La finale du Buzz Booster 2013
Huit groupes, un seul titre. Des visages, des figures, des figurants. Résumé d’une quatrième édition tenue sur la Planète Mars, avec notamment R.E.D.K, Lunik-Mic Orni et Feini-X-Crew.
Samedi 13 avril 2013. Il fait un soleil de plomb sur la Planète Mars(eille). La bonne humeur et la nonchalance toute méditerranéenne sont au moins aussi omniprésentes que les maillots d’un olympique bleu ciel et blanc. Les bouteilles de rosé sont de sortie et le Buzz Booster célèbre sa finale nationale avec huit groupes, tous déjà passés par le crible d’une sélection régionale forcément exigeante.
Cette finale célébrée au cœur de la capitale phocéenne marquait également la fin d’une quatrième édition disputée. Ton magazine préféré était sur le terrain et même au cœur du jury ; un jury qui rassemblait des associations régionales et quelques acteurs nationaux plus ou moins établis. Chaque groupe aura eu quinze minutes – parfois courtes, parfois longues – pour sortir du lot face à un public partagé entre supporters acharnés, l’inépuisable Nemir (nouveau meilleur ami de l’Abcdr), quelques curieux et des gratteurs de disques. Tout ce beau monde était rassemblé dans une belle salle, l’espace Julien, plus vraiment habituée à accueillir du rap hexagonal.
Le voyage n’était pas uniquement touristique. L’enjeu était réel : en plus de flatter les egos, les gagnants remportaient une tournée nationale et un deal de distribution chez Musicast. Étonnamment – et heureusement – l’esprit de compétition aura toujours été de la partie mais relativement apaisé. Le gros Bambaataa aurait probablement opiné du chef face à l’esprit, toujours positif, jamais condescendant, de l’évènement. Il aurait probablement aussi lancé quelques pas de breaks improbables en écoutant le DJ set 4XL de l’excellent DJ Faze, maestro du Serato et vraie figure locale, volubile et chaleureuse.
Au-delà des inévitables (petites) polémiques autour du choix du grand gagnant, cette édition aura offert de vrais bons moments et de belles (re)découvertes. Elle aura été également l’occasion de voir s’affronter différentes écoles de rap aux influences plus ou moins évidentes.
Rencontres avec une sélection de figures clefs de l’événement : R.E.D.K., parrain de cette édition et marseillais pur jus, Feini X Crew, les grands gagnants et le duo Lunik-Mic Orni passé beaucoup trop près du siège suprême pour être passé sous silence.
« « Marseille, c’est une ville de désintéressés. J’ai vu des gros artistes de rap français venir ici et se manger des bides. » »
R.E.D.K
Abcdr : Tu étais parrain de la finale nationale du Buzz Booster 2013. Comment est-ce que tu vois ce rôle ?
R.E.D.K : J’ai été surpris qu’on me demande d’être parrain de cette édition. Je dis ça, je n’ai pas forcément le recul sur l’impact de mes sons. J’étais bien entendu content qu’on fasse appel à moi en sachant qu’il y a quelques années j’avais fait le Buzz Booster en tant que participant avec mon groupe Carpe Diem. On n’avait pas pu accéder à la finale donc quelque part c’est une forme de vengeance.
A : Le fait que la finale ait lieu à Marseille, chez toi, ça prend aussi un sens particulier du coup ?
R : Oui, carrément, on est sur la Terre-Mère là. Le concept du Buzz Booster me plait : cette idée de mettre plusieurs groupes sur un même plateau c’est quelque chose qui ne se fait plus, en tout cas à Marseille. Ça donne lieu à des rencontres avec des gens des quatre coins de la France, c’est enrichissant. On fait des découvertes et on peut approfondir les relations avec ceux qu’on avait déjà croisés. Ca donne également une exposition à beaucoup de groupes qui n’en ont que très peu. Je pense notamment aux gagnants qui vont faire une tournée de festivals. C’est quelque chose de pas négligeable. Quand tu bosses ton rap dans ta chambre, forcément ça te fait rêver. Quand on avait fait le Buzz Booster, c’était ce qui nous avait motivé. On avait aussi fait le concours pour les Francofolies, celui-ci on l’avait remporté.
A : Tu n’as pas eu envie de te remettre en tant que participant sur cette édition ?
R : J’ai beau avoir ce statut de parrain, je ne me sens pas au-dessus des autres. Je suis peut-être un peu plus connu mais je fais partie de l’affiche au même titre que Lunik et Feini-X-Crew et les autres.
A : Toutes les rencontres que tu as pu faire lors de ces éditions des Buzz Booster, c’était aussi une occasion d’avoir de nouveaux échanges artistiques voire de faire des morceaux ?
R : Oui, plusieurs groupes m’ont laissé des maquettes et m’ont proposé des collaborations. J’ai fait beaucoup de featurings par le passé, mais aujourd’hui, je suis sur mon album. Du coup, j’essaie de m’y consacrer pleinement. Les collaborations ça reste quelque chose que je kiffe, ça te met toujours dans un esprit de compétitivité. Tu dois toujours essayer d’apporter ta touche à un morceau pour qu’il décolle. Je reste quelqu’un de très ouvert niveau collaborations.
A : Marseille était capitale européenne de l’année 2013. Le rap, ça représente quoi aujourd’hui à Marseille ? Quel regard portes-tu sur la scène marseillaise ?
R : [Il respire longuement et prend son temps]. La scène marseillaise c’est quelque chose d’assez paradoxal. Elle continue à faire fleurir des talents, je pense notamment à Rafales De Punchlines ou Dino. Ils ne sont pas forcément connus et restent peu mis en avant. A l’inverse de Paris où il y a beaucoup de petites scènes et d’évènements hip-hop, ici, ça reste très rare. Le Buzz Booster est le premier événement depuis le début d’année. Ça devient vraiment difficile pour un groupe du coin de s’exprimer sur une scène comme l’espace Julien.
A : Qu’est-ce qui manque aujourd’hui ?
R : Depuis que l’Affranchi [NDLR : salle de spectacle de Marseille] est en travaux, il n’y a pas eu de scène rap. Il faudrait plus de mecs comme Miloud [NDLR : Miloud Arab-Tani, directeur de l’Affranchi] pour créer et faire vivre des évènements Hip-Hop. Il faudrait aussi des groupes avec un peu plus de renommée, ça contribuerait à faire venir des gens. Si tu fais une ou deux affiches et que la salle est vide, ça n’est pas très motivant pour la suite. Même si je suis marseillais, et ça me fait mal de le dire, mais je pense qu’il faudrait faire évoluer un peu la mentalité des gens. Marseille, c’est une ville de désintéressés. J’ai vu des gros artistes de rap français venir ici et se manger des bides. Le public ne se déplace pas et pourtant des évènements comme celui-là, il n’y en a pas tous les jours. Plutôt tous les six mois.
A : Tu peux nous parler de tes projets à venir ?
R : Je suis en pleine élaboration de mon album solo, Chants de vision. J’en suis à peu plus de la moitié, il devrait sortir vers la rentrée des classes. Je n’ai pas encore de date précise à te donner. On passe des nuits en studio à enregistrer et essayer de trouver des perles rares. Je bosse avec ma garde rapprochée dessus, ceux avec qui je travaille depuis le début : Isma et Size, des beatmakers de Marseille. Il y aura aussi Spike Miller, les Soulchildren qui auront deux morceaux, dont un avec Kayna Samet qui sortira très bientôt.
« Le premier concert de rap auquel j’ai assisté était un concert du Saïan. Peut-être qu’il y a eu une influence inconsciente. »
AL -20
Il doit être en gros une heure et demie du matin. Après une bonne heure de délibération et quelques grands moments d’incompréhension entre les différents membres du jury, le verdict est (enfin) tombé. Feini-X-Crew remporte la couronne, la mise et le droit d’afficher un sourire extralarge jusqu’au petit matin. Humbles et plutôt en retrait, Stefunking et AL-20 sont bien loin de parader. Pas le genre de la maison de toute façon. Ils ne le savent pas (encore), mais ils l’ont emporté d’un souffle.
Dans les couloirs de l’espace réservé au jury, les sentiments sont assez mitigés : tout le monde voyait les gars de Maubeuge sur le podium, mais pas forcément au sommet. Les sourires sont parfois un peu grinçants et un (bon) vent de frustration souffle par instants. C’est le moment d’embarquer les deux dernières bières fraiches pour retrouver le Feini-X-Crew dans un coin un peu plus calme. Avant d’enclencher le dictaphone, on repense à ce bon mot de DJ Faze, philosophe par instants : « Je n’aime ni les puristes, ni les pourristes« . Entretien express avec un duo de charbonneurs posé ici sur un nuage.
Abcdr : Vous venez de remporter le Buzz Booster. Êtes-vous surpris ?
Stefunking : On est venu ici en pensant vraiment à la victoire. Ceci dit, on a eu quelques imprévus sur le show en interne et, du coup, on était un peu mitigé quant à notre prestation, l’impression de ne pas être allé au bout de ce qu’on pouvait proposer… Même si on pense avoir une base solide, on avait peur d’avoir loupé le petit truc qui fait la différence.
A : Comment évaluez-vous le niveau des autres participants à cette édition ? Du côté du jury, on a trouvé ça très serré et plutôt de bonne qualité.
AL -20 : On a regardé à peu près tous les shows et on a trouvé qu’il y avait un bon niveau, tout le monde était à bloc. On s’est dit que l’originalité allait peut-être départager tout ça. J’ai trouvé que tous les shows étaient propres et carrés en tout cas.
A : Vous venez du Nord, vous avez gagné les étapes départementales, régionales puis nationales… C’est un peu l’aboutissement d’une longue aventure cette victoire.
S : Buzz Booster a commencé en 2009 pour nous et c’est quelque chose qu’on a fait tous les ans depuis. Jusqu’en septembre 2012, on avait systématiquement échoué en finale régionale. Du coup, le public était vraiment content pour nous parce qu’il nous connaissait depuis un moment, il avait même pensé qu’on allait gagner certaines éditions précédentes… Là, on a vraiment senti tout le Nord derrière nous. On a d’ailleurs été très content de voir que quelques « fidèles » ont fait le déplacement à Marseille… Ça fait longtemps qu’on nous dit que « ça va payer », on a énormément travaillé et on a l’impression que c’est mérité. Je ne dirais pas qu’on revient de loin mais on a fait du chemin en tout cas [Sourire].
A : Le groupe Feini-X-Crew existe depuis combien de temps ?
S : Depuis 2006 mais il y avait plus de membres au départ. Au fur et à mesure, le groupe a évolué, les priorités des uns et des autres ont changé… On n’avait pas de DJ au départ et on a bien accroché avec Joker qui est aussi le DJ de la Jonction, groupe finaliste du Buzz Booster 2010 d’ailleurs. Ça fait deux fois qu’on emmène Joker sur le Buzz Booster et, cette fois, il nous a bien fait comprendre qu’il voulait le gagner [Rires].
A : Quelle est la prochaine étape maintenant que vous avez remporté le Buzz Booster ?
S : On avait déjà des projets et on comptait énormément sur le Buzz Booster parce qu’on savait que ça nous permettrait de les concrétiser plus facilement.
AL : On n’a pas attendu de faire des concours pour travailler la scène qui est quelque chose qui a toujours été très important pour nous. Par contre, ça nous permet de dépasser le Nord et de faire un peu un tour de France des festivals.
S : Même si on n’a pas tout fait dans le Nord, on l’a bien rodé et on avait vraiment besoin d’en sortir et de rencontrer d’autres gens. On a fait un premier album en 2009 qui s’était limité à une sortie régionale et on aimerait bien que notre deuxième album, actuellement en préparation, puisse avoir une portée nationale. On a gagné une tournée et une distribution avec Musicast donc ça rentre vraiment dans notre projet. Depuis notre premier album, on a beaucoup mûri et on pense que ça sera beaucoup plus abouti. Les choses s’enchaînent bien [Sourire].
A : Je pense qu’on vous a déjà fait la remarque mais, sur scène, on ressent forcément l’influence du Saïan Supa Crew. C’est quelque chose que vous assumez ?
S : Ça n’est pas explicitement voulu mais on l’assume parce que c’est comme ça qu’on conçoit la scène.
AL : Le premier concert de rap auquel j’ai assisté était un concert du Saïan. Peut-être qu’il y a eu une influence inconsciente et que c’est resté…
S : Peut-être aussi qu’on a des points en commun avec eux. J’ai croisé plusieurs fois Vicelow et c’est quelqu’un dont je me sens proche. En tout cas, on le prend comme un compliment. Le premier gros concert de rap auquel j’ai assisté c’était aussi un concert du Saïan… et ils nous ont mis une claque monumentale. Quand tu commences par eux, tout le reste te parait un peu fade…
« L’expérience, ça ne tombe pas dans tes mains tout cuit tout seul. C’est avant tout un choix et une façon de vivre son hip-hop. »
Lunik
Si le Feini-X-Crew restera dans les esprits comme les grands gagnants de cette quatrième édition du Buzz Booster, Lunik et Mic Orni seront probablement les grands perdants. Pas qu’ils aient déçu, loin de là-même. Avec un show ultra-solide et une belle palette de tons et de thèmes, le duo a dégagé une maturité qui aurait pu (dû ?) les amener à poser leurs fesses sur le trône de fer. Une vingtaine de minutes après un verdict forcément très frustrant, on retrouve les gars de Cergy pour revenir brièvement sur le passé mais surtout regarder devant. Logiquement déçus mais néanmoins posés et professionnels, ils confirment ce qu’on avait vu transparaitre sur scène : on a de vrais bonhommes face à nous. Ce Buzz Booster n’était qu’une étape et on est prêt à prendre déjà les paris : ces gars-là ne vont pas s’arrêter là.
Abcdr : Quel parcours as-tu suivi pour arriver jusqu’ici aujourd’hui, en final de l’édition nationale du Buzz Booster ?
Lunik : On est passés par des phases qualificatives, en commençant au Café de la Pêche à Montreuil. On était opposés à sept autres participants comme ce soir. Les trois premiers ont été retenus, on a fait partie de ce trio de tête ce qui nous a permis d’accéder à la finale régionale à La Bellevilloise. On a remporté cette finale pour arriver jusqu’ici.
A : Tu étais une des figures les plus connues et expérimentées de la compétition, notamment au travers de tes participations aux Rap Contenders. Comment tu te situais par rapport aux autres artistes ?
L : Je dois avoir le même âge que la plupart des MCs qui sont passés sur scène ce soir. L’expérience, c’est quelque chose qui vient quand tu te bouges. Ça ne tombe pas dans tes mains tout cuit tout seul. C’est avant tout un choix et une façon de vivre son hip-hop. Dans toutes les scènes que j’ai pu faire, que ce soit End of the weak ou Rap Contenders, on s’est tous croisés à un moment où à un autre. On se connait. Quand je monte sur scène avec Mic Orni, on ne pense ni à l’âge ni à l’expérience. On est dans la complicité et on pense avant tout à s’amuser.
A : Vous avez fait un vrai show à deux, plus qu’une configuration où Mic Orni ferait juste tes backs. Comment est-ce que vous avez travaillé ça ?
L : On n’a pas vraiment bossé spécifiquement cette scène. On se connait depuis un moment avec Mic Orni, on a des automatismes et des traces des années passées ensemble. En plus, on était dans un même objectif : faire de la scène un vrai show, quelque chose de vivant. Il faut du visuel, que ça attire et pétille.
Après, ça aurait été exactement la même chose si le show ça avait été Mic Orni avec moi aux backs, j’aurais tout donné moi aussi. Tu peux être un backer dans le sens où tu vas juste rester au fond où tu peux prendre le sens littéral du terme anglophone, « to back-up » : j’assure et je complète même si ça n’était pas prévu.
Plus largement, c’était un tremplin dans le but de programmation. Quand je fais ce type de concerts je me dis qu’il faut que ce soit représentatif de ce que je suis. Sans faire un catalogue, c’est une façon de dire aux gens qui veulent nous programmer qu’on peut faire autre chose que du boom-bap. On a essayé de montrer un spectre de ce qu’on sait faire, que ça puisse parler à un jeune de douze ans accompagné de sa daronne ou à quelqu’un de plus âgé.
Mic Orni : Un morceau comme « Mortel », qu’on a pu faire ce soir, c’est sur Anakin, l’album de Lunik. Si on incorpore ce morceau dans le show, ça me semble logique qu’on le fasse ensemble.
A : Justement, Anakin est sorti il y a un an maintenant. Quel bilan fais-tu de cet album ?
L : Le bilan est assez positif. Il y a bien quelques trucs qu’on aurait aimé mieux faire, prendre un peu plus de temps, mieux communiquer…. Mais tout ça, ça fait un bagage, c’est de l’expérience. Ça laisse présager de bonnes choses pour la suite. Ce soir aussi j’ai eu de très bons retours. Je suis en train d’embrayer sur un nouvel album solo, sur lequel je vais être accompagné de musiciens, il devrait sortir pour septembre. En parallèle, je suis sur un EP dix titres avec mon groupe Urban Grio’.
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