Polyester The Saint, rap en temps de creez
Un nouvel album réussi et un concert parisien : voilà deux excellentes raisons de vous présenter l’actuel meilleur apôtre d’un groove frais et nonchalant, typique de Los Angeles.
Christian Saint James Cleveland aime les chemises vintage et le groupe Polyester Players. D’où ce blase légèrement bizarre derrière lequel se cache pourtant un artiste complet et multi-instrumentiste. Son ADN musical ? La virtuosité G-funk de DJ Quik mélangée à trois influences à peine plus lointaines : l’excentricité funk de Rick James, l’improvisation jazz de Thelonious Monk et la classe nu soul de Raphael Saadiq (flagrante par exemple sur son tout premier single “Ask Believe Receive”). Ajoutez-y l’éclectisme romantique du André 3000 de The Love Below et le flow à la Domino, tantôt bondissant tantôt fredonné. Saupoudrez le tout du flegme charismatique de Devin The Dude et de l’aura farfelue de Mac Dre ou de Shock G. Vous comprendrez dès lors aisément ce qui fait l’intérêt du personnage.
L’auto-proclamé King of Pop (dans son propre jargon, to pop signifie se surpasser, nul crime de lèse-majesté, rassurez-vous) évolue à un niveau de coolitude qu’il qualifie lui-même d’hellagood. Très élevé quoi. Plutôt que de parler de swag, Polyester a adopté le creez. Énième néologisme décliné à toutes les sauces ? Certes mais, au-delà d’un style qui se veut décalé et créatif, ce terme issu de l’argot de Long Beach englobe une philosophie de vie à part entière, enthousiaste et optimiste. Car il ne suffit pas d’arborer la garde-robe 90’s bariolée et la désinvolture de Jazz dans Le Prince de Bel Air pour s’improviser chantre de cette espèce de néo-dandysme street californien. Encore faut-il dégager une naturelle impression de facilité, une bonne humeur contagieuse.
Des ondes positives que notre grand échalas aux faux airs de Puff Daddy croisé avec Shawn Stockman sait parfaitement retranscrire en chansons. Laidback, ensoleillées, joyeuses : elles sont autant d’invitations à sortir se balader. Autrement dit, en VO, à “Stroll Out”, titre profession de foi de l’un de ses précédents clips. Peu importe d’ailleurs le moyen de locomotion : ça fonctionne aussi bien en pantoufles, en Fila grises ou en skate qu’en grosse cylindrée américaine (“The El Co”, hymne à la Chevrolet El Camino SS) ou allemande (“5-Hunnid Benz”, l’équivalent version Mercedes-Benz S500). Ce qui compte au fond, c’est la flânerie. Variante du flacon et de l’ivresse chers à Musset. Le moindre de ses morceaux contient ainsi un parfum propice à l’évocation des plaisirs pas si futiles du quotidien. Qu’il s’agisse d’un verre de vin, d’une virée noctune qui dégénère en sideshow, d’un playground entre potes, de jolies filles qu’on drague ou d’un bon petit plat mijoté par l’une des jolies filles en question, l’Évangile selon Saint-Poly ne préconise rien d’autre que de prendre le temps de les apprécier à leur juste valeur.
Même s’il a un peu habité vers San Francisco (« I was born in L.A., spent time in the Bay / That’s why ya boy P say « Yee! » all day »), qu’il y conserve des accointances (Trackademicks, Clyde Carson, etc.) et ne manque jamais de lui rendre hommage (cf. son surnom P-Legit, clin d’oeil évident au cousin d’E-40, ou le T-shirt à l’effigie de The Jacka qu’il porte dans la vidéo de “Rewards”), quelle meilleure muse que la Cité des Anges pour inspirer à Polyester les promenades mélodieuses et hédonistes dont il a le secret ? Le côté yang de la ville du moins, cela va de soi, par opposition au yin des ghettos et des gangs. Poly, c’est la rage straight outta Compton qui se serait noyée dans le triangle des bermudas en toutes saisons, quelque part entre les vieilles maisons victoriennes du district de West Adams, le mythique Forum d’Inglewood et les plages branchées de Venice et Santa Monica. Sur un sample aérien de Mtume et filmée au ralenti depuis un drône, la carte postale n’en est que plus belle.
Si sa “palm tree music” s’enracine dans son environnement géographique et culturel, l’éclosion de son talent doit beaucoup à son terreau familial : un père organisateur de soirées où il a pu, adolescent, croiser le gratin de l’entertainment, un grand-père inventeur du gospel moderne (le Révérend James Cleveland), un oncle membre de Shalamar et chorégraphe de Michael Jackson (Jeffrey Daniel). Avouez qu’il y a pire. Né le 10 octobre 1982, il joue de la batterie dès sa plus tendre enfance et intègre plusieurs fanfares durant sa scolarité. À 13 ans, il se voit offrir par Stevie Wonder en personne un onéreux clavier Yamaha. Révélation : le jeune Christian sera compositeur. Après des études au Musicians Institute d’Hollywood, il apprend les rouages du métier en bossant comme ingé son au studio de la diva Chaka Khan. 2009 marque un tournant : co-réalisée avec Lazy Lou sous l’étiquette L.A.U.S.D. (« Los Angeles Unified Sound District », référence au Los Angeles Unified School District), la compilation Curly Tops & Nautica Jackets aide à lancer les carrières de leurs collègues U-N-I, Pac Div, Overdoz, Casey Veggies, Bad Lucc, Shawn Chrystopher et surtout Dom Kennedy qui renverra la politesse en intégrant Polyester à son collectif OPM. Le désormais pensionnaire des Truth Studios poursuit l’expérience en façonnant les nouveaux talents du coin qui viennent y enregistrer. Notamment Marz Lovejoy, dont il devient le pygmalion, ou encore Demrick, ex-protégé de B-Real et Xzibit, pour qui il conçoit respectivement les EP’s This Little Light Of Mine et Wings Up.
Peace Love Unity Respect, Somethin Ta Creez To, Real Deal P, POP, For The Player In You et donc le petit dernier Can’t Be Faded Vol. 1, soit une livraison par an depuis 2010 : la discographie du rappeur, majoritairement auto-produite bien sûr, forme un ensemble cohérent qui respire l’été éternel et fera autant ronronner les autoradios que les demoiselles seules dans leur chambre. Surtout, étant donné sa saveur locale (quasi aucune collaboration hors Californie à l’exception du Texan Le$), elle est incontournable pour qui souhaite goûter la quintessence de cette relève moins sale môme qu’Odd Future, moins hood que Nipsey Hussle ou YG, moins cérébrale que Kendrick Lamar, moins anxiogène que Vince Staples, mais tout aussi excitante et symptomatique de la récente redistribution des cartes à Los Angeles.
Une première version de cet article avait été publiée sur le webzine DumDum.
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