Page 26 : tournant de carrières – Partie 3
Reconstitution

Page 26 : tournant de carrières – Partie 3

Journaliste spécialisée musique, Nathalie Sorlin a vu sa trajectoire de vie subitement dévier en 2010. Cinq années après son décès, reconstituer sa vie passée dans la presse rap est riche d’enseignements.

et Illustration de Une : Pixels & Aromates

Pour lire les deux premières partie de cet article, c’est ici.

Le maelstrom Chapitre 5

Une fois le communiqué écrit par Charles Morel envoyé, les portes se verrouillent à double-tour chez Sony et au sein du groupe. « Cette affaire avait pris une telle ampleur, carrément une ampleur politique. Les politiciens s’en sont mêlés, des chroniqueurs comme Morandini aussi » se souvient Barack Adama. Depuis le 24 septembre, celui qui est autant un bateleur qu’un présentateur événementialise la polémique. Sur son plateau, il invite toutes les personnes qu’il peut trouver à réagir. C’est la technique Morandini : le propos alimente le propos. Pour qu’il y ait une réaction, il faut une réaction. Alors de Ian Brossat, élu communiste, à Anthony Bosser, représentant de l’association Ensemble pour l’Égalité pour tous qui se plaindra d’ailleurs du traitement qui lui a été réservé lors de l’émission, en passant par Yann Cherruault, chaque soir, le polémiste remet le couvert. « Il en avait fait une affaire personnelle » jure Barack Adama. Affaire personnelle ou pas, ce qui est indéniable, c’est que même en 2013, le compte Twitter du média de l’animateur relaie toujours des mobilisations visant à annuler les concerts du groupe.

Mais pour la Sexion d’Assaut et son label, les dégâts ne se limitent désormais plus à un problème d’image. Les annulations de concert s’empilent à un rythme effréné, au point que plusieurs sont parfois annoncées le même jour. Le groupe, présélectionné aux Victoires de la Musique et nominé pour les MTV European Awards, voit les organisateurs de toute sorte flancher. Véronique Mortaigne, qui suivait la Sexion de près pour la rédaction du Monde, concède que la formation fait face à un phénomène « impressionnant » : « Ils passaient du Zénith à des petites salles qui elles-mêmes songeaient à les déprogrammer, c’est fou. »

Alors chez Sony, il n’est plus seulement question de réputation, mais aussi de business. « Tout le monde autour d’eux se rend compte que le groupe se fait jeter, que les médias lui tournent le dos, donc que les ventes vont chuter. Toute cette histoire n’est pas bonne pour le business ! » constate la journaliste du quotidien de l’après-midi. Au sein de la maison de disques, un black-out s’impose, même en interne. « Ça ne concerne plus que quelques personnes à responsabilités, c’était des discussions à portes fermées. Pour le président de Sony, c’est l’affaire numéro 1 » se souvient Cyanure. Dans les locaux du label, les lèvres sont serrées et tous les regards se tournent désormais vers Louis-Georges Tin. « C’est lui qui va construire toute la médiation autour du groupe, car il est le seul légitime à le faire et surtout il connaît les spécificités des associations et de ce milieu » se souvient le directeur de Jive-Epic.

De son côté, la formation décide de se recentrer sur la musique. Dawala et Laurent Rossi ont tiré les premiers enseignements de la polémique, et ils sont artistiques. Pour l’un comme pour l’autre, il est impossible de lancer l’album L’Apogée dans ce contexte. « L’air de rien, cette histoire a modifié leur trajectoire artistique » confie le patron de Jive-Epic. « Vu par quoi vous passez, ça va prendre un temps fou pour que des NRJ et des TF1 vous refassent confiance » expose-t-il lucide à l’équipe du Wati-B. Ils décident donc de décaler la sortie de L’Apogée pour retourner aux fondamentaux. Ce sera la mixtape En Attendant L’Apogée : Les Chroniques du 75, un disque qui veut recentrer la Sexion d’Assaut sur un public rap.

Pour relancer leur dynamique artistique, la Sexion et le Wati-B n’y vont pas par quatre chemins. Il est possible qu’ils aient même court-circuité Sony et son label Jive-Epic sur ce coup. Car le premier titre que le groupe sort pour annoncer ce qui s’appelait alors un street-CD sera rapidement supprimé du web. Il s’agit d’un clip, dans la plus pure tradition du rap de rue des années 2000. Il est filmé de nuit, caméra au poing, sur ce qui semble être un parking. Mais l’essentiel n’est pas là, dans ce morceau qui s’appelle « Le Relais ». En introduction, une voix off condamne le groupe, comme en écho à la polémique qui l’entoure. Elle est tristement caricaturale, tellement véhémente qu’il est difficile de savoir s’il s’agit d’une imitation jouée pour l’occasion ou d’un réel extrait. Et le titre, aux allures de freestyle de rue plutôt bien exécuté, a un goût de vengeance amère. Il sort à la fin de la première quinzaine du mois d’octobre. Pour celui ou celle qui suit le groupe autant que la polémique, le constat est sans appel : d’un point de vue musical, le retour aux fondamentaux est indiscutable. Par contre, ceux de la communication de crise n’ont manifestement pas été bien intégrés.

Car il n’y a pas que les fans de la Sexion d’Assaut derrière leur ordinateur pour cette première chanson depuis l’interview accordée à International Hip-Hop. Les associations LGBT sont également au rendez-vous. Et lorsque SOS Homophobie et la Fédération LGBT entendent Lefa rapper en ouverture de « Le Relais » : « Tu vas être déçu si tu voulais qu’on se barre, t’as été très con de croire que tu pourrais nous barrer la route… T’inquiètes les crocs j’les ai toujours… Ceux qui disent qu’on a changé sont peut-être tous sourds », leur sang ne fait qu’un tour. Les garanties apportées par le communiqué de presse publié quinze jours plus tôt par le CRAN, Le Comité Idaho, Sony et la Sexion d’assaut, vacillent. Les appels aux boycott redoublent. En plus d’être accusée d’homophobie, la Sexion d’Assaut est désormais accusée de mauvaise foi. Ses excuses seraient définitivement intéressées et sournoises. « Sexion d’Assaut qui a récemment multiplié les regrets dans les médias, apporte par ce clip un cinglant démenti à ses propres excuses », s’insurgent la Fédération LGBT et le Collectif Contre l’Homophobie. Parmi les associations qui cosignent cette indignation, appelant notamment à manifester lors d’une prochaine date prévue par le groupe à Cenon en périphérie de Bordeaux, il y en a une qui jouera un rôle clef dans cette affaire et dont le nom reviendra plus tard : Le Refuge.

De son côté, dans sa correspondance avec son rédacteur en chef, Nathalie Sorlin a montré qu’elle suit l’actualité du groupe avec une attention frénétique. Par courriel, elle a déjà fait part à Yann Cherruault d’une ambiance délétère autour d’elle – jusqu’à son domicile – expliquant se sentir menacée. En consultant cette correspondance qui a duré plusieurs semaines, il est clair que Nathalie ne rate rien de l’ampleur que prend son interview avec la Sexion d’Assaut.  Elle, qui n’a fait que retranscrire une interview qu’elle ne voulait pas publier à l’origine, est désormais obnubilée par son impact sur sa carrière. Car pendant que la Sexion d’Assaut présente des excuses, plaide l’ignorance ou la prise de conscience, Nathalie voit en effet son travail remis régulièrement au centre des débats par le groupe et les canaux de communication mis en place par son label. Parfois c’est allusif, d’autres fois c’est frontal, comme l’était la série de tweets de Barack Adama le jour où l’interview réalisée par Nathalie  a commencé à se répandre comme une traînée de poudre. La journaliste n’est pas blindée, et vu l’ampleur que prend la polémique, il est difficile de penser que quiconque l’aurait suffisamment été. Véronique Mortaigne acquiesce. « C’est impossible de maîtriser ce genre de choses. Moi-même qui ai travaillé pour un journal solide comme Le Monde dans lequel j’étais bien défendue, lorsque j’ai eu des problèmes avec des artistes et qu’ils ont été étalés sur la place publique, je n’étais pas bien. Alors j’imagine très bien que la journaliste qui a relayé les propos de Lefa a dû être submergée de tous les côtés. »

« J’imagine très bien que la journaliste qui a relayé les propos de Lefa a dû être submergée de tous les côtés. »

Véronique Mortaigne

Pourtant, Nathalie n’a encore rien vu. La Sexion d’Assaut, elle, cherche à sortir la tête de l’eau. Louis-Georges Tin redouble d’effort et de pédagogie, avec la bénédiction de Sony. Alors que le 21 octobre 2010 l’avocat du Wati-B met en demeure Youtube de retirer tous les anciens titres de la Sexion d’Assaut contenant des propos homophobes, que Jive-Epic fait disparaître autant que possible le clip du « Relais » des plateformes, le militant se présente dans les locaux des Inrockuptibles accompagné de Lefa. Devant eux ? Olivier Cachin. À l’époque, le journalisme rap est sinistré. Rares sont les rédacteurs de magazines spécialisés ayant survécu à la chute de la presse écrite. Auréolé de son rôle de pionnier en la matière, le présentateur de Rapline résiste. Il a trouvé refuge aux Inrockuptibles et reçoit le rappeur de Sexion d’Assaut accompagné de Louis-Georges Tin pour un entretien croisé. En préambule, la publication et son journaliste font état des « propos irresponsables et condamnables » publiés dans International Hip-Hop, avant de se féliciter « d’ouvrir le débat ». Pour eux, il s’agit ici d’un potentiel « électrochoc sur la scène rap nationale, qui n’a jamais sérieusement discuté de cette homophobie qui a trop facilement droit de cité dans les cités. »

Pendant que dans les pages des Inrocks, Lefa manie contrition et mises au point, Louis-Georges Tin alterne propos pédagogiques, sensibilisation et postures offensives. Il éclaboussera particulièrement les pages de l’hebdomadaire musique avec cette phrase : « Lorsque des propos homophobes sont tenus par des Noirs, on leur reproche, à juste titre. Quand ils sont tenus par d’autres personnes, ça passe beaucoup mieux. Je ne veux pas que la lutte contre l’homophobie serve des intentions racistes. » Invité à prolonger son propos au micro de l’Abcdr du Son, Louis-Georges Tin laisse tomber un constat lapidaire : « il y avait chez certaines associations ce sous-entendu que le Noir, le musulman ou le jeune de banlieue a intrinsèquement une nature homophobe. » Laurent Rossi qui découvre le « tissu associatif » de lutte pour les droits LGBT, exprime sa stupéfaction : « Il y avait une cause commune, et pourtant, les associations se tiraient dans les pattes. » Pour Barack Adama, inutile d’aller chercher midi à quatorze heures : « On sait qu’on a servi d’exemple, car la Sexion d’Assaut était énorme à l’époque. Mais on n’a pas seulement servi d’exemple, ce qu’on a dit a permis à la communauté de LGBT de mettre en lumière son mal-être face à de tels propos. Et ça, c’est Louis-Georges Tin qui nous en a fait prendre conscience. »

L’entretien, s’il a le mérite de donner la parole à un militant qui traite selon lui de questions d’intersectionnalité, s’il permet d’affirmer des choses encore jamais dites jusque-là par un rappeur  – et pas seulement français – ayant pignon sur rue, ressemble pourtant à une opération de communication télécommandée. C’est en tous cas l’avis de Yann Cherruault, qui aujourd’hui encore n’en décolère pas. « Olivier Cachin a fait la biographie du groupe » jure le rédacteur en chef d’International Hip-Hop, pointant un conflit d’intérêt. « Il est devenu le VRP de la Sexion d’Assaut dans les médias pour dire qu’ils ne sont pas homophobes. Ça m’avait vraiment scandalisé » s’étrangle-t-il. Pour celui qui a suivi et décortiqué cette affaire en long, en large et en travers, il y a effectivement des points à relever dans cette interview quelque soit l’avis porté sur le journaliste qui la réalise. D’abord, Louis-Georges Tin est présenté d’entrée comme un contradicteur. Idéologiquement, l’affirmation est juste : le militant se bat depuis des années pour les droits des minorités, et en premier lieu celle des noirs et des homosexuels. Il affirme d’ailleurs lui-même avoir rencontré des résistances de la part du groupe. « Ils savent que leur carrière est en jeu et que cela peut aller jusqu’au pénal. La médiation est donc dans leur intérêt, nous sommes en position de force, incontestablement, et ça je pense que Sony leur explique très clairement. Ça ne crée pas des conditions d’amitié, mais ça crée des conditions de dialogue » analyse-t-il à notre micro. Mais le militant est également dans les couloirs de Sony depuis une dizaine de jours maintenant, prenant en main l’affaire comme le reconnaît Laurent Rossi : « Louis-Georges, a fait  ce qu’on ne savait pas faire. » S’il n’y a aucune raison de remettre en cause la démarche de Louis-Georges Tin, probablement l’une des personnes les plus à-mêmes de traiter ce sujet, présenter comme contradicteur d’un rappeur une personne dont le label a accueilli avec soulagement la contribution a quelque chose de la plus pure manipulation médiatique. Quant à Barack Adama, lui-même se rappelle de Louis-Georges Tin comme une personne bienveillante. C’est évidemment une qualité humaine indéniable, et sûrement utile à la prise de conscience du groupe. Mais être bienveillant, ce n’est pas le rôle d’un contradicteur dans un débat.

Louis-Georges Tin et Lefa en interview croisée dans les colonnes des Inrocks.

Plus intéressant encore, les relances d’Olivier Cachin dès la première question de l’entretien passée. Celui-ci soulève quasi immédiatement l’expression « on l’assume », rajoutée aux propos de Lefa par la rédaction d’International Hip-Hop lors de l’édition de l’interview afin de condenser les propos tenus par le rappeur devant le micro de Nathalie Sorlin. Une porte ouverte dans laquelle Lefa s’engouffre. « Non, ça a été écrit mais pas dit. Je vais dire ce que j’ai dit, et aussi ce que je n’ai pas dit, car on nous a prêté beaucoup de propos. » Par l’intermédiaire de son conseil, la Sexion d’Assaut avait déjà doucement déplacé le débat sur la déontologie journalistique. Comprendre par là : allumer un contre-feu en pointant la responsabilité de la journaliste dans des propos qu’elle n’a pas tenus, mais uniquement rapportés. L’avocat du groupe l’explique d’ailleurs au micro de l’Abcdr, considérant que « la contextualisation et la présentation » des propos de la Sexion d’Assaut par International Hip-Hop « nécessitaient un communiqué ». Puis il ajoute, laissant sa phrase en suspens : « Les propos de la Sexion d’Assaut ne sont pas des propos acceptables, mais le compte-rendu qui en est fait… » Maître Morel ne souhaite cependant pas que sa démarche soit résumée à cette communication. « Mon travail, celui de Louis-Georges Tin et de Sony comprenait aussi la prise de conscience des artistes, car ils ont une responsabilité, un public et une possible influence sur les fans. Et ce travail a été fait » considère-t-il.

En attendant, Lefa reprend l’argumentaire de son avocat sur les propos non-tenus. Ce sentiment de déformation de sa parole, c’est bel et bien ce que le groupe éprouve. Pour ses membres, la journaliste d’International Hip-Hop a un rôle dans l’ampleur prise par leurs déclarations. « Ça a redirigé l’article dans une dynamique qui n’était pas celle de l’interview. Quand je la relis, j’ai l’impression d’un groupe en colère avec un discours limite nazi » déclare Lefa aux Inrocks. Avant d’asséner puis enfin d’assumer : « Je tiens à préciser notamment que la phrase « C’est une déviance qui n’est pas tolérable » n’a pas été prononcée. Maintenant c’est clair que ce que j’ai dit, je l’ai dit. » Barack Adama lui aussi, regrette encore aujourd’hui la retranscription qui a été faite de ce moment avec Nathalie Sorlin. «  »Une déviance pas tolérable », ce n’est pas nos mots. Et c’est ça qui me dérange : il y a dans cet entretien des mots qui ont politisé ce qu’on disait. » À la suite de sa rencontre avec International Hip-Hop, Lefa réduira d’ailleurs ses réponses aux sollicitations journalistiques à portions congrues, jusqu’à ne plus donner d’interviews du tout. « Depuis cette affaire, il ne voit plus les médias d’un très bon œil » confirme Barack Adama. « C’est un épisode difficile de notre carrière » conclut-il.

« C’est un épisode difficile de notre carrière. »

Barack Adama

L’incompréhension est totale du côté des rappeurs, mais elle l’est aussi du côté de Nathalie Sorlin. Lassée, en colère, la journaliste décide de réagir. Depuis qu’elle a confirmé avoir remis les bandes à Sony, plus personne ne s’intéresse à elle et aux dégâts que cette interview fait subir à sa réputation. Son rédacteur en chef la met en contact avec un avocat de son entourage, Maître Felissi. Celui-ci conseille Nat autant qu’il le peut, mais lui recommande de se tourner vers des confrères spécialisés dans ce genre de litige. Grâce à ses anciens collègues, en particulier Philippe Roizès d’après nos sources, elle prend conseil auprès d’Aurélie Chavagnon, à l’époque avocate spécialiste du droit de la presse – intéressée, notamment, par la protection des sources en journalisme. Celle-ci obtient pour Nathalie, excédée par ce qu’elle lit dans les Inrockuptibles, un droit de réponse. Publiée sur le site web de l’hebdomadaire, Nathalie y réagit aux propos de Lefa tenus quelques semaines plus tôt. En une dizaine de phrases signées sous l’un de ses noms de plume, Nat V. (le V pour Vampirella), elle fait une synthèse du travail d’interviewer. Morceaux choisis : « Comme tout journaliste, j’ai traduit en langage écrit certaines phrases exprimées en langage parlé qui auraient été incompréhensibles pour les lecteurs ».« Traduire ne signifie pas inventer. Au contraire, traduire impose de respecter le sens des propos recueillis. Et c’est précisément ce que j’ai fait. » Et pas dupe sur un débat régulièrement déplacé vers son travail de journaliste, elle ajoute : « Il ne peut pas m’être reproché d’avoir trahi le sens ou aggravé la portée des mots employés au cours de cet entretien. Il n’est donc pas tolérable de me faire porter la responsabilité des vives, nombreuses et compréhensibles réactions d’indignation suscitées par cette interview dont chaque phrase repose sur des propos exprimés au cours de l’entretien, et parfois les allège. » Chacun s’accuse. Et pourtant plus personne n’en parlera publiquement. À la suite de cet entretien aux Inrocks, le groupe ne commentera plus cette affaire que lors de rencontres avec son public et les associations LGBT. La plupart du temps, ce sera sans la présence de journalistes. « Tous les médias se faisaient un malin plaisir de voir des jeunes en conférence de presse, perdus, qui ne savaient plus quoi dire » s’agace Barack Adama, avant de jurer que « Lefa a quasiment fait le tour des associations LGBT de France. Il a écouté ce qu’ils avaient à dire, nous aussi. »

Faisant désormais silence, le groupe tient la démarche que Dawala a suggérée depuis le début de la polémique et que Louis-Georges Tin balise. « On voulait aller voir ces associations et leur dire clairement : « non, on n’est pas homophobes ». On voulait mieux se connaître les uns et les autres. » Pour Barack Adama, les choses se passent plutôt bien. « À la fin, c’était toujours la même réaction envers nous : « mais ils sont gentils en fait ces mecs-là ». » Un discours que relativise Laurent Rossi. « Vu sa popularité, c’était devenu une sorte de cheval de bataille entre associations LGBT de savoir laquelle allait le plus utiliser le groupe. Il est arrivé à un moment où la Sexion d’Assaut aurait pu faire n’importe quoi, donner des milliards d’euros, présenter toutes les excuses du monde, de toute façon, tous voulaient s’accaparer la polémique et le groupe. » À Saint-Étienne, notamment, une rencontre tournera court entre le groupe et les associations locales. La Sexion d’Assaut avait refusé de verser une somme forfaitaire de 800€ censée permettre le déroulement d’actions de prévention. Ils avaient également refusé de s’engager contre le délai de prescription de trois mois qui régit le droit de la presse pour des propos tenus en interview ou à l’antenne. C’est d’ailleurs ce qui a permis à la Sexion d’Assaut – mais aussi au directeur de publication d’International Hip-Hop – d’échapper aux poursuites pénales : lorsque l’interview a commencé à faire scandale, c’était trois mois après sa parution. Le délai de prescription légal était échu. Ni les associations de défense des droits LGBT ni quiconque ne pouvait plus porter plainte contre les propos tenus.

« Quand j’ai été amené à travailler sur ce dossier, une chose m’a frappée : les attaques contre le groupe étaient très centrées. C’était un peu comme si tout le monde oubliait que l’homophobie est répandue dans tous les milieux de la société. Le traitement réservé à la Sexion d’Assaut était vraiment particulier, ça m’interpelait » se souvient Charles Morel, dans un flou rempli de sous-entendus. Mais l’entourage du groupe n’est pas si évasif. Laurent Rossi parle d’un acharnement médiatique « absolument dingue ». Et se risque même à retourner la polémique dans l’autre sens. « La chronique que Guy Carlier avait consacré au sujet est pour lui éloquente. « Quand il a fait son billet sur l’antenne d’Europe 1, entre les lignes, je n’entendais qu’une seule chose : « ce sont des mecs de banlieue, la lie de la société, alors ça vous étonne ? » » Sans faire référence à l’éditorialiste proche de Marc-Olivier Fogiel, Véronique Mortaigne partage le même ressenti. « Quand quelqu’un comme Obispo raconte des conneries à la pelle, personne ne dit rien. Mais pour la Sexion d’Assaut, tout le monde leur tombe dessus, et avec beaucoup de préjugés. » « Quand ils font ou disent une saloperie que n’importe qui dans la société aurait pu prononcer, les gens racisés s’en prennent toujours trois fois plus dans la gueule » explique de son côté le rédacteur en chef d’International Hip-Hop.

« Avec les Chroniques du 75 ils redeviennent des rappeurs, ne sont plus les mecs qui s’excusent en permanence. »

Laurent Rossi

Cette vision des choses, Barack Adama, lui, ne veut pas y croire, ou du moins, il ne souhaite pas la mettre en avant. A-t-il ressenti une quelconque pression explicitement raciste lors de la polémique ? Il objecte d’un soupir. Selon lui, ce qui a fait du mal au groupe c’est « surtout d’avoir été pris pour des petits teubés ». En termes de trajectoire artistique, Laurent Rossi reconnaît que le groupe fait face à un « énorme stepback. » « Tout le monde misait sur la fin de notre carrière » conclut Barack Adama, avant de s’exclamer, convaincu comme il y a dix ans : « On va se battre, on va faire du gros son ! » Selon le directeur de leur label, c’est là qu’est toute l’importance du volume 2 des Chroniques du 75 sur lequel les rappeurs travaillent. Et cela malgré le lancement catastrophique du titre « Le Relais ». « Ce disque, c’est aussi un moyen de revenir aux fondamentaux. Ça leur permet de redevenir des rappeurs, de ne plus être les mecs qui s’excusent en permanence. »

S’il ne s’excuse plus publiquement, il est temps pour Lefa de passer de la parole aux actes. Le 25 octobre, il se rend dans les locaux de l’association montpelliéraine Le Refuge. « Comme son nom l’indique, cette organisation donne refuge aux jeunes LGBT chassés par leur famille » explique Louis-George Tin. « C’est eux qui ont pris contact avec nous, proposant de venir. Nous avons interrogé les jeunes que nous accueillions un par un et on leur a demandé ce qu’ils en pensaient. Ils ont tous été d’accord pour dire qu’ils aimeraient bien les rencontrer » expliquait à l’époque Nicolas Noguier, le président de l’association, à l’AFP. Dix jours avant la rencontre, Le Refuge faisait pourtant partie des structures signataires d’un appel au boycott de la Sexion d’Assaut. Toujours dans des propos relayés par l’AFP, Nicolas Noguier explique que s’il s’est bien associé aux condamnations des propos tenus par le groupe, il souhaite « privilégier le dialogue ». Les propos de Lefa sont pour lui l’occasion de « faire prendre conscience que l’homophobie est encore très présente, surtout dans les quartiers dont sont originaires les membres de Sexion d’Assaut ». Encore une fois, le mot « quartier » apparaît.  Quant à l’association Le Refuge, plus de dix ans après les faits, elle est à son tour secouée par des polémiques. Objet d’un audit sur ses pratiques de management en 2020, il est apparu qu’y régnait une ambiance délétère, au point que la secrétaire d’État Élisabeth Moreno a publiquement réagi en février 2021. Nicolas Noguier, fondateur de la structure, a démissionné de ses fonctions suite à ce rapport révélé par Médiapart. Il fait par ailleurs l’objet d’une accusation de viol.

Retour en 2010. S’il reconnaît « ne pas pouvoir sonder l’intérieur des cœurs », Charles Morel pense que le travail de prise de conscience autour de la Sexion d’Assaut a été fait sérieusement. « Je n’ai pas interrogé les membres du groupe un à un, mais ceux avec qui j’ai discuté, oui, j’ai le sentiment qu’ils ont réalisé leurs propos » se souvient celui qui était l’avocat du Wati-B. Pour la journaliste Véronique Mortaigne, « la Sexion d’Assaut a fait des choses intelligentes en allant voir des homosexuels », mais elle regrette que le groupe ait toujours été renvoyé à un soupçon de malhonnêteté. « Évidemment qu’il y avait un enjeu business, mais à chaque concert qu’ils faisaient, ils entraient dans une démarche de dialogue, allaient à la rencontre des associations ». De mémoire de journaliste spécialisé musique, que ce soit Véronique Mortaigne ou la rédaction de l’Abcdr, les actions de la Sexion d’Assaut sont en effet inédites venant d’un groupe accusé de textes et propos discriminatoires. Est-ce que cela rend le groupe exemplaire ? Probablement pas. Sincère ? C’était le cœur du débat, et le serait encore aujourd’hui. Courageux ? Seules les personnes qui leur ont fait face le savent. Mais une chose est sûre, ce qui découle de cette interview à International Hip-Hop est à ce moment-là unique dans l’histoire de l’industrie de la musique. Un véritable cas d’école.

Ça n’empêche pas le groupe de batailler encore pour jouer et défendre sa musique. Lors d’un des rares concerts maintenus, une manifestation se forme. C’est à Cenon, en périphérie de Bordeaux. Sans être de grande ampleur, le rassemblement est le cadre de « vifs échanges » selon la presse locale. Dawala fait face aux manifestants, le Maire de la ville affirme « qu’il vaut mieux expliquer qu’interdire », et les protestataires, eux, ne sont toujours pas convaincus de la sincérité des excuses du groupe. Ils veulent des preuves. Si la rencontre avec les jeunes du Refuge est annoncée depuis deux semaines, elle n’a pas encore eu lieu ce samedi 23 octobre 2010. « L’action des associations avait un effet domino. Leur mobilisation alertait les maires, qui étaient du coup sensibles à la venue du groupe » explique l’avocat du Wati-B. La plupart des municipalités s’emparent du sujet, de gré ou de force. Partagés entre la volonté de ne pas censurer et celles de ne pas prendre le risque de cautionner des dérapages au sein de leur ville, plusieurs cabinets municipaux décident d’objecter le risque de troubles à l’ordre public à la tenue des concerts. Mais parfois, les annulations sont bien plus expresses et radicales. Dans ce cas, elles sont décidées par les salles de concert elles-mêmes. C’est notamment le cas à Strasbourg avec La Laiterie, à Lille avec L’Aéronef, ou encore à Nancy avec L’Autre Canal. Dans d’autres cas, il y a des échanges locaux comme ce fut le cas à Caen ou Guipavas. « J’intervenais auprès des salles pour essayer de sauver un petit peu les choses, mais je n’ai pas eu de liens avec les politiques. Ce sont vraiment les exploitants de salles avec lesquels j’ai discuté, parfois avec les associations locales » explique toujours Maître Morel. À Saint-Brieuc, l’une des rares dates qui ne sera pas déprogrammée, le concert est précédé d’un débat. Il est une nouvelle fois animé par Olivier Cachin. Libération y décrit notamment un échange entre Olivia, spectatrice de 17 ans, une élue ayant demandé l’annulation du concert et Lefa, durant lequel le rappeur répond : « C’est normal que nos propos aient fait du bruit. Beaucoup de gens nous écoutent, en particulier des enfants. On comprend que les gens aient eu peur que ces générations grandissent en s’identifiant à des artistes qui tiennent de tels propos. » Le concert se tiendra finalement devant 1400 personnes – affluence significative au regard de la salle où l’événement se tient – devant une audience et une presse conquise. « Jeux de lumière, enchaînements des morceaux, joie significative des membres du groupe à partager ce moment de scène: tout y est » écrit le quotidien régional Le Télégramme à l’issue de la représentation. Conscient qu’il faut à la fois mettre le paquet et faire le dos rond comme lors de ce concert à Saint-Brieuc, le groupe persiste dans sa démarche. « Alexandre Marcel, un des membres assez influents de ces assos, avait dit : “on va s’arrêter là, on a discuté avec eux, ils ont compris, il faut leur pardonner. » Mais il y avait d’autres associations qui ne lâchaient pas l’affaire car ils n’avaient pas eu leur heure de gloire » décrypte Laurent Rossi. Le groupe traverse donc l’hiver 2010 – 2011 tant bien que mal, laissant la tempête passer et profitant de ses rares dates pour se montrer soudé et impliqué.

Au printemps 2010, c’est le Zénith qu’aurait visé la Sexion. Mais au mois de mars 2011, c’est à L’Élysée Montmartre qu’elle se produit. La salle est une antre mythique de la musique indépendante, le statut que Lefa, Gims, Barack Adama, Black M, Maska, JR O Crom et Doumams étaient programmés à dépasser en faisant plutôt un Zénith ou un Bercy. Mais ce concert n’est pas comme les autres. C’est la date promise en faveur de la défense des droits des minorités, avec évidemment en sous-texte ceux de la communauté LGBT. Un t-shirt phosphorescent imprimé d’un “Wati Bon Message” a été fabriqué pour l’occasion. Il a été vendu en amont du concert – faisant office de place d’après le souvenir de Laurent Rossi – et est également distribué sur place. Aux portes de la salle, un tract est également distribué aux spectateur. Son texte – qui se retrouvait sur les t-shirts proposés au public – est un appel à la tolérance et à la lutte contre les discriminations. Il place celles liées à l’orientation sexuelle sur le même plan que toutes les autres. Quant à la scène, la Sexion d’Assaut l’investit avec son entourage durant quasiment quatre heures. Jarod puis Dry ouvrent la soirée. Et quand le groupe arrive sur scène, c’est pour défendre une setlist essentiellement basée sur les titres de L’École des points vitaux, agrémentée de quelques titres, dont le soupçonneux « Le Relais ».  Mais une prise de parole précède la montée du groupe sur les planches. Devant une haie d’enfants habillés du t-shirt au Wati Bon Message, Louis-Georges Tin accompagné d’Alexandre Marcel félicite Sexion d’Assaut pour ses actions de ces derniers mois contre les discriminations. Le ton est aussi enthousiaste que décalé dans un concert rap. Et pourtant, c’est bel et bien à ce moment-là que la Sexion d’Assaut tourne quasi définitivement la page de la polémique. C’est la fin « du chemin de la repentance » évoqué par Laurent Rossi, celui qu’il avait décrit “pavé” par Louis Georges Tin.

Le même jour que le concert à l’Élysée Montmartre, Libération écrit pourtant ceci : « Après une accalmie cet hiver, la pression est de retour sur le groupe avec l’annonce de nouvelles dates dans différents festivals : l’Original à Lyon, le Printemps de Bourges ou Paroles et Musiques à Saint-Étienne. Les excuses de Lefa, qui se cache les yeux ostensiblement derrière sa casquette, ne passent pas. » Cela n’empêchera pas la sortie des Chroniques du 75, En attendant l’Apogée. La promesse de l’album rap est tenu, et il rencontre un franc succès. « Ce n’était pas un disque qui avait des velléités d’aller ailleurs que sur Skyrock, Ado FM, des médias hip-hop. Il y a eu une période, un temps, où on va dire qu’on a expurgé la faute entre guillemets, avant L’Apogée, avec Les Chroniques du 75. Et le public a répondu présent et à un moment, le public a toujours raison quelque part » se félicite Laurent Rossi.

Article évoquant la sortie de En Attendant L’Apogée : Les Chroniques du 75, mai 2011.

Au fur et à mesure que les mois passent, la polémique s’éteint quoi qu’en disait Libération quelques semaines plus tôt. Les soubresauts se feront de plus en plus rares jusqu’au 12 octobre 2011 où l’inter-LGBT annonce un accord avec Sony Music. « La fédération LGBT « prend acte de la réalisation » de ces engagements et « considère la polémique » autour du groupe de rap « éteinte ». Elle appelle ses membres « à ne plus lancer d’action de mobilisation » contre Sexion d’Assaut » écrit l’organisation dans un communiqué relayé par l’AFP. Le groupe a fini sa repentance. Il sera même nominé aux Victoires de la Musique l’année suivante. « Un an après la polémique, les tournées recommençaient, il y avait l’ascension du groupe. Chez Sony, on ne parlait plus du tout de cette affaire, tout ça était réglé » se souvient Cyanure. Ce n’est pourtant pas le sentiment de Nathalie Sorlin, ni de son entourage.

La dernière page de l’accord du 12 octobre 2011, qui met fin à la polémique.

« Une fois les bandes récupérées, je n’ai plus jamais été en contact avec elle » dit Laurent Rossi. « Et je n’y ai pas du tout pensé. Si j’avais su comment elle vivait le truc… » termine-t-il en laissant sa phrase en suspens.« Personnellement, jusqu’à ce qu’Emmanuel Vigier [l’auteur du portrait sonore consacré à Nathalie, NDLR] me contacte, je n’avais jamais entendu parler d’elle. Même le groupe ne m’en a jamais parlé, devant moi ils ne se sont pas abrités derrière la retranscription qui avait été faite de leur propos » raconte Louis-Georges Tin. Cécile Deffontaines, une des rares journalistes à avoir consacré un article à Nathalie Sorlin en aval de l’affaire, décrit une femme qui regrettait beaucoup cette interview et qui en était ressortie fragilisée. « Elle me disait se sentir mise sur la touche dans le milieu de la musique où on lui commandait des piges » se souvient la journaliste du Nouvel Obs. « Elle expliquait ne pas faire d’interviews polémiques, ne pas rechercher cela, et qu’elle avait laissé ces éléments là parce que ça la choquait. » L’entourage de Nathalie décrit lui aussi une femme affectée, et en colère. Quant à Yann Cherruault, il estime que Sony était prêt à tout pour sauver son groupe, et « tant pis pour les dommages collatéraux ». « Il ne s’est pas rendu compte du potentiel effet boule de neige de cette interview » déplore à propos du rédacteur en chef d’International Hip-Hop Stéphane Hervé, l’un des plus proches amis de Nathalie. Un propos que le fils de Nathalie Sorlin tient avec beaucoup plus de froideur, estimant que sa mère a tout perdu suite à son passage dans la rédaction d’International Hip-Hop. Stéphane Hervé le rappelle : « Cette histoire, même en 2013, elle ne sera pas terminée pour Nat ! Même quand elle gagnera son procès, il y a à peine plus d’un article qui le dit. » Alors est-ce que Nathalie aurait dû être inclue aux débats autour des propos sur la Sexion d’Assaut pour être entendue ? Aurait-elle dû être défendue par des confrères ouvertement ? Sûrement, et c’est ce que nous avons pensé tout au long de cette reconstitution des événements. Puis finalement, c’est le fils de Nathalie qui nous a apporté la réponse la plus simple, la plus évidente :

« Ma mère aimait écrire sous pseudo car ce n’était pas une journaliste qui recherchait la lumière. C’est les artistes qu’elle voulait qu’on voie, pas elle. Alors je ne crois pas qu’elle avait envie de faire partie des débats sur la Sexion d’Assaut. Elle voulait juste continuer à travailler, ce qui est devenu de plus en plus dur pour elle. » – Keziah Sorlin

La polémique mise en perspective Décryptage

Pour Sony France, l’affaire Sexion d’Assaut a quelque chose d’inédit selon Cyanure, qui travaille en maison de disques depuis 1999. « Je comprends qu’on fait appel à une agence de gestion de crise et ça me paraît presque irréel dans le sens où on est Sony, on est presque trois cents dans le bâtiment. Personne ne peut faire une déclaration ou quoi, on est obligés d’appeler un professionnel de la déclaration pour répondre avec de la communication pas avec des arguments du coeur, pour répondre de manière froide et structurée, et pas avec un mea culpa de l’artiste où il dirait juste : « J’ai dit de la merde, c’est con, je suis désolé. » » À titre de comparaison, aux États-Unis, Sony avait eu recours à une cellule de communication de crise lorsque Chris Brown était accusé de violences conjugales. Doomams est interpellé pour ces mêmes motifs le 6 octobre 2010, deux semaines après le début de la polémique, d’après une information du Parisien relayée par d’autres médias. Mais ce qui est présenté comme un fait-divers n’alimentera que temporairement la polémique déjà existante. La cellule de crise est uniquement convoquée sur la base des réactions publiques face aux propos tenus en interview. Véronique Mortaigne raille : et quid de Johnny déguisé en nazi alors, que « personne n’a jamais emmerdé avec ça » ? OrelSan défendu par tous les programmateurs rock qui se refusent fermement à faire jouer la Sexion d’Assaut ? La critique musicale du Monde se souvient de s’être vertement disputée avec un directeur de SMAC à ce sujet. Selon elle, l’argument de la fiction et le droit à la liberté d’expression doit fonctionner pour tous. « Sexion d’Assaut ne se faisait pas que rejeter pour les propos de Lefa, mais aussi pour ce morceau dans lequel ils parlaient de saucissonner un homosexuel et le jeter sur le périph. Ça, ça ressortait, et le type disait “je ne peux pas programmer ça”. Ce à quoi je lui rétorquais : “mais attendez, OrelSan parle de taper une femme attachée à un radiateur” et là par contre, vous trouvez ça normal ? C’est vraiment deux poids deux mesures. C’est une discussion qui n’est pas publique, il m’avait appelé suite à un article où j’avais dû dire que je n’étais pas d’accord avec les annulations. Le Monde a fait figure de défenseur de Sexion d’Assaut, mais du coup, on a été considéré comme des défenseurs des homophobes. Alors qu’évidemment, ce n’est pas du tout le cas. » L’expérience de Véronique Mortaigne l’incite clairement à voir dans le traitement de Sexion d’Assaut une « triple peine ». Elle raconte qu’Universal avait eu recours à une agence de crise pour des faits beaucoup plus graves, quand Johnny Hallyday était accusé d’avoir violé une fille sur un bateau :  « Ce n’était pas le même air du temps mais jamais un de ses concerts n’a été interdit ou annulé pour autant », remarque-t-elle.

Pour Louis-George Tin, le travail effectué avec le groupe est une réussite du point de vue de la campagne du comité Idaho contre l’homophobie dans la musique. Elle suscite même des velléités de restructuration de Sony: une sorte de charte de bonne conduite émerge lors de leurs échanges. « C’était une charte d’engagement comme quoi on ne publierait pas d’œuvres portant atteinte aux minorités, c’était une sorte de rappel éthique qu’on appliquait déjà de façon induite », assure Laurent Rossi. Le projet est tué dans l’œuf. Il a fait l’objet de critiques: évidemment, la tête froide, personne ne pense que c’est une bonne idée de contrôler a priori les paroles d’artistes. La morale et l’art, c’est compliqué. Encore moins de se priver de certaines juteuses signatures. L’argent, la morale et l’art, c’est encore plus compliqué. Un communiqué des associations LGBT parlent alors d’une « trahison Sony » dans l’abandon de cette charte, mais ces derniers éclats n’auront guère de conséquences. Laurent Rossi n’en garde aucun souvenir.

Car si le double-standard, dans le cas de Sexion d’Assaut, est flagrant, le groupe finit par être pardonné. Symbole de cette rédemption finale : dans le cadre d’un épisode spécial hip-hop, Nagui – qui visiblement aime vanner les rappeurs mais n’aiment pas que les rappeurs le vannent si on en croit sa réaction à la blague de Gims sur ses chaussures – invite le groupe sur le plateau de Taratata le 10 mai 2011 – même plateau que Fabe avait quitté quinze ans plus tôt. Le présentateur pose une brève question sur la polémique, plus pour dire « j’ai eu les guts de le faire », pour reprendre son expression, que par professionnalisme. Les gestes, les paroles de Nagui l’indiquent: le groupe a fait sa peine, il est pardonné par les médias généralistes, qui l’ont tour à tour encensé puis jeté dans la boue, pour enfin le reconsidérer. Le tout, sans que les associations LGBT soient complètement convaincues des excuses. Se pose alors la question : est-ce que le succès commercial de la Sexion – voire du rap dans son ensemble, à l’aube du streaming, qui le sacrera genre musical le plus lucratif dans l’économie du numérique – a davantage joué dans sa rédemption que ses efforts auprès de la communauté LGBT ? Est-ce qu’il n’y a pas là qu’une histoire d’apparences et de jeux d’intérêts économiques, dans lesquels la politique et la morale ne sont que des paramètres parmi d’autres ? Le lecteur tranchera. En attendant, toute ressemblance avec des affaires récentes n’est pas purement fortuite.

Le combat solitaire de Nathalie Chapitre 6

Ce n’est pas le temps de l’interview qui a causé les soucis de Nathalie Sorlin : un mauvais moment, ça passe, basta. Muge Knight confirme : de la rencontre à proprement parler, elle ne garde aucune vraie séquelle. C’est bien la polémique qui a suivi qui aura des conséquences sur son travail et sa santé. Pendant ces plusieurs mois de crise, l’attention a évidemment été tournée vers le groupe, qui fait également état d’un harcèlement médiatique. Elle est tournée vers la maison de disque, qui doit gérer une crise d’ampleur. Et aussi, vers les personnes visées par les propos – et donc, les associations LGBT. Le rapport SOS homophobie de 2011 fait état d’une hausse des témoignages concernant l’homophobie dans les médias pour l’année 2010, liée à la forte couverture médiatique des propos de la Sexion. Mais presque personne n’a songé aux conséquences que l’affaire aurait sur Nathalie. Tous nos interlocuteurs l’admettent : l’ampleur de la tempête médiatique a chassé la journaliste qui a rapporté les propos de leur esprit.

C’est tout l’inverse pour Nathalie. La polémique est omniprésente dans sa vie. Décidée à ne pas laisser salir sa réputation de journaliste, elle riposte. Le 22 décembre 2010, alors que le groupe s’est lancé dans une large campagne visant à faire pardonner les propos qu’elle a retranscrits, elle porte plainte contre Barack Adama. En cause ? Les tweets que ce dernier admet avoir tweeté « comme ça », avec des « fautes d’orthographe », par manque d’expérience, sans savoir que ce genre d’affaire se gère « avec un communiqué officiel ». Nathalie envisage le recours juridique comme un moyen de sauver sa réputation de journaliste. Configuration inédite : ce n’est pas la journaliste qui est accusée de diffamation, mais l’interviewé.

Un jour plus tôt, Patrice Herminie, directeur de Rap RnB, magazine où est publié le communiqué de défense de la Sexion d’Assaut et Charles Morel, l’avocat de Wati-B qui l’écrit, sont mis en examen pour « complicité » du délit de diffamation. Mais la plainte contre ces deux derniers est retirée le 3 mars 2012, probablement sur conseil d’Aurélie Chavagnon, l’avocate de la journaliste.

Numéro hors-série du magazine Rap RnB, publié quelques semaines après le début de l’affaire.

Seuls les tweets du rappeur feront finalement l’objet de poursuites. Si la plainte de Nathalie arrive bien avant les trois mois de prescription qui encadrent les délits relatifs au droit de la presse, la justice a ses propres rythmes. L’audience est reportée au 31 janvier 2013, soit deux ans et demi après les faits. Bien que l’issue donne raison à la journaliste, pendant toute cette période, Nathalie s’angoisse et se sent extrêmement isolée. Un malaise grandissant confirmé par tous les proches qui ont témoigné au micro de l’Abcdr. Entre la polémique et l’audience, Nathalie communique par mail avec son ami Step, parti de l’autre côté de l’Atlantique à cette période. Un jour « où c’était vraiment la panique », elle l’appelle. Elle lui fait état d’un très grand mal-être, qui surprend son ami, qui la sait rodée. Sans filtre, elle lui confie qu’elle est ni plus ni moins en train de perdre son travail. « Sony est en train de me blacklister », affirme-t-elle. Si Nat écrit encore à International Hip-Hop jusqu’à la fin de l’année 2011, soit quinze mois après le début de la polémique, le magazine n’affiche plus aucune couverture ni interviews d’artistes du label de la Sexion d’Assaut. Yann Cherruault parle d’un boycott. Quand nous demandons à Laurent Rossi, directeur du label, si cette interview a changé son rapport au magazine, il répond catégoriquement : « Évidemment ! C’est sûr que quand tu te retrouves dans ce type de situation, la confiance est rompue. Et il y en a, des journalistes dont tu te méfies. Des supports dont tu te méfies. Où tu évites d’envoyer tes artistes parce que les enjeux sont un peu trop grands. Et tu sais qu’il y en a qui jettent la grosse ligne. Des médias qui tout d’un coup, pffff, ne te servent pas du tout quoi. Faut pas oublier que la promo, c’est censé te servir. Et des fois tu sais que tu vas te faire couillonner. Mais ce n’est pas spécifique au rap, c’est pour tout le monde. »

Ces propos, caractéristiques de la perception qu’un directeur de label a du travail de journaliste musical, expliquent aussi pourquoi les numéros  International Hip-Hop qui suivent ne contiennent pas d’interviews d’artistes d’Epic, encore moins de pages publicitaires. Vincent Boivin, chef de projet de l’époque, ne se souvient pas d’un boycott. Il brandit l’interview de La Fouine chez International Hip-Hop, signé à l’époque dans ce même label, comme preuve que la polémique n’a pas eu d’effet sur les relations médias. Or l’interview à laquelle Vincent Boivin fait référence – et où d’ailleurs la journaliste taquine l’artiste sur ses phases sur les femmes – sort en 2009, soit un an avant celle de Sexion d’Assaut. Le chef de projet nous avait prévenu : la mémoire lui fait défaut.

« Le téléphone de Nathalie ne sonnait plus. »

Stéphane Hervé

Fin 2010, la plainte est déposée, mais le sentiment d’isolement professionnel de Nathalie va croissant. Il est difficile, dix ans après, à prouver. « Le téléphone ne sonne plus », affirme à plusieurs reprises Step. Pas même pour obtenir quelques centaines d’euros via la rédaction d’une biographie, ou la confection d’une EPK [Electronic Press Kits, comme son nom l’indique support promotionnel au format numérique destiné à la presse, NDLR] pour un artiste  – dans son CV, Nathalie précise qu’elle en faisait pour Sony. Car journaliste d’une petite publication, ou encore pigiste, c’est aussi devoir mettre ses qualités d’écriture et son expertise au service d’autres choses que l’information pour vivre de sa plume. Nathalie était de ces nombreuses signatures de la presse musicale, pour qui la rédaction d’un communiqué de presse ou d’une bio commandée par une maison de disques, était un moyen de mettre du beurre dans les épinards. À métier précaire, frontière floue. « Je ne peux pas te dire un truc précis, c’est une ambiance », déclare Romain Cole, son ancien collègue, qui confirme que se mettre à dos une major comme Sony est un vrai souci dans le journalisme musical. « Le problème avec la musique, c’est qu’il y a très peu de majors. Quand dans le cinéma t’as 10, 15, 20 distributeurs, tu peux te froisser avec un ou deux. Pas trop, mais tu peux. Dans la musique, tu te froisses avec Sony, c’est compliqué. Et derrière, je suppose que les mecs ne veulent pas la faire bosser, parce qu’elle a eu ce problème, donc on ne peut pas l’envoyer sur certaines interviews parce que c’est Sony. Le problème là-dedans, c’est que personne ne joue le rapport de force avec Sony en sa faveur. Elle ne me l’a pas dit ça, mais ça se voyait. Si quelqu’un dit à Sony : « C’est la meilleure et la plus qualifiée pour faire cette interview, il faut qu’elle la fasse », ça aurait été important. Si Télérama ou Libération dit cela à une maison de disques, les choses auraient fini par revenir à la normale. Blacklistée par Sony, et lâchée par les autres autour, c’est compliqué. Si l’agresseur est puissant c’est difficile » résume-t-il. Contactée dans le cadre de cette enquête, une plume musique habituée aux colonnes de la presse papier confirme en off : « Quand tu es journaliste, tu n’es pas censé être rattaché à l’industrie du disque (…) Le nombre de fois où on a fait passer des mails en interne qui disaient qu’il ne fallait plus travailler avec moi ! Ça m’est arrivé quatre ou cinq fois dans ma carrière. Et si t’as pas une rédaction derrière toi qui est forte, qui te soutient, c’est compliqué. »

Et c’est bien là un autre facteur décisif dans le sentiment d’isolement ressenti de manière de plus en plus aiguë par Nathalie Sorlin dans les années qui suivent la polémique. Aucun journaliste musical ne semble avoir publiquement pris ses patins. Aucun article dans la presse spécialisée ne mentionne son cas, jusqu’au verdict de son procès qu’elle remporte en 2013. Si la presse spécialisée a pris ponctuellement un parti dans cette affaire, c’est uniquement du côté de Wati-B par Rap RnB qui publie le communiqué de Charles Morel où le groupe brandit ces excuses qui pourraient être vues comme « un manquement à l’obligation de virilité qu’exigerait [leur] appartenance musicale. » Il est relayé par Booska-p et les Inrocks. Le monde médiatique est silencieux sur le cas de Nathalie. L’aventure Score s’est terminée trois ans auparavant. Même chez International Hip-Hop, le soutien est ambivalent. En privé, celui de son rédacteur en chef est évident : Yann lui présente un avocat et communiquent régulièrement par mail avec Nathalie pour se tenir informés. Le 16 décembre 2010, elle écrit, dans un de ces courriels adressés à son rédacteur en chef, entre deux interviews à caler : « Sinon, j’aurais besoin de te redemander des sous, je sors de chez l’avocate et… bad newz, je dois payer de ma poche, l’expertise, bien onéreuse, de l’huissier (pour la cassette), comme m’avait prévenu ton ami Karim (ce n’est pas pris en charge par l’aide juridictionnelle). » Or les frais liés à la retranscription assermentée de ces bandes, logiquement attribuables au directeur de publication, sont au final assumés par Nathalie : « Je me retrouve à payer 575 euros de ma poche », grommelle la journaliste dans un mail adressé à ses proches. Soit plus qu’un RSA, avec lequel Nathalie bricole pour élever son enfant et faire le métier qu’elle aime. Le magazine ne publie aucun communiqué en réponse à celui publié dans Rap RnB. Il ne se constitue pas non plus partie civile à ses côtés, les tweets incriminés ne portant pas sur le journal lui-même : « Quand Nat s’est lancée dans les procédures, ni elle ni son conseil ne nous l’ont proposé. Après, on restait la tête dans le guidon pour boucler les magazines, il ne restait plus beaucoup de temps de cerveau à notre petite équipe comme on disait chez TF1 », commente le rédacteur en chef. Nathalie, comme beaucoup de journalistes exposées à la critique, ne bénéficie pas de ce dont elle aurait le plus besoin : un soutien public. Car c’est publiquement qu’elle a été attaquée, en tant que personne publique, en tant que porteuse d’une parole publique, et pas n’importe laquelle : une parole de journaliste. Un métier où la réputation publique, justement, construit et déconstruit des carrières entières. Le groupe est certes insulté des milliers de fois, Joey Starr en profite même pour régler quelques comptes. Pour Nathalie, pas de quoi se réjouir. Elle n’a droit qu’au silence, au mieux à un soutien en privé, ou évidemment, elle-aussi, aux insultes sur les réseaux sociaux.

« Après onze ans, ce sont des moments qui ne se sont pas encore effacés de ma mémoire. »

Keziah Sorlin

Entre 2010 et 2013, la journaliste voit donc son monde professionnel la lâcher. Mais pas seulement. Selon ses proches, l’inquiétude de Nathalie ne vient pas que de cette impression de perdre son métier. Elle a peur de perdre beaucoup plus. Elle fait état dans un mail de 2013, d’un harcèlement qui la touche en tant que personne privée : coups de sonnette intempestifs, appels téléphoniques, intervention d’un avocat anonyme auprès de la CAF pour lui coller des contrôles (RSA, logement social…) La plupart de ces faits sont presque impossibles à vérifier, et leur lien avec la polémique, encore moins. Sauf que son fils, Keziah, en confirme plusieurs. Il se souvient des coups de sonnette. D’un appel de Sony après lequel sa mère prend peur. « Ce sont des moments qui ne se sont pas encore effacés de ma mémoire après onze ans », dit-il avec un sourire triste dans la voix. Il précise par contre qu’ils gardent leur HLM parisien quelque temps après s’être installés à Marseille ; mais que sa mère était bien contrainte de compléter ses rares revenus de journaliste avec un RSA. Une dénonciation a bien pu avoir lieu, mais Keziah doute qu’elle ait un lien direct avec la polémique. Quant à savoir d’où elle proviendrait, c’est beaucoup plus compliqué. Cerise sur le gâteau pour une mère de famille, à l’automne 2010, l’affaire atteint une telle dimension qu’elle se diffuserait jusqu’aux cours de récréation. Nat écrit dans le mail que son fils est bousculé, harcelé à l’école. Ce dernier le reconnaît, bien qu’il insiste sur le fait qu’il savait se défendre à l’époque. Il commente, temporisant : « Oui, certains savaient que j’étais le fils de la journaliste, ça a été répété par des amis à moi, d’autres le savaient par les grand-frères qui l’avaient appris comme ça par l’intermédiaire de fans de Sexion d’Assaut. Mais ce n’est pas ce qui a eu le plus d’importance. »

Cherchant à tout prix à retrouver son honneur et sa tranquillité, Nathalie déménage à Marseille avant le verdict du procès, aux alentours de 2012. Muge Knight l’y croise une fois, au Vallon des Auffes. Il n’a pas connaissance du procès en cours. Or celui-ci approche. Nathalie, fin 2012, prépare sa défense. Sentant que l’histoire l’efface peu à peu, elle est obsédée par une chose: donner sa version des faits. D’abord, sur conseil de son avocate, elle rencontre Cécile Deffontaines de L’Obs. En sort un des rares papiers qui revient sur le point de vue de la journaliste sur cette affaire. Quand nous rencontrons Cécile Deffontaines qui nous fait part des notes prises le jour de leur rencontre, cette dernière insiste sur la fragilité de son interlocutrice. Elle confirme que Nathalie lui fait part de harcèlements et de difficultés à retrouver du travail. Ensuite, le jour du réveillon 2012, Nathalie écrit à plusieurs de ses anciens amis et collaborateurs, dont Emmanuelle Debaussart et Romain Cole. Le but ? Laisser une trace de ce qu’elle vit, d’une part; d’autre part, récupérer, en vue de son procès, des documents de ses collègues qui attestent de son professionnalisme. Si tous ne répondent pas à la demande, Romain et Emmanuelle le font de bon cœur.

Attestation fournie par Romain Cole au tribunal de grande instance de Paris.

Le mail envoyé fait un récit particulièrement à charge, notamment sur son ancien rédacteur en chef, et recense une foule de problèmes. « L’un des avocats du groupe Sexion d’Assaut appelle mon avocate pour lui signifier qu’ils feront tout pour me briser la vie, faute de pouvoir m’attaquer en justice (…) L’avocat du groupe a bien tenu sa promesse, et avec zèle ». L’avocate de Nathalie, Aurélie Chavagnon, a refusé de nous parler malgré de multiples sollicitations, prétextant le secret professionnel. Impossible donc de reboucler l’existence de cet appel de menaces auprès d’elle. Charles Morel, l’avocat de Wati-B, dément fermement avoir tenu de pareils propos. « Ce ne sont pas mes méthodes », ajoute-t-il. S’agit-il d’un autre avocat, qui travaillerait pour Sony ? D’une exagération provenant de Nathalie, fébrile, juste avant son procès ? Le contexte d’écriture du mail, un mois avant l’audience, est évidemment à prendre en compte. Celui-ci vise à mettre toutes les chances de son côté dans le cas du procès, ce qui influe sur le récit des événements, leur impact et leur lien avec la polémique. Bref : la gravité des assertions, comme l’impossibilité de les prouver, aboutit à une impasse. Un flou extrêmement perturbant. Or la justice ne peut pas se permettre d’en rester à du flou, elle doit trancher. Le 14 mars 2013, Cécile Deffontaines apprend à Nathalie Sorlin qu’elle a gagné son procès. Barack Adama est condamné à lui verser 6000 euros de dommages et intérêts. L’information est faiblement relayée, essentiellement dans la presse généraliste et plutôt par des blogueurs, qui se permettent au passage quelques raccourcis sur le rap et son public. C’est le cas de Charles Gautier, contributeur habituel à l’espace des lecteurs de L’Obs, qui râle.

Copie du jugement du 14 mars 2013.

Pour Nathalie, c’est donc une victoire amère. En 2013, la polémique est loin. L’accusé ne se rend même pas à l’audience du 31 janvier 2013 et sa condamnation ne suscite aucune réaction publique du côté du groupe – si ce n’est quelques posts sur des réseaux sociaux qui nous auraient échappés. Reste la compensation économique, mais les proches de Nat affirment là-aussi, que le paiement se fait attendre. Quant à Sony, ce n’est plus du tout et depuis longtemps, leur affaire. Seul le label de Dawala est à la barre. Une manière de dire, au fond : signer des labels de rap, c’est bien quand ça rapporte de l’argent, pas des problèmes, mais qu’il y en a, qu’ils se démerdent. Ni Sony ni Jive-Epic ne communiquent donc sur le sujet. Seule conséquence, non pas de l’audience mais de la gestion de l’affaire en général par Jive-Epic : Nicolas Sirkis d’Indochine – proche du groupe de Step, amie de Nathalie – déclare changer de label.

Du côté des rappeurs, la polémique aura quand même un certain impact psychologique. Jusqu’à aujourd’hui, Lefa ne donne plus d’interviews. Barack Adama évoque une forme de traumatisme et affirme que l’affaire lui a procuré un recul critique face aux médias, qu’il met à profit aujourd’hui dans son travail de producteur. « Cette histoire-là fait que maintenant, quand je regarde la télé, tout ce qui est un peu politique, j’arrive à très bien le lire. J’arrive à voir exactement ce que le journaliste a voulu faire. Ce que je comprends avec le journalisme moderne, c’est que c’est devenu réellement un business. Ça a toujours été un business, mais là vraiment, le but ce n’est pas d’informer mais de faire cliquer. Donc pour ça, il faut  absolument faire le papier, ou inviter la personne qui fait que l’audience va rester. C’est ce que je lis en ce moment, ce que je vois sur Cnews quand ils invitent Zemmour partout. Ce n’est pas pour ses idées politiques, c’est parce que Zemmour rapporte de l’audimat donc de l’argent. (…)  Le journalisme, comme tous les autres métiers, est victime de la surconsommation humaine », conclut-il. Artistes, labels, journalistes, tous s’en seraient tout de même bien passés. Mais force est de constater que les conséquences ne sont pas les mêmes pour tout le monde.

La décision de justice donne clairement raison à Nathalie sur les dégâts psychologiques causés par les propos diffamatoires. En revanche, elle ne se prononce pas concernant ses difficultés professionnelles : « Si l’existence d’un lien direct et exclusif entre les propos diffamatoires imputés au prévenu et les difficultés professionnelles alléguées par la partie civile n’apparaît pas de manière probante en l’espèce, il résulte en revanche […] que la gravité des accusations portées à son encontre par Adama Diallo […] a profondément et durablement affecté Nathalie Sorlin tant moralement que psychologiquement » est écrit dans l’arrêt de jugement du 14 mars 2013 rendu par la 17ème chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris.

Du côté de cette enquête, un constat similaire : il est impossible de prouver un lien clair avec la polémique pour tous les faits de harcèlements et de boycotts. Mais quelques-uns ont, cependant, bien été constatés. Et ce qui est sûr et certain, c’est le renforcement de la précarité psychologique et économique dans laquelle une journaliste expérimentée se retrouve après ces événements. Step évoque un concours de circonstances simultané : « Même si elle travaille encore un an pour International Hip-Hop, ça craint, car elle perd la crédibilité qu’elle a mis quinze ans à tenir. Et c’est un moment dans sa vie où elle est beaucoup moins entourée ». La santé, fragile, de Nathalie Sorlin se met à dégringoler.

« Quand je l’avais rencontrée en 2012, je l’avais trouvée très fragile. Elle n’était clairement pas bien de s’être retrouvée là-dedans et surtout je pense qu’elle regrettait beaucoup cette interview. Elle expliquait ne pas faire d’interviews polémiques, ne pas rechercher cela, et qu’elle avait laissé ces éléments là parce que ça la choquait. Après, je pense qu’elle ne s’attendait pas à une réaction et à se faire attaquer sur les réseaux sociaux. Quand je lui ai annoncé qu’elle avait gagné son procès, elle était hyper contente, émue. Elle espérait que ça la lave de tout soupçon je crois, que ça la réhabilite dans sa crédibilité journalistique. » – Cécile Deffontaines

 

Marseille, le refuge contraint Chapitre 7

Aux beaux jours de l’année 2012, Nathalie et son fils Keziah se rendent à Marseille en vacances. Nathalie est tombée amoureuse d’un homme qui habite dans le centre-ville de la cité phocéenne, chez qui elle se rend régulièrement avec son fils. « Marseille, c’était un moyen de nous échapper de la vie parisienne. On allait à la mer, à la plage, on profitait des amis de ma mère. Ça lui permettait de sortir de son cadre » se souvient ce dernier. Cependant, ces vacances qui font suite à la polémique prennent une tournure inattendue. Ni Keziah ni sa mère ne le savaient, mais le séjour allait se transformer en installation. « Son nouveau copain l’a forcée à rester », explique Keziah. Avec sa mère, ils quittent donc Paris définitivement, sous la contrainte. Step, quant à lui, émet l’hypothèse que, Marseille étant l’autre capitale du rap, y aller était aussi une manière pour Nat, dont les fragilités ont explosé à la suite de l’affaire, de rester au cœur de la musique sans y trimbaler les angoisses de sa vie parisienne.

Pendant ce temps, côté travail, c’est toujours le désert. Nathalie est partie de Paris fâchée avec celui qui était désormais son unique employeur. « Quelques mois après que l’affaire Sexion d’Assaut a explosé, il a commencé à avoir des hauts et des bas entre nous » se souvient Yann Cherruault. D’un côté, il décrit la journaliste paniquée par ce qui lui arrive. Mais de l’autre, il fulmine contre certaines personnes de son entourage qui auraient laissé penser à Nathalie que son interview avec Sexion d’Assaut avait un retentissement qui devait entraîner une meilleure rémunération. « Avec notre monteur et graphiste, c’est la seule contributrice du magazine que l’on pouvait payer » se souvient le rédacteur en chef d’International Hip-Hop. « Ce sujet revenait souvent et c’est devenu compliqué. Le fait que ça devienne compliqué a fait que Nathalie a stressé qu’on ne veuille plus bosser avec elle. » Et il l’avoue, les relations humaines ne sont pas toujours son fort, à lui. « Pour moi elle était partie en sucette et je voyais bien que je n’avais pas la main pour lui faire entendre raison. Et comme je ne suis pas toujours très habile, au bout d’un an j’ai perdu patience et je lui ai dit frontalement que ça me cassait les couilles, que je ne pouvais pas répondre à ses attentes. » C’est là que la collaboration entre International Hip-Hop et Nathalie Sorlin s’arrête. « Je ne l’ai eue au téléphone qu’une fois après ça. C’était après qu’elle apprend que j’ai donné un témoignage de professionnalisme à son avocate pour son procès. Même si on n’était officiellement plus fâchés à l’issue de cet appel, on ne s’est plus jamais reparlés » explique Yann, visiblement un peu sonné par tous ces souvenirs.

Loin de Paris, sans titre de presse attitré avec lequel travailler, les opportunités de Nathalie se font de plus en plus rares. Pour autant, elle ne lâche pas sa passion. Elle fonde un blog, NatVibz, et publie des interviews. Une large partie d’entre elles sont en format vidéo. Si le site natvibz.com n’est plus accessible, des reliquats de chaîne YouTube et Dailymotion en témoignent. « C’était l’avenir, la vidéo, et Nathalie appréciait ça » se souvient Yann Cherrault. « Mais si tu veux faire de la vidéo avec du contenu intéressant, c’est un avenir qu’on n’avait pas encore atteint. Les gens ne peuvent pas suivre une heure et demie d’interview vidéo. »

D’une certaine manière, la journaliste fait donc partie de ces précurseures de ce retour à l’image. Sauf que cette fois, au lieu des tranches horaires d’un RapLine ou d’un Yo! MTV Raps qu’elle n’a jamais pu investir autrement que sur la bande FM, au lieu des magazines livrés avec des DVDs, Nathalie exploite les possibilités offertes par un Internet définitivement affranchi des vieux lecteurs médias en ligne tels que RealPlayer. Si nous ne sommes qu’en 2012, YouTube a déjà révolutionné la pratique vidéaste sur le web.

Pourtant, les contenus vidéos proposés par Nathalie ont étonnamment quelque chose d’amateur. Non pas dans leur ligne éditoriale : l’anglais est impeccable, les questions posées ne dénotent en rien de ce qu’une bonne interview musique doit être. Les formats ont un minutage ramassé mais le spectateur n’en sort sans aucune frustration. Quant à l’ambiance, elle est chaleureuse tout en restant professionnelle. Bref, Nathalie fait ce qu’elle a toujours bien su faire : faire parler des artistes. Big Sean lui raconte en détail sa rencontre avec Kanye West et DJ Nelson utilise le mot « sophrologie » après à peine une minute d’entretien.

Question cadre et décor, il s’agit de toute autre chose : il est évident que Nathalie fait avec les moyens du bord. La caméra est posée parfois à même la table basse autour de laquelle l’entretien se déroule. La lumière est crue, la sonorisation n’est pas travaillée, et Nathalie utilise sans le dire la pochette de l’album rassemblant Tom Morello et Boots Riley en guise de carton d’illustration. S’il faut voir le mauvais côté des choses : la journaliste fait clairement avec les moyens du bord. L’image est celle d’une sérieuse rétrogradation professionnelle. S’il faut voir le bon côté des choses : c’est plein de culture fanzinat, ce journalisme musical qui, avec l’art de la débrouille et des codes communs à ceux qui font la musique, tire le meilleur des artistes.

Rétrospectivement, Philippe Roizes, l’ami de Nathalie, s’interroge sur cette initiative freelance que lance Nathalie à son arrivée à Marseille. Il le fait au micro d’Emmanuel Vigier, dans le portrait sonore 9h20 Divorce : « Je n’en ai jamais parlé avec elle, mais je me demande à quel point elle n’y passe pas tout son temps pour ne pas avoir l’impression de rien faire ». Nathalie est définitivement coupée du milieu. C’est ce que ressent son entourage, et ces interviews vidéos sont sa bouée de sauvetage, sa façon de se rattacher à son statut d’avant, au point qu’elle met également en ligne des archives de son travail vidéo avec Digital Hip-Hop et International Hip-Hop. « Elle avait notamment remis en ligne ce qu’elle avait fait avec Seth Gueko pour International Hip-Hop, je lui avais dit qu’il fallait juste créditer le magazine. » Effectivement, la rencontre entre Nathalie et l’auteur de « Patate de Forain » est en ligne sur sa chaîne YouTube. Parmi les autres artistes qui peuvent y être découverts, des archives d’entretiens qu’elle a réalisés avec Wyclef Jean, Seth Gueko donc, le groupe mythique de trip-hop Archive justement, Joey Starr ou encore Max Calavera du groupe de métal mythique Sepultura. Mais aussi des nouveaux entretiens, avec Odezenne, Abuz et Kalash l’Afro. La plupart de ces nouvelles vidéos sont agrémentées d’une séquence big up où la journaliste est dédicacée par les artistes. Sir Samuel notamment se prête à l’exercice. Une quête de légitimité ? Un message rassurant pour Nathalie ? « Je ne sais même pas si elle était convaincue que ça la remettrait en scène professionnellement » s’interroge Philippe Roizes au micro d’Emmanuel Vigier.

« Elle se plaisait beaucoup plus dans son travail à ce moment-là, parce qu’elle faisait ce qu’elle voulait de a à z », confie en tous cas Keziah, le fils de Nathalie. Mais une tache demeure au tableau : « Elle ne fait plus autant d’interviews parce que c’est plus dur de trouver des contacts sans rédaction derrière. Et seule, elle faisait très peu de vues sur YouTube… Du coup elle n’avait pas un impact énorme, elle était surtout touchée par le fait d’être voilée par Sony, elle ne trouvait pas de travail à cause de ça » analyse son fils. Malgré ses efforts, l’ombre de la polémique semble étrangement encore planer. « Certains artistes refusaient de faire une interview avec elle dans le domaine du rap. C’est pourquoi, en quittant International Hip-Hop [fin 2011, NDLR] elle a touché à plein d’autres domaines », poursuit-il. Step renchérit : « Elle n’a pas les clefs. Il aurait fallu qu’elle soit plus conseillée et supportée. C’est vraiment un moment où en face il n’y a personne. » Le verdict en sa faveur, en mars 2013, ne change rien. Avec Yann Cherruault, plus aucun échange. Au-delà de la justice elle-même, personne, selon Step, ne lui rend justice Les conséquences sont très lourdes. « Tout ce trajet avec la Sexion d’Assaut, elle perd beaucoup plus qu’elle ne pense. En fait, elle arrive à Marseille vachement affaiblie. C’est quelqu’un qui était toujours dans un temps d’avance et qui commence à parler beaucoup du passé », poursuit son ami.

« Nathalie était toujours dans un temps d’avance et soudainement, elle commençait à parler beaucoup du passé. »

Stéphane Hervé

Sans structure, sans rédaction, sans média où écrire, et avec l’impression permanente « d’être cramée », Nathalie doit trouver d’autres moyens de gagner sa vie. Son CV est méthodiquement tenu à jour. Elle multiplie l’usage des plateformes, de LinkedIn à Dailymotion en passant par Youtube ou Facebook. Step se rappelle lui suggérer des noms d’éventuels employeurs, elle refuse, prétextant toujours, comme un refrain fataliste, « qu’elle est cramée ». La presse rock ? Moribonde, ou en tout cas, plus d’aucun intérêt pour Nat qui aimait être au cœur du tourbillon. Elle se met à faire des traductions par ci, par là, qui lui garantissent vaguement un lien avec l’art. Elle traduit notamment pour la société Fatras, la succession Jacques Prévert. Mais l’impression demeure : elle n’a plus sa place dans ce monde. Elle est grillée, bien qu’elle arrive à décrocher quelques missions pour le label IOT Records. En vérité, ce n’est pas rien. Label curieux et internationaliste de musique électronique basé à Marseille, la structure mettra plus tard en avant des rappeurs iconoclastes, certains chers à l’Abcdr. Parmi eux ? Le producteur Al’Tarba, Yugen Blackrock, ou encore le duo formé par Del the Funky Homosapiens avec AMP. Là-bas, Nathalie officie avant tout en tant que traductrice d’après l’expérience qu’elle relate sur sa page LinkedIn. Elle est appelée pour traduire des contrats d’enregistrement et d’édition, fera l’interface entre ayant-droits étrangers et sociétés de droits d’auteurs françaises. Enfin, elle traduira et rédigera des biographies des artistes du label, notamment du groupe sud-africain Dookoom, émanation d’un ancien membre des foutraques et spectaculaires Die Antwoord. Cela reste cependant loin de ses premiers amours : réaliser des interviews qui seront publiées ou sélectionner de la musique pour la diffuser à l’antenne.

En plus du travail avec IOT Records, à Marseille, la journaliste qui se sent cramée n’a pourtant de problème avec aucun rappeur, rappelle Muge Knight. Elle laisse à celui « qui est à Endoume ce que Snoop Dogg est à Long Beach » le souvenir d’une femme souriante, « bon délire », toujours prête à aider les autres. Ce sourire, pour garder la face, Step le commente tragiquement comme une manière de protéger ses proches, de leur cacher son profond mal-être. Lui qui partage avec elle des blessures en commun, un goût pour la « fête » – et ce qui va avec – ne réalise pas sur le coup que cette fois, Nathalie ne se relèvera pas.

Elle tient « le temps qu’il fallait pour Keziah », réalise-t-il, cinq ans plus tard. Il parle de la période marseillaise comme une suite de spirales. La précarité sentimentale et professionnelle de Nat se triple en effet d’une précarité physique. Elle tombe malade quelques années après son installation dans le centre-ville phocéen. Sa maladie est nettement accentuée par le stress. Un stress que ses galères professionnelles et ses mauvaises rencontres ont rendu terrifiant. Elle est hospitalisée le 10 mars 2016 à La Timone, et l’annonce avec humour (noir) sur son compte facebook personnel. Step s’en veut : « Tous les amis, on n’avait pas vu. On savait qu’elle allait mal, mais ça faisait partie de son personnage, on avait l’habitude qu’elle finisse toujours par se rattraper ». Sauf que cette fois, « comme dans une spirale, un tourbillon, le cercle se rapprochait et le fond l’a happée. Elle s’est faite vraiment tirer par le bas, derrière il y a des mauvaises rencontres (…) elle est arrivée à un moment où c’était très compliqué, et je pense que son corps ne l’a pas supporté. L’effet de la pression mentale, quand à un moment t’es fort et t’es prêt… C’est une analogie con, qui n’est jamais prouvée, mais quand ton mental tient, tu peux surmonter un cancer, tenir une chimio, des gens arrivent à donner, via leur mental, de l’énergie à leur corps. Elle, elle ne l’avait plus du tout. Je pense qu’à un moment, elle a capitulé. »

Le 1er mai 2016, Nathalie Sorlin décède aux Houches. C’est une petite station de Savoie qu’elle fréquentait depuis quelque temps, suite à une rencontre. Elle a 49 ans lorsqu’elle rend son dernier souffle, dans un anonymat et un isolement qu’elle n’avait pas connus jusque-là dans sa vie. À peine informés de sa mort, ses amis apprennent ses obsèques la veille de leur tenue. Seul un site spécialisé dans l’histoire de la FM, publiera un article d’hommage. Elle qui rayonnait dans le monde des soirées, des musiciens sur lesquels elle écrivait – avec lesquels elle écrivait, s’efface des mémoires. « C’est dur, pas seulement parce que c’est mon amie. C’est dur parce que je fais partie des gens qui n’étaient pas là physiquement. T’es à distance, tu ne réalises pas à quel point ça l’affecte. C’est pour ça que c’est important que ce soit lu, que ce soit dit », commente son ami Step, la gorge nouée.

Hommage du co-fondateur de Ouï FM, Pierre Raiman, à Nathalie Sorlin.

Peu de temps après le décès de sa mère, Keziah se tatoue sur la jambe un dessin de Tank Girl, l’avatar qu’elle utilisait au début des années 2000, chez Score. Interrogé sur le sens que ces personnages féminins forts avaient pour elle, il répond : « Elle était très humble, mais au fond c’est celle qu’elle voulait devenir. C’est ce qu’elle voulait montrer aux gens qu’elle pouvait devenir. Un modèle, une femme qui gère un enfant seule en même temps que son travail, une galère avec Sony… Une warrior. Avec ce tatouage, je garde cette part d’elle gravée sur ma jambe. » Ce n’est pas la seule chose que Keziah garde de Nathalie. Aujourd’hui, il se trouve qu’il s’est mis à la musique. La « crise d’ado » est passée. Il compose, joue, écoute une foule d’artistes différents. Il réalise alors, un sourire ému dans la voix : « en fait, j’ai les mêmes goûts que ma mère ! »


Nous tenons à remercier tous les gens ayant répondu à nos sollicitations durant l’élaboration de cet article, ainsi que ceux nous ayant accompagné, écouté et nourri par leur enthousiasme et leur curiosité pour ce long cheminement. Nous remercions plus spécialement :

  • Stéphane Hervé, sans qui ce travail n’aurait jamais été entrepris.
  • Emmanuel Vigier pour son travail, sa curiosité, ses conseils et sa présence.
  • Barack Adama pour avoir accepté de revenir sur cette affaire.
  • L’équipe de Radio Grenouille pour son accueil et sa gentillesse, particulièrement Mélanie Masson.
  • Yérim Sar pour son long travail de mise en relation avec Romain Cole.
  • Et évidemment nos camarades de la rédaction de l’Abcdr pour leur regard, leur relecture, leur bienveillance, bref, pour tout et avant tout pour leur patience.
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3 commentaires

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  • cat,

    passionnante enquête très documentée, merci pour ce travail indispensable à la totale compréhension de cette affaire , ainsi qu’à la mémoire de Nathalie Sorlin.

  • Cd,

    Je ne connaissais pas cette femme et n’avait jamais entendu parler de la polémique avec Sexion d’assaut mais je vous remercie d’avoir raconté cette histoire

  • JJ,

    Une enquête exemplaire et bouleversante, le meilleur hommage possible au travail et à la vie de Nathalie Sorlin. Merci!