Elles sont à la fois les petites sœurs de Doja Cat, Nicki Minaj ou de la reine Missy Elliott. Pour boucler la boucle, cette dernière est invitée sur le remix, aux cotés de la rappeuse Kali, avec un clip hommage à la série animée Les Super Nanas, déjà citée dans la version originale. La production assurée par Marky Style et Puda Beats sonne comme un type beat de Mike Will Made It, ce qui n’enlève rien à son efficacité, au contraire. Pour sûr, l’un des hits les plus savoureux de l’année. – Hugues

Myka 9 – « Cybermen »

Chaque mois de décembre que la Création fait, il y a une fabuleuse façon de parcourir l’immensité cosmique : taper sur YouTube « Myka 9 » et mettre en filtre l’année écoulée. Se révèlent des titres de la légende de Freestyle Fellowship. Souvent ils excèdent difficilement la centaine de vues et, la plupart du temps, ils sont réalisés avec des producteurs inconnus. Pour le dire à la Hubert Reeves : les chansons de Myka sont des comètes. Elles sont des visiteuses qui fendent le ciel, jamais vraiment préhensiles mais toujours avec ce petit quelque chose de magique, avant de retourner ricocher de galaxie en galaxie en laissant l’humanité songeuse. C’est le cas de ce « Cybermen », sorte de passage dans la voûte céleste vu par quelques rares âmes, dans lequel la voix molletonnée de l’Angelino prend des allures robotiques sur un vacillement frénétique de charleston entouré de bruits de science-fiction intersidérale. Car écouter Myka, c’est un peu rebondir avec un joie sur un hoquet astral mis en musique. C’est aussi se retrouver dans les coulisses d’un vaisseau spatial empruntant un passage secret entre deux constellations. Le propulseur est un flow en legato, et plus qu’avec le tissu instrumental de la production qui l’entoure, c’est probablement en faisant de chaque syllabe un pulsar que Myka touche l’immensité de l’univers. Ce soir, le ciel clignote fort, il a un message à faire passer. Cryptique évidemment, parce qu’un peu venu d’ailleurs. Ou peut-être en route vers ailleurs ? Myka reste humain après tout. Mais avec des titres comme « Cybermen » qui transpirent l’apesanteur quoi qu’il se passe, il tend pourtant vers quelque chose d’extraterrestre. Une forme d’élévation nourrie aux mystères de l’univers. Définitivement « To the sky » ». – zo.

Veeze – « Unreleased Leak »

« This is not a fire drill, this the real thing» annonce Veeze sur l’introduction de son deuxième album, Ganger, maintes et maintes fois annoncé au gré des sursauts de motivation de son créateur. Plus personne ne semblait y croire sérieusement, mais il est enfin arrivé au mois de juin dans l’engouement général, accompagné de nombreuses promesses et après une longue période d’attente assez inhabituelle pour un artiste de Détroit. Pendant des années, les optimistes de la première heure ont dû se contenter de single annuel dépassant rarement les deux minutes et de leaks aléatoires faisant leurs apparitions au compte goutte sur des comptes YouTube non référencés. Avec toute l’insolence qu’on lui connaît, il s’amuse ouvertement de cette situation en nommant le titre phare de son disque « Unreleased Leak », une manière pour lui d’en faire également une démonstration de ses talents bruts de rappeur au kilomètre, sans se soucier du format classique couplet-refrain. Tous les traits de personnalité et les obsessions de Veeze ressortent de ce festival de punchline à l’humour souvent corrosif : son addiction à la leanThe way I lean, break the laws of physics »), son dégoût pour les faux gangster (« He like Chris Rock dad when it come to the spendin’ / Never did crime, break the law in his lyrics ») ou encore son irrésistible besoin de tailler la concurrence (« He ain’t got no motion, make a thousand every blue moon »). Parfois, il semble empreint de certains éclairs de lucidité touchant sur son rapport à la drogue (« Granny seen my cup, had to lie said it’s prune juice »). Le succès critique unanime qu’a pu recevoir Veeze et son album Ganger cette année apparaît à la fois comme une victoire importante pour le rap de Détroit, mais également pour le rap régional dans son ensemble qui ne cessent d’être la première source prescriptrice d’artistes originaux et de tendances nouvelles. – Hugo

LaRussell, DTB, Ekzakt – « Test Ya Nuts » feat. Sada Baby

La petite épopée LaRussell poursuit son chemin : après une année 2022 qui a contribué à le faire connaître au delà des frontières de sa Bay Area bien aimée, le natif de Vallejo est apparu cet année sur l’album de DJ Drama et celui d’E-40. A côté de ses moments marquants, huit courts albums comme autant d’instantanés de son état d’esprit et de son bouillonnement d’idées permanent. Hustlenomics dénote à ce titre de ses productions habituelles : (encore) plus énergique et plus porté sur l’égotrip, l’album convoque des sonorités plus en phase avec l’identité musicale actuelle de la Californie du Nord notamment dans sa proximité avec celle de Détroit. Sada Baby est donc parfait pour ce « Test Ya Nuts » goguenard. Le morceau est une rencontre au milieu pour les deux artistes : LaRussell emprunte les mimiques vocales et certains placements de son invité quand celui-ci tempère son gun talk habituel pour un couplet plus porté sur la motivation. Pour compléter l’échange, Sada Baby est même venu freestyler à un des concerts au Pergola  (la scène à domicile de son hôte) devenus de vrais rendez-vous musicaux de communion. « Test Ya Nuts » résume parfaitement la philosophie communiquée par LaRussell à travers sa musique  : un stakhanovisme souriant et véritablement collaboratif. Le hometown hero continue ainsi à construire des ponts, à livrer son œuvre sans calcul, à porter son message par ses paroles et ses actes ; en un mot (souvent galvaudé ces derniers temps) à faire culture. – Pap’s

Monday Night & Nitty Blanco – « Like Yo’ Momma »

C’est seulement depuis la fin des années 2010 que Monday Night s’est mis à la musique, mais poussé par l’énergie de sa Scheme Team (Fly Anakin, Big Kahuna, ou le beatmaker Graymatter), le rappeur de Richmond en Virginie a fait preuve d’endurance en livrant régulièrement des produits de qualité. Au delà de son coté prolifique, son flow qui n’est pas sans rappeler Larry June (bien que plus resserré) lui a même valu quelques compliments sur Pitchfork. Toujours prolifique, il a sorti trois EP en 2023, comme ce Any Given Scheme Day aux cotés de son comparse Nitty Blanco, dont la voix éraflée provoque un beau contraste avec celle plus chaude de Monday Night. Bon exemple de leur combinaison réussie, ce « Like Yo’ Momma » aux lyrics entre coup de rétroviseur, amertume et rêve de richesse, soutenus par une production soulful du meilleur cru. – Hugues

« « Test Ya Nuts » résume parfaitement la philosophie communiquée par LaRussell à travers sa musique  : un stakhanovisme souriant et véritablement collaboratif. »

Black Milk – « No Wish » feat. Phonte & Raphael Saadiq

La musique de Black Milk a atteint sa forme finale. Elle est devenue « eau », adaptable en toute circonstance. Transformable et transformée. Protéiforme, elle oscille entre échantillons, synthétiseurs et jam-sessions. Ironie du sort, « No Wish » est un des rares titres de son dernier album (Everybody Good?) qui n’est pas réalisé de ses mains. Produite par Raphael Saadiq – rien que ça – la partition ne dénote pas à l’ensemble, au contraire, elle se fond avec grâce. Dans l’idée proposée, une ambiance feutrée, acoustique, solennelle. Il ne manque plus qu’un peu d’encens et une bougie pour se confesser. Et dans cet exercice, même si le beatmaker de Détroit est plus que convenable et déroule les regrets d’une vie et la force nécessaire pour s’en relever, Phonte dégaine l’AK-47 et décharge quarante-deux mesures d’exploration personnelle. Si la moitié du duo Little Brother narre les abus de son enfance et la manière de les affronter passé la quarantaine, le récit à quelque chose d’épique et tient parfaitement en ces lignes : « Went from left for dead on the mausoleum floor / To being celebrated on the colosseum steps / No fear, I am here to emancipate you. » Et au final, même si Black Milk n’est pas le centre de l’attention ni même derrière la production, il démontre être un grand artiste avec une capacité à rassembler toutes les parties prenantes pour créer un instant de magie. – ShawnPucc

Leaf Ward – « Blood Bruvas » feat. LilBuckss & OT7 Quanny

De ses deux albums sortis en cette année 2023, Rated R est sûrement le plus crépusculaire que Leaf Ward ait livré. Après un Certified Member plus étiré et qui se ménage quelques respirations, cet opus est une plongée claustrophobe et macabre dans les rues de Philadelphie et « Blood Bruvas » est l’illustration parfaite de cette approche. Le beat de Mvmbo s’impose avec ses vocalises funestes et ses percussions qui interviennent comme un souffle coupé, la voix d’outre tombe de Beanie Siegel y serait d’ailleurs tout à sa place. Ainsi est dressé le théâtre lugubre pour la passes d’armes qui va suivre. D’abord la voix et le débit juvénile de LilBuckss pour un couplet aux abois, sur la corde raide : « I’m only nineteen been thru a lot of shit / But if I go broke imma do all kinds of shit / Might have a bank full of hostages ». Leaf Ward prend le relai pour dresser le portrait d’un parrain impassible aidé par son débit mécanique et froid : « Million dollar n**** in that V like I aint worth none / How he the biggest opp and he ain’t hurt none ?» OT7 Quanny cloue le spectacle avec son insolence habituelle, sa désinvolture laissant passer quelques mesures de silence avant de reprendre son entreprise d’égotrip menaçant. S’il est question de fraternité dans le titre, celle-ci est empreinte de paranoïa et de regards en coin. Les flows apathiques servent une musique au bord du précipice mais terriblement addictive. – Pap’s

Tkay Maidza – « Ring-a-Ling »

Née de parents zimbabwéens, Tkay Maidza a grandi du côté d’Adélaïde, en Australie. Sa carrière, relativement discrète jusque-là dans nos contrées, a pris une nouvelle dimension avec le troisième volet de sa série d’EP Last Year Was Weird, en 2021, puis avec son album très réussi Sweet Justice cette année. Artiste hybride, Tkay rappe et chante sur des morceaux à la croisée des genres : électro, dance, funk, rap et R&B des années 2000… Le menu est chargé mais reste étonnamment digeste et surprend par son audace. Derrière sa voix faussement fragile, Tkay Maidza maîtrise son sujet et parvient à insuffler de l’âme à ce qui aurait pu n’être qu’un disque gentiment pop. « Ring-a-Ling », l’un des singles, est un titre résolument dansant comme on en fait assez peu de nos jours, avec des contretemps à choper dans tous les sens et sur lesquels Tkay se balade avec aisance. La rappeuse y parle de réussite et de remplir la tirelire. Rien de nouveau sur le fond, mais la forme donne envie de se casser le cou en fronçant les sourcils. Un morceau que n’aurait pas renié Missy Elliott. – David

DJ Muggs – « Jokers wild » feat. Cee-Lo Green

Il aura fallu quatre décennies et une interaction sur Instagram pour donner naissance à « Jokers wild ». Sur cette pépite sombre et lancinante du troisième volet des compilations Soul Assassins (qui en contient beaucoup), Cee-Lo Green se glisse dans la peau d’un cholo de Los Angeles avec brio,  slang à l’appui : « Check it out, Holmes, I’m cholo / Pants way above my navel ». Avant de devenir un morceau entêtant et cryptique, « Jokers wild » n’était qu’un instrumental tout droit sorti des 90’s que DJ Muggs libère parmi d’autres lors d’un post Instagram.  La composition ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Piqué par la production, Cee-Lo contacte Muggs dans la minute. Déjà présent sur Soul Assassins premier et deuxième du nom, le membre de Goodie Mob et de Gnarls Barkley délaisse le chant pour un rap impeccable introduit par un gang whistle audible à des kilomètres et réunissant dans le premier couplet allusions cinématographiques et vestimentaires : Pac-Man et Hodges du film Colors, les knee high tube socks et les Nylon Cortez. S’il est plus question de références à la culture latino-américaine dans ce premier acte, c’est surtout dans le second que Cee-Lo rentre en profondeur dans l’esprit d’un gangster cholo en lutte avec ses contradictions, s’accordant quelques pirouettes verbales intraduisibles en français (« But no more beef and I even became a vegan / But enemies, if I see ’em, still gonna want to eat ’em »). « Jokers wild » est une réussite totale où la forme et le fond s’unissent pour dessiner les contours d’un personnage complexe, reflet d’une Amérique tourmentée. – JulDelaVirgule

Doja Cat – « Paint The Town Red »

Depuis le début de sa carrière, Doja Cat a toujours su jouer sur deux tableaux : tout au long de ses morceaux, la frontière entre rap et pop aura toujours été aussi fine que maitrisée, au point de rendre difficile de juger si les morceaux de l’interprète de « MOOO! » s’inscrivent du côté de la musique de Young Thug ou de Ariana Grande. En 2023, Amala Dlamini a pourtant décidé de faire temporairement un choix : pencher du côté du rap. Sur son dernier album Scarlet, c’est ainsi sur des sonorités trap, boom bap (et un peu R&B) que la Californienne pose ses couplets, en mettant un peu de côté ses talents pour les mélodies sucrées. Seulement, Doja Cat étant Doja Cat, le naturel revient parfois au galop. Et il aura donné un des tubes de l’année : morceau phare de cette seconde moitié de 2023, « The Town Red » est une nouvelle fois une démonstration de la maitrise de deux genres opposés mais complémentaire de la part de la rappeuse. Sans jamais choisir entre refrain entêtant et couplets rappés, la Californienne répond à la fois à ses détracteurs tout au long du titre, de son bad buzz suite à son crâne rasé en passant par les polémiques avec ses fans sur les réseaux, tout en offrant un refrain ultra accrocheur porté par un sample aérien et innocent de Dionne Warwick. Une nouvelle preuve que Doja Cat, malgré un virage voulu comme radical cette année, maitrise toujours autant son super-pouvoir : celui de prendre les codes de la pop pour leur mettre un authentique filtre rap, sans non plus se renier. Quitte à se fâcher avec quelques fans (et raconter aussi un peu n’importe quoi sur Twitter). – Brice

« En plus de nous dévoiler les affres de son âme, ElCamino, rappeur de Buffalo, dessine le portrait d’une famille diffuse mais reliée par les souvenirs. »

Noname – « Potentially the interlude »

L’album de Noname, Sundial, n’a pas fait autant de bruit qu’il aurait pu, entravé par des polémiques plus ou moins pertinentes et peut-être aussi par sa pochette atypique. C’est pourtant un excellent disque où la rappeuse de Chicago n’a pas peur d’aborder de front des sujets délicats et de faire des morceaux à thèmes. Elle interroge le rap, les rappeurs, le public, elle-même. Personne n’est à l’abri. Sans élever la voix, sûre de son fait malgré ses contradictions, Noname déroule le fil de ses pensées avec une douceur teintée d’ironie, en amie venue te dire tes quatre vérités. Au fond, elle sonne comme quelqu’un de brillant et parfois irritant avec qui il ne fait pas bon s’embrouiller si on tient à avoir le dernier mot. Avec Sundial, la rappeuse et activiste s’est construit un écrin jazzy et discret pour ses cas de conscience. Sa voix dévale la pente de breakbeats tantôt échevelés tantôt étouffés rappelant l’atmosphère d’Erykah Badu ou des Nubians. Sur « Potentially », le batteur de jazz londonien Yussef Dayes fournit un rythme vivant et rebondissant sur lequel Noname expose une idée simple : les gens ne t’aiment pas pour ce que tu es, mais pour ce que tu pourrais devenir, le potentiel que tu représentes. La structure du titre est un peu étrange, avec un refrain et une sorte de pont qui entourent un unique couplet lui-même basé sur la répétition. Et pourtant ce n’est pas faire injure au disque que de vanter cet interlude car c’est, potentiellement, le morceau le plus réussi de l’album. – David

Slim Thug – « Faithful » feat. Z-Ro

Non, nous ne sommes pas en 2005, année où le Sud avait fait main basse sur le rap US mettant derrière elle la scène new-yorkaise et californienne. Deux géants de Houston  avaient marqué de leur voix caverneuse la scène non seulement locale mais internationale. Slim Thug sortait Already Platinum avec la participation des Neptunes et livrait un couplet iconique sur « Still Tippin’ ». Z-Ro livrait lui Let The Truth Be Told, un de ses albums majeurs, qui mélangeait habilement raps incisifs et chants mélodieux. Une quinzaine d’années plus tard, les deux artistes continuent leurs routes et laissent leurs slabs se croiser régulièrement. En 2023, Z-Ro apparaît sur I Aint Takin No Loss, Vol. 2 (Drank Muzik Deluxe Edition), réédition augmentée d’une mixtape de 2010, alors que Slim Thug enfourne deux EPs dont l’un revêt le titre évocateur de Midlife Crisis. Sur ce dernier, les deux quadragénaires se retrouvent donc encore sur un sample de soul cuisiné par DJ Young Samm. Régulièrement sollicité par Big Slim, le producteur apprécie particulièrement les boucles soulful, comme Just Blaze et les Diplomats, et reprend une boucle du chanteur D.J. Rogers déjà utilisé par Kanye West à la faveur de Common. Grillé, mais il n’en reste pas moins que la magie opère grâce aux deux timbres graves des protagonistes et à leur delivery coulant. Z-Ro se taillant la part du lion avec un couplet particulièrement appuyé, (« Why I keep doin’ cool shit for ungrateful folks? / Why I keep showin’ all this love to these hateful folks ? »), probablement échauffé par un différend avec Trae Tha Truth qui dure depuis 2008 et qui a pris de l’ampleur ces derniers mois. – JulDelaVirgule

Joel Q – « Chicago Giants » feat. Ju Jilla

Après la vague d’artistes talentueux auxquels Chicago a donné naissance la décennie précédente, la ville continue à être un vivier rap. Sur « Chicago Giants », tiré du Trophy Room II de Joel Q, le rappeur du Southside et son invité Ju Jilla rappellent l’ADN rap de cette ville. Déjà par la production, signée Logic Cinematic, d’une simplicité efficace grâce à un beat trap squelettique soutenant un sample gospel puissant. Joel Q, éducateur spécialisé en primaire au civil, déroule un couplet rempli de contre-temps et de variations rythmiques, dégageant à la fois une autorité professorale et une maitrise détendue (« My words like landlords : I move n****s »). Si bien que cinquante secondes lui suffisent pour lever le menton crânement et laisser place à son invité, Ju Jilla, voix nasillarde et flow triolet en apnée, distillant lui aussi des punchlines au kilomètre et quelques moments de motivation. C’est de l’art de ne rien dire de particulièrement révolutionnaire, mais le faire avec un style immaculé. Tout ce qu’on peut parfois attendre d’un égotrip rap savamment exécuté. – Raphaël

Drake – « Rich Baby Daddy » feat. Sexxy Red & SZA

Qu’il soit plongé dans ses pensées au fond du VIP comme sur Take Care ou concentré dans la cabine du DJ comme sur More Life ou Honestly, Nevermind, Drake est chez lui dans le club. L’artiste ayant (hélas) sa réputation à tenir, il reste rare de l’apercevoir au coeur de la fièvre du dance-floor. Sur une production construite autour d’un sample de Jessica Domingo et de synthés stroboscopiques, « Rich Baby Daddy » est une plongée hypnotique au milieu des corps en mouvements, étourdis par l’alcool et les décibels mais trop envoûtés pour ralentir. Sexxy Red, grande commandante sur ce champ de bataille hédoniste, mène les troupes à la baguette avec son refrain en forme de routine militaire libératrice. Au milieu de toute cette sueur, Drake désinhibé nous offre sa meilleure parade amoureuse, tandis que SZA met à nu les sentiments contraires qui règnent dans ces havres de fêtes, entre illusions chimiques et magie de l’instant. Instant interrompu brutalement à la quatrième minute, pour un changement d’ambiance total où le rappeur reprend Florence and The Machine sur une prod grinçante qui sent bon la gueule de bois. Qui avec Drake, finit toujours par arriver. – chosen

Ty Farris – «Sounds That Never Left My Soul »

Détroit est une ville traversée par les genres, la désindustrialisation et la MPC de J Dilla. Dans les méandres de sa scène indépendante, la ville s’étire à en donner le vertige. Cette année encore, les sorties musicales auront dessiné des contrastes entre le monde bariolé de Veeze (Ganger) et la patte sèche d’Apollo Brown (Sardines). Pour continuer les partis pris, Ty Farris réalise son premier film dramatique en audio avec « Sounds That Never Left My Soul ». Comme acteur principal, évidemment lui-même. Sa personne est encore trop petite pour tout discerner, que déjà, la réalité fuse à toute vitesse (« Bullets whizzing by my ear. I was barely grown… »). Son esprit est marqué, blessé, imprégné des pulsations de sa ville. Les scènes du quotidien peuvent devenir tragiques sans prévenir. Une partie de dés qui tourne mal. Le bruit d’un corps inerte qui s’écrase sur le sol. Et une bouteille de Hennessy versée sur le bitume. La description de son environnement est bluffante. Triste mais réaliste. Les sirènes de police retentissent. Les images serrent le cœur (« Sounds of my soul surface these verses is my scars »). La poésie sublime l’ineffable. Et la recherche de style est permanente. Dans l’élocution, le choix des mots, les métaphores. Composé par le producteur Graymatter originaire de Virginie, tout comme l’intégralité de l’album, cette composition est une peinture en marge du rêve américain. Ne détournez pas le regard. – ShawnPucc

« Noname déroule le fil de ses pensées avec une douceur teintée d’ironie, en amie venue te dire tes quatre vérités. »

ElCamino – « CRY WITH ME »

Dans les équipes de rappeurs, il y a toujours cette figure assez attachante du « pote dans son équipe, qu’on laisse rapper, même si c’est pas trop ça. » Sa carrière peut être courte, la reconversion anticipée, mais laisser effleurer le succès à un des nôtres est une sensation d’accomplissement. Pris dans l’ouragan Buffalo, ElCamino avait pour habitude de naviguer entre les labels Griselda (Westside Gunn) et Black Music Soprano (Benny the Butcher) sans pour autant démontrer une réelle légitimité. Après une flopée de disques, de nombreuses pages noircies et beaucoup de travail, son identité s’est épaissie et le mois d’octobre à vu naître son album le plus abouti They Spit On Jesus. Sur ce disque, tout y est. Joie, autodérision, vulnérabilité, errements, narcotiques, peines. L’œuvre d’une vie pour rester dans des formulations convenues. « CRY WITH ME », comme son nom l’indique, est un titre pour nous faire perler une larme. En plus de nous dévoiler les affres de son âme, le rappeur de Buffalo dessine le portrait d’une famille diffuse mais reliée par les souvenirs. Et dans son discours, de manière presque inconsciente, la place donnée aux figures maternelles et féminines dans ses couplets est émouvante. Les figures de sa mère et sa sœur sont initiatrices et moteurs de sa quête personnelle. Des visages superposés à ses rêves d’artiste (« I barely visit my mom, but I mail her a Christmas present / I fantasize of success and tell her she can get whatever »). Brillamment produit par Jansport J, très actif ces dernières années avec notamment sa collaboration fructueuse aux côtés de Hit-Boy, les dernières mesures chantonnées scellent définitivement la beauté mais surtout, la sincérité du texte. En deux mots : « audio gospel. » – ShawnPucc

Kodak Black – « Lemme See »

Ces dernières années, le paysage musical en Floride est en perpétuelle mouvance. Les raisons sont multiples. Influences extérieures par le style des États voisins comme la Nouvelle-Orléans. Influences générationnelles par la multiplication des sous-genres nés grâce à Internet et SoundCloud. Et influences migratoires par l’arrivée accrue de la communauté haïtienne. Kodak Black est traversé par un peu tout ça – à différents degrés – et dans son dernier single, « Lemme See », certains traits surgissent sans prévenir. Tout d’abord, il y a ces basses. Rondes et comme saturées par moments. Elles rappellent le caractère festif de cette musique. Sa dimension purement fonctionnelle, une intention déjà bien identifiée chez les pionniers du 2 Live Crew. La partition doit avant toute chose se ressentir et non se réfléchir. Sous cette approche, l’intéressé semble avoir posé son texte en une prise. Un coup d’éclat. Les cadences sont hypnotiques et toutes abordées sous la même structure, deux ou trois syllabes. Mises bout à bout, elles sont addictives. Une montée d’adrénaline mis en suspens au moment où les répétitions deviennent frénétiques, comme s’il était possédé. Dans ses mesures, l’auteur de When I Was Dead – son dernier album – réalise en quelque sorte une ode à sa cité, sa ville, à tous ceux dans les tranchées. Cette manière de démontrer son profond attachement à son ancrage territorial, et aussi une preuve qu’il ne saura jamais s’en détacher. Une voix qui en réalité dépasse sa propre personne. Et si Kodak Black reste une figure difficile à appréhender d’un point de vue moral, l’art et sa musique par extension, sont des passerelles pour entrevoir ses contours. – ShawnPucc

Ken Carson – « Me And My Kup »

Jusqu’à présent, le rap américain des années 2020 s’est avant tout illustré par la fragmentation et l’affirmation de différentes scènes, aussi bien locales que sur internet, pour renvoyer au placard l’un des plus grands mythes vendus à l’ère des blogs et encore aujourd’hui entretenue par les majors, promettant une fin progressive des barrières régionales. L’incapacité pour le genre ces temps-ci de propulser au sommet et de manière pérenne pléthores de nouvelles égéries aux propositions radicales n’est donc pas surprenant. Il y a pourtant bien une entité qui fait office d’exception : Opium. Le label équipe fondé par Playboi Carti est arrivé par la grande porte avec le très clivant « Whole Lotta Red », qui a permis de poser les bases d’une esthétique visuelle sombre, punk et gothique, incarné musicalement par des productions rage dissonantes et saturées. Malgré des débuts difficiles et une fâcheuse tendance pour les nouvelles signatures de se positionner en clone miniature de leur chef de file, le label réalise une année 2023 réussie et placée sous le signe de l’émancipation. Ken Carson, exemple le plus flagrant de cette soudaine progression, s’est enfin décidé avec l’album A Great Chaos d’arrêter de vouloir enfiler le cosplay de son idole pour se façonner une identité propre, plus personnelle, mais toujours en adéquation avec la direction artistique d’Opium. « Me and My Kup » propose une adaptation modernisée et explosive de la trap de motivation et du son 808 Mafia, qui se retrouvent logiquement eux-mêmes à la production du morceau. Ken Carson ne semble ici pas submergé par cette cacophonie infernale. Bien au contraire, cette fois-ci, le costume lui sied à la perfection. – Hugo

MIKE – « African Sex Freak Fantasy »

En s’inscrivant à la périphérie du paysage rap actuel en dépit de toutes considérations mainstream ou underground, MIKE cultive depuis toujours une œuvre discographique profondément artisanale et familiale qui ne ressemble à aucune autre. Tout est fait maison et par amour de l’art : il produit la plupart du temps l’intégralité de ses projets lui-même sous le pseudonyme de dj blackpower, s’enregistre dans son appartement new-yorkais, ne s’embarrasse pas avec le calendrier institutionnel des sorties musicales du vendredi et choisit ses collaborations sur la base de relations amicales humaines et artistiques sincère. Son dernier album, Burning Desire, est présenté à plusieurs reprises comme un conte horrifico-romantique sombre aux relents comiques, prenant place aux abords des frontières ivoiriennes et libériennes. Pour illustrer son propos, sa pochette est d’ailleurs un bel hommage aux posters ghanéens de films locaux ou internationaux, peints à la main et au style macabre et exubérant. Faisant presque figure d’ovni entre les autres productions brumeuses et salvatrices de l’album, « African Sex Freak Fantasy » est peut-être le seul morceau qui référence directement ces influences d’un point de vue strictement musical. L’ambiance menaçante tout droit sortie d’un slasher est orchestrée par le producteur GAWD qui a fait le choix de la saturation et de percussions puissantes rappelant à peu de choses près les boîtes à rythmes utilisées dans le rap du milieu des années 80. Ressort du morceau une énergie totalement guerrière, profitant à MIKE pour muscler un peu plus son flow et s’asseoir sur la concurrence. – Hugo

Jeezy – « Since Pac Died »

I Might Forgive… But I Don’t Forget de Jeezy est un album ambitieux dans son leitmotiv, son exécution et sa durée – avec malheureusement quelques moments dispensables, comme sur de nombreux double albums. Sur ce onzième disque, son premier en totale indépendance, il est toujours question de grandeur et d’exubérance rappées avec lucidité et ferveur, comme dans le reste de la discographie du Snowman. Mais cette fois, Jeezy raconte les sommets économiques à l’aune d’une dépression qu’il a affrontée ces dernières années et d’un divorce médiatique qui continue à secouer son image public. Les envolées trap sont toujours épiques, celles soul toujours élégantes, mais c’est surtout sur son partage de leçons de vie que Jeezy donne un nouveau visage à sa musique d’OG. Dans « Since Pac Died », ce n’est plus l’ancien trappeur parano qui rappe, mais d’abord le père doutant de son éducation à cause des conneries de son fils, puis le fils en deuil après la mort de sa mère. Un genou à terre et les yeux vers les cieux, il entame un monologue avec celle qui l’a éduqué pour lui confesser ses regrets, notamment les activités illégales de sa jeunesse. Et soudainement cette « musique piège » qu’il a grandement participé à démocratiser révèle une autre nature, que seule la maturité peut mesurer : « When you asked me am I good, I just always lied. Streets sucked my soul dry, that’s why I’m always tired ». Un piège dont il a mordu l’appât et promet de se libérer, alors que la partition emplie de blues signée J.U.S.T.I.C.E. League se dépouille : « I’m tryna keep the honor, same time healed, I’m tryna beat my trauma and be a natural-born leader until I see you, mama ». – Raphaël

« Derrière les codes bien établis, E-40 n’a rien perdu de sa modernité et se révèle plus aventureux que bien des rappeurs dont il pourrait être le père. »

Megan Thee Stallion – « Cobra »

Beaucoup d’artistes américains ont ce désir et cette capacité à faire cohabiter les récits intimes et le divertissement le plus opulent. Peu pourtant pourront se vanter d’être aller aussi loin que Megan Thee Stallion, qui exécute avec « Cobra » un grand écart digne de Bloodsport. Le morceau s’ouvre sur des riffs de guitares hard rock, rejoints rapidement par un air de flûte synthétique tout droit sorti d’un Orient en 16 bits. À la fois virile et kitsch, la production chapeautée par le trio Bankroll Got It va chercher du côté du cinéma d’action des années 80 ou des premiers jeux d’arcade Capcom, et évoque un univers esthétique régressif et ironiquement fun, tout en caricatures et en fantasmes. Megan, elle, n’est pas là pour s’amuser et livre au contraire l’une des performances les plus glaçantes de sa carrière. Sans le moindre filtre poétique, l’artiste évoque crument sa dépression, son anxiété et sa solitude, la distance avec ses parents, ses envies de suicide. Le mix particulier du morceau fait s’entrechoquer la voix de Megan et la production, les démons de la rappeuse devenant une horde de ninjas fantômes qu’elle affronte le sabre à la main. Une longue outro semble laisser la guerrière pour morte, comme un cliffhanger de cinéma laissant espérer une suite éclatante, où l’héroïne déjouera ses peurs pour mieux triompher. – chosen

Aesop Rock – « By The River »

Plus de trois millions d’années d’évolution se sont écoulées depuis le début de l’âge de pierre et la création des premiers outils. Presque autant d’avancées technologiques aussi utiles pour l’Homme que destructrices pour le reste des êtres vivants, vendues au nom du progrès. Sur son dixième album concept intitulé Integrated Tech Solutions, Aesop Rock, figure emblématique du rap underground passée notamment par Def Jux et actuellement sur le label Rhymesayers, imagine et parodie une entreprise de la tech, fournisseuse d’applications de conseils lifestyle façonnés par des intelligences artificielles. Le genre de société qui veut investir dans votre futur, s’exprime dans un langage frauduleux d’école de commerce et se décharge de toute responsabilité en cas de problème. Morceau après morceau, Aesop Rock remonte le fil historique de l’innovation au sens large avec les talents de storyteller qu’on lui connaît. Et pourtant, le disque brille avant tout par ses moments d’intériorités presque enfantins qui se rapportent plutôt à des anecdotes personnelles qu’à des exercices de style plus formels. Par exemples : lorsqu’il explique sa rencontre dans les années 80 avec Mr. T ou lorsqu’il s’étend sur sa passion pour le dessin de pigeon. Apparemment, Aesop Rock aime aussi beaucoup les rivières surplombées par leur pont-levis et habitées d’une faune luxuriante. Au point d’y consacrer deux minutes et trente-huit secondes sur un thème musical jazz mystérieux que l’on croirait sorti d’un film noir des années 1950. Revigorante et paisible en journée, toujours surprenante la nuit et énigmatique en ses fonds, la rivière est peut-être l’un des derniers refuges encore vierge de toute technologie où le rappeur peut laisser libre cours à son imagination loin du chaos urbain et digital. Pas d’artifice inutile, juste de la musique à échelle humaine faite par un mec pas plus spécial qu’un autre. – Hugo

E-40 – « Off Dat Mob »

« Même à soixante piges, je serai toujours de la nouvelle génération » rappait Driver sur « S-Ketulassan ». Pour E-40, né dans les années 1960, cette phase ne relèvera bientôt plus de l’hyperbole. Le style hors normes et la diction élastique d’Earl Stevens semblent le préserver du passage du temps. Le rappeur de Vallejo a connu plusieurs carrières et traversé plusieurs courants, mais a toujours gardé sa spécificité qui tient à son argot unique et surtout à son débit cartoonesque qui défie la raison et la langue anglaise en accentuant les syllabes à sa guise. Après une décennie 2010 débridée où il livrait les albums de vingt titres par paquets, le vétéran était resté à peu près sage ces derniers temps (avec tout de même l’album Mount Westmore sorti avec Snoop, Ice Cube et Too $hort). Voilà qu’il revient avec un album à la structure bien connue : des instrus du producteur historique Rick Rock, de son fils Droop-E, des invités en pleine ascension venus recevoir l’adoubement, des figures incontournables de la baie de San Francisco, quelques titres hyphy survitaminés… La recette pourrait lasser, mais non. Il est l’un des rares dinosaures sur ce créneau déserté. « Fas as mob music, it’s been a drought » conclut-il sur « Off Dat Mob », où il assène une liste colorée de ce qui le caractérise sur un beat d’une lenteur désarçonnante. Derrière les codes bien établis, E-40 n’a rien perdu de sa modernité et se révèle plus aventureux que bien des rappeurs dont il pourrait être le père. – David

Danny Brown – « Quaranta »

Passé une courte intro, « Quaranta », qui ouvre l’album de Danny Brown du même nom, commence dans une ambiance lugubre et poussiéreuse qui n’aurait pas dépareillé en 2016 sur Atrocity Exhibition, son disque le plus torturé et tortueux. Mais en sept ans, il s’est passé beaucoup de choses pour le rappeur de Chicago – encore plus depuis son début de trentaine furieuse narrée en 2011 sur l’explosif XXX. C’est ce dont il est question sur « Quaranta » en ouverture de cet album de quadra désabusé. D’un ton las, retrouvant sa voix de « descente » de dope, Danny Brown rumine et devise sur ses erreurs et ses mauvais choix, le rap comme centre névralgique de tous ses questionnements (« I’m sitting here, questioning what life is about. Can you separate the life from the music ? I was clueless, now a n***a foolish »). L’instrumental de Holly reprend ce ton peiné derrière des accords guitares électriques, entre blues et rock progressif, et un beat qui alterne entre des moments distants et d’autres plus percussifs, comme en réponse à cette combativité en dents de scie de Daniel Sewell. « Quaranta » pose ainsi l’humeur brumeuse de laquelle Danny Brown tente de s’extirper tant bien que mal dans les autres morceaux de cet album cathartique. – Raphaël

Necro & Ill Bill – « Madness »

Ils se sont réconciliés ! Frères de sang, Necro et Ill Bill sont de nouveau frères de son. Personne ne sait si ça va durer longtemps tellement l’un et l’autre ont la tête dure, mais c’est un fait : ensemble, ils sont deux fois plus sales, deux fois plus affreux et deux fois plus méchants. C’est pour ça qu’après avoir célébré leur réunion dans le presque trop sympathique « Blood Brothers », les deux emblématiques goons reviennent aux fondamentaux avec « Madness ». Sans surprise, il y est question de meurtre compulsif, de santé mentale, d’auto-mutilation et de chats dépecés (non, pas les chats s’il vous plaît !). Bref, une belle célébration de l’Amérique chérie à travers le monde, celle des tueurs en série, celle qui produit des détraqués en tous genres et des instrus qui cognent. Car c’est aussi ça Necro : des boucles simples mais imparables, couplées à des beats ravageurs. Ça l’est encore plus avec son frangin, quand s’associent cette voix gutturale d’un côté, et cette mastication carnassière de chaque syllabe de l’autre. Car en plus de manger de la viande au paprika (c’est aussi ça l’Amérique du bon goût), la fratrie s’est toujours fait une spécialité de dévorer l’alphabet autant que ses pairs. La réconciliation entre Necro et Ill Bill, c’est un peu comme si Ted Bundy et Jeffrey Dahmer habitaient le même studio. Deux American’s most wanted qui passent à table. Cannibales. – zo.


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