Nos 25 morceaux du second semestre 2019
Rap anglophone

Nos 25 morceaux du second semestre 2019

Chaque semestre, L’Abcdr propose son panorama du rap anglophone. Avant de plonger dans l’année 2020, retour en vingt-cinq titres sur ces six derniers mois.

Maxo Kream – « Dairy Ashford Bastard »

Sur Brandon Banks, Maxo Kream ne se contente plus de raconter ses histoires d’argent gagné par l’économie parallèle et blanchi : il envoie aussi son linge sale familiale dans la machine. Placé sur la fin de l’album, « Ashford Dairy Bastard » offre une résolution à tous les noeuds de ressentiments à l’égard de son père développés dans l’album. « Sometimes I feel just like a bastard even though I know my pops », débute-t-il son long couplet, avant de prendre un pas de recul plus loin : « My papa was a trick, but he made sure he paid the rent, could have been divorced my mama, but he stayed up for his kids ». Une lucidité qui parcourt ce titre émouvant, autant sur les travers de son père (son comportement violent avec sa mère) que sur ses qualités et l’éducation qu’il lui a fourni. Plutôt que de tuer le père, Maxo préfère se réconcilier avec lui, une tape sur l’épaule. Le ton monocorde du rappeur, posé sur une boucle soulful et un beat dépouillé, offre un moment de confidences rares chez les rappeurs crapuleux du calibre de Maxo Kream. – Raphaël

A-Wax – « Cujo »

« All my dogs are like Cujo ». Cujo est un Saint Bernard maléfique, infecté par une chauve-souris enragée. Cujo s’attaque à tout le monde, aux alentours de Petaluma, Santa Rosa, et partout ailleurs dans la Bay. Dans le film, tiré d’un livre de Stephen King, Cujo meurt des mains d’une mère vengeresse, enfermée des heures durant avec son fils agonisant dans sa Fiat Pinto. Dans la vie, Cujo a fait des petits, une horde de soldats sanguinaires affublés de noms de code et sous le contrôle d’Aaron « A-Wax » Doppie. Après quelques projets qui ne rendent pas justice à son talent, le natif de Pittsburgh revient avec Demonz N my Bleep , son album le plus réussi depuis Everlasting Money (voire depuis Pullin’ Strings?). Sur « Cujo », dont l’instrumental joue des sirènes évoquant la mob music qui l’a vu naître, il renoue avec les éléments caractéristiques de son style : un rap mélancolique et paranoïaque, une tendance persistante à considérer la terre comme un nid de snitch et les hommes comme de futurs traîtres dès la naissance. Les différentes clefs de lecture qui cryptent ses lyrics font de ses sons des growers par excellence, où, derrière la mélodie chantonnée, presque pop, et les oiseaux qui piaillent, s’entend la menace planante d’un destin tragique. Avant d’être le nom d’un Saint Bernard, Cujo était le surnom donné par les médias à Willie Wolf, activiste américain d’extrême gauche au sein de l’armée de libération symbionnaise, brûlé vif après une interminable fusillade contre la police à Los Angeles en 1974. – Léon

Crimeapple – « Dead Gringos »

Parmi la nouvelle génération de rappeurs de la Côte est, Crimeapple n’est pas le plus vaillant technicien ni l’artiste le plus charismatique. Mais quand il s’agit d’être productif tout en ne sortant pas quinze fois de suite le même projet, le Colombiano-états-unien a peu d’égal. Preuve en est avec Viridi Panem, son dernier EP en date et le troisième sorti cette année. Il retrouve pour l’occasion son beatmaker habituel, Buck Dudley, après quelques infidélités avec des producteurs aux noms plus ronflants, tels que DJ Skizz ou Muggs. Et le Buck en question n’a pas son pareil pour donner corps à l’univers de Crimeapple, avec ses instrumentaux acides et nerveux. En témoigne le point d’orgue du disque, « Dead Gringos », dont le beat n’aurait pas juré sur le score d’un slasher particulièrement craspec. Entre deux refrains barrés mais étrangement accrocheurs, Crimeapple raconte ses envies d’empiler par tous les moyens nécessaires les dead gringos (comprendre des billets de banque), mêlant d’un flow frénétique références ésotériques et emprunts à la pop culture. Un morceau parfaitement mis en valeur par son clip, tout aussi intense et dérangé. – Kiko

Blood Orange – « Gold Teeth » feat. Project Pat, Gangsta Boo et Tinashe

Dev Hynes, l’Anglais aux multiples casquettes, a sorti cette année une nouvelle mixtape sous son alias de Blood Orange. Touche-à-tout de la production qui mêle volontiers Rn’B, pop psychédélique, électro et rap, son Angel’s Pulse est une mosaïque de toutes ses influences. Sur le planant « Gold Teeth », il prend un malin plaisir à réunir deux univers qui n’étaient pas supposés se rencontrer, en alliant la crapulerie de Project Pat à la fragilité de Tinashe. « Rambo contre Gandhi, quand Marc Dutroux rencontre Candy », comme dirait le Duc. Un exercice de style aussi étrange que réussi. – David

Mozzy & Tsu Surf – « Play It Safe »

Comme à son habitude, Mozzy a eu une année chargée. Une mixtape Internal Affairs, un beef avec son ancien comparse Philthy Rich et pas moins de quatre projets collaboratifs. Malheureusement, ceux-ci ont peinés a se montrer à la hauteur des attentes. C’est d’autant plus vrai pour Blood Cuzzins , sa rencontre avec Tsu Surf, tant les deux artistes partagent certaines influences et pratiquent le même rap de rue, dur mais lucide. Comme trop souvent, l’album se résume à un assemblage de couplets sur des ébauches de morceaux qui n’auraient autrement jamais vus le jour. Le californien et le new-jersiais sont cependant trop talentueux pour que leur alliance ne produise pas quelques moments de bravoure, dont « Play It Safe » fait indéniablement partie. Les 3 courtes minutes qui font office d’outro donnent à voir le meilleur des deux MCs, sans fioritures, juste un flot de pensées et d’images frappantes débité avec une technique irréprochable avec un prêche de Nipsey Hussle en guise de trait d’union. Le rap est parfois aussi simple que cela. – Pap’s

Grip – « He is … I am »

Dans la quête de reconnaissance artistique, la réalisation d’une œuvre conceptuelle octroie des points bonus. Pourtant, l’étape est rude, nombreux sont les concepts mal exécutés. Dans “He is… I am” une étrange facilité se dégage. GRIP, jeune rappeur d’Atlanta semble rapper avec une sagesse égale à deux fois son âge. L’histoire est simple. Une arme à feu. Deux perspectives. La première, celle d’un gamin qui personnifie son revolver à six coups. L’objet fait partie intégrante de sa vie. Circule dans sa famille. Sur la commode de son oncle. Et remplit les pages des faits divers de sa ville (“Growing up in my hood, you was the ’cause of so many funeral services / Another thug killed, amidst a drug deal, it only led to more blood spilled”). Tout est raconté avec innocence et ces souvenirs sont bercés par un sample enfantin. De l’autre côté, il y a lui : son arme à feu. Peut habituer à parler, GRIP l’incarne avec un ton vindicatif. Sa voix est pitchée, malaisante et électrique. Et sa mécanique incontrôlable avec pour seul souhait : fumer tout ce qui bouge (“Gotta show these niggas we ain’t fake even if it mean I end up in a lake”). Composé en deux temps, l’écriture du morceau est astucieuse et avec du recul, traite habilement d’un sujet en réalité beaucoup plus complexe… En un mot : la marque des grands. – ShawnPucc

Atmosphere – « Whenever » feat. Gift of Gab, Murs & Haphduzn

Ant et Slug sont-ils en pilotage automatique ? C’est l’interrogation qui se posait tant le duo de Minneapolis semblait se reposer sur une formule de plus en plus linéaire depuis l’excellent Southsiders sorti en 2015. Fishing Blues et Mi Vida Local, leurs derniers albums en date, glissaient vers un spoken word au propos prévisible, un rap qui semblait errer comme une folk music servant à faire le point dans les grands espaces américains. Plus qu’une crise de la quarantaine, les deux membres d’Atmosphere semblaient engoncés dans un certain confort, une mélancolie sage de celui qui sait qu’il a vécu plus de la moitié théorique de sa vie. Au point qu’il semblait uniquement rester aux cofondateurs de Rhymesayers la carte de gérants d’un label phare de l’underground américain, qu’ils symbolisent eux-mêmes avec leurs premiers disques, pierres fondateurs d’un emo-rap vulnérable mais brillant comme l’était GodLovesUgly. Et puis est arrivé Whenever, début décembre 2019. Sans sortir de leur zone de confort, Slug et Ant proposent douze pistes durant ce qu’ils font de mieux : un peu d’arrogance, pas mal d’enseignements de vie autobiographiques, et une production taillée entre samples commandés sur mesure et arrangements électro-synthétiques. Mieux-même, une énergie rap se dégage de Whenever. S’il fallait en trouver le symbole ? Ce serait le titre éponyme de l’album où sont invités la légende Murs, ainsi que Gifted Gab et Haphduzn, qui crachent du feu en renouant avec l’egotrip. – zo.

YoungBoy Never Broke Again – « Carter Son »

Sur la première mixtape AI YoungBoy en 2017 et celles qui l’ont précédées, le jeune YoungBoy Never Broke Again montrait déjà une maturité précieuse dans les récits de son vécu à Bâton Rouge, entre menaces constantes dans la rue et passages par la case prison. De plus en plus populaire, sa musique a perdu dans cette authenticité brute pour gagner en efficacité mais en déclinant une formule peut-être un peu trop confortable et parfois caricaturale sur le AI YoungBoy deuxième du nom. Pourtant, il montre encore par moments ces instants de réflexion sur « Carter Son », titre qui ouvre son dernier album : sa responsabilité comme homme de la famille avec un père en prison, la pression policière constante en dépit de sa nouvelle popularité. Dans un décor où rien ne répond à la loi, la mise en musique signée Money Montage, Aura et KK McFly est idéale : ils habillent intelligemment le motif de guitare du fameux « I Forgot To Be Your Lover » de William Bell avec une autre guitare très desperado et une montée de cuivres de mariachis au refrain. Sur cette partition qui le fait sortir de ses teintes musicales habituelles, YoungBoy NBA sonne plus que jamais comme un paria d’un western des temps modernes, chantant son blues sous Auto-Tune. Tout ce qu’essaie d’être Post Malone, la profondeur en moins. – Raphaël

Gucci Mane – « Highly Recommanded »

Ce n’est pas le meilleur Gucci Mane possible sur « Highly Recommanded ». Mais c’est le meilleur depuis un moment, et c’est déjà un fait remarquable. Le Gucci en peignoir sort, le temps de quelques minutes, de son fauteuil pour étaler sa bonhomie avec insolence. Dans un style laid-back, soutenu par des cuivres ronronnants, il reprend ses comparaisons farfelues, ses débileries habiles (« My smile done brought me millions (Smile), so shoutout to my dentist (Shoutout) ») et ses egotrips géniaux qui, progressivement, conduisent au même point, les vieilles habitudes, le trafic de drogue et le mépris pour les rivaux (« N***** sayin’ that they trappin’, but they R&B singers« ). Même sans sortir de son salon, il lui en faut peu pour être meilleur que beaucoup, et c’est déjà pas mal. – Léon

Griselda – « City on the Map » feat. 50 Cent

Voilà une collaboration qui devait forcément arriver un jour. 50 Cent et Conway partagent en effet beaucoup : la rue, le rap et la combinaison des deux bien sûr ; mais aussi et surtout les séquelles de blessures par balle qui ont modifié leur élocution et donc leur façon de poser, témoignant, si besoin en était, qu’ils connaissent plutôt bien cette vie de malfrat qu’ils dépeignent à longueur de couplets. Dès lors, les voir associés sur un morceau avait tout d’une évidence. Pour faire les choses comme il faut, c’est pour le premier album de Griselda chez Shady Records que la rencontre s’est faite. Et pour davantage rendre unique le moment, Westside Gunn et Benny the Butcher, les compères de Conway, sont restés en retrait, laissant toute la place à ce duo de gueules cassées. L’évènementialisation en reste néanmoins là : « City on the Map » a tout du morceau classique de Griselda, pas question de claironner ou de survendre le tête-à-tête au sommet. Le beat de Daringer, lent, poisseux et mélancolique, est parfaitement fidèle à la couleur globale du long format, et le refrain n’a absolument rien d’accrocheur. Hormis quelques adlibs un peu excentriques, tout tend ici vers la sobriété, la simplicité, le minimalisme froid. Une atmosphère glaciale forcément nourrie par le verbe plein de violence contenue de Fiddy et Conway : « I reflect the darkest cloud in the sky/I’m the coldest winter day/When I’m out with the K« . De la musique de coupe-gorge, comme attendu. – Kiko

Nas – Queensbridge Politics

Le fiasco NASIR annonçait la sentence mais l’agitation permanente orchestrée (ou subie) par Kanye West avait donnée le change. La sortie de The Lost Tapes 2 en juillet a confirmé la triste nouvelle : une sortie de Nas semble aujourd’hui être devenue un non-événement, une réminiscence du passé tout du moins. A l’écoute de « Queensbridge Politics », cela semblerait presque être une démarche assumée. Autrefois journaliste de son quartier, Nas se fait historien et déroule sur une production intimiste de Pete Rock l’Histoire de son borough, qui fût pendant longtemps un des épicentres du hip-hop new-yorkais et mondial. De Marley Marl à Kool G Rap en passant par Roxanne Shante, tous les grands noms de cette époque dorée sont évoqués.Dans la bouche de n’importe quel autre MC, la fausse nostalgie et le conservatisme seraient à craindre. Mais ici la légende du Queens porte simplement un regard tendre et apaisé sur ce passé glorieux mais complexe, avec en conclusion un hommage à Prodigy, qui tourne avec élégance la page d’une rivalité entre deux monstres sacrés. Si « Queensbridge Politics » a le regard dans le rétroviseur, il peut aussi servir de rappel à profiter de l’époque présente pour ceux qui la vivent au jour le jour, d’en apprécier chaque composante, puisqu’elle arrivera elle-aussi immanquablement à son terme. Espérons qu’elle trouvera un aussi beau conteur que Nasir Jones. – Pap’s

Suga Free – « Don’t Be Thinking Wit Cho Dick Boy » feat. Snoop Dogg

Le pimp est peut-être la figure la plus malsaine et la plus fascinante du rap. Et Suga Free en est l’essence, lui pour qui le proxénétisme n’est pas un fantasme sur disque, mais un style de vie qu’il a mené pendant des années. C’est aujourd’hui un vétéran de cinquante balais, mais le vieux briscard n’a rien perdu de son aura magnétique. Sur « Don’t Be Thinking Wit Cho Dick Boy » (titre pas très fin, mais il a déjà fait pire), il dispense ses conseils sur une production soyeuse. La présence de Snoop ne fait pas de mal, mais c’est bien le style unique du maquereau de Pomona qui porte le morceau. Son débit imprévisible, sur le ton de la conversation, laisse penser qu’il peut nous en retourner une à tout moment. Cet homme est un paquet de nerfs, toujours au bord de l’explosion. (Il faut le voir, le regard pénétrant, un peu fou, répondre aux questions de VladTV.) En bon pimp, il sait souffler le chaud et le froid, entre chuchotements apaisants et envolées hystériques. Il a toujours le don. – David

Villain Park – « Cold Game »

Lancé en début d’année pour annoncer la sortie de The Recipe, « Cold Game » de Villain Park prend une dimension encore plus importante au seine de ce premier album. Villain Park rappelle ici à quel point L.A. est devenu une terre de synthèse sur ce morceau brise-nuque. La production de Smoke mêle un beat épais et chaud à la Jay Dee à des basses funky façon Battlecat. Le résultat donne un groove irrésistible à l’instru, sur lequel Jay 305 passe au refrain en hype man totalement enthousiasmé. Bungie et Smoke, eux, déroulent leurs flows plus détendus pour raconter leur quotidien de zonards des grandes artères de Los Angeles. Les deux gamins sont des classicistes dans la forme, mais apportent un panache rafraîchissant à ce style de rap millésimé. – Raphaël

03 Greedo – « Disco Shit »

Pour Netflix & Deal, l’album quasi-concept (rien de très sophistiqué, 13 pistes qui évoquent des références cinématographiques pour la plupart assez évidentes, si l’on excepte Lilo & Stitch) du déjà légendaire 03 Greedo et du producteur en vogue Kenny Beats, le premier a demandé au second de lui fournir un matériau inédit, qui sonne différemment du genre d’instrumentaux sur lesquels on a l’habitude de l’entendre. A savoir : tout ce que les logiciels de composition comptent de bass archi saturées, de synthés chiptunesques ou planants, de distos qui zig-zaguent et de rythmiques ratchets. Pari réussi sur « Disco Shit », basique et implacable comme la cocaïne de l’ère disco. Sur un instrumental qui porte des verres jaunes fumés et de longues mèches blondes, le rappeur de Watts est, comme souvent, en démonstration, et son âme dégouline en même temps que sa voix haut-perchée au timbre épaissi par les filtres. Mais celle-ci, qui a pour habitude de flotter dans des trap houses vides ou des parkings, se prend à frotter le cuir chaud des sièges de la Chevrolet Corvette C1 de Georges Jung. Tout en courbes et en cajoleries, elle prépare la piste pour le coup d’accélérateur de Freddie Gibbs, l’autre virtuose, qui sert le client à tour de bras depuis la banquette arrière, en chantonnant sous autotune. – Léon

Max B – « So Cold » feat. A Boogie With Tha Hoodie

10 ans déjà que Charles Wingate était envoyé derrière les barreaux par un tribunal du New Jersey. Si le début de la décennie s’est fait dans un relatif anonymat pour lui, cela semble changer depuis quelques années. Que ce soit dû au nouveau statut de star internationale endossé par son ancien compère French Montana, aux hommages appuyés de Young Thug, Currensy ou Wiz Khalifa ou bien aux remises de peines ravivant l’espoir d’une sortie prochaine, force est de constater que le surfeur d’argent est de retour dans la lumière. C’est sans nul doute ce retour de vague qui a motivé la sortie d’un EP début décembre, composé de titres fraîchement enregistrés. Parmi eux ? Une version actualisée des balades mélancoliques dont Max B avait fait une de ses marques de fabrique. La production planante  de Paul Couture y accompagne avec élégance un refrain aux airs de complainte et des couplets sautillants tantôt crus, tantôt espiègles. Retrouver le petit prince de la mélodie douce-amère A Boogie, sur ce type de morceau semble alors tout à fait naturel et rappelle à quel point le rappeur d’Harlem fut en avance sur son temps. Bien évidemment, la maestria des mixtapes Million Dollar Baby ou Public Domain est encore loin, mais il ne manque qu’une gorgée de Grand Cru et un bouffée de sour diesel pour la réveiller. « So Cold » est un témoignage de ce qui aurait pu être, et de ce qui pourrait revenir, une lumière lointaine mais puissante dans le blizzard. – Pap’s

Kanye West – Follow Gold

My Beautiful Dark Twisted Fantasy est un point de bascule pour son auteur Kanye West. Dans une grille de l’histoire de l’art approximative, cette première phase peut être mise en parallèle avec l’époque moderne, le début de la Renaissance, une période durant laquelle Kanye West est un acharné, en quête de reconnaissance musical afin d’apposer son nom aux côtés des plus grands. Ses constructions sont comparables à des chapelles, les unes plus belles que les autres. Dans cette ère, une faille : 808s and Heartbreak, un album imprévu et engendré par le décès de sa mère Donda West. Avec du recul, les voyageurs s’arrêtent plus souvent pour contempler cette charpente maladroitement ajustée. L’unanimité musicale n’est plus le centre névralgique de Yeezy. Depuis Yeezus, l’imperfection est le leitmotiv artistique de l’auteur de Jesus Is King. Chaque sortie est approchée sous le prisme d’une nouvelle métamorphose, idéalement, prête à chambouler le statu quo. D’un point de vue esthétique, “Follow God” ne remet rien en question. Une boucle de sample et des drums brillamment programmées. La dimension religieuse est toujours présente avec pour motif central une phrase échantillonnée d’un titre de gospel de 1974, “Father, I stretch, stretch my hands to you.” À la fois diagnostiqué bipolaire et surexposé médiatiquement, cette main tendue de la part du créateur arrive à point nommé. Pourtant, dans cette quête de clarté, la servilité n’est toujours pas le pendant du producteur de Chicago (“Wrestlin’ with God, I don’t really want to wrestle”). Toujours fidèle à lui-même, son libre-arbitre, ses contradictions (“I’m all doing good, I tried to talk to my dad / Give him some advice, he starts spazzin’ on me / I start spazzin’ back, He said « That ain’t Christ-like » / I said, « Ahhh »). En réalité, tendre une oreille naïve sur “Follow God” c’est faire son deuil, admettre que la révolution ne se trouve plus dans chacune de ses œuvres. Simplement apprécier la musique pour ce qu’elle est – et passer à autre chose. – ShawnPucc

Young Scooter – « Trap Bars » feat. VL Deck, Young Thug

Le succès de sa mixtape Street Lottery, en 2013, laissait espérer un futur radieux pour Young Scooter, alors que la trap s’apprêtait à dominer la décennie. Paradoxalement, c’est sa totale maîtrise du genre qui constitue, du même coup, son plafond de verre. Young Scooter est, d’une certaine manière, le roi de la trap génération 10’s. Personne, depuis Jeezy avant lui, n’a chanté aussi bien cette musique faite pour compter les billets et charger les kilos. Parce qu’il incarne la trap dans ce qu’elle a de plus canonique, Young Scooter ne s’est jamais compromis dans les formes hybrides que le rap du sud des États-Unis a adopté dorénavant. Malgré cela, il continue à porter sa croix et ses briques de cocaïne dans chaque recoin de la Zone 6. Trap Hero, comme son nom l’indique, est une mixtape faite pour célébrer la longévité de celui qui trempe son bicarbonate dans les eaux glacées du calcul égoïste. Pour ce faire, il invite ce bon vieux VL Deck et un Young Thug qui renoue aux entournures avec sa forme initiale, période 1017 Thug, le temps d’un couplet redoutable. Une éthique et un sens du profit qui ne peuvent que forcer l’admiration de n’importe quel patron du CAC40, pour ce stakhanoviste qui n’oublie pas non plus que le commerce adoucit les mœurs : « I promote bricks, I don’t promote violence » . – Léon

Mr. Muthafuckin’ eXquire – « FCK Boy »

Très productif dans la première moitié de la décennie, Mr. Muthafuckin’ eXquire s’était fait plus discret ces dernières années. C’était pour mieux revenir : le rappeur de Brooklyn a (enfin) sorti en juillet son premier album. Certains pourraient aborder cet exercice crucial avec de l’humilité et de la prudence, surtout après avoir quelque peu disparu des radars. C’est mal connaître eXquire, qui débarque comme un chien sous acide dans un jeu de quilles sur le morceau d’introduction, « FCK Boy ». Sur des violons sinistres et une rythmique lourde, le New-yorkais refait les présentations avec un texte truculent et plein de provocations : « Cancel Mike, bitch you got to cancel Elvis too/R. Kelly can rot in hell, but his music is too good to mute/Oops/Telling me no more ‘Ignition’ while I’m dancing/But then I’m ‘posed to stand for the fucking national anthem?« . C’est percutant, décalé et drôle, mais pas uniquement : sur le dernier couplet eXquire montre aussi qu’il a quelques bons arguments en termes de technique. L’entrée en matière est réussie et elle ouvre un projet solide : on n’en attendait pas moins d’un gars aussi talentueux qu’attachant. – Kiko

Cousin Stizz – « Perfect » feat. City Girls

Cette instru de Lil Rich, qui fait toute la saveur de « Perfect » et qui a dû inspirer le titre du morceau, pourrait être le thème du niveau de Tekken au décor industriel où il faut affronter la dernière version de Jack, le soldat-robot, sous une pluie acide. Et pourtant, ça donne envie de s’ambiancer. Cousin Stizz navigue sur ce piano froid et métallique avec nonchalance tandis que Yung Miami du duo City Girls pousse ses intonations nasales jusqu’à la caricature, en grande gueule pas classe pour un sou mais charismatique. Derrière les sonorités déroutantes et addictives et l’attitude faussement je-m’en-foutiste de Stizz, « Perfect » est un tube déguisé. – David

Baby Keem – « MOSH PIT »

Déjà signalé l’an dernier dans la section Abcdrdufond de notre bilan 2018, Baby Keem a un peu plus affiné son rap de branleur cette année avec DIE FOR MY BITCHES, entre influences pop-rock indéniables sur certains titres et ambiance émeutière sur d’autres. Sur « MOSHPIT », l’aiguille tremble totalement sur la deuxième option, comme celle d’un indicateur de vitesse qui passe vers la droite du cadran à mesure que le véhicule accélère. « MOSHPIT » prolonge les expérimentations de Baby Keem et son mentor Cardo réalisées l’an dernier sur l’EP The Sound of Bad Habit et entendues sur le « Numb Numb Juice » de ScHoolboy Q plus tôt cette année. Sur les deux parties du morceau, radioactive pour la première, oppressante pour la seconde, Keem et Cardo s’amuse à en triturer leur matière sonore pour la salir et la rendre boueuse. Un terrain de jeu idéal pour la voix encore juvénile de Keem, qui raconte tout et n’importe quoi (son ex, ses démons, ses groupies), mais y met une énergie débordante, comme n’importe quel jeune con qui se jette dans la foule d’un pogo sur la terre marécageuse d’un festival. – Raphaël

Myka 9 – « Blue Phoenix » feat. Dove Mosis, Maidenspace & Sebastian Campaign

Ce n’est pas la première fois que l’Abcdr se pose la question, mais à vrai dire, c’est devenu un petit jeu annuel : avec quel(s) inconnu(s) Myka 9 va t’il zoner ces prochains 365 jours pour sortir un disque ? La légende la moins citée de Los Angeles a en effet multiplié les collaborations cryptiques depuis plusieurs années. Généralement, c’était pourtant de bonnes surprises. Myka défend des concepts forts et s’intègre à des univers qui correspondent à son flow de mage et sa voix adepte de petits bonds et grands saltos dans les temps. Depuis 2015, il a fait dans la science-fiction fractale avec Freematik. Il a fait l’autopsie de l’époque avec Unknown Shadows. Il a voltigé sur les compositions du groupe de jazz funk The Slippers et a même été salué à travers un mix ciselé et fabriqué en France par Slurg. Mais en 2019, la meilleure surprise de Michael Troy a été sa participation à Prophetic Vision. L’EP est produit par l’inconnu et improbable collectif Hip Hop Medecine. Dove Mosis et Maidenspace, couple à la ville, ont invité le plus insaisissable des Freestyle Fellowship à s’emparer de l’esprit amérindien et surtout new age duquel ils mâtinent leur hip-hop. En cinq titres, Myka 9 donne l’impression de s’amuser comme un fou à jouer au chamane, à faire de son flow une vibration animiste. « Blue Phoenix » est le posse cut de cet EP parsemé de vibrations spirituelles. Et il est probablement le morceau le plus purement rap de cet OVNI sorti de l’Arizona, cet État d’Amérique dans lequel Myka zona.  – zo.

Fivio Foreign – « Jumpin »

Dans le laboratoire à ciel ouvert que constitue la drill de Brooklyn, Fivio Foreign semble avoir trouvé cette année les derniers ingrédients pour sa formule magique. De ses disstracks incendiaires, il a gardé l’arrogance comique et les adlibs contagieux. Avec « Big Drip », sorti en avril mais révélé cet été, le rappeur de Flatbush a sûrement trouvé le meilleur équilibre et un tube en devenir avec son instrumental minimaliste et ses couplets calibrés pour la viralité. Pour « Jumpin » en revanche, le mélange est plus hétérogène mais aussi plus détonnant. Sur une mélodie qu’on jurerait sortie de Conan le Barbare, se met en place une longue montée en puissance où couplets et refrain se confondent en une cacophonie ultra addictive. Les lyrics y sont épurés, répétitifs jusqu’à l’absurde et voient se côtoyer Forrest Gump, Ike et Tina Turner et le deuil d’un fils transformé en pulsion meurtrières. En résulte un hybride guerrier et festif, prêt à exploser d’une minute à l’autre.Fivio Foreign est-il un génie incompris, un savant fou ou un gamin hyperactif jouant avec un kit de chimiste ? Son EP Pain And Love, sa collaboration avec Fetty Luciano ou encore ses nombreux featurings peinent à apporter une réponse définitive. Ce qui est certain , c’est que la potion qu’il a concoctée tout au long de 2019 lui est propre. Une qualité qui commence à se faire rare. – Pap’s

Drego & Beno – « Say My Name » feat. Mozzy, Band Gang Masoe

Dans « Say my name » des Destiny Childs, Beyonce n’est pas très contente. Au téléphone, son amoureux ne veut pas dire son nom, ni répéter les mots doux qu’il prononçait pourtant la veille. Pire encore, il refuse de l’appeler baby… Serait-il avec une autre fille ? Dans « Say my name » de Drego et Beno, les deux compères de Detroit sont très contents. Ils peuvent enfin se détendre, relâcher de quelques millimètres leur index, au moins de quoi libérer la gâchette, le temps d’essuyer nos fronts glissants et de tâter d’un doigt fébrile la marque du canon sur nos tempes. Il faut dire que Drego et Beno sont passés maîtres dans l’art de proférer des menaces. Leur complicité évidente, façon passe-passe à l’ancienne, et la complémentarité de leurs voix, donnent à leur musique un caractère d’agression permanente. Mais, cette fois, fini le rap d’enfant soldat où chaque phrase sonne comme une dernière sommation. Place à la musique galante. Drego s’y colle le premier, avec force maladresse (« I forgot your birthday, you know what them drugs do.« ), mais se rattrape heureusement grâce à d’indéniables atouts (« What’s that on your breath, Dre ? California Runtz, boo »). Beno n’est pas en reste et n’hésite pas à complimenter l’élue de son cœur (« It’s pure white and it’s soft as you »). Le sample, archi grillé, s’intègre ingénieusement aux couplets, et revêts des significations différentes, par exemple chez Mozzy (qui refuse de jouer le jeu en foutant un coup de pression au sample lui-même : « Don’t say my name n**** ! »), chez Beno (« My mama keep sayin’ my name, she say where her Pyrex? ») ou encore chez Masoe (« They wanna (Say my name, say my name) (…) Last n**** did that, his soul somewhere floatin’ so high »). La relative finesse d’écriture du duo le plus en forme du Michigan ces temps-ci n’est pas toujours au rendez-vous sur ce « Say my name ». Dautant plus qu’ils revêtent pour l’occasion une couche grossière d’autotune. Malgré tout, il se dégage de l’ensemble quelque chose d’étrangement touchant, comme un adolescent dans un costume trop grand qui rentre du bal la queue entre les jambes. – Léon

DaBaby – « BOP »

D’abord, une évidence. Le succès de DaBaby en cette année assez creuse en coups d’éclat dans le haut des classements est appréciable. Il est enfin parvenu à la maîtrise en début d’année avec Baby On Baby de cette arrogance tout en grimaces et surtout ce sens de la performance, autant sur disque qu’en vidéo. Sur son deuxième album de l’année, KIRK, rien de très neuf, hormis la parenthèse introspective de son intro. Autre single de l’album, « BOP », son hit de cette d’année, vient même rappeler une autre évidence : le rappeur de Caroline du Nord doit aussi sa réussite à l’alchimie qu’il a trouvé avec JetsonMade, son voisin de Caroline du Sud. « I needed some shit with some bop in it », annonce-t-il au refrain. C’est précisément ce que lui a apporté le producteur, avec ses beats secs qui sonnent comme si ceux de Zaytoven avaient séché les messes du dimanche matin, se débarrassant de toute l’instrumentation chaude du producteur d’Atlanta. La formule de JetsonMade tient surtout à ces basses rebondis, courtes et aux effets grossiers mais imposants qui magnifient la personnalité cartoonesque de DaBaby, comme s’il arrivait avec d’énormes sabots sur l’instru. Une impression renforcée sur « BOP » par cette boucle de flûte guillerette programmée par Starboy, nouveau créateur à la mode de boucles prêtes-à-porter. La formule va probablement s’essouffler aussi vite qu’elle a été immédiate, mais elle mérite d’offrir de nouvelles nuances dans cette galaxie des sous-genres de la trap et du swag rap. – Raphaël

22Gz – « Crime Rate »

Sous la lumière blafarde des néons d’un Texaco de Flatbush, quelqu’un s’est adonné à d’étranges expériences, en mélangeant les débris d’un piano-violon des 90’s à des roulements de barillets et des basses distordues. Dans le bouillon effervescent qui agite Brooklyn ces temps-ci, 22Gz est né, et s’est déjà démarqué grâce à sa Blixky Tape, 12 pistes pour un mélange homogène qui emprunte aussi bien à la fougue de la drill qu’au bon vieux rap des caniveaux new-yorkais, sa fumée, ses ombres, ses accents râpeux. Sur « Crime Rate » , la pression ne relâche jamais, elle glisse le long des hi-hats qui s’entrechoquent et des cordes lancinantes sorties de l’arrière-cuisine d’un restaurant asiatique. La voix juvénile du dénommé Tutu Blixky se balade sans accalmie, avec un certain brio, beaucoup d’énergie et le sens de la formule (« Guapped up, hella fettuccini, fuck the nonsense »). La menace se propage d’une traite, refrain-couplet-refrain-couplet-refrain, à peine le temps de brandir une arme, « Pull up with that wand, poof, that n**** missin ». – Léon


Cette sélection est à retrouver dans nos playlists Deezer et Spotify.

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