Nubi en quinze morceaux
Sélection

Nubi en quinze morceaux

De Futuristiq à sa carrière solo, retour sur le parcours discographique de Nubi à travers quinze titres, majeurs ou plus confidentiels.

et Photographies de Nubi par Sandra Gomes pour l’Abcdr du Son

L’entretien avec Nubi publié dans nos colonnes début octobre 2021 a donné envie à certains de nos rédacteurs de retracer la carrière du rappeur retraité (ou presque) à travers sa discographie. Entre titres majeurs de son parcours en groupe et en solo et collaborations plus confidentielles, retour sur quinze morceaux, comme le nombre d’années de son album Scarlatitude, sorti en 2006.


« La Vie » feat. J. Mi Sissoko (1999) Futuristiq et Venin

Après leurs premières apparitions sous le nom de Futuristiq sur la 25e mixtape What’s The Flavor ? et la compilation Hostile Hip-Hop 2 avec « Napalm », Nubi et Qrono passent à la division supérieure en 1999 en participant à la compilation Première Classe Vol. 1. L’histoire dit que les deux groupes – l’un francilien, l’autre marseillais – ne se sont pas rencontrés en studio pour ce titre organisé façon classico et qui traite de la détermination. Si Qrono et Fresh de Venin, en particulier, montrent leur panache sur l’instru soulful de Kilomaître, c’est Nubi qui vient clore le morceau avec maestria. Entre leçons de vie pour ses pairs (« Il faut qu’tu prennes conscience que la confiance n’a pas d’prix, mon expérience m’a appris la méfiance vis-à-vis d’la flatterie ») et moments d’introspection (« J’ai l’moral d’un chien battu et l’agressivité d’un félin, j’suis dépressif, excessif dans mes réactions, instinctif dans ma façon d’mener mes actions »), Nubi passe constamment de la gravité de sa vie sur le bitume de l’Essonne à ses envies d’élévation. Et puis il y a déjà ce sens de la tournure mis au service du sens : « J’utilise la puissance de mes six sens pour accélérer le processus. Sans hésiter, j’ai décidé d’niquer les procédures ». Un mélange de style et de messages au compte-gouttes qui va faire la sève du style Nubi. – Raphaël

« Purs et duristes » (2000) Futuristiq

Si « La Vie » avait un allant volontaire, sur « Purs et duristes », Qrono et Nubi montrent un visage un peu plus accablé sur la vie de « leurs reufs qui errent sans but, sans doute que le sang coule parce que Dieu oublie leurs prières ». Car dans ce morceau, il y a un refus des deux rappeurs du clinquant et des apparats. « Les MCs s’font mignons pour avoir la cote à Paris. Stoppe tes craris ! On s’moque de ce que tu portes, on veut qu’la rime soit riche », assène Nubi dans son couplet. Et de la rime riche, il y en a une mine dans les lyrics de ce morceau. Grande inspiration : « On peut pas les blâmer pour vouloir damer tous les jours, parfois la vie joue des tours de magie, l’avenir paraît fragile. Pas facile de s’assagir quand ça s’agite. Les parasites vendent le shit à la parafine pour voir la vie en rose. Pour l’instant voilà ma vie en prose. Rêve de vie d’palace, royalties, caillasse weed, suite royale. Finies les nuits interminables dans les hôtels minables. Chaque syllabe de ce style-là vaut des milliards. » Des phonèmes qui rebondissent et changent en pleines mesures dans les couplets de Nubi comme ceux de son comparse (« On veut mordre dans l’or du disque, en le dédiant aux fumeurs d’popo, porteurs d’croco, porteurs d’propos à risque »). Placée sur la compilation 24 Heures de nos vies sortie en 2000, « Purs et duristes » présente un groupe en pleine progression et aboutissement de leur style de rap avant l’épreuve fatidique du premier album. – Raphaël

« Je suis celui » (2001) Futuristiq

Single clippé de l’album Demain c’est maintenant, mais à la vidéo malheureusement introuvable en ligne aujourd’hui, « Je suis celui » concentre les intentions du groupe avec leur premier et unique album, sorti en 2001 chez Secteur Ä. Il y a déjà cette prod signée du regretté Kesdo. Le producteur et rappeur des Refrès rend infini un riff de guitare des Wailers en le jouant alternativement dans le sens normal puis en reverse, et le pose sur une rythmique si droite qu’elle sonne comme un beat ralenti de musique électronique. Des intentions plus proches du son développé à l’époque par un DJ Mehdi que des autres canons du rap français. Sur cet instrumental original, Nubi et Qrono servent un egotrip jamais démesuré car constamment nourri de ce souci d’être juste eux-même comme ils l’indiquent au refrain. « Je suis celui qui avance en cadence avec les battements de son coeur, qui prend son mal en patience mais doit attendre son heure », ouvre ainsi Nubi, avant de rappeler son attachement à ses racines caribéennes, ses responsabilités de jeune père, dédicacer ses amis en prison. Titre qui n’a malheureusement pu trouver de rotation en radio ou en télévision à sa sortie, « Je suis celui » est pourtant un single efficace, juste et au diapason de l’esprit de Futuristiq. – Raphaël

« Ich Madinina » (2001) Futuristiq (Nubi)

En 1996, Doc Gynéco chantait son île d’origine la Guadeloupe et l’idéal qu’elle représentait pour lui, « né ici, dans la misère et les cris ». Pour son solo « Ich Madinina » sur Demain c’est maintenant, Nubi s’essaie au même exercice, évoquant ainsi la Martinique : « Ma réalité, c’est ma cité dans la banlieue d’Paris, mais dans un coin d’ma tête, c’est Trinité ou Sainte-Marie. » Chez le rappeur de Futuristiq, les Antilles ne sont pas qu’une destination rêvée, et son rapport à la Martinique semble plus marqué par la douloureuse histoire insulaire que par les fantasmes du métropolitain en voyage. Au long des trois couplets du morceau, Nubi revient sur sa couleur de peau et le racisme, rappelle les stigmates de l’esclavage, les humiliations coloniales et se dit « poète comme Jacques Prévert, mais avec en plus la négritude dans l’écriture… ». Le refrain a beau être léger et enjoué, la voix innocente de sa fille Iona que l’on entend en introduction du morceau puis sur quelques backs induit l’idée de l’héritage culturel et sa difficile transmission pour les enfants arrachés à leur terre maternelle : « Partir vieillir au pays, fuir la France pour enfin être heureux, avec l’aide de Dieu, et plus ma fille vieillit plus j’me dis que c’est ce que j’ai à faire de mieux. » B2

« B-boys du futur » (2001) Futuristiq

Entre le bouleversant « Cyril et Roland » et le bien-nommé « Classé dans les classiq », le seul disque de Futuristiq contient aussi un titre plein de flamboyance, une ode à la sape et au tuning : « B-boys du futur » produit par Kesdo des Refrès. Les rappeurs y parlent de leur penderie et de leur garage, et chacun a son domaine. Le côté Pimp my ride revient à Qrono, qui sort la Golf 2 GTI rabaissée et son pot chromé pour faire cracher les décibels. Nubi quant à lui s’accapare la partie vestimentaire, chaussé tantôt de Air Force tantôt de Clarks, vêtu de Ralph Lauren, de Karl Kani, de Coste-La et ou de Fubu…  « B-Boys du futur », ce sont trois minutes et quelques d’egotrip mais pas seulement ; il y a au fond de ce titre une double invitation, à la liberté et à l’expression personnelle. Passer des heures sur son automobile avant de rouler des kilomètres avec, parcourir Paris de long en large à la recherche de linge importé, ce ne sont pas des choses que l’on fait pour les autres, mais bien pour soi. Les passions sont tout à fait futiles, et c’est ce qui les rend indispensables. En résumé ? « Quel que soit ton kiff, fais le à 100%, y a pas d’limite, y a aucune limite, tu fais les choses comme tu l’sens ! » – B2

« Crie mon nom (Remix) » feat. Nubi, Alibi Montana et Sefyu (2005) Ol’Kainry & Dany Dan

Parmi les nombreuses apparitions de Nubi, « Crie mon nom (Remix) » est peut-être de celles à classer dans les classiq. Le morceau en lui-même, issu du premier album commun d’Ol’Kainry et Dany Dan, a marqué les esprits. En plus de Nubi, sont invités Alibi Montana et Sefyu, déjà présents sur un autre classique collectif, « Code 187 » de Rohff. Pour « Crie mon nom (Remix) », chacun y va de son couplet puis interprète le refrain suivant, et dans un bel esprit de compétition, on se tire la bourre. Force est d’admettre que l’entrée d’Alibi Montana, en ouverture du titre, est fracassante : « Appelle moi kilo d’cocaïne dans le coffre d’un Merco ! » Le ton est donné. Concernant le couplet de Nubi, il s’inscrit dans ce que Nubi sait faire de mieux : du sale, oui, mais tout en technique. Que ce soit pour se la raconter ou pour évoquer des sujets sensibles, il opère avec une constante, des rimes toujours plus surprenantes qui s’intercalent et donnent lieu à un sacré spectacle. De toute évidence, entendre à la suite le Futuristiq MC et le Pope Dan fait rêver à d’autres collaborations. Elles sont malheureusement très rares. – B2

« Légendaire » (2006) Nubi

Au cours de l’année 2006, ce morceau est sorti sur trois disques et sous deux appellations différentes. Avant la parution automnale de Scarlatitude, deux compilations importantes laissaient déjà entendre la technique de Nubi sur la production de Dave Daivery (parfois crédité Dave D’Evry) : Néochrome Hall Stars et Hostile 2006, sorties avant l’été, à quelques semaines d’écart. Mais si c’est bien sous l’intitulé « Légendaire » que le son apparaît au tracklisting d’Hostile 2006, il est nommé « Ma planète » pour la mixtape de Néochrome. C’est certes anecdotique, mais quelques changements (à la marge) interviennent cependant entre la dernière version citée et les deux autres. La prod de Dave Daivery, le chant des corbeaux et le vent froid qui souffle sur le beat donnent un ton glauque à un morceau qui relève du pur egotrip. Egotrip oui, mais pas nécessairement dans la flamboyance. Nubi se pose plutôt en loup dans la nuit, faisant rimer « prédateur » avec « effet d’la peur ». Il parle de « traîner tard là où eux ne viennent pas », mais aussi d’un rappeur mort à l’ombre qu’il ira étendre au soleil et de son sommeil hanté. Choisissant d’inspirer la peur plus que l’admiration, il n’en oublie pas pour autant ses fondamentaux, mic de fer dans main de fer dans gant de fer, il fait cogner des rimes au long cours dans la gueule de ses concurrents : « Aucun égard pour l’adversaire, un vétéran mais j’ai les dents d’un jeune loup, tu dis rien d’intéressant, il était temps que je l’ouvre, hein ? », clame-t-il donc. – B2

« Mack le biz » (2006) Nubi

Single de facto de Scarlatitude car ayant été clippé, mais aussi de la compilation Les Yeux dans la banlieue de DJ Goldfingers, « Mack le biz » concentre les évolutions du Nubi du milieu des années 2000. Il y a d’abord les constantes de l’époque Futuristiq : rapper pour représenter les siens (« je veux qu’les cœurs de mes lascars palpitent ») et ses racines antillaises et sa paternité comme marqueurs d’identité (« Fier comme le fait d’être le père de mes enfants, fier de ma négritude »). Mais dès l’ouverture du morceau, Nubi se présente comme transformé : « La vie a balafré mon âme. Depuis, j’ai du mal à garder mon calme, ça ne fait qu’aggraver mon cas. » En ce sens, « Mack le biz » montre un rappeur en effet plus sentencieux qu’auparavant et plus apte à parler de ses propres vices (« Quand on gère un ‘pin, on lui fait raquer l’hôtel ») ou d’une issue plus incertaine (« Ça m’tue d’me dire qu’on peut mourrir tout de suite, alors à chaque couplet c’est le chant du cygne »). Ce style « Nubi sale » prend surtout toute son ampleur dans sa manière de rapper. Ces couplets qui vont crescendo en intensité, avec cette entame sur le premier passé à la postérité et reprise par Dinos (« Quand je chante, voilà l’air »). Cette science de la multisyllabique moins chirurgicale qu’avant mais plus vicieuse (« Si on met la capuche c’est pour ne pas cramer nos têtes. Sauf pour un biz légal et honnête comme placer nos textes et déclasser vos tapes »). Si l’intitulé du morceau n’a pas été prophétique, « Mack le biz » fait partie de ces titres qui ont installé Nubi comme l’un des rappeurs les plus vifs de l’époque. – Raphaël

« Une Main de fer » (2006) Nubi

Pour son morceau format couplet one-shot sur la compilation Mal Luné de Dj Quick, sortie au printemps 2021, Nubi gratifie l’auditeur aguerri de quelques références à sa propre discographie. Des renvois qui auront probablement échappé à bien du monde puisque le casting général de la compile est bien loin de l’époque de nos grands frères. Alors voici l’occasion d’expliciter un peu. « La victoire se prend d’une main ferme, un gant d’métal, une main de fer », dit-il ? En effet. C’est un voyage vers quinze ans en arrière que l’Essonnien opère pour ce retour soudain à nos oreilles. « Une Main de fer » est une de ces impressionnantes prestations entendues sur Scarlatitude. Il se la jouait iron-man , « main d’fer dans un gant d’métal » pour introduire une démonstration de plus, micro d’acier bien en pogne. Sans thème clairement identifiable, le titre est bi-ton : il y a Nubi le grand frère, le OG, qui professe ses conseils (« Dur d’avoir l’respect, sans s’per-ta” »; « il y a deux choses à ne pas perdre, la tête et le temps, il y a deux choses à ne pas faire, se perdre et se vendre », etc.), et il y a Nubi le désenchanté. Tout homme de métal qu’il se présente, le rappeur paraît bien humain sur ces deux couplets et ce refrain. Il parle de sa vie, « un nid d’roses plein d’épines, sans pétale », prétexte le « manque d’amour » pour expliquer son attitude de « chien chassant les chiennes »… Pour ouvrir le deuxième couplet, il parle de son cœur « noir comme un trou sans fond », pour le finir, il évoque les blessures et le stress, avant de mieux se refermer derrière son armure d’acier, la main de fer bien au chaud dans le gant d’métal. – B2

« Engrenages » (2006) Nubi

« Une prière en rap. » Sur « Engrenages », morceau placé au coeur de Scarlatitude, Nubi montre la face B de son attitude de scarla. Sur un sample de musique mélancolique portée par une voix plaintive, Nubi égraine les désillusions des quartiers paupérisés comme on fait défiler les perles d’un chapelet entre le pouce et l’index. Pourtant, entre paranoïa, anxiété du lendemain et deuils fréquents, le rappeur de Draveil semble surtout être mis à l’épreuve dans sa foi. « Rester pieux ? Souvent difficile. Tous dans l’illicite, on court au bord du gouffre, on se pousse dans le précipice. » Habituellement combatives, sa voix et son interprétation se font plutôt accablées pour accompagner ses rimes moins acrobates mais plus justes. Comme sur « Cyril et Roland » à l’époque de son duo avec Qrono, Nubi montre aussi sur « Engrenages » qu’il brille lorsqu’il rappe le genou à terre, pas uniquement le menton levé. – Raphaël

« Sud sale » feat. Etto, Myssa, Taro OG (2006) Nubi

2006, le rap français se familiarise non sans mal avec un son qu’il ne s’est jusqu’alors jamais approprié, ou alors de façon très marginale. Globalement inspirés par New York plus que par toute autre ville américaine, les MCs de nos contrées ont parfois laissé la Californie imprégner leur son, alors que la Nouvelle-Orléans, Memphis et Houston sont des villes dont la musique n’a influencé que très peu de rappeurs français. Autant dire que la vague « dirty south », comme on l’appelle alors, fait des remous et que tout le monde n’est pas prêt à la surfer. En revanche, au sud de Paris, les rappeurs du 91 et spécifiquement ceux de Grigny sont eux déjà bien au fait de ce qui se passe dans ces coins des USA. Pour un morceau intitulé « Sude sale », c’est non sans logique Myssa qui est en charge de la production ultra synthétique, étant lui-même un pionnier du registre de ce côté-ci de l’Atlantique. Il pose sur le morceau, et aux côtés de Nubi on retrouve le bien nommé Taro OG ainsi qu’Etto. L’ambiance ? « 91, Dirty South comme Bun B. » Ils parlent en « diez » et en « bail », mettent des pichenettes aux simili-Westeux de Paname et dégainent des flows clairement en décalage avec ce qui se fait ailleurs en France à ce moment. Le titre condense toute l’identité propre (ou sale) d’une scène qui restera éternellement confidentielle bien qu’influente à plusieurs égards. – B2

« Rap de rue » feat. Nubi (2007) El Matador

S’il porte le même nom que l’émission légendaire de Générations 88.2 dont il est l’héritier, le label Bombattak monté par Mark n’aura pas autant marqué l’histoire du rap français. Il a certes accompagné le développement d’artistes comme Gringe, Brasco ou El Matador, mais ne s’est pas inscrit dans la durée, préférant peut-être les éphémères succès hertziens aux frustrants classiques de l’underground. Parmi les artistes signés un temps chez Bombattak, Nubi est de ceux qui n’ont jamais rien sorti en leur nom propre via cette structure, puisqu’après avoir rejoint l’équipe en 2008, il la quitte deux ans plus tard. Durant la deuxième partie des années 2000, le rappeur apparaît néanmoins sur plusieurs projets du label, dont les albums Vagabond de Brasco et Parti de rien d’El Matador. C’est au tracklisting de ce dernier que figure le morceau « Rap de la rue » produit par Track Invaders. Ce n’est pas un indispensable dans la discographie de Nubi mais il témoigne d’une époque. Ne serait-ce que par son intitulé, qui en résume bien le contenu mais qui surtout renvoie à cette ère durant laquelle le rap français est clivé entre ce qui passe sur Skyrock (« Génération wesh wesh » sur le même album) et ce qui est destiné au public rap… Retrouver Nubi sur ce morceau spécifiquement révèle quelque chose sur son statut, même après s’être vu en « nouvelle planche à billets de Kenzy » des années avant, même en rejoignant une structure en vogue à ce moment sur le plan commercial, il reste un rappeur du rap. – B2

« Plan B » (2012) Nubi

Sur « Mack le biz », Nubi évoquait déjà un chant du cygne. Mais il s’agissait alors du questionnement existentiel sur la mort qui guette à chaque nouveau réveil. « Plan B », placé en toute fin de Salissures Vol. 1, a en revanche tous les attraits d’une révérence d’un artiste las et prêt à raccrocher les gants. Une autre forme de décès : « Gâcher son talent, c’est mourir un peu », disait Lino. « Putain j’ai plus la trique, j’ressens plus la ‘sique », admet Nubi sans détour, à la fois dubitatif sur l’état du rap d’alors, au début des années 2010, autant que sur sa motivation à poursuivre sa carrière. « Plan B » a déjà des airs de bilan : un clin d’oeil à son ancien binôme (« Les mauvaises langues disent : « T’as trahi ton frelo tu grailles sur Qrono ». Mon gars et moi toujours en contact »), son refus du compromis (« Jamais ne baisse, son froc un lascar qui s’respecte jamais ne baise son pote ou c’est un bâtard »), son legs après des années de rap remarquées (« Ils savent que « sale » est une marque déposée comme la blue magic »). Mais sur cette production lancinante et froide cousue par Kilogrammes (talent du beatmaking trop méconnu), la seule détermination qu’il reste à Nubi est celle d’arrêter un marathon devenu trop épuisant. « Moi j’ai plus la force de patienter, même plus le cœur à chanter. J’me nique la santé à tenter d’avancer et j’donne tout avant d’commencer à flancher. Ouais ça passe ou ça casse, mais faudrait penser à un plan B », conclue-t-il en toute fin de ce titre. Scarlassitude. – Raphaël

« À bout de souffle » feat. Mounir Nubi

C’est un Nubi mélancolique qui se fait jour sur « À bout de souffle », pour l’album Salissures Vol. 1, paru en 2012. Épaulé au refrain par Mounir, un chanteur confidentiel et voisin de son hôte, le rappeur laisse glisser sa plume et sa voix au gré de ses souvenirs, de ses regrets parfois. Tempus fugit, alors Nubi fait déjà un bilan. Le temps est justement au cœur du morceau. Dans le premier couplet, le MC préfère « rimer au présent » que dire « ‘j’peux m’en sortir’ au passé ». Par deux fois dans le morceau, il évoque « le fil du temps », tantôt pour se dire suspendu à lui, tantôt pour mesurer son évolution personnelle. Le temps, encore lui, surgit au refrain, pour que Nubi lui « court après », essoufflé (un essoufflement qu’il laisse entendre dans son interprétation en début de morceau). Et puis il y a cette « attente » explicite, celle de la réussite alors que le sablier s’est déjà bien écoulé : « ça fait longtemps que j’rêve plus », rappe-t-il. Si par petites touches, Nubi veut laisser penser qu’il y a de l’espoir, c’est un morceau bien pessimiste qu’il livre ici. Il s’en dégage une frustration certaine, celle de l’artiste qui trop de fois a manqué sa chance, dont on dit sans cesse qu’il est brillant mais que l’on ne couvre jamais de gloire. C’est en somme le statut de Nubi dans le rap français qui est concentré dans ces quelques minutes. Un cadet devenu vétéran sans qu’on l’ait vu venir. Probablement est-ce fatiguant « d’endurer la vie en attendant [son] avènement » alors même que l’on n’a plus rien à prouver. – B2

« La Victoire » (2021) Nubi

Son nom a été cité entre 2019 et 2021 dans des textes d’Alpha Wann, Nekfeu, Kaaris, Aketo, PLK et Dinos. Pourtant, on n’avait plus entendu la voix grasse et le flow souple de Nubi depuis un couplet avec Alkpote en 2015. L’idée avait fait son chemin d’une retraite méritée pour l’ancienne moitié de Futuristiq, lui qui a brillé à en faire plisser les yeux pendant une bonne quinzaine d’années mais sans vraiment réussir à macker le biz, l’ère de la crise du disque étant passée par là. Ce fut donc une surprise de voir son nom aux crédits de la compilation Mal Luné Music de DJ Quick, et l’écoute de ce « La Victoire » ne l’a rendu que plus agréable. Dans cet egotrip gonflé à bloc sur un instru trap froid et intemporel, la main de fer dans un gant de métal d’il y a quinze ans est de nouveau évoquée. Le titre est un clin d’oeil à son comparse de longue date Nice, qui a rappé avec lui avant de devenir le mentor de Ninho. Nubi devise sur la victoire, ses tenants et ses aboutissants, le chemin périlleux pour y parvenir (« tous les jours on rêve de s’la couler douce, ils rêvent de nous faire couler »), les compromissions à refuser (« à c’qu’on dit, tout le monde a son prix, mais pas bibi, habibi, même pour un million j’peux pas m’bibi »). « La Victoire » montre un rappeur toujours aussi affuté malgré ce long mutisme et dont la petite victoire est d’avoir un talent pour le rap qui résiste au temps. – Raphaël

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