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ADVM, les harmonies du chaos
Épaulé par les producteurs Ameen Beats et Twinsmatic, le rappeur angevin à la rage communicative trouve sur son dernier EP .ETEINT LE SOLEIL. sa forme et sa voix. Sans céder aucun compromis sur son rap.
ADVM connaît l’euphorie des nouveaux commencements. À vingt ans, .ÉTEINT LE SOLEIL. est son huitième EP, qu’il envoie moins de quatre ans après le premier, Prototype I, paru en 2021. Venant clore un run qui inclut des dizaines de titres lâchés sur Soundcloud, et trois titres en commun avec Feur, .ÉTEINT LE SOLEIL. est le premier disque qu’il enregistre au sein du label Capitol, rattaché à la major Universal.
Sur le papier, cette trajectoire a été écrite de nombreuses fois : celle d’un jeune rappeur ayant commencé à rapper dans sa chambre à dix ans, qui quitte sa ville de province pour Paris, où il finit par attirer l’attention d’une grande maison de disques. La genèse d’.ÉTEINT LE SOLEIL. se révèle pourtant aussi réfléchie qu’instinctive, et, lorsqu’il en parle, ADVM se tient à l’écart de toute posture facile.
Trouver sa forme, trouver sa voix.
« Ma vie c’est le rap et la politique. Quand je ne fais pas de rap, je suis chez moi, je regarde des vidéos de politique. » Interrogé sur sa productivité, ADVM a une réponse pragmatique. Le rap est une discipline entrée tôt dans sa vie : « Au lieu de faire mes devoirs, je faisais du son. » Avec la signature chez Capitol, les conditions de sa pratique ont évolué. Il a pu prendre plus de temps pour avoir du recul sur ce qu’il faisait, à un stade où il estime avoir assez de bagage pour évaluer la qualité de sa musique sans se tromper. « Je sais qu’elle est bonne » dit-il sur les huit titres d’.ETEINT LE SOLEIL., enregistrés à partir de juin 2024. « Il n’y a pas d’urgence à créer. L’urgence est extérieure, c’est peut-être l’urgence pour en vivre, disons que pour l’instant, depuis que j’ai quitté mon boulot en décembre 2023, j’en survis. » Cette sérénité affichée ne l’empêche pas de raconter des pics de productivité. Le « squelette » d’.ÉTEINT LE SOLEIL. est posé au cours d’un séminaire de six jours, « avec l’équipe » à la fin duquel il tient huit morceaux. Tenzin, directeur artistique du projet, qui écoute de loin l’entretien, raconte aussi comment « .INFIRMIÈRE. » a été écrit en trente minutes, à partir de la phase « on allume nos zders avec des quets laser ».
Le rappeur qui se cataloguait lui-même comme un « jeunarrogant » en 2023, insiste pour parler des noms qui se cachent derrière celui d’ADVM. « Il faut créditer les gens qui m’entourent : Tenzin [Tenzinshen, graphiste qui a notamment réalisé la cover de l’EP], Mario [Roudil, réalisateur du clip de « .COMME LA BÊTE. »], Amad [amadxus, producteur, qui coproduit deux morceaux de l’EP avec Ameen Beats], Twinsmatic, et Ameen Beats [qui produisent respectivement deux morceaux et six morceaux sur l’EP]. » Sur ce dernier nom, il ajoute « on peut dire que c’est un projet commun avec Ameen. Il a une vision sur tous les sons du projet »
Ameen est la clé de la métamorphose que connaît ADVM sur .ÉTEINT LE SOLEIL. À ses débuts, le jeune Angevin s’enregistrait lui-même, et a longtemps eu pour premier auditeur son père, lui-même rappeur. Il est confronté à son arrivée à Paris à deux problèmes : l’inhibition de poser dans un studio qui n’est pas le sien et la confrontation avec des ingénieurs du son qui ne partagent pas la même vision que lui. « Le déclic a vraiment eu lieu quand je suis allé à Bondy, au studio Noviceland. [Ameen Beats est un producteur du label Noviceland, connu pour avoir mis en avant le rappeur bondynois TH.] Si je peux être en studio avec d’autres artistes aujourd’hui, c’est aussi grâce à Ameen. »
L’alchimie entre eux vient des petits détails où se loge le diable : ADVM craint l’utilisation de la reverb, Ameen l’utilise de façon à rendre le son d’.ÉTEINT LE SOLEIL. planant et métallique, comme le souhaite le rappeur. Par inhibition devant son nouveau producteur, ADVM ose moins aller dans les voix aiguës, et se redécouvre une voix grave, une voix de rap. Ameen l’incite à utiliser cette voix de façon plus calme. « Tu t’es moins réfugié dans le yaourt de l’autotune », résume Tenzin. « Ce qui m’intéresse dans l’autotune, c’est quand le cri devient un pleur. J’aime la fausse note, même quand le rappeur pourrait choisir de sonner juste » reconnaît ADVM, qui cite le SCH de « Je t’en prie », ou le Booba de « Billets violets » en exemples. L’EP alterne ainsi entre de vrais moments de mélodie, à la mélancolie douce-amère ( « .JACK WHITE. », « .BULLE. ») et des envolées trap à la méchanceté insolente (« .COMME LA BÊTE. », « .INFIRMIÈRE. »). Le chaos d’émotions contradictoires, qui pouvait caractériser les précédents projets, laisse place à une surface sereine, sans que le fond perde de sa rage et de sa tourmente.
« Ce qui m’intéresse dans l’autotune, c’est quand le cri devient un pleur. »
« Ce qui restera, c’est le texte. »
Si ADVM évolue musicalement sur ce nouvel EP, il met un point d’honneur à rappeler que la base de son rap est le texte. Au point d’avoir des déclarations paradoxales : « Je n’ai toujours pas compris le concept de la mesure. J’écris mon texte, et je trouve la rime au micro. Je considère vraiment certains de mes morceaux comme des crachats. » Sur .ÉTEINT LE SOLEIL., il perfectionne son art de jouer avec l’oreille de l’auditeur, qui n’attend pas la rime où elle est, ou est dérouté par une apparente facilité :
« Les mouches ont trois mille yeux, elles finissent dans le mur quand même / Tu parles des heures de ta vision, t’as fini dans le mur quand même / Moi je fais pas crari l’artiste, mais mes deux yeux sont dans le Merco Benz. » (premières mesures de “.COMME LA BÊTE.”)
Cet attachement au texte lui vient de son père, qui a longtemps été pour lui une instance de validation, aussi bien de ce qu’il rappait que de ce qu’il écoutait : “Quand j’écoutais des nouveaux artistes, je me demandais toujours si je pouvais le mettre dans la voiture sans en avoir honte. » De son paternel, il retient aussi la colère du fils d’immigrés portugais, qui insultait les hommes politiques qui passaient au journal télévisé, et écoutait Tragédie d’une trajectoire de Casey (2006). Un album qui occupe logiquement une place de choix dans le panthéon d’ADVM. « Il y a un monde où cet album est cité tout en haut, aux côtés de Temps Mort et de Mauvais Œil […] Ce qui fait de Casey la meilleure (hommes femmes confondus) c’est sa capacité à rapper une colère maîtrisée. Il cite un passage du premier couplet de « Tragédie d’une trajectoire »:
« Tout ce que j’énumère n’a aucun humour / Est noir et amer, froid et sans amour / fade et sans saveur et a dans son sommaire un lexique et une grammaire pour cracher sur leurs mères. Un lexique et une grammaire pour cracher sur leurs mères, c’est ça le rap. »
Canaliser sa rage dans un ensemble de règles, une grammaire : l’image est transposable à .ÉTEINT LE SOLEIL., où le rappeur s’impose une contrainte pour mieux faire surgir sa colère, et veille à ne pas trahir la rage du père.
« Il y a ce truc de chaos qui vient du fait que je suis né sur des bases instables, mais paradoxalement très saines. »
Mère et père.
L’histoire de la colère d’ADVM est une histoire française. Celle de la rencontre d’un fils d’immigrés portugais, élevé en cité HLM, et d’une fille de la France profonde, qui a grandi dans une famille que la peur de l’étranger assiégeait. Au point que la mère d’ADVM va être sommée par ses parents, de faire un choix entre sa famille, et le « bougnoule » (ADVM emploie le vocabulaire de ses grand-parents) qu’elle voulait épouser. Sa mère brisera le déterminisme social et la perpétuation de modes de pensée xénophobes, en choisissant le père d’ADVM, avec qui elle élèvera deux fils, malgré leur séparation. ADVM est donc né à la croisée de ces deux France ostracisées, que les discours politiques ont pour coutume d’opposer.
La clé d’.ÉTEINT LE SOLEIL. tient ainsi à la présence de ces parents, divorcés dans la vraie vie, mais toujours cités conjointement sur l’EP. Dès l’ouverture « .CHÂTEAU DANS LE CIEL. » (sur une prod. stratosphérique de Twinsmatic), ADVM revendique à la fois les « couilles du dar » et « les épaules de la daronne ». Sur « .ACOUPHÈNES. » autre moment de bravoure, produit par Ameen, le rappeur angevin met en parallèle le départ de son père pour le travail à 6h du matin, et le retour de sa mère du travail, à la même heure. Sur « .MONDE AUTOUR. », une mère pleure dans les bras de son enfant, allusion, malgré l’article indéfini, à la vie d’ADVM. « Leurs vie ont été opposées, mon père était routinier, du côté de ma mère ça pouvait être plus difficile, mais ils m’ont tous les deux formé. […] Mon père a toujours mis à distance ses émotions. J’ai connu ma mère avec des problèmes psychologiques, même si elle a des épaules de fou, et qu’elle a toujours su se relever […] Il y a ce truc de chaos qui vient du fait que je suis né sur des bases instables, mais paradoxalement très saines. » Organiser le chaos, sans renoncer à ses émotions brutes : le rap d’ADVM parvient de façon grandiose à la réconciliation de ces contraires sur .ÉTEINT LE SOLEIL.
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