Quand le rap sample les films d’horreur
Pop culture

Quand le rap sample les films d’horreur

Quand les beatmakers vont fureter du côté des bandes originales de films d’horreur, le rap prend l’allure d’un train fantôme remonté tout droit des catacombes. Alors attachez vos ceintures pour un petit tour d’horizon de ces symphonies macabres et de leurs sources. Et gare aux giclées de samples.

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« Quick to break your motherfuckin’ spine / A dead goat got pregnant and said it was mine / Ganksta N-I-P – I’m down with the Mob / Cuttin’ off heads was my last year’s Summer job / Blame it on TV – then put it on the map / This is a horror movie rap » (Ganksta N-I-P, « Horror Movie Rap »)

En 1992, le Texan Ganksta N-I-P célébrait officiellement le mariage de déraison entre le rap et le cinéma d’horreur. Il rendait ainsi un peu plus nets les contours de ce qui serait appelé quelques années plus tard horrorcore, ce rap fortement influencé par les thématiques des films d’angoisse les plus macabres (satanisme, cannibalisme, torture et autres réjouissances) dont les fers de lance auront pour doux noms Insane Clown Posse, Brotha Lynch Hung, Gravediggaz ou encore Flatlinerz. Personne ne sait vraiment qui fut le premier à faire infuser ses textes dans une coupelle de sang de vierge. Esham à Detroit ? Cyco (Insane Poetry) à L.A. ? The Geto Boys ou N-I-P à Houston ? Au final, peu importe. Tous ces garçons sont des enfants des années 1970, et ont grandi avec les classiques de l’horreur à l’américaine, L’Exorciste, Halloween ou Vendredi 13. Il paraissait inévitable que plusieurs MCs nés à l’époque jouent simultanément de ces influences, créant une réplique Hip-Hop au Death Metal et musclant leur jeu plus que de raison, pour devenir les Michael Myers ou les Jason Voorhees des micros.

Si l’on fait généralement moins cas de leur travail, les beatmakers ont été en avance sur leurs collègues manieurs de mots pour utiliser le cinéma horrifique dans leurs compositions. En effet, dès 1987, DJ Doc rejouait le thème de Halloween pour Jaybok the City Ace. L’année suivante, Dr. Schock empruntait, pour « I’m Getting Physical » de Live N’ Effect Posse, le « Tubular Bells » de Mike Oldfield, générique de L’Exorciste. Les deux producteurs, dont l’Histoire n’a pas forcément retenu les blazes par ailleurs, ouvraient la voie à la pratique qui nous intéresse ici : l’échantillonnage des bandes originales de films d’horreur dans la musique Hip-Hop.

Ces scores sont devenus depuis une vingtaine d’années une source privilégiée pour les beatmakers, regorgeant souvent de mélodies marquantes, idéales à sampler et à mettre en boucle afin de créer une ambiance lourde et oppressante. Forcément, ce sont les enfants de Ganksta N-I-P ou d’Esham qui s’en sont le plus donné à cœur joie : les Necro, Three 6 Mafia ou VII (pour rester dans nos frontières) sont coutumiers de l’exercice. Mais, à un moment de leur carrière, des figures aussi incontournables que Dr. Dre, DJ Premier ou Lil’Jon ont également pioché dans une BO de film d’horreur pour l’une de leurs compositions.

Pour être francs, l’objet de cet article est autant de partager quelques bons morceaux de musique que de parler de longs-métrages jugés intéressants, à défaut d’être toujours réussis. Nous présenterons dix-neuf de ces productions cinématographiques, évoquerons leurs bandes originales, et, bien sûr, les titres les ayant samplées. On aurait pu vous parler de Bones ou de Da Hip-Hop Witch, des apparitions mémorables de Busta Rhymes et de LL Cool J dans la saga Halloween. Le pont entre le rap et le cinéma horrifique que l’on a choisi est un peu moins praticable, bringuebalant au-dessus d’un fossé où s’agitent vampires noirs, nains sadiques et rejetons de Satan. Que les âmes sensibles s’abstiennent. Pour les autres, on va bien se marrer.

Psychose (1960)

Quarante-septième long métrage d’Alfred Hitchcock et non le moindre, Psychose a été inspiré par un roman de Robert Bloch. Rarement un film n’a autant été réduit à ses éléments constitutifs les plus marquants. Psychose, c’est bien sûr cette scène de la douche, si souvent imitée mais rarement égalée en termes d’intensité et d’angoisse. C’est le(s) personnage(s) de Norman Bates, inspiré par le tueur en série Ed Gein, et père « spirituel » de tout un tas de figures du cinéma d’horreur. C’est la musique composée par Bernard Herrmann, oppressante au possible. Pourtant, Psychose raconte également une histoire, celle de destins qui se croisent pour le pire, mais aussi d’une jeune femme qui en a marre de sa vie, décide de se barrer avec la caisse (dans tous les sens du terme) et se fait rattraper par le karma de façon plutôt brutale. Mauvais endroit, mauvais moment. Quatorze ans avant Massacre à la tronçonneuse, le genre de l’épouvante entame sa campagne de dénigration des zones rurales, supposément infestées de pétés du casque en tout genre.

La légende dit qu’Hitchcock voulait une bande sonore minimaliste pour son métrage. Mais la composition de Bernard Herrmann, l’un de ses collaborateurs habituels, l’aurait convaincu d’intégrer de la musique au film, et de doubler le salaire du musicien au passage. Depuis, le travail d’Herrmann pour Psychose est devenu une référence absolue. Pour les violons stridents de la scène de la douche tout d’abord, utilisés à tort et à travers quand il s’agit de susciter l’angoisse. Mais aussi pour le thème introductif, nerveux et stressant, fait uniquement de cordes, et créant l’ambiance anxiogène qui perdurera tout le long du film. Sampler le travail d’Herrmann pour un morceau de rap paraissait une tâche ardue, voire impossible : le côté échevelé de la composition et l’occupation de l’espace sonore par les violons semblaient devoir laisser peu de marge de manœuvre à un MC. Il fallait donc un beatmaker particulièrement habile, et un rappeur l’étant tout autant. C’est ainsi que DJ Scratch a produit « Gimme Some More » pour Busta Rhymes, qui se révélera l’un des titres les plus remarquables de la riche carrière du Dungeon Dragon.

Bernard Herrmann - « Prelude (Psycho Theme) »

Busta Rhymes - « Gimme Some More »


Rosemary’s Baby (1968)

Rosemary (Mia Farrow) et Guy Woodhouse (John Cassavetes), un jeune couple, s’installe dans un immeuble new-yorkais à la réputation sinistre. Quelque temps après un cauchemar où elle rêve qu’elle est violée par Satan himself, Rosemary tombe enceinte. Au fur et à mesure que sa grossesse avance, la jeune femme trouve de plus en plus étrange l’attitude de ses voisins, de son obstétricien et de son mari, et finit par être convaincue que son enfant à naître et elle sont bien les victimes d’un horrible complot. Premier film réalisé par Roman Polanski aux États-Unis, Rosemary’s Baby est l’adaptation du roman du même nom, écrit par Ira Levin. Ici, l’horreur est surtout psychologique : on est témoins de la détresse grandissante de la radieuse et sympathique Rosemary, sans savoir, jusqu’aux dernières minutes, si elle est justifiée ou non. Visionné aujourd’hui, Rosemary’s Baby brille par sa sobriété, à tel point qu’il pourrait paraître difficile de le considérer comme un film d’horreur. Pas de gore, pas de moments effrayants, hormis la rencontre onirique avec le diable. Tout réside dans la suggestion et dans l’introduction à doses homéopathiques de surnaturel dans un univers lisse et chaleureux. La scène finale, triste et dérangeante, est parfaitement symbolique de ce parti-pris.

La bande originale de Rosemary’s Baby est l’œuvre de Krzysztof Komeda, fréquent collaborateur de Polanski jusqu’à sa mort en 1969, à 37 ans à peine. Le morceau d’ouverture du film, « Lullaby », associe une mélodie triste à des « lalala » féminins désespérés, chantés par Mia Farrow elle-même. Le titre a été samplé à trois reprises à notre connaissance. La première fois, c’était par Stoupe pour « The Executionner’s Dream » de Jedi Mind Tricks et J-Treds, respiration atmosphérique située à la fin du bien-nommé Violent By Design. Les Allemands de Snowgoons ont également utilisé le sample pour « Dance of the Damned » de Viro the Virus, rappeur du New Jersey malheureusement décédé en 2012. Enfin, Necro a aussi pioché dans « Lullaby » pour son EP Murder Murder Kill Kill. Assez anodin au demeurant, le morceau se nomme « Sharon’s Fetus (The Pre-Kill) ». Une référence bien crasseuse au sort de l’ancienne épouse de Roman Polanski, Sharon Tate, tuée par des disciples de Charles Manson alors qu’elle était enceinte de huit mois.

Krzysztof Komeda - « Lullaby »

Jedi Mind Tricks - « The Executioners Dream » (ft. J-Treds)


Blacula, le vampire noir (1972)

A la fin du XVIIIe siècle, le prince africain Mamuwalde (William Marshall) et son épouse rencontrent le comte Dracula pour obtenir son aide et faire cesser le trafic d’esclaves (!). Pas de bol, Dracula n’a pas la fibre humaniste. Et il a soif. Transformé en vampire, le prince est enfermé dans un cercueil. Deux siècles plus tard, des décorateurs d’intérieur font l’acquisition dudit cercueil et le ramènent à Los Angeles. Mamuwalde, devenu « Blacula », se réveille, s’échappe et… vous devinez la suite : lui aussi, il a soif. Film d’épouvante, drame, romance, polar, pure œuvre blaxploitationBlacula, réalisé par William Crain en 1972, est un peu tout ça à la fois. Bien qu’il soit dans l’ensemble assez boiteux, le film a un certain charme et sera un joli succès au box-office. Il connaîtra une suite (Scream Blacula Scream, 1973) et sera à l’origine d’une petite vague de films blaxploitation surfant sur le thème de l’horreur : Blackenstein (1973), Abby (revisitant L’Exorciste, 1974), Dr. Black, Mr. Hyde (1976), entre autres. Sauf erreur de notre part, il n’y a malheureusement pas eu de Black Jaws, ni de Blackoween, dont on vous laisse imaginer les scénarios.

Comme c’est assez régulièrement le cas avec la blaxploitation, la bande originale vaut le détour. Le travail du compositeur et arrangeur Gene Page sur Blacula marque par sa richesse, la diversité de ses ambiances et son refus de donner dans le score de film d’horreur classique. Différents passages en ont été échantillonnés, notamment pour « J’en veux au monde » de Pit Baccardi, « C’est nous les reustas » de Zoxea et Busta Flex ou « One Chance » d’Apollo Brown. Mais c’est surtout le titre explosif « Blacula Strikes! » qui a été utilisé, en France (« Sur les boulevards » des X-Men, « Chronique » de Rocca) comme aux États-Unis (« Higher Level » de KRS-One, et surtout pour le tendu et triomphal « Return of the Mac », le retour en force de Prodigy produit par Alchemist en 2007).

Gene Page - « Blacula Strikes! »

Prodigy - « Return of the Mac »


L’Exorciste (1973)

L’appellation est parfois dégainée un peu vite, mais elle est ici parfaitement justifiée : pas de doute, L’Exorciste est bien un « classique du cinéma d’épouvante ». Deux petites années après avoir mis une grosse baffe au polar urbain avec le réaliste et sec French Connection, William Friedkin déboule à nouveau sur les écrans sans prendre de gants avec cette histoire de pré-adolescente possédée par un démon. Énorme succès en salles, le film est aujourd’hui considéré par Mad Movies comme le « premier blockbuster gore de l’Histoire ». Il n’y va en effet pas avec le dos de la cuillère : crucifix violemment enfoncé dans le vagin, giclées de vomi verdâtre, tête tournant à 180 degrés, descente d’escaliers en araignée… Saluons ici l’impressionnant travail de maquillage de Dick Smith (décédé en juillet 2014) sur les personnages interprétés par Linda Blair et Max von Sydow. Bref : savant dosage entre scènes-choc et tension parfaitement entretenue, servi par un casting impeccable, développant des thématiques et personnages intéressants, L’Exorciste est un grand film et a, en plus, bien vieilli.

A l’origine, c’est au compositeur argentin Lalo Schifrin (L’Inspecteur Harry…) qu’avait été confiée la tâche d’écrire la musique de L’Exorciste. Mais ni la Warner, ni le réalisateur ne furent convaincus par les premiers essais proposés, et Friedkin décida alors d’utiliser des morceaux pré-existants pour l’habillage musical de son film. Il choisit notamment d’y inclure « Tubular Bells », l’œuvre d’un jeune musicien anglais de 19 ans, Mike Oldfield. Le morceau est depuis perçu comme « le thème de L’Exorciste », a influencé de nombreux compositeurs de BO (John Carpenter et son thème d’Halloween, par exemple), et a été samplé ou rejoué jusqu’à plus soif par une liste d’artistes longue comme le bras. Disiz pour son « Histoire extraordinaire ». L’Unité 2 Feu (« Les mêmes cartes »). Diam’s (« Où je vais »). Three 6 Mafia (« ThreeSixAFix »). Royce Da 5’9 » (« All I Wanna Do »). Psych Ward (« The Exorcism »). Live N’ Effect Posse (« I’m Getting Physical »). Nas & Prodigy (« Self Conscience »)… Et la liste continue… L’une des utilisations les plus intéressantes et fines reste le beat créé par Just Blaze à partir d’un très court segment de « Tubular Bells » pour Cam’Ron (« Losing Weight pt.2 » avec Juelz Santana).

Mike Oldfield - « Tubular Bells »

Cam’Ron - « Losing Weight pt.2 » (ft. Juelz Santana)


Les Frissons de l’angoisse (1975)

Le cinquième long-métrage de Dario Argento commence par une apparition éclair de Macha Méril, incarnant une parapsychologue de renom. Une conférence houleuse, un coup de téléphone et puis s’en va, réduite en lambeaux après la visite d’un tueur. Marcus Daly, un pianiste, traînait dans le coin et a assisté au meurtre de la blonde (!) Allemande (!!). Suspecté par la police, il décide de mener sa propre enquête, accompagné d’une jeune journaliste pleine de charme, campée par Daria Nicolodi, future Madame Argento et mère d’Asia. Près de quarante ans après sa sortie, Les Frissons de l’angoisse (ou Profondo Rosso en version originale) continue d’appeler les superlatifs. Il est souvent considéré comme l’oeuvre-phare d’Argento, comme un incontournable du cinéma de genre italien et, surtout, comme la référence du giallo, sorte de thriller à la bolognaise. Certes le film est sanglant, esthétiquement complexe et angoissant, mais il demeure beaucoup plus facile d’accès que Suspiria, Inferno ou Ténèbres, réalisations ultérieures de l’Italien. Même s’il pâtit de quelques longueurs, Les Frissons de l’angoisse constitue une façon très intelligente d’occuper cent-trente-six minutes d’une vie.

La musique, comme souvent pour les films d’Argento, est assurée par le groupe de rock progressif Goblin, habitué de l’exercice. En dehors d’un gros travail pour accentuer la pression durant les scènes les plus tendues, les Italiens ont également signé pour l’occasion un thème particulièrement reconnaissable et marquant, dont on s’étonnerait presque qu’il n’ait pas été plus samplé. En tout cas, Evil Pimp, Necro (pour Circle of Tyrants) et Psych Ward ne se sont pas gênés pour emprunter la mélodie au clavier composée par Goblin. Les derniers cités, trio de rappeurs-bouchers canadiens, ont même signé leur morceau le plus mémorable pour l’occasion. Dans nos contrées, Fuzati a également utilisé la bande originale du film pour le remix de « Sous le signe du V », figurant en face B d’un maxi sorti en 2004.

Goblin - « Profondo Rosso »

Psych Ward - « Altered Beast »


Bloodsucking Freaks (1976)

Vous cherchiez un DVD sympa à regarder dimanche après-midi en famille ? Passez votre chemin. Bloodsucking Freaks (a.k.a. The Incredible Torture Show) est une farce, certes, mais une farce franchement sadique, un Ovni dérangé et dérangeant sorti du cerveau de Joel M. Reed, et influencé par l’œuvre du père du cinéma gore, Herschell Gordon Lewis. Le scénario de ce pur film d’exploitation a dû être torpillé en quelques heures. Dans son Theatre of the Macabre, Maître Sardu propose aux spectateurs un show bien particulier : sur scène, de jeunes femmes subissent divers sévices et mutilations. Le public applaudit, persuadé d’avoir affaire à des actrices ; en fait, les victimes ont été kidnappées et sont réellement torturées. L’intrigue du film, tournant autour de l’enlèvement d’un critique d’art et d’une danseuse, sert seulement de prétexte à l’enchaînement de séquences gore et d’humiliations. L’humour ultra-présent permet de désamorcer partiellement le malaise, notamment via les réflexions cyniques de Sardu et, surtout, la présence de son homme de main Ralphus, un nain coiffé en afro et complètement déchaîné. Pour information, l’acteur interprétant Ralphus, Luis De Jesus, était acteur porno (son principal fait d’arme répertorié est The Anal Dwarf)… et eut également un « petit » rôle dans Le Retour du Jedi : celui d’un Ewok.

A quoi reconnaît-on que quelqu’un est « spécial » ? Vaste question. Une chose est sûre : quand il nourrit une véritable obsession pour Bloodsucking Freaks, il y a du souci à se faire. C’est le cas de Necro. Outre les différents hurlements et bouts de dialogues samplés ici et là dans ses morceaux, les photos sur lesquelles il porte un t-shirt du film, les scènes rejouées dans des clips ou reprises dans des visuels (la back cover de Brutality Part 1) et les lyrics faisant directement référence à des phrases ou gimmicks du long-métrage de Reed (« Don’t you daaaare ruin my dinner! » sur « Underground », « Raalphuuuus » au début de « White Slavery »), le rappeur et producteur new-yorkais a construit pas moins de quatre beats à partir de la BO composée par Michael Sahl. « Evil Shit » et « The Human Traffic King (White Slavery pt. 2) » pour son propre compte. « This Is Not An Exercise » et « No Tomorrow » pour Non Phixion. Ce dernier est le plus intéressant : en piochant quelques notes dans une scène de Bloodsucking Freaks, Necro a créé la prod minimaliste de l’un des trois meilleurs morceaux du groupe de Brooklyn.

Michael Sahl - Passage Bloodsucking Freaks

Non Phixion - « No Tomorrow »


Carrie au bal du diable (1976)

La vie n’est pas facile pour Carrie White : la jeune fille est d’une timidité maladive, ses camarades de classe la maltraitent et sa mère est complètement perchée. Pour équilibrer un peu tout ça, l’adolescente a quand même la chance d’avoir des pouvoirs télékinésiques. Ce qui ne sera pas de trop pour se venger en bonne et due forme d’une mauvaise farce dont elle sera le dindon lors du bal de promo (attention, scène mythique). Carrie au bal du diable est l’adaptation du premier roman de Stephen King par Brian de Palma. Il s’agit très clairement d’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma d’horreur, tant sur le plan critique que financier. Tout est en effet réuni pour que le film plaise au grand public : peu d’effets gore, une certaine morale et le personnage de Carrie pour lequel on se prend d’affection, même si l’on se doute que l’histoire ne connaîtra pas de fin heureuse. Il y a également la dénonciation du bullying en arrière fond, et du système de chaîne alimentaire qui régit les rapports sociaux entre élèves dans les lycées américains. Outre la scientologie, Grease et la jalousie, Carrie au bal du diable nous donne aussi une raison supplémentaire de haïr John Travolta. 

La bande originale du film a été réalisée par Pino Donaggio, dont ce fut la première (mais de loin pas la dernière) collaboration avec De Palma. Les morceaux composés par l’Italien reposent essentiellement sur des violons, tantôt inquiétants et stridents (« Bucket of Blood »), tantôt martiaux et galvanisants (« Contest Winner », « And God Made Eve »). Le travail effectué par Donaggio pour l’occasion a largement été utilisé dans le rap. Ainsi, il apparaîtrait presque que  Carrie est le film de chevet de l’un des beatmakers les plus célèbres de l’Histoire, DJ Premier. Preem’ a en effet tapé à plusieurs reprises et à divers endroits dans sa BO, en 2000 (M.O.P. – « On the Frontline »), en 2011 (Wais P – « You See It ») et en 2013 (Demigodz – « Worst Nightmare »). Buck 65 semble également avoir apprécié le boulot de Donaggio : il le samplera sur « The Centaur » pour son premier album solo (Vertex), et sur « To Mock a Killingbird » de The Sebutones, le duo qu’il formait naguère avec Sixtoo. Blanc lui aussi mais avec une voix plus supportable, Aesop Rock utilisera pour « The Shovel » une production de Blockhead samplant « Bucket of Blood ». Enfin, pour « Blood from a Stone », Starvin B posera sur un instru de One Take où l’on reconnaît le passage au piano de « And God Made Eve ». 

Pino Donaggio - « Bucket Of Blood »

Demigodz - « Worst Nightmare »


La Malédiction (1976)

Après les succès de Rosemary’s Baby (1968) et de L’Exorciste (1973), les histoires de satanisme et d’enfants possédés ont la cote à Hollywood. C’est en vue de produire à son tour un divertissement horrifique grand public et de prendre sa part du gâteau que la 20th Century Fox se lance en 1976 avec La Malédiction, réalisé par Richard Donner (qui signera plus tard Superman, les Goonies et la saga L’Arme fatale). Alors que son épouse vient de faire une fausse-couche, un diplomate américain se laisse convaincre par un prêtre d’adopter un nouveau-né orphelin, sans prévenir sa femme qu’il ne s’agit pas de leur enfant. Un cadeau un chouia empoisonné puisque le gamin en question est en réalité le fils de Satan. Le film, qui suit principalement l’enquête menée par le père (Grégory Peck) et un photographe pour connaître l’origine du petit Damien, se rapproche davantage d’un thriller mâtiné de fantastique. Ce faisant, malgré quelques scènes-choc marquantes et une tension latente plutôt bien entretenue, La Malédiction manque de rythme et de relief pour tenir vraiment en haleine. Le film connaîtra pourtant un joli succès, plusieurs suites et une belle postérité. Il inspirera également le personnage Damien de DMX et un épisode de la première saison de South Park – plus qu’une reconnaissance, une consécration.

La bande originale de La Malédiction permit à Jerry Goldsmith de remporter le seul Oscar de sa (très prolifique) carrière. Le compositeur écrivit notamment pour le film de Richard Donner une messe en latin à la gloire de Satan, chantée par des chœurs. C’est ce « Ave Satani », particulièrement entêtant, qui fut samplé dans plusieurs titres de rap (« Hip-hop Is Annoying » de Rass Kass, « Hypnotize Minds/Prophet Posse » de Tear Da Club Up Thugs) et surtout par le beatmaker DR Period pour créer le beat de « Live Evil » des Flatlinerz. Rien d’étonnant dans ce choix : figures de proue du genre horrorcore avec Esham et les Gravediggaz, le trio était très branché par les thématiques diaboliques, au point de nommer son premier album U.S.A. (Under Satan’s Authority). Celui-ci fit malheureusement un bide et le groupe, viré de Def Jam, disparut. Plus récemment, DJ Premier a également samplé un passage de la BO de La Malédiction – le titre « Sad Message », pour composer l’instru de « My Thoughts » de Bumpy Knuckles, ouvrant leur album commun.

Jerry Goldsmith - « Ave Satani »

Flatlinerz - « Live Evil »


Suspiria (1977)

Si Les Frissons de l’angoisse est le film de Dario Argento le plus susceptible de séduire le grand public, on serait tenté de dire que Suspiria est le chef d’œuvre du réalisateur italien. Argento a su y créer une atmosphère proprement cauchemardesque, une réalité déformée, jouant sur les couleurs, les formes, les perspectives, parsemant bruits étranges et râles sur la bande originale. Suspiria est une véritable expérience, tant visuelle que sonore, un « conte macabre »,  un « opéra sanglant », comme cela a souvent été dit. S’il fallait lui trouver un défaut, il pourrait être dit que la forme prend trop le pas sur le fond, et que l’histoire de la jeune américaine venue intégrer une école de danse bien louche du côté de Fribourg deviendrait presque anecdotique. Ainsi, le face-à-face final et inévitable apparaît vite expédié compte tenu des forces en présence et du déroulement du film.

On ne change pas une équipe qui gagne. Pour Suspiria, Argento a à nouveau sollicité Goblin, et les rockeurs progressifs ont encore une fois accouché d’un thème évolutif, halluciné et diablement efficace, à la hauteur de ce qui est montré. Durant le tournage, Argento passait en boucle le morceau, afin de plonger les acteurs dans l’état souhaité, proche de l’hypnose. Ce qui frappe, ce sont les chuchotements rauques et lointains qui maintiennent l’atmosphère anxiogène et étrange propre au film. Mais les beatmakers ont plutôt été sensibles au chapelet de cloches de la mélodie principale. Esoteric s’en servira pour la production de « Swords Drawn », l’un des tous meilleurs morceaux d’Army of the Pharaohs. RJD2 les utilisera pour « Weather People » de Cage. Dont le frère ennemi, Necro, samplera les mêmes cloches pour « Knife in your Spine (Satanic Wordplay) » du très raffiné Mr. Hyde.

Goblin - « Suspiria »

Army of the Pharaohs - « Swords Drawn »


Halloween : La Nuit des masques (1978)

Nous sommes déjà revenus en long, en large et en musique sur l’œuvre du génial John Carpenter. La franchise Halloween a donné lieu à huit films, alors que les deux premiers épisodes de la saga ont été revisités par Rob Zombie. Bien évidemment, la qualité n’a pas toujours été au rendez-vous, et elle s’est même faite rare après Halloween 3 : Le sang du sorcier, qui, intrus dans la série, ne contait pas les méfaits de l’effroyable Michael Myers. Pour pouvoir pleinement apprécier les aventures du tueur masqué, c’est donc vers La Nuit des Masques et Halloween 2 qu’il faut se tourner.

On y trouvera notamment la ritournelle si entêtante composée par Carpenter, apparaissant dans une version légèrement revue et corrigée dans le deuxième volet. Le thème musical d’Halloween a été samplé ou rejoué dans une bonne cinquantaine de morceaux de rap, par des beatmakers aussi renommés que Dr. Dre, Jay Dee ou le combo DJ Paul/Juicy J. De tous ces titres, on garde bien évidemment le glacial « The Tower » d’Ice-T, sur Original Gangster. Mais aussi « Murder Ink », figurant sur l’intemporel 2001 de Dre. Ou, enfin, dans un registre plus obscur, « Welcome to California » de Mr. Criminal, faisant du sample un usage plutôt inattendu. Le Stéphanois Piloophaz samplera quant à lui un autre titre de la bande originale (« Michael Kills Judith ») pour les besoins d’un interlude sur son album Nature Morte.

John Carpenter - « Halloween Theme (Main Title) »

Ice-T - « The Tower »


Phantasm (1979)

Tourné avec peu de moyens par un Don Coscarelli alors âgé de 23 ans, Phantasm a connu un succès inespéré – au point d’engendrer trois suites et d’acquérir le statut d’œuvre culte. Le film suit Mike, 13 ans, dont les parents viennent de mourir. Le jeune adolescent prend conscience que des événements bizarres se produisent dans le cimetière et le funérarium de sa ville : un géant soulève seul un cercueil, des nains à l’allure de Jawas se faufilent derrière les tombes, des sphères volantes aspirent le cerveau des intrus. Mike et son frère enquêtent… Baignant dans une atmosphère d’étrangeté dont on ne sait jamais très bien si elle relève du rêve ou de la réalité, Phantasm est un film bancal mais attachant dont l’ambiguïté, la dimension symbolique, onirique et quasi-initiatique (perte de l’innocence, deuil, découverte et peur de la mort) invitent à une certaine clémence vis-à-vis des multiples défauts de la mise en scène et du scénario : passages risibles, problèmes de rythme, répétitions, incohérences, acteurs (amateurs) « limités », effets spéciaux fauchés… Si le film n’a pas très bien vieilli, on en retient malgré tout la figure toujours aussi imposante du Tall Man, interprété par Angus Scrimm.

La bande originale est clairement l’un des points forts de Phantasm. Signée Fred Myrow et Malcolm Seagrave, elle se place sous la double influence du travail de Goblin et de Mike Oldfield. Les beatmakers ne se sont pas fait prier pour y puiser différents samples, certains n’hésitant d’ailleurs pas à se servir plusieurs fois – Tefa et DJ Maître pour « Poètes de la mort » des 2 Bal 2 Neg’ et pour la courte intro de « Sport de Sang » de Dadoo, Tandem et Busta Flex ; Alchemist pour « There That Go » de Mobb Deep et « Born in L.A. » de Evidence, Chace Infinite et Sick Jacken. Mais c’est surtout le thème principal du film qui a été avidement utilisé ou rejoué, de Doug E. Fresh à Kool Shen, de Bushwick Bill à VII, de Master P à Psych Ward. Et à Mobb Deep, cette fois pour « The Nighttime G.O.D. pt. III » remix nocturne et tranchant de « G.O.D. pt. III » produit par DJ Mighty Mi et Reef et sorti en 1997. Pour l’anecdote, signalons aussi la très bonne et plus surprenante reprise du thème de Phantasm par le groupe de death metal suédois Entombed sur le morceau ouvrant leur premier album considéré comme un classique du genre, Left Hand Path (1990).

Fred Myrow And Malcolm Seagrave - « Intro And Main Title »

Mobb Deep - « The Nighttime G.O.D. pt. III »


Anthropophagous (1980)

Anthropophagous. Le genre de titre qui sent la tripaille, les zooms violents et les hurlements hystériques ? Bonne pioche. Cette série B signée Joe D’Amato (réalisateur italien spécialisé dans l’horreur et l’érotisme) raconte l’histoire d’un petit groupe de touristes partis visiter une île grecque. Arrivés sur place, pas un chat : les habitations sont désertes, tout semble avoir été abandonné. Il reste juste un grand type, un peu étrange et pas très bavard, qui se révélera plus adepte de barbaque humaine saignante que du régime crétois… Si Anthropophagous est entré dans les annales du gore, c’est en raison de deux scènes particulièrement glauques placées dans le dernier tiers du métrage. La première voit le cannibale en question (interprété par George Eastman) dévorer le fœtus qu’il vient d’extraire manuellement d’une femme enceinte. La seconde est une scène d’auto-cannibalisme. Âmes sensibles s’abstenir, donc, même si ces deux passages sont plus choquants sur le papier que vus à l’écran. Le reste du film prépare plutôt bien le terrain pour une dernière demi-heure efficace mais, manquant de rythme, il se révèle souvent longuet et fade.

Sur Electric Lucifer (2013), le second solo de Goretex a.k.a. Gore Elohim, les trois beats produits par un dénommé Sunday, inconnu au bataillon, frappaient particulièrement l’oreille. Après une longue et éprouvante enquête (« sunday+gore elohim » sur Google), on apprend que le garçon est un beatmaker italien membre du groupe DSA Commando. Il se trouve que sur ces trois sons « diaboliques et cradingues », deux samplent la BO d’Anthropophagous, composée par Marcello Giombini. « Poison the City » contient un échantillon de « Maggie Disappeared ». Sur « Lord of Plagues », c’est le titre « Flashback » qui est utilisé, et donne au morceau de Goretex cette ambiance bizarre, à la fois grave et… euh… bizarre. Le rappeur/beatmaker français MC Zombi est lui aussi un amateur de la BO d’Anthropophagous, qu’il a également samplée à deux reprises sur son album Cadaverous (2012) : ce même « Flashback » sur « Un pied dans la ville, l’autre dans la tombe » ; et les orgues de « Mansion of Klaus Weltmann » sur le morceau-titre.

Marcello Giombini - « Flashback »

Gore Elohim - « Lord of Plagues »


Maniac (1980)

« Pourquoi tu ne ferais pas Les Dents de la mer, mais sur terre ? », suggéra un jour au réalisateur William Lustig l’un de ses amis. Il ne faut jamais sous-estimer les idées à la con. Ainsi venait de naître celle de Maniac, plongée cauchemardesque dans les pas et le cerveau malade de Frank Zito, un tueur en série arpentant les boulevards new-yorkais à la recherche de proies avant de s’enfermer dans son appartement exigu rempli de mannequins. Aux manettes de ce petit classique fauché, tourné à l’arrachée dans les rues et le métro de la Rotten Apple, un trio ultra-efficace : William Lustig, donc, à la réalisation ; l’acteur Joe Spinell dans le rôle du tueur et impliqué dans le scénario ; Tom Savini, pour les effets gore qui parsèment le film et une courte (mais mémorable) prestation. A la fois dérangeant et effrayant, Maniac doit tout autant sa réussite à son parti pris (suivre l’histoire côté tueur sans porter de jugement moral sur ses actes) qu’à la prestation magistrale de Joe Spinell et à son ambiance new-yorkaise poisseuse.

Tantôt mélancolique et douce, tantôt plus oppressante et inquiétante, la musique créée par Jay Chattaway participe pleinement au malaise que le film déclenche chez le spectateur. Le compositeur collaborera à plusieurs reprises avec William Lustig – en particulier sur les également recommandables Vigilante et Maniac Cop – et accédera à la reconnaissance pour son travail sur la série Star Trek. Sa bande originale de Maniac a été samplée par quelques passionnés de cinéma de genre dont les noms apparaissent plusieurs fois dans cet article. Necro utilisera, en toute logique, un court passage de « Cemetery Chase » pour son morceau « Frank Zito » rappé avec Ill Bill. MC Zombi, lui, privilégiera l’ambiance planante de la fin du film pour son « Outrotombe ». Enfin, c’est « Cry for Mother », l’une des plus belles plages de la BO, qui aura les faveurs du cercle des poètes Psych Ward pour leur morceau « Organ Donors » avec Planet X, et de Donnie Darko pour son tubesque « Hold On ».

Jay Chattaway - « Cry for Mother »

Psych Ward - « Organ Donors » (ft. Planet X)


Cannibal Ferox (1981)

On aimerait bien vous le vendre comme une « perle oubliée du cinéma gore » mais, même avec la meilleure volonté du monde, c’est impossible : Cannibal Ferox saute régulièrement à pieds joints dans la grande flaque nanardesque et n’en ressort pas immaculé. Umberto Lenzi – réalisateur italien père du film d’anthropophages avec Au Pays de l’exorcisme, sorti huit ans avant le classique du genre, Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato) – semble avoir eu l’idée de trois ou quatre séquences gores puis tant bien que mal bricolé une histoire autour. Donc ici, une jeune étudiante new-yorkaise prépare une thèse visant à démontrer que les tribus cannibales n’existent pas. Accompagnée de son frère et d’une amie peu farouche, elle se rend dans la forêt amazonienne pour le vérifier. Et là… Acteurs mauvais, dialogues en carton, film mal construit, incohérences, provocation gratuite et complaisante (le film sera d’ailleurs interdit dans une trentaine de pays)… Bref, même s’il se regarde sans ennui et présente quelques points intéressants, Cannibal Ferox n’est pas franchement indispensable.

On ne sait pas si Necro, prince du bon goût et ami de la poésie, est un fan de Cannibal Ferox, qu’il aurait regardé en boucle avec son grand frère Bill – ce dernier ne le classe en tout cas pas parmi ses films d’horreur favoris. Toujours est-il qu’en bon digger de disques obscurs, le producteur new-yorkais a su piocher un très bon sample dans la bande originale de l’œuvre d’Umberto Lenzi, et le coupler à une rythmique sèche pour produire le titre « Legend Has It » présent sur What’s Wrong With Bill?, le premier solo d’Ill Bill. Ce dernier n’a alors plus qu’à débouler sur ce terrain de jeu avec sa paranoïa en bandoulière, son egotrip rugueux, ses références politiques ou musicales bien à lui (« I’m so sick with it, I spit it like Cannibal Corpse / We be causin’ a moshpit like Cro-Mags at L’Amours ») et son style écorché et fluide habituel pour finir de trancher les têtes qui dépassent. Peut-être pas le meilleur morceau de cet album truffé de gros titres mais une bastos brute de décoffrage n’ayant pas pris une ride.

Budy Maglione, Roberto Donati et Fiamma Maglione - « Jungle Jive »

Ill Bill - « Legend Has It »


L’Au-delà (1981)

« Mon idée était de faire un film absolu, avec toutes les horreurs de ce monde. C’est un film sans intrigue : une maison, des hommes et des morts qui viennent de l’au-delà. Il n’y a pas de logique à chercher dans ce film qui n’est qu’une suite d’images » (1). Difficile de mieux résumer L’Au-delà, rêve morbide décousu, conte macabre artisanal dont le scénario tenait sur trois pages et évoluait durant le tournage au gré des inspirations de Fulci. L’histoire ? Une jeune femme hérite d’un hôtel à La Nouvelle-Orléans, s’y installe et entreprend de le retaper. Pas de chance, il a été construit sur l’une des sept portes de l’Enfer. Dès son arrivée, tout se dérègle… A partir de ce canevas minimaliste, Fulci tisse une atmosphère cauchemardesque, émaillée de pics gore, au fil de scènes et de plans qui s’impriment dans la rétine : une jeune aveugle et son chien au milieu de la chaussée du lac Pontchartrain déserte, un cadavre crucifié dans une salle de bain, des rues vides, une séquence resident-evilesque dans un hôpital, les yeux laiteux d’une fillette… et une dernière scène inoubliable. L’un des meilleurs longs-métrages du « poète du macabre », avec Frayeurs (1980) et L’Enfer des zombies (1979).

Pour L’Au-delà, Fabio Frizzi, collaborateur régulier de Fulci durant sa carrière, fournit une musique à la fois ample et inquiétante qui inspira plusieurs beatmakers – et pas que : sa composition se retrouve mystérieusement dans la version française du film Le Mort-vivant de Bob Clark. Le titre « Verso l’ignoto » a notamment été utilisé pour trois bons morceaux. On connaît le goût de l’équipe Anfalsh pour le cinoche horrifique coup-de-poing (la pochette de Que d’la haine 3 reprenant l’affiche de Maniac, les titres des projets de Prodige…). Pas étonnant, donc, de retrouver B.James en train d’aiguiser sa lame et de cracher quelques mollards en direction du rap français en compagnie du Bavar sur un sample de L’Au-delà retravaillé par Geraldo (« Tu nous gaves »). Pas de surprise, non plus, quand Necro et Ill Bill vomissent sur ce tapis de notes angoissantes deux couplets bien crades (« As Deadly As Can Be »). Enfin, DJ Low Cut s’en est servi en 2011 pour une démonstration d’efficacité boom-bap : une rythmique sèche, un sample qui donne l’impression d’être légèrement dédoublé, des scratches nerveux sur le refrain et des rappeurs hargneux. What else ?

(1) Lucio Fulci, au cours d’un entretien avec Robert Schlockoff, dans L’Écran Fantastique n°22 (1982), cité dans le hors-série de Mad Movies spécial gore (2014).

 

Fabio Frizzi - « Verso l’ignoto »

DJ Low Cut - « Requiem in Blood » (ft. Randam Luck & Banish)


La Maison près du cimetière (1981)

Le docteur Peterson a tué sa maîtresse et s’est suicidé. Pour en savoir plus sur ce qui a poussé son mentor à agir de la sorte, Norman Boyle décide de s’installer avec sa femme et son fils dans la maison du défunt. Il découvrira vite que quelque chose ne tourne pas rond dans la demeure. Celle-ci a jadis appartenu à un chirurgien n’ayant apparemment jamais entendu parler d’Hippocrate, et encore moins de son serment. Le scénario donne le ton : La Maison près du cimetière est un film bancal et, pour beaucoup, il annonce le déclin de Lucio Fulci, peut-être en proie au burn-out (cinq films en 1980 et 1981). L’Italien a clairement cherché à surfer sur la thématique de la maison hantée, quelques mois après les sorties de Shining et d’Amityville. Certes, le travail sur l’ambiance est comme toujours rondement mené, mais cela ne suffit pas à compenser des lacunes gênantes. Le jeu des acteurs, les incohérences dans l’histoire, la scène de la chauve-souris… La Maison près du cimetière fleure clairement l’opportunisme et le laxisme (ou le manque de moyens).

La musique du film a été composée par Walter Rizzati, lui aussi italien, et lui aussi habitué des bandes originales. On pourrait dire d’elle, en voyant le verre à moitié plein, qu’elle a un certain charme kitsch. Les synthés du thème principal ont en tout cas séduit beaucoup de beatmakers, de DC The Midi Alien (« Ain’t Shit Changed », avec Outerspace) à DJ Bless (« Zombie Holocaust », pour Donnie Darko) en passant par Necro (« Lock’d », pour Missin Linx). Plus proche de nous, Tefa a utilisé le sample pour le morceau-fleuve de Tandem, « Vécu de poissard ». Fins connaisseurs du cinéma d’horreur, les frangins Venom et MC Zombi ont quant à eux pioché à d’autres endroits de la BO pour les productions de « MC Zombi est le mort-vivant » et « Lunettes noires ». Plus boucher que justicier, le Bordelais VII a également utilisé le score du film pour son morceau intitulé en toute simplicité « La Maison près du cimetière ».

Walter Rizzati - « I Remember »

Donnie Darko - « Zombie Holocaust » (ft. Sutter Kain & Swan Tha Truth)


Creepshow (1982)

Le projet Creepshow est né de la passion commune de deux amis pour les bandes dessinées d’épouvante EC Comics (The Vault of Horror, Tales from the Crypt, The Haunt of Fear…), parues au début des années 1950. Avec la plupart des gens, l’évocation de ces souvenirs de lectures aurait seulement donné lieu à des discussions nostalgiques arrosées de quelques verres de trop. Mais quand les deux amis en question ont pour noms Stephen King et George A. Romero, on se doute que les choses n’en resteront pas là. En 1982 sort donc Creepshow – King au scénario, Romero à la réalisation, Savini aux maquillages/effets spéciaux –, film à sketches imprégné de l’esprit et des codes graphiques de ces comics honnis par les associations familiales américaines. Au menu, cinq contes morbides saupoudrés d’humour noir reliés par une mise en scène léchée, au cours desquels défileront notamment un paysan demeuré (Stephen King himself) trouvant une météorite, un mari jaloux (Leslie Nielsen) décidé à tuer de manière sadique sa femme et l’amant de celle-ci, un monstre vorace enfermé dans une caisse ou encore un homme tyrannique attaqué par des légions de cafards. Bref : un bon moment.

Creepshow est la première collaboration entre Romero et le compositeur John Harrison – trois ans plus tard, il signera le superbe score du Jour des morts-vivants. D’abord engagé sur le tournage comme premier assistant réalisateur, Harrison proposa de prendre également en charge la musique du long-métrage. Romero, qui pensait initialement piocher dans la Capitol Music Library mais n’y trouvait pas son bonheur, accepta. Sage décision : Harrison a composé un thème devenu classique, hanté par des ricanements lugubres, d’inquiétants bruits, des grondements de synthétiseur et des chœurs. Son travail a été, à notre connaissance, étonnamment assez peu samplé. En 2000, la Three 6 Mafia s’en est servi pour « Mafia Niggaz », menaçant à souhait. Et en 2005, Necro, alors au top de sa forme après une année 2004 d’anthologie, s’est à son tour penché sur Creepshow pour produire le beat simple et efficace de « Theatre of Creeps », de son super-groupe Circle of Tyrants monté avec Ill Bill, Goretex et Mr. Hyde.

John Harrison - « Prologue »

Three 6 Mafia - « Mafia Niggaz »


Les griffes de la nuit  (1984)

Jadis brûlé vif par une foule en colère après avoir massacré une vingtaine d’enfants, Freddy Krueger décide de revenir se venger en tourmentant une bande d’adolescents, les attaquant dans leurs rêves pour les tuer de manière bien réelle. Les Griffes de la nuit sort en 1984, alors que le sous-genre des slashers a déjà pas mal de plomb dans l’aile, entre pâles copies et suites dispensables des séminaux Halloween et Vendredi 13. Wes Craven, pourtant, va ressusciter le registre, grâce notamment au personnage de Freddy, figure ultime de l’horreur pour les générations post-baby-boom. Pas de masque, pas de machette, pas de mutisme. Freddy tue à visage découvert (à vif même) avec un gant muni de griffes métalliques, et surtout il cause, et pas qu’un peu. Équivalent macabre de John McClane, le croquemitaine aligne les punchlines autant que les victimes. Par ailleurs, le thème des rêves offre des perspectives intéressantes et crée un suspense haletant : on se prend ainsi à espérer très fort que le jeune Johnny Depp et ses potes ne s’endorment pas, afin d’éviter la confrontation avec Krueger, ses griffes et ses vannes. A noter également que, comme pour tous les slashers ayant rencontré un minimum de succès, Les Griffes de la nuit a donné naissance à pléthore de sequels souvent médiocres, et même à une série télé.

Charles Bernstein, qui a également composé pour Quentin Tarantino (Kill Bill, Inglourious Basterds), a signé la BO de Les Griffes de la nuit. Le thème principal a été utilisé par DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince pour « Nightmare on my Street », figurant sur leur second album He’s the DJ, I’m the Rapper, sorti en 1988. Le titre est caractéristique du style un peu potache du duo de Philly : clairement, il aurait fallu autre chose que quelques notes de piano inquiétantes pour contrebalancer le rap bon-enfant des futurs souffre-douleurs d’Oncle Phil et rendre le morceau flippant. La fameuse comptine de Freddy (« One, Two, Freddy’s coming for you ») sera elle utilisée par des gens qui font un peu plus peur, comme DMX (« X Is Coming »), Krayzie Bone (« Kneight Riduz Wuz Here ») ou DJ Khaled (on vous laisse le soin de trouver le morceau). Enfin, la BO du septième volet de la saga Freddy (Freddy sort de la nuit) sera également largement exploitée par des garçons encore moins commodes, puisque Three 6 Mafia et certains de leurs affiliés l’ont samplée pour « Break da Law » et ses différentes versions.

Charles Bernstein - « A Nightmare on Elm Street Theme Song »

DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince - « Nightmare on my Street »


Candyman (1992)

Lorsqu’il adapta au cinéma la nouvelle Lieux interdits de Clive Barker, le réalisateur et scénariste Bernard Rose eut deux excellentes idées. Tout d’abord, transposer l’histoire d’un quartier populaire de Liverpool à une cité-ghetto de Chicago (les infamous tours de Cabrini-Green, aujourd’hui démolies). Ensuite, faire du personnage-titre de son film un croque-mitaine noir et relier l’origine de sa légende urbaine à l’esclavage, ce qui n’était pas non plus le cas dans l’œuvre originelle. Résultat ? Ce qui aurait pu n’être qu’un énième slasher est, malgré quelques grosses ficelles, un film étrangement beau, hanté et hantant. Cette réussite tient aussi bien à des éléments présents dans la nouvelle de Barker – la réflexion autour des mythes urbains et leur fonction – qu’aux lieux de tournage et à un casting parfait – Tony Todd et son charisme royal renforcé par le choix, comme costume, d’un long manteau lui conférant une certaine noblesse ; Virginia Madsen à la fois fragile, évanescente et déterminée. L’addition de ces différents éléments donne naissance à un rêve angoissant un brin mélancolique et brutal, flottant entre deux mondes et deux époques aux frontières poreuses.

La réussite de Candyman tient aussi énormément à sa superbe bande originale signée Philip Glass, mêlant piano, orgue et chœurs. Sans orchestrations complexes ni grandiloquence, le compositeur américain livre des thèmes simples et entêtants qui accentuent l’atmosphère parfois presque mystique du film. Ces différentes compositions ont été samplées à plusieurs reprises. Sans surprise, vu la qualité du matériau originel, une bonne partie de ces morceaux vaut le détour : le « Make Noize » de Das EFX (produit par Chris Charity), « Ruthless For Life » de MC Ren (L.T. Hutton), « Genabis » de Canibus (Stoupe) ou encore, bien sûr, le classique désespéré « Un dernier jour sur Terre » de La Cliqua (Noï). Mais le plus marquant reste « Da Blow » de Lil Jon & The East Side Boyz (accompagnés pour l’occasion par Gangsta Boo), produit par Lil Snype et Lil Jon, qui semble emmener dans une autre dimension les éléments samplés. Grêlés de hi-hats et de drums de boîte à rythme, complétés par des synthés, ils constituent la colonne vertébrale de cet hymne hypnotique pour toxicos festifs, enfoui dans la première moitié d’un album char d’assaut, le réjouissant mais éreintant Crunk Juice.

Philip Glass - « Opening Theme »

Lil Jon & The East Side Boyz - « Da Blow » (ft. Gangsta Boo)

Retrouvez les différents morceaux de rap cités dans cet article dans notre playlist Horror Movie Rap.

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