Page 26 : tournant de carrières – Partie 2
Journaliste spécialisée musique, Nathalie Sorlin a vu sa trajectoire de vie subitement dévier en 2010. Cinq années après son décès, reconstituer sa vie passée dans la presse rap est riche d’enseignements.
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Un été faussement tranquille Chapitre 3
À chacune de ses parutions, l’équipe d’International Hip-Hop envoie des exemplaires de son dernier numéro aux maisons de disques et attachés de presse. Si ce qui deviendra médiatiquement l’affaire Sexion d’Assaut explosera publiquement au mois de septembre, ses premiers soubresauts auront lieu dès la parution de l’interview le 5 juin 2010. Alors qu’elle vient de fraîchement sortir d’imprimerie, le groupe se retrouve avec la revue entre les mains. « On s’est juste dit : « c’est quoi ces conneries!? » » se souvient Barack Adama. Les membres de la Sexion d’assaut ne se reconnaissent pas dans les réponses qu’ils voient imprimées sur papier glacé. Mais ils n’en font pas un scandale d’après le rappeur. « Ce n’était pas la première fois qu’un journal déformait nos propos » se remémore-t-il, comme en écho aux paroles tenus par Maska au magazine 5Styles quelques mois plus tôt. « C’était un journal que personne ne connaissait à part ses abonnés, donc on s’est dit : « vas-y tranquille. » »
« Tranquille », ce n’est pas exactement l’état d’esprit de Laurent Rossi lorsqu’il découvre l’interview. Les propos escaladent très rapidement la chaîne hiérarchique de Jive-Epic et finissent sur son bureau de Directeur Général. Et ce qu’il lit dans les pages d’International Hip Hop lui déplaît fortement. « C’est le moins que l’on puisse dire » assure-t-il. Laurent Rossi est en rogne, il convoque la Sexion d’assaut dans les locaux du label, à Clichy la Garenne. « Avant que tout cela me soit rapporté, personne n’est venu me voir en me disant « ohlala je crois que les mecs ont déconné » se remémore-t-il. Alors il demande à ses artistes ce que sont ces « conneries » qu’il vient de lire. « Ils me répondent que ce qui est écrit dans le magazine n’est pas vraiment ce qu’ils ont dit. Donc je contacte la journaliste. » Conscient que les paroles s’envolent mais que les écrits restent, incapable de trancher entre ce que lui jure le groupe et ce que lui disent les mots imprimés, le patron de la division rap de Sony se met en tête d’entendre l’enregistrement sonore de l’entretien. Les bandes détenues par Nathalie Sorlin deviennent alors un enjeu central.
Signe que la formation signée chez Jive-Epic est en train d’acquérir une certaine importance dans le catalogue de Sony Music, Nathalie décrit une major pugnace et très pressée de récupérer les traces audio de son interview avec les rappeurs parisiens. Interrogée par la presse people lorsque l’affaire explose trois mois plus tard, elle confiait ceci : « À la parution du numéro 10 d’International Hip-Hop, le département juridique de Sony a vivement souhaité vérifier la teneur des propos du groupe. » Et dans un courrier écrit un an et demi après la publication de son échange avec les auteurs de L’École des points vitaux, la journaliste raconte à ses amis et confrères de confiance à quel point la façon dont elle a été traitée dans cette affaire la met encore en colère. « Le cabinet juridique de Sony, et tous ses avocats, se mettent en mission de m’appeler toutes les cinq minutes de façon clairement menaçante et pressante, afin de « récupérer sur le champ » toutes les bandes et traces de l’interview de Sexion d’Assaut » y écrit-elle. Au début, Nathalie fait face seule. « Peut-être qu’elle considère que c’est d’une certaine façon de ma faute, parce que si on était resté à son premier ressenti, on n’aurait pas publié l’interview » suppose Yann Cherruault, qui à l’époque ne sait pas tout de suite que Sony sollicite sa collègue de rédaction en direct. Puis il fulmine. « Ces gens se sont tout de suite attaqués à Nathalie, probablement car ils ont dû avoir son contact direct par leurs fichiers ou l’attachée de presse » dit-il, avant d’ajouter toujours en colère onze ans plus tard : « Pourtant quand tu connais ton travail, ce qui est censé être le cas de ces gens, tu sais que lorsque tu as un litige avec la presse c’est vers le directeur de publication que tu dois aller » s’exaspère celui dont c’était le rôle.
« Si on était resté au premier ressenti de Nathalie, on n’aurait pas publié cette interview. »
Yann Cherruault
Au bout de quelques jours, Yann Cherruault finit par rentrer dans les discussions avec Sony. Selon lui, il est alerté de l’affaire par des connaissances et se rapproche de Nathalie. Et il fait le même constat qu’elle : la major est sous pression. « Leur obsession, c’était les bandes » confirme-t-il. Il se souvient notamment d’une réunion téléphonique avec « tout un aéropage de chez Sony à l’autre bout du fil ». Le rédacteur en chef refuse d’abord de remettre l’enregistrement à ses interlocuteurs. « C’était tout simplement une question de principe » dit-il encore aujourd’hui. Il rapporte des pressions verbales afin d’obtenir les bandes de l’interview. Elles auraient été accompagnées de menaces. « Ils ont parlé de poursuites judiciaires, de saisie, bref tout ce qu’ils peuvent te dire. Plus tard, on a même reçu un recommandé pour Nat au siège social du magazine, sauf qu’ils s’étaient trompés de nom de famille. Du coup on n’a jamais pu le récupérer et savoir ce qu’il y avait dedans » raconte-t-il toujours agacé par l’agitation de Sony. Et si de son côté, Laurent Rossi affirme n’avoir aucun souvenir de cette conversation avec le rédacteur en chef d’International Hip-Hop, il assume la démarche : « Si les propos n’avaient pas été tenus ou s’ils avaient été déformés, il y aurait évidemment eu des poursuites » dit-il catégorique en appuyant sur le mot « évidemment ». En face, au gré des échanges, la tête pensante d’International Hip-Hop finit par demander conseil à des avocats de son entourage personnel. « Ils m’ont dit que si la retranscription était fidèle, il n’y avait pas de soucis pour donner les bandes. » Il n’a entendu des bouts de l’enregistrement que par téléphone, diffusés par Nat à l’autre extrémité de Paris. Ils fréquentent les mêmes rédactions depuis près de dix ans, travaillent ensemble depuis 2008 au sein du même magazine et il lui fait confiance. Alors, face aux demandes répétées du label de la Sexion d’Assaut, il décide de lâcher du lest.
De son côté, Nathalie ne se sent pas soutenue par son rédacteur en chef. C’est en tous cas ce qu’elle dit dans la lettre qu’elle a adressée à quelques semaines de la tenue du procès qu’elle intente à Barack Adama pour diffamation, dernier épilogue de cette affaire qui aura lieu au début de l’année 2013. Rétrospectivement, elle a eu l’impression de faire face seule. Elle décrit une situation de panique à son domicile, les coups de sonnette répétés et insistant d’un coursier envoyé chez elle sans son accord et en catastrophe par la maison de disques. « Nathalie a remis les bandes » confirme Yann Cherruault, qui n’était pas présent physiquement lorsque celles-ci ont changé de mains.
Citée par la presse people et à scandales – en première ligne dans l’explosion de cette affaire – Nathalie confirme en septembre 2010 que « Sony est en possession des bandes de l’interview du groupe depuis le 22 juin 2010 ». C’est donc probablement la date à laquelle, dans les locaux de son label, Laurent Rossi fait procéder à leur écoute. Nul doute que l’enjeu est fort. Pour lui comme pour les juristes, chaque mot doit être pesé. Le contenu de l’enregistrement est décortiqué à la façon d’une autopsie. À l’issue de l’audition de la cassette de Nathalie Sorlin, le constat est sans appel. « Les propos écrits dans le magazine ont bel et bien été tenus » atteste Laurent Rossi. Maigre consolation pour Nathalie, cette phrase prononcée onze ans après les faits valide son travail et son sérieux de journaliste. Pourtant, le directeur de Jive-Epic ressent le besoin de mettre tout cela en perspective. Ce sera l’une des stratégies de défense du groupe dans les mois qui suivront. « Il y a sur ces bandes des propos homophobes, c’est incontestable. Mais quand tu les entends, ils n’ont pas la portée idéologique ou la conviction que tu as quand tu lis l’interview » juge-t-il. Il décrit un entretien qui, dans sa forme écrite, prend une dimension vindicative qui n’aurait pas existé à l’oral. Classer les différentes formes d’homophobie en leur assignant un degré de nocivité est un exercice d’équilibriste périlleux. Et pourtant, la plupart des personnes interrogées dans le cadre de cette enquête s’y sont risquées, avec plus ou moins de succès.
À l’instar de Véronique Mortaigne ou Cyanure, qui comme lui ont côtoyé les rappeurs phares de Wati-B d’un peu plus près que tous les autres témoins directs ou indirects interviewés dans le cadre de cet article, Laurent Rossi dresse un portrait social pour décrypter les propos tenus. « Ce qu’on entend sur ces bandes, c’est la suite de préjugés habituels sur les homosexuels, sur l’homosexualité en général, et que l’on retrouve – on va pas se mentir – chez les gamins de banlieue » développe-t-il. Il dénonce des idées toutes faites, une absence d’éducation sur le sujet. « Par exemple, je ne sais plus lequel disait “ça ne me dérange pas, mais je n’aime pas quand ils s’embrassent ou se tiennent la main dans la rue parce que ça peut donner des idées aux gamins”. Comme si c’était une maladie transmissible. » Quoi qu’il puisse être dit de son analyse sociétale, le patron de Jive-Epic ne peut que constater la véracité des propos attribués à la Sexion d’Assaut dans l’article signé par Nathalie Sorlin. « Vu ce qu’il y avait sur les bandes, ça a entraîné de facto l’absence de poursuites contre notre magazine et Nathalie » assène Yann Cherruault.
En effet, ni International Hip-Hop, ni son directeur de publication, ni Nathalie Sorlin n’ont été poursuivis par Sony. Les procédures judiciaires promises en cas de propos déformés ou inventés n’auront jamais lieu. Le patron de Jive-Epic n’a plus qu’à sermonner le groupe porté par le succès du tube « Désolé ». « J’étais un peu comme un daron qui parle à des gosses » admet-il. Avant d’ajouter, sans trop y croire : « À ce moment-là, toute cette histoire donne l’impression de s’arrêter ici ».
Galvanisée à l’idée de passer de longues vacances d’été à Marseille avec son fils Keziah, Nathalie Sorlin pense elle-aussi laisser cette histoire derrière elle. « Nous ne jurons que de soleil, de plages, d’apéros entre amis et de grasse mats malgré un compte bancaire à l’agonie » écrit-elle à ses amis. Une bouffée d’air bienvenue. Mais si tous les protagonistes ont été obnubilés par l’enregistrement sonore de cet entretien, tous semblent oublier qu’il est aussi imprimé sur papier. Ou peut-être parient-ils sur la relative confidentialité de la revue où les propos de la Sexion d’Assaut sont publiés ? Publication confidentielle ou pas, alors que Nathalie profite de ses vacances, que Laurent Rossi croise les doigts dans son bureau et que la Sexion d’Assaut a rangé un magazine de plus dans la catégorie des « journalistes dont il faut se méfier », le numéro 10 d’International Hip-Hop se diffuse insidieusement dans les couloirs de l’industrie du disque et de ses satellites médiatiques.
« Durant l’été, quelqu’un d’une maison de disques concurrente a largement diffusé l’interview à son carnet d’adresse alors qu’elle n’était pas médiatisée ni relayée. Je peux d’autant plus l’affirmer que j’ai vu le mail : il venait d’une major, et ce n’était pas la nôtre » assène Laurent Rossi sans vouloir nommer la société concurrente. Ce que ne se priveront pas de faire un membre de l’entourage du groupe et Yann Cherruault. Le premier a lui aussi vu le mail, et il ne prend pas de pincettes : il venait de chez Universal. Le second est encore plus précis. Si le rédacteur en chef d’International Hip-Hop n’a pas vu la correspondance électronique en question, il confirme qu’un attaché de presse à l’époque en poste chez Universal Music a largement relayé l’interview de Sexion d’Assaut. « Il a envoyé l’interview à des journalistes de son réseau, notamment de la presse généraliste » affirme-t-il. Une démarche loin d’être anodine, surtout lorsqu’on travaille pour un mastodonte de l’industrie du disque, qui avait d’ailleurs envisagé de signer le groupe avant tous ses concurrents. Alors, une telle initiative venant d’une personne employée par un concurrent de Sony Music oblige à poser la question : s’agit-il d’une déstabilisation économique entre majors ? Après tout, lorsque l’affaire explose en septembre 2010, que la presse généraliste s’en empare, et que le président d’Universal se félicite en privé de ne pas avoir signé le groupe, d’après un bruit de couloir relaté par l’un de ses anciens collaborateurs, la Sexion d’Assaut passera à deux doigts de l’accident industriel sans retour possible.
« Il fallait bien quelqu’un ou quelque chose qui explique ce grand écart. »
Cyanure
Yann Cherruault ne croit pas à cette hypothèse du coup-bas sur le marché de l’industrie du disque. Il décrit un attaché de presse qu’il connaît personnellement, un individu « réellement passionné par la musique et sensible aux questions sociétales ». Puis il rappelle que l’industrie du disque est un entre-soi, un milieu qui fonctionne en vase-clos. Travailler en maison de disques, c’est « participer à un jeu de chaises musicales » permanent selon lui. « Tu quittes une major pour en rejoindre une autre, il n’y a pas d’animosité, ils se connaissent tous. » N’est-ce d’ailleurs pas le cas de Jean-François Ferrier, qui plus tard basculera d’Universal à Sony Music en 2012, avant de devenir responsable du Wati-B en 2016 ?
De cette hypothèse du coup de Trafalgar économique, Laurent Rossi, lui, en rit jaune. « Ça m’a choqué que ça vienne d’une autre maison de disques, qui en plus avait elle-même eu nombre de déboires avec des artistes qui étaient à l’époque plus populaires que la Sexion d’Assaut. Des pratiques un peu limites également. Et pour le coup, ça m’a assez déplu, sachant que derrière, une fois la polémique éteinte, ils sont allés draguer le groupe. [Universal a signé Maître Gims en tant que producteur en 2013 avec la création du label Monstre Marin Corporation, Sony n’ayant que l’exclusivité sur le volet artiste/auteur/interprète, NDLR] Mais voilà, ce sont des coups bas, il y en a dans ce métier, comme sûrement partout d’ailleurs. Je ne sais pas si c’est une volonté de nuire pour des raisons de business, de frustrations d’être passé à côté de la Sexion d’Assaut, ou pour des convictions personnelles. Je n’en ai aucune idée et je dirais même que dans l’absolu, j’en ai un peu rien à foutre, les conséquences sont les mêmes. » Finalement, après être tombé des nues en apprenant l’existence de cet e-mail et la société depuis lequel il a été émis, c’est Cyanure qui en résumera le mieux l’impact, à une époque où les réseaux sociaux n’avaient pas le pouvoir qu’ils ont aujourd’hui : « Ça répond à une question que je m’étais toujours posée : comment avait-on pu passer directement de propos tenus dans un magazine aussi spécialisé qu’International Hip-Hop à un boycott de la part d’une énorme radio comme NRJ ? Il fallait bien quelqu’un ou quelque chose qui explique ce grand écart » synthétise-t-il, songeur. L’un des rouages de la mécanique ayant participé à l’ampleur de la controverse entourant les propos du groupe est mis à jour.
Pourtant, d’après Laurent Rossi, peu de journalistes ont mordu à l’hameçon lancé par cet attaché de presse durant l’été. Il cite une signature des Inrocks qui serait venue écouter les bandes, sans se rappeler de son nom. Christophe Conte, rédacteur en chef adjoint de la rubrique musique en 2010, se souvient vaguement de l’affaire, mais explique ne pas avoir connaissance de quelqu’un de la rédaction qui se serait rendu sur place. Quoi qu’il en soit, Laurent Rossi affirme qu’un unique journaliste s’est rendu dans son bureau pour venir écouter les bandes de l’interview afin de se faire une idée. Si l’on en croit le directeur de Jive-Epic, sa réaction aurait été : « Effectivement, c’est de la connerie crasse. »
Alors que l’été touche à sa fin, que Nathalie Sorlin profite de ses derniers moments de vacances à Marseille, c’est la presse people et à scandales qui fera tomber le couperet à la rentrée. « Avoir fait une copie des bandes m’a sauvée du pire » soufflera-t-elle à son entourage lorsqu’en septembre les propos de la Sexion d’Assaut deviendront un raz-de-marée médiatique. Un tsunami qui fera office de véritable choc psychologique pour elle.
« Je sentais qu’il y allait avoir des suites, pour un truc très simple : Sexion d’Assaut devenait très populaire, plaisait aux enfants et aux familles, et de fait, leur réputation s’était construite sur le fait qu’ils étaient différents des autres, qu’il n’y avait pas de côté banlieue vindicative que tu trouvais dans le rap, surtout à cette époque dominée par Booba et Rohff. Si Booba avait tenu des propos pareils, ça aurait fait trois secondes de scandale et tout le monde serait passé à autre chose. Mais là, il ne faut pas oublier que des médias populaires comme RTL ou NRJ passaient du Sexion d’Assaut sur leur antenne. Pour eux, les propos du groupe, c’était une trahison. » – Laurent Rossi
L’Explosion des points-vitaux Chapitre 4
« L’affaire est loin derrière nous » écrit d’abord Nathalie dans une correspondance privée lorsqu’elle se souvient du mois de septembre 2010. Pourtant, les événements s’apprêtent à se bousculer. « Un tweet anonyme ressort l’interview de la Sexion d’Assaut publiée en juin » affirme-t-elle à son entourage. À quel tweet fait-elle référence ? En 2021, le plus lointain message que les archives du réseau social à l’oiseau bleu ont retenu est daté du 22 septembre 2010. « Contrairement à moi, Nathalie était déjà très réseaux sociaux, c’est un truc qu’elle avait compris » affirme son rédacteur en chef. Il soupire : « je pense d’ailleurs que c’est pour ça qu’elle a très vite su qu’il y avait un souci alors que moi je n’en savais rien ». Pour reprendre les propres mots de la journaliste, ce tweet serait annonciateur de « la tornade médiatique qui va suivre ». Plus que le mail envoyé par l’attaché de presse d’Universal qui a diffusé l’interview à son carnet d’adresses durant l’été ? Aucun des témoignages recueillis ici ne permet d’établir un lien entre la controverse qui s’apprête à naître et ce tweet antédiluvien, que ce soit celui posté un 22 septembre 2010 ou un autre. Le lendemain, le magazine en ligne MusiqueMag relaie les propos de la Sexion d’Assaut avec ce titre : « Sexion d’Assaut est-il un groupe homophobe ? » Alors que sur Facebook et Twitter, l’information commence à bruisser, Nathalie confirme au magazine du groupe Mixicom la véracité des propos qu’elle a recueillis quatre mois plus tôt.
Comme la journaliste qui l’a interviewé au printemps, Barack Adama semble déjà familier des réseaux sociaux. Sur Twitter, il prend connaissance des encore rares messages d’utilisateurs qui évoquent les propos de son groupe publiés dans le numéro 10 d’International Hip-Hop. Certains sont interloqués, d’autres blasés, mais la plupart sont indignés. Le rappeur décide de riposter. Il monte un groupe Facebook destiné à répondre à ses fans tout en publiant une série de messages sur Twitter. Il fait part de « la stupeur » de son groupe, qu’il dit « choqué » après avoir lu l’interview. Il affirme que la journaliste à l’origine de cette interview a « beaucoup inventé », que « la source est fausse » et que les propos ont été « mal rapportés ». Puis il conclut : « Cette journaliste a la haine contre le groupe ». Laurent Rossi soupire en se rappelant de cet épisode. « Dire c’est pas moi c’est l’autre quand il y a un enregistrement qu’on a tous écouté, ce n’est ni entendable, ni recevable. » C’est également l’avis de Nathalie Sorlin. Pour la première fois de sa carrière débutée il y a plus de vingt ans, son professionnalisme est publiquement bafoué.
En attendant, à peine 24 heures plus tard, c’est au tour de Têtu de relayer les propos du groupe. Contrairement à ses confrères de MusiqueMag, Paul Parant délaisse toute formule interrogative. Son article est titré « L’interview scandale de la Sexion d’Assaut », et il exhume des paroles franchement homophobes que le groupe a tenues sur ses précédents opus. Puis il conclut par ces mots : « Quelle que soit la réponse officielle du groupe, les propos tenus encore récemment pourraient avoir de vraies conséquences contre les gays. » Chez Sony, c’est une onde de choc. Sollicitée par le magazine historique de la communauté gay francophone, la maison de disques se dit « atterrée », tout en reconnaissant avoir connaissance des propos tenus depuis avril. Un calendrier surprenant, aussi bien au regard des témoignages recueillis qu’à l’analyse de la réaction du groupe et de son label. Laurent Rossi n’a-t-il pas affirmé que jusqu’à la publication du magazine, personne ne l’avait informé du dérapage des icônes du Wati-B ? Nathalie Sorlin elle-même date la tenue de l’interview à un mercredi pluvieux du mois de mai. Alors quand Jive-Epic a-t-il détecté le potentiel ravageur de cette interview pour sa nouvelle formation phare ? Dans tous les cas, chez Sony, c’est déjà l’effervescence comme le rapporte Têtu. Un « communiqué explicatif » est promis au magazine pour « bientôt » et la veille, Barack Adama avait déjà annoncé à ses fans « un démenti à venir ». Il mettra moins d’une demi-journée à tomber.
« Ni moi ni le groupe ne sommes homophobes. »
Lefa le 24 septembre 2010
Car quelques heures à peine après la publication de son article, Têtu en publie un deuxième. Avec des propos attribués à Lefa, celui-ci est titré « Ni moi ni le groupe ne sommes homophobes »., La publication mise en ligne sur le site du mensuel le 24 septembre à 17 heures contient un mea culpa du rappeur, qui endosse seul la responsabilité des déclarations du groupe. Son propos ? Reconnaître les paroles tenues, s’excuser auprès de ceux qui ont « été blessés » mais surtout, expliquer sa méconnaissance de la définition du « mot homophobie ». Le rappeur explique avoir ouvert un dictionnaire. Une répartie qui ne convainc aucune des personnes choquées, en plus d’être propice aux moqueries. « C’était la défense la plus maladroite du monde » vitupère Laurent Rossi. « Ils auraient fermé leur gueule ça aurait été mieux. » Un argument étonnant. Le patron de Jive-Epic n’aurait-il pas approuvé le communiqué envoyé par un groupe qui pesait si lourd au sein de son catalogue ?
Quoi qu’il en soit, il croit néanmoins son rappeur honnête. « Je pense que la façon dont il voulait tourner sa phrase, c’était de dire on est 100% hétéro. » Une version à laquelle adhère Cyanure, lui qui a côtoyé le groupe à l’époque où celui-ci faisait avant tout sa promotion dans des webzines spécialisés : « Dans le milieu des maisons de disques, Lefa a serré la main à des dizaines d’homosexuels qui ne s’en cachent pas, et je ne l’ai jamais vu avoir une once d’hostilité avec quiconque. » Puis le responsable promo web de Sony évoque « une inculture, les conséquences d’un cercle fermé ». Une vision des choses qui ne passe pas l’épreuve de la retranscription assermentée de l’enregistrement sonore de l’interview comme le reconnaîtra Cyanure, ni des précédentes chansons de la Sexion d’Assaut agrémentées de phases violentes sur l’homosexualité. « À la limite, je veux bien que tu ne saches pas la signification du terme homophobe » dit Laurent Rossi à l’autre bout du fil comme s’il s’adressait à Lefa. « Mais avec cette défense, en plus de l’ignominie des propos tenus par la suite, tu passes pour un gros débile. Pour un gros con analphabète, et ça, y a rien de pire ! » s’emporte le directeur de Jive-Epic. « Catastrophique ! » s’exclame de son côté Barack Adama en se rappelant de cette défense. Il rejoint l’ancien responsable du label où le groupe était signé en licence, mais ne se montre pas tendre : « Ils avaient monté une cellule de communication de crise avec une entreprise spécialisée qui s’appelait Alerte Rouge » explique le rappeur en riant du nom de ses interlocuteurs. Une démarche dont le président de Jive-Epic et le responsable promo-web de la Sexion ont également confirmé l’existence. « Le mec est venu nous expliquer que c’était mieux de passer pour des idiots que pour des homophobes » raconte Barack Adama. Encore amer aujourd’hui, il pense toujours que « c’était une stratégie complètement nulle ».
Dans la bouillie que seuls les réseaux sociaux sont capables de produire, des fans expriment désormais leur dégoût du groupe. D’autres profitent au contraire de cette fenêtre pour étaler leur homophobie. Et évidemment, tout un tas d’anonymes autant que d’influenceurs s’empressent de commenter l’affaire et la défense du groupe, avec des réactions qui iront de l’indignation à la moquerie en passant par les appels au boycott. Si la scène rap et ses médias – dont l’Abcdr – gardent pour la plupart le silence, les médias généralistes s’emparent immédiatement du sujet, relayant sans conviction la défense du groupe et les propos tenus. Dans un billet blog signé de la rédaction, Le Monde fait un point factuel sur l’affaire, estimant que « l’interview du groupe (…) relance le débat sur la prétendue homophobie des rappeurs. » « Et sur leur prosélytisme » pensent-ils bon d’ajouter. Mais celui qui fait tourner l’info en boucle, c’est Jean-Marc Morandini. À l’époque, l’animateur et producteur a une émission quotidienne sur Direct 8. Il est spécialiste de tout ce qui peut croustiller. Sa culture est celle du tabloïd. Tout est prétexte au scoop et polémique, et son plateau est de ceux où l’information s’auto-alimente en temps réel à base de réactions à l’emporte-pièce d’éditorialistes pas toujours bien au fait de leur sujet mais avec un sens de la morale assez péremptoire.
« On était cernés, ou en tous cas sollicités, par une multitude d’associations. »
Laurent Rossi
Dans un langage fleuri, le rédacteur en chef d’International Hip-Hop se dit convaincu que c’est l’éditorialisation des propos de la Sexion d’Assaut par Jean-Marc Morandini qui crée la caisse de résonance de la polémique.« Têtu s’adresse une communauté, alors que Morandini, c’est la télévision, il parle à tout le monde » explique-t-il, considérant le présentateur comme « un faiseur d’opinion. » « Là, tous les grands médias ne peuvent pas détourner les yeux » dit-il persuadé, oubliant peut-être un peu vite que le quotidien référence de la presse française s’est également positionné sur le sujet. Pour Yann Cherruault, la polémique aura un seul mérite : « tous les médias généralistes qui en avaient fait leur groupe le plus présentable se disent qu’en fait, il y a vraiment un problème avec la Sexion d’Assaut. » De quoi donner de l’eau au moulin des propos de Barack Adama, qui suppose une haine de l’équipe d’International Hip-Hop à l’égard de son groupe. Pourtant, Yann explique qu’« aller les interviewer ne sortait pas de ce qu’International Hip-Hop faisait d’habitude. À cette époque, on allait voir des têtes d’affiche et le groupe devenait un phénomène. On avait bien aimé la première période de Sexion d’Assaut, celle des battles puis chez Because Music, du coup c’était intéressant de voir leur transformation en rappeurs qui rentrent dans le moule commercial ». Puis, prenant conscience que, comme le relève désormais Têtu, la « première période de Sexion d’Assaut » qu’il évoque est celle où la formation parisienne a multiplié les paroles homophobes dans ses chansons, le rédacteur en chef joue la franchise. « Quand ils sortent leur première mixtape et qu’ils disent qu’ils vont « jeter des p*dés sur le périph' », je n’avais pas été outré. Je crois qu’en fait, je n’avais même jamais imprimé cette phrase dans mon cerveau. Peut-être que j’étais moins sensible à ces sujets à l’époque ? » s’étonne-t-il aujourd’hui.
« Le groupe ne se rend pas compte de ce qui va leur tomber sur la gueule »
Louis-Georges Tin cité par Laurent Rossi
Des propos issus d’une interview mais aussi de vieilles chansons qui n’échappent désormais pas aux associations de défense des droits LGBT. Alors que les médias tonnent, que le groupe tangue, elles se mobilisent pour faire entendre leurs voix. De son côté, la Sexion peine à faire valoir la sienne. « On était cernés, ou en tous cas sollicités par une multitude d’associations » se souvient Laurent Rossi. Alors plutôt que de multiplier les excuses par voie de presse, Dawala décide une approche plus frontale et concrète. Contre les préjugés dont nous ont fait part certains de nos interlocuteurs, selon lesquels un groupe de rappeurs ne voudraient jamais de sa propre initiative aller à la rencontre d’homosexuels, c’est bien Dawala, en accord avec le groupe, qui, un beau jour, débarque dans le bureau de Laurent Rossi et déclare que le groupe va aller voir les responsables des associations qui ne cessent de les prendre à parti. « On était tous d’accord avec lui » affirme aujourd’hui Barack Adama. Laurent Rossi apprécie l’idée, mais il fait part au tenancier du Wati-B d’un problème. « C’est un milieu qu’on ne connaît pas, alors quelles associations aller voir ? » s’interroge-t-il à haute voix. Dans chaque ville où la Sexion d’Assaut est programmée pour l’automne, il y a en effet une structure de défense des droits LGBT qui « rentre dans le lard » du groupe et de son label pour reprendre les propos de son directeur général. Il y en a des locales, des nationales, et toutes n’ont pas la même façon de réagir face aux propos que Lefa a désormais décidé de reconnaître. Certaines sont intransigeantes, appellent au boycott pur et simple. D’autres au contraire souhaitent saisir les déclarations du groupe pour engager une médiation et sensibiliser les plus jeunes aux dangers de l’homophobie. Bref, Jive-Epic et la Sexion d’Assaut sont dans le flou le plus total, confrontés à une multitude de structures qu’ils ne connaissent pas. « Dans ce tissu associatif, je ne sais pas qui pense quoi, qui revendique quoi, et Dawala ne le sait pas non plus » explique Laurent Rossi, paumé. « Et là, il y a une personne qui nous contacte, c’est Louis-Georges Tin. Il me dit qu’il représente l’association des Noirs de France, il est également homosexuel et impliqué dans la cause et il nous propose de nous aider ». Interpellé par cette affaire dont il croit se souvenir avoir pris connaissance par l’article de Têtu, celui qui était président du Collectif Représentatif des Associations Noires de France et qui est lui-même homosexuel militant – porteur de la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie notamment, prend l’initiative de contacter Sony Music. « C’est le moment où les propos commencent à faire du bruit, mais ce n’est pas encore au paroxysme » se souvient Laurent Rossi. « Le groupe ne se rend pas compte de ce qui va leur tomber sur la gueule » dit Louis-Georges Tin au board de la major selon le directeur de Jive-Epic. Et pour cause, Louis-Georges Tin est familier des actions pour dénoncer l’homophobie. Il en connaît les rouages et demande à rencontrer le groupe.
Laurent Rossi compte ses soutiens. Ils se limitent pour l’instant au directeur des programmes de Skyrock (« il continue à diffuser le groupe et c’est très courageux de sa part » dit le patron de Jive-Epic à propos de Laurent Bouneau) et à une journaliste du Monde (« Sans valider les propos du groupe, Véronique Mortaigne est probablement la seule qui a su publier des articles qui mettaient les choses en perspective » se félicite-t-il). Il parle alors de l’arrivée de Louis-Georges Tin comme d’une apparition divine : « il a fait faire au groupe le chemin de la repentance. » Démentant les propos de Barack Adama sans le savoir, le militant raconte : « Il est évident qu’ils viennent à la table sous la contrainte. On ne peut pas compter sur la bonne volonté des homophobes pour qu’ils se réforment tous seuls. » « Il les a bien secoués tout de même, plus que moi, et lui avait les mots que je n’avais pas » ajoute Laurent Rossi. La stratégie de Louis-Georges Tin ? D’abord « faire le parallèle entre les violences faites aux Noirs auxquelles le groupe est sensible et celles contre les homosexuels auxquelles il n’était pas très sensible. » De manière significative, il organise une rencontre entre le groupe et un réfugié ougandais du même âge que Lefa, chef des jeunes musulmans de la Grande Mosquée de Kampala avant qu’il ne soit dénoncé comme homosexuel. Lefa, Dawala et un autre rappeur du groupe que Louis-Georges Tin ne sait plus nommer aujourd’hui entendent le militant leur exposer ses états de service dans la lutte pour les droits des personnes noires, tout en leur exposant son homosexualité. Il leur propose ensuite des actions en faveur de la cause des homosexuels. Dans un premier temps, les représentants du groupe sont réticents. Mais ils se laissent finalement convaincre. « Leur manager leur a fait comprendre que ce n’était ni conforme à leur morale ni à leur intérêts » dit-il au téléphone, sa voix laissant échapper un sourire.
Alors que Louis-Georges Tin s’apprête à servir de canne blanche pour guider le groupe auprès de la communauté homosexuelle, la tornade médiatique fait désormais rage. Quelques jours plus tôt, NRJ faisait encore la promotion du groupe sur ses ondes. Désormais, il le suspend de sa programmation et annule le jeu concours qui visait à faire gagner à un lycée un concert privé avec la Sexion d’Assaut. Dans le livre Le rap est la musique préférée des Français, Laurent Bouneau explique que suite à cette histoire, NRJ a carrément cessé de jouer du rap à l’antenne. Le directeur des programmes de Skyrock affirme également avoir demandé des excuses publiques au groupe et à son label s’ils voulaient continuer d’être diffusés sur son antenne. Le sentiment de « trahison » que redoutait Laurent Rossi chez les diffuseurs de la Sexion d’Assaut prend une forme terriblement concrète.
À peine quelques jours plus tard, c’est Fun Radio qui boycotte à son tour le groupe. Les organisateurs des MTV European Awards sont obligés de prendre position sur la nomination de la formation du Wati-B, remettant en question celle-ci. Et le 28 septembre, alors qu’une pétition recueillant 17 000 signatures réclame la saisine du procureur de la République, le groupe se fend d’un nouveau communiqué, qui en conclusion appelle au dialogue et à la réconciliation dans une ode à la différence. Il n’a pas été écrit par Monsieur Drummond mais par l’avocat de Wati-B, fraîchement mandaté par Dawala. « C’est une relation commune qui nous a mis en contact » explique Charles Morel, précisant qu’il n’a jamais travaillé pour le compte de Sony ni avec leurs juristes. « J’ai écouté les bandes avant d’écrire quoi que ce soit, car il ne s’agissait pas de réagir à l’emporte-pièce » affirme-t-il. L’avocat décrit l’interprétation qu’il se fait de leur écoute : « je me dis que ce qui est écrit dans les contenus les mettant en cause n’est pas exact ». Relancé, il ajoute : « il était normal de dire ce qu’était la réalité. Ça passait d’abord par ne pas nier les propos qui étaient tenus. Mais il était aussi important de dire que leur présentation et leur contextualisation nécessitaient des précisions de notre part. » Quand il parle de « précisions », c’est probablement à une phrase comme celle-ci à laquelle Charles Morel pense : « Nous ne pouvons accepter qu’aient été ajoutées à des paroles réellement prononcées des formules imaginaires, destinées à les aggraver et à donner l’apparence trompeuse d’un discours construit ». Une nouvelle fois, la Sexion d’Assaut attaque la retranscription de l’entretien et laisse entendre qu’International Hip-Hop a voulu politiser leur discours. L’incompréhension demeure entre le groupe et l’exercice journalistique, et leur avocat la cultive.
« Putain, mais c’est pas possible, on n’en sortira jamais ». Ces propos sont ceux de Laurent Rossi lorsqu’il est invité à résumer son sentiment à l’époque de ces faits. Mais ces mots, ils auraient tout aussi bien pu être attribués à Nathalie Sorlin. Car dans une correspondance avec son rédacteur en chef, la journaliste montre qu’elle suit l’actualité du groupe avec autant d’intérêt que d’appréhension. Le mail est daté du 1er octobre et c’est le jour où une première salle décide de déprogrammer un concert de la Sexion d’Assaut. Ironie de l’histoire, en se félicitant de l’annulation au Chabada d’Angers, l’association Quazar reprend sans le savoir les seuls propos du groupe que Nathalie a réécrit pour condenser et rendre intelligible son entretien. Dans son mail, Nathalie fait le bilan. Tout en évoquant un sentiment d’insécurité prégnant, elle relate « l’activisme des réseaux gays français, suisses et belges qui ont pris le relais de façon plus que musclée ». Puis elle énumère les différents boycott subis par la Sexion d’Assaut, et trace un futur sombre pour le groupe en même temps qu’elle décrit un présent peuplé d’angoisses pour elle. Ce qui l’amène à terminer la première partie de sa missive en disant à son rédacteur en chef ne pas « imaginer le courroux de Sony Records à notre égard en général et au mien, en particulier », phrase qu’elle conclut par trois petits points de suspension. « Nathalie avait peur. Quelqu’un qui a 25 ans de carrière comme elle et qui a peur, c’est qu’il y a un problème » assène Stéphane Hervé, l’un de ses plus proches amis. Tous ces événements, la pression médiatique qui les entourent, et une certaine agitation en coulisses semblent avoir sur la journaliste l’effet de ces mini-secousses sismiques annonciatrices d’un gros tremblement de terre, du genre Big One.
« Nathalie avait peur. »
Stéphane Hervé
Un « big one », c’est exactement le genre de séisme qu’est en train de vivre la Sexion d’Assaut. Sur vingt-quatre dates prévues, seize autres salles finiront par les déprogrammer, dont onze dans les cinq jours qui suivent l’annonce faite par le Chabada. « Putain, mais ce n’est pas possible, on en sortira jamais ! » s’exclame cette fois bel et bien Laurent Rossi. « Leur tournée était quasiment annulée de facto » acquiesce Véronique Mortaigne. La journaliste est celle qui a eu la première le privilège d’entendre Lefa expliquer ignorer le sens du mot « homophobe ». « C’était un peu court comme explication, alors je me moquais de lui. Évidemment qu’il savait ce que ça voulait dire » s’exclame la journaliste. Pourtant, elle dénonce une incapacité de la sphère culturelle à avoir un débat constructif sur le sujet. « Je condamne quelqu’un qui dit qu’il est homophobe, mais personne n’a su prendre de la distance ou de la hauteur. Et je n’aime pas qu’on ostracise. D’un seul coup, tous ces gens qui se ressemblent, tous des mâles blancs fans de rock qui programment des groupes de rock sans même regarder leurs paroles, se mettent à interdire des tournées de Sexion d’Assaut. Ça m’a déplu » peste-t-elle. Pour elle, si les propos de la Sexion d’Assaut sont « intolérables », ils devaient plutôt servir à la prise de conscience d’une homophobie latente encore très répandue dans la société, et donc ouvrir la porte à un travail d’éducation. La journaliste voit la mise au pilori de la Sexion d’Assaut comme un traitement de faveur inversé, spécialement réservé à des jeunes noirs qui font du rap. « Avec cette musique, ça a toujours été comme ça » regrette-t-elle. « Ça ne veut pas dire que tout le monde est fréquentable, mais il y a des malentendus, des mots de travers. Quand des rappeurs de quatrième zone font des conneries, ça fait tout de même la une des informations alors que personne ne les connaît. » Et pendant que le groupe se fait siffler au Zénith de Paris le 5 octobre et multiplie les maladresses (L’Express rapporte « qu’au lieu du tube « Désolé », Sexion d’Assaut a chanté « Nous sommes désolés » »), que le lendemain à Nantes il s’empêtre dans une défense « 100% hétérosexuelle » lors d’une conférence de presse remplie de contrition, Louis-Georges Tin fait le même constat que la journaliste du Monde, rejoint par Alexandre Marcel, du Comité Idaho. Auréolé du titre de Gay de l’année 2009 décerné par les lecteurs du site Yagg, le militant appelle lui-aussi à la discussion jugeant que « le lynchage médiatique (de la Sexion d’Assaut) n’apporte aucune solution. » Il souhaite tendre la main au groupe afin d’établir « un dialogue constructif ». Avec Louis-George Tin, ils proposent à la Sexion d’Assaut et à leur maison de disques la signature d’un communiqué porteur d’engagements.
De leurs côtés, la fédération LGBT et le Collectif Contre l’Homophobie ont également proposé au groupe et à Sony Music « la signature d’une charte nationale de lutte contre les discriminations dans les textes de chanson. » Deux démarches distinctes. Sans tourner explicitement le dos au CCH et à la fédération LGBT, Sony Music et la Sexion d’Assaut se rangent vers le CRAN et le Comité IDAHO. Ils l’officialisent à travers un communiqué dont le titre dit que tout ce beau monde se « rencontre pour sortir de la polémique. » Des engagements sont pris par le label comme par la Sexion d’Assaut, et Sony Music annonce réfléchir à l’idée d’une charte éthique étendue à l’ensemble de son catalogue, telle que l’ont proposée la fédération LGBT et le Comité Contre l’Homophobie. Nous sommes le 7 octobre 2010 et il aura fallu quinze jours pour en arriver là. Désormais, Louis-Georges Tin accompagnera le groupe. Et ce ne sera pas un chemin de tout repos.
« Après avoir mis le groupe face à ses responsabilités, le second front, moins évident, presque aussi difficile à vrai dire, était le front homosexuel. Car un certain nombre d’associations LBGT n’étant pas forcément black-friendly, ou banlieue-friendly, m’en voulaient avec des arguments du style « de toute façon ce sont des Noirs, des jeunes de banlieue, des musulmans, homophobes ils sont, homophobes ils resteront », sous-entendu il y a une sorte de nature homophobe du Noir, du musulman ou du jeune de banlieue. J’avais quand même compris que le but de notre combat c’était que les homophobes ne le soient plus. Alors s’il y en a qui le sont par nature et par nécessité, je ne vois plus très bien à quoi sert la lutte contre l’homophobie. Donc il y avait une forme de racisme évidemment à dire, tous les Noirs sont homophobes, les jeunes de banlieue sont homophobes et le seront toujours. C’est le premier argument que j’entendais autour de moi, sur les réseaux sociaux, dans certaines associations, voilà mon combat est vain. (…) J’étais une forme de traître puisque j’allais discuter avec les ennemis de l’homosexualité. Donc pour certains noirs je pouvais être traître à la race et pour certains homosexuels traître à la communauté. » – Louis-Georges Tin
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J’ai toujours quelques enregistrements de sa voix sur Ouïe FM
Vampirella !
Salut Kza.
On est très intéressés de les entendre. Tu saurais nous les partager ?