Niro, l’insatiable
Avec la sortie fin 2015 de son deuxième album Si je me souviens, Niro a ouvert un nouveau chapitre de sa discographie après son triptyque de « miraculé » . Portrait de l’autoproclamé « meilleur de sa génération ».
Goodkat est un de ces anti-héros dont raffolent les amoureux du grand écran. Personnage intrigant dans le film Slevin, réalisé par Paul McGuigan et sorti en 2006, Goodkat est un tueur à gages redouté, joué par Bruce Willis, qui incarne impeccablement ce rôle à contre-emploi. En résumé, Goodkat, c’est l’élite des tueurs de New York. Il débarque, il y a des morts et il disparaît. Personne ne sait vraiment à quoi il ressemble ni dans quel camp il est. Remplacez les meurtres par des morceaux de rap et New York par le rap français, et Goodkat ressemblera sûrement à Niro. Avec un béret, des lunettes noires et « la barbe du Père Fouras » en plus. Les deux hommes ont cette capacité à cultiver une part de mystère et prendre leur monde à contre-pied. Sombre et résigné, Niro l’est toujours dans sa musique. Comme un véritable tueur à gages, il mystifie les autres MCs. Ses scènes de crime ? Elles sont nombreuses, même si « Scorpion » avec Mac Tyer et Joke constitue l’un de ses faits d’armes les plus remarquables parmi les dizaines de couplets de Niro en tant qu’invité.
Vu de loin, Niro ressemble à un rappeur frustré qui crie sa rage, haut et fort. Mais il prouve sur disque qu’il est un peu plus que ça. L’intéressé, rencontré lors de sa semaine de promotion à Planète Rap pour son deuxième album Si je me souviens, tient à s’expliquer. « Le rap, ça me tient à cœur, mais je me suis rendu compte que je disais « je t’aime » à une pute. Il y a plein de personnes qui me boycottent et il y a certains trucs qui se sont passés et qui ont fait que mes sons n’ont pas éclaté, comme ils le devaient ». Un discours qui laisse facilement deviner une certaine rancune de Niro envers l’industrie du rap. « On est trop dispersé, on ne vise pas l’essentiel. On n’est pas uni dans le rap, le milieu est dégueulasse », juge-t-il. Avant de renchérir : « Je suis l’un des mieux placés pour parler des déceptions que tu peux avoir quand tu donnes de la pêche aux gens et qu’ils répondent absent quand il s’agit de t’en donner ». Mais loin de s’avouer vaincu, l’interprète de « La Mentale » (l’un de ses moments de bravoure sur La Mort du Rap Game du Ghetto Fabulous Gang) estime y trouver « un moteur pour mieux avancer ».
« Je parle aussi des choses qui m’entourent mais je ne m’approprie pas les histoires des autres. »
Niro, de son vrai nom Noureddine Bahri, est né à Orléans en 1987, mais a grandi au Maroc jusqu’à l’âge de huit ans, avant de s’installer à Blois, en Loir-et-Cher, là où les rappeurs ne sont pas légion. C’est d’abord en écoutant Salif, Booba, Mac Tyer et Le Rat Luciano que Niro s’intéresse au rap. Il sera définitivement conquis après avoir découvert la musique de Mobb Deep, Wu-Tang, Dr. Dre, Busta Rhymes et Eminem. Il y a chez Niro autant l’amertume de Salif, la rage du groupe Tandem, que le côté « rue » de LIM. Des rappeurs reconnus pour l’aspect direct et chair-à-vif de leur rap. « Je préfère les choses vécues. Je parle aussi des choses qui m’entourent mais je ne m’approprie pas les histoires des autres ». Son identité musicale ? Un rap brutal avec des paroles souvent désabusées par son expérience : « Je veux une meuf vierge comme le casier judiciaire à mon petit frère. Mais c’est aussi rare que de trouver un sourire sincère dans un cimetière ». Révélé par les compilations du label Street Lourd en 2010 (notamment Les Yeux dans la banlieue 2), Niro aurait pu avoir un autre blase. « Avant, on me surnommait Noro. Mais comme il y avait déjà des grands qui s’appelaient Noro, on a changé une lettre et ça sonnait mieux ». Après sa signature chez Street Lourd et une apparition sur Autopsie 4 de Booba pour le morceau « Fenwick », en 2011, le Blésois enchaîne les morceaux, au rythme soutenu d’un projet par an. Et en moins de cinq ans, Niro est passé de rappeur méconnu à l’un des noms les plus courtisés du rap français. Et le nombre de vues de ses clips en témoigne : « 70 kg » , l’une de ses premières vidéos, a été visionnée près de 700.000 fois alors que « Viva Street » a largement dépassé les 12 millions de vues. La popularité du rappeur ne cesse de grimper à chaque projet, même si les ventes de son dernier album, avec 15.000 exemplaires écoulés fin janvier, sont en deçà de ses performances commerciales précédentes.
À 28 ans, les balafres que Niro a sur la tête rappellent son passé dans les cités de Blois. Avec son côté nerfs-à-vif palpable dans ses textes et son interprétation, Niro rappe son expérience par instinct, et non pas par stratégie. Ses points forts ? Une voix écorchée, une plume crue, un flow caméléon, à l’image de ses performances sur « Faut les sous », « #BaWéMonAmi » ou « Belek ». Et alors que de plus en plus d’artistes se découvrent une passion pour la trap et la musique des T.I, Migos, 2 Chainz et Gucci Mane, Niro assure en être l’un des pionniers en France. Son premier projet, Paraplégique, montrait en 2012 son attrait pour ce style musical. « Nous, on était dans la trap bien avant. Tu écoutes des morceaux comme « Belek », « Va t’faire enculer » ou « Que du vécu », ce sont des trucs que t’écoutes aujourd’hui mais nous, à l’époque, on ne savait même pas que c’était de la trap ».
Dans sa musique, Niro plonge dans un film mêlant récit personnel et coups de sang. Le rappeur s’inspire, d’ailleurs, beaucoup du petit et grand écran pour nourrir ses interprétations. « Je suis de la génération OZ. J’ai été bousillé par des séries comme Breaking Bad, Sons Of Anarchy ou Narcos ». À ce titre, Niro a créé un concept autour du film Slevin : « Le personnage de Goodkat m’a plu, j’ai décidé de faire tout un truc autour de ça pour le clip. J’ai refait les scènes du film, en fauteuil roulant… et ça peu de gens l’ont remarqué ». Niro veut son rap fougueux mais aussi créatif. À chacun de ses morceaux, le rappeur essaie d’apporter quelque chose de nouveau, sans forcément perdre son esthétique. Le Blésois, qui est devenu francilien vers 2008, se distingue par la polyvalence de son rap. Frustré et impulsif sur « Fuyez » et « Poussez-vous », il prend plus de recul et fait preuve de maturité sur « Je pense » et « Fiers de nous ». Depuis ses débuts, Niro a su élargir sa palette musicale.
« Même si je ne vends que 30 CDs, je vais continuer à me battre. »
Malgré sa popularité grimpante en 2012, Niro n’a pas voulu brûler les étapes. C’est ainsi qu’après Paraplégique, il y a eu une autre mixtape, Rééducation. Avec des morceaux réussis tels que « Faut les sous », « On s’comprend », « N.I.R.O. » ou « Poussez-vous« , le projet, très dense, a été qualifié d’album par ses adeptes. Entre ses deux premiers projets, Niro a également signé en maison de disques. Miraculé, son premier album, clôt sa trilogie en 2014. Et si celle-ci a été, en somme, bien accueillie par le milieu, Niro a remporté le succès d’estime dans la rue mais n’a pas rencontré le succès commercial qu’il espérait. « Dans le freestyle « Balavoine », quand je dis que ma trilogie méritait de faire disque de platine, c’est surtout par rapport au concept. C’était quelque chose qui n’avait jamais été fait, et je ne suis pas prétentieux de dire ça », justifie le rappeur. Et si les titres des projets de Niro sont dignes d’un kinésithérapeute, c’est surtout pour faire référence à une suite logique. « Cette trilogie était tout un univers. Je l’ai exploité au maximum, à tel point que certaines personnes se disaient que je tournais en rond. Alors que pas du tout. » Niro a, d’après lui, débarqué dans le rap en étant handicapé par le fait d’être issu de province. En réussissant sa « rééducation », il était censé devenir un vrai « miraculé ». Où est l’erreur ? « Avec Miraculé, j’ai sorti un album introspectif où je parle beaucoup de moi, à une époque où les formats n’étaient pas les mêmes ». Avant d’ajouter : « Même si je ne vends que trente CDs, je vais continuer à me battre ».
En novembre 2015, Niro est revenu avec Si je me souviens, son deuxième album officiel. Plus accessible et moins racailleux, Niro y utilise, pour la première fois, l’Auto-Tune, notamment sur un titre comme « Le Ciel est ma limite ». « Avant, je pensais qu’il y avait du vrai et du faux par rapport aux artistes qui utilisaient l’Auto-Tune. Mais maintenant, ce n’est plus le cas. On est dans une nouvelle ère, je perçois l’Auto-Tune d’une manière artistique. Pour moi, ce n’est pas une fatalité en soi, je peux faire un million de morceaux sans ». Sur d’autres titres comme « #BaWéMonAmi », il essaie de casser les codes. « J’ai essayé de ramener un flow de malade mental, un flow que personne n’a jamais fait. A chaque morceau, j’essaie d’apporter quelque chose parce que sinon, je suis mort dans un an. Je suis un courant musical et c’est tout », avoue Niro. Et s’il mitraille tout ce qui bouge avec sa rage habituelle sur « Négatif », le rappeur estampillé Street Lourd est aussi capable de sortir des sons conscients comme « Naïf », ou encore de nous plonger dans une atmosphère planante sur « Oméga ». Seul un morceau comme « Attends 2min », avec Monsieur Nov, sonne en deçà du reste de Si je me souviens. Car l’intérêt de ce nouvel album est un vrai fil conducteur. Seul au microphone, Niro démontre qu’il n’a pas la mémoire qui flanche, en se rappelant son passé, ses origines et ses bons ou mauvais souvenirs (« Mineur, je dormais sur des fusils de guerre, des sacs de munition »). Après s’être assuré qu’il n’est pas amnésique sur les premiers morceaux, il livre ses leçons de vie à la fin de l’album. « Tu iras nulle part avec des faux frères, tu les perdras parce que tu es trop fier » ; « Ce n’est pas parce qu’on n’est personne qu’on doit respecter ceux qui se prennent pour n’importe qui ».
La suite ? « Je vais faire maintenant deux projets par an ». À ce rythme-là, Niro ne veut probablement pas faire de vieux os dans le rap français. Ce qu’il confirme à demi-mot. « Pour moi, le rap est un tremplin pour faire autre chose. J’écris un film sur les enfants du divorce. Il ne verra peut-être pas le jour tout de suite, mais ce film sortira, c’est sûr ». Si ce projet lui tient à cœur, c’est peut-être parce qu’il a découvert les joies de la paternité, quelques mois après la sortie de Miraculé. Un événement qui lui a, vraisemblablement, permis de s’apaiser, pour sortir un album plus abouti. Et alors qu’il vient d’avoir un deuxième fils mi-janvier, Niro est comblé. Ou en voie de le devenir. Et ce n’est visiblement pas grâce au rap et sa machine.
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