Les Isley Brothers en dix samples cultes
Rétrospective

Les Isley Brothers en dix samples cultes

Qu’est-ce que Kendrick Lamar, Notorious B.I.G. et UGK ont en commun ? Les Isley Brothers. Retour un groupe qui a influencé des générations de rappeurs.

Dans le clip de « i », un homme à la dégaine de pimp attend tranquillement Kendrick Lamar près de sa Cadillac pour l’emmener en virée. Cet homme, un peu vieux beau sur le retour mais toujours élégant dans son costume mauve, c’est Ronald Isley, le chanteur et pilier du groupe légendaire The Isley Brothers. L’hommage n’est pas anecdotique, car l’ensemble de leur discographie a nourri nombre de classiques.

Ron Isley, invité d’honneur de Kendrick Lamar dans le clip de « i ».

L’histoire commence pour les Isley Brothers dans les années 1950. Originaires de Cincinnati, O’Kelly, Rudolph et Ronald Isley forment alors un groupe qui mêle doo-wop, gospel et pop. Ils s’établissent à New-York pour lancer leur carrière, où ils connaissent quelques succès modestes. En 1962, ils signent leur premier véritable tube : « Twist and Shout ». Composée par Bert Berns, la chanson connaîtra par la suite un succès encore plus considérable entre les mains des Beatles. Après un passage peu fructueux chez Motown, où le groupe n’est pas à son aise, ils décident de reprendre leur label, T-Neck Records, fondé quelques années plus tôt. It’s Your Thing sort en 1969 et marque le début de leur gloire. L’album est composé dans un style plus funk et plus soul qui domine alors les charts. Au début des années 1970, le groupe évolue une nouvelle fois en incorporant les cadets de la famille, Marvin et Ernie, ainsi que Chris Jasper, leur beau-frère. Les Isley Brothers deviennent officiellement un sextuor en 1973 avec l’album 3 + 3. Les nouveaux venus apportent une patte qui va changer en profondeur le son des Isley Brothers. Dès lors, ils vont connaître une suite de succès phénoménaux, à la fois avec des titres très funky et des ballades langoureuses qui deviendront leur marque de fabrique. L’album Between the Sheets, en 1983, signe avec panache la fin de leur triomphe. Peu de temps après, les trois « jeunes » du groupe font scission. Les ennuis de santé, les aspirations individuelles et les années qui passent vont l’emporter pour un temps sur le reste. Dans les années 1990, le groupe est reformé, essentiellement porté par Ronald, le chanteur, et Ernie, le guitariste. Réduits à un duo, ils connaissent encore quelques succès notables dans les années 2000, notamment avec l’album Body Kiss.

« Avec une carrière qui s’étend sur plus de cinquante ans, la musique des Isley Brothers a connu de nombreuses mutations.  »

Avec une carrière qui s’étend sur plus de cinquante ans, la musique des Isley Brothers a connu de nombreuses mutations. Volontiers opportunistes, ils ont touché à tous les genres, injectant selon les modes et leurs envies du rock, du disco ou de la quiet storm dans leurs compositions. Il en résulte une discographie très variée, et inégale, unie cependant par une constante : la puissance et la générosité, que ce soit dans l’instrumentation, l’interprétation, la durée des chansons, les paroles. Quitte à parfois trop en faire, les Isley Brothers font toujours preuve d’une verve impressionnante, même dans les titres plus délicats qui ont fait leur réputation. Les riffs orgiaques d’Ernie sont la meilleure illustration de cet étalage constant de force et de virtuosité. C’est parfois ringard, parfois sirupeux, mais toujours mélodieux et d’une efficacité imparable. C’est d’ailleurs ce qui séduit tant les producteurs : cette immédiateté, ces airs qui rentrent dans la tête et qui se prêtent si bien à la refonte dans une production de rap.

La sélection aurait pu être tout autre ou beaucoup plus vaste, mais il fallait bien faire des choix parmi une discographie colossale, qui abrite elle-même des titres parfois samplés à des dizaines de reprises. Voici notre sélection.

« Lay Away » (1972) samplé par Lil Wayne

The Isley Brothers « Lay Away »

L’air de rien, Weezy a enregistré un paquet de morceaux sur la gent féminine qui ne sont même pas tournés vers la crapulerie (en même temps, c’est facile, il a enregistré un paquet de morceaux tout court). Et quand il faut faire preuve d’un peu de tendresse, se tourner vers les frères Isley est toujours une bonne idée. La production de « Receipt » tire toute la sève soul de « Lay-Away », quand l’orgue décolle et que Ronald commence à envoyer des styles comme personne. Le sample fait certes une bonne partie du boulot, mais les Heatmakerz ont su tirer le meilleur de ce titre et lui insuffler un nouvel esprit. Avec un tel écrin orné de rimes malignes et touchantes, on obtient l’un des moments les plus apaisés de Carter II.

Lil Wayne - « The Receipt »

« That Lady (Part 1 & 2) » (1973) samplé par Kendrick Lamar

The Isley Brothers « That Lady (Part 1 & 2) »

« i » a été parfois critiqué à sa sortie. Trop facile, trop enlevé, trop positif, trop tout ce qu’on veut. Sans parler de cette danse des coudes un peu… déroutante dans le clip. Mais on n’est pas là pour juger (ni pour acheter du terrain). Le single du nouvel album de Kendrick s’appuie sans vergogne sur le tube des Isley Brothers, et n’est en réalité pas si facile à appréhender qu’on pourrait le penser à la première écoute. Il s’intègre dans ce To Pimp a Buttefly infusé de culture noire classique, où Ronald vient lui-même poser sa voix.

Kendrick Lamar - « i »

« Ain’t I Been Good To You (Part 1 & 2) » (1974) samplé par UGK

The Isley Brothers « Ain’t I Been Good To You (Part 1 & 2) »

Les Isley Brothers ont souvent eu la manie de composer des titres interminables en deux parties. La première partie de ce titre jongle de manière contradictoire avec une instrumentation funk et la tristesse profonde de la chanson. C’en est presque perturbant. Si bien que le véritable début du morceau se situe plutôt à 2 min 40, quand tout s’apaise et que les lumières s’éteignent, quand Ron met son cœur à nu, à vif, et livre sans doute sa prestation la plus poignante et la plus douloureuse de sa carrière. Un chef-d’œuvre de délicatesse, qui s’ouvre sur quelques notes simples, lentes, avant de partir en une montée vibrante et en bouffées d’émotion gonflées à l’orgue et à la guitare. Pimp C ne s’y est pas trompé en exploitant tout le potentiel mélancolique de cette chanson pour l’instru de « One Day », un autre classique immense. « Mama put me out at only fourteen, and I start selling crack, cocaine and codeine… » Et la suite est rentrée dans l’histoire. À noter que ce n’est pas Ronald Isley qu’on entend sur le morceau de UGK, mais Ronnie Spencer, son sosie vocal de Houston, qui parvient donc à imiter l’inimitable.

UGK ft. 3-2 & Ronnie Spencer - « One Day »

« Fight the Power (Part 1 & 2) » (1975) Repris par Public Enemy

The Isley Brothers « Fight the Power (Part 1 & 2) »

Alors que « Fight the Power » de Public Enemy est un empilement invraisemblable de samples, le tube éponyme des Isley Brothers ne figure pourtant pas sur la liste. Un comble. Mais il donne son titre, son refrain et son inspiration au brûlot fondateur de PE, qui s’en veut une version actualisée et plus abrasive. À peine quinze ans se sont écoulés entre ces deux « Fight the Power », mais le contexte de leur sortie est radicalement différent. Un gouffre social et culturel semble les séparer. Composée par Ernie, Marvin et Chris, comme la plupart des succès du groupe après l’incorporation des jeunots, la chanson est à la fois un hymne contestataire et l’un des titres les plus dansants de toute la discographie des Isley Brothers. Ronald, à l’interprétation plus rentre-dedans qu’à l’accoutumée, ose prononcer le mot bullshit dans un couplet. Scandaleux à l’époque. Les temps ont bien changé.

Public Enemy - « Fight the Power »

« Make Me Say It Again Girl (Part 1 & 2) » (1975) samplé par Bone Thugs-N-Harmony

The Isley Brothers « Make Me Say It Again Girl (Part 1 & 2) »

Disons-le franchement : cette chanson, c’est de la guimauve. Mais de la guimauve de qualité, de la guimauve aérienne, faite avec amour et qui n’écœure pas. Et il ne faut pas trop y goûter sous peine de fredonner « make me say it again giiiiirl » toute la journée. Bone Thugs-N-Harmony y ont pioché pour leur titre phare, « Tha Crossroads », en mémoire à leurs morts, parmi lesquels figure Eazy-E, leur mentor. Autrement plus sincère et émouvant que ces vœux d’amour un peu creux répétés par Ronald, ce morceau des Bone représente l’un des sommets de ce sous-genre officieux du rap qu’est l’hommage aux disparus.

Bone Thugz-N-Harmony - « Tha Crossroads »

« Footsteps in the Dark (Part 1 & 2) » (1977) samplé par Ice Cube

The Isley Brothers « Footsteps in the Dark (Part 1 & 2) »

L’un des classiques ultimes de la côte ouest. La définition même du son laid-back. À bien y regarder, tout est là : le rythme nonchalant est parfait, la basse n’attend que ça, la production est quasiment toute faite. C’est une véritable offrande. Il n’y a plus qu’à isoler la boucle et rapper. Ou plutôt Ice Cube n’a plus qu’à rapper. Impossible d’écouter « Footsteps in the Dark » sans penser à « It Was a Good Day », et vice versa, les deux sont indissociables à jamais. Ronald évoque des pas hésitants à deux dans la pénombre, mais ce qu’on entend, c’est Ice Cube qui se vante de son triple-double au basket et part sur trois roues choper un burger en plein milieu de la nuit. L’alchimie est tellement glorieuse et la mélodie se suffit si bien à elle-même que Cube ne signe même pas de refrain. Juste le sample qui déroule. Parfait.

Ice Cube - « Today Was a Good Day »

« Voyage To Atlantis » (1977) samplé par Snoop Dogg

The Isley Brothers « Voyage To Atlantis »

Peut-être l’un des plus beaux morceaux du groupe. Ernie avait été touché par la grâce divine pour celle-là. On aurait envie d’apprendre à jouer de la guitare juste pour reproduire cette magie. La version samplée pour « Press Play » de Snoop Dogg n’est pas l’original mais un réenregistrement pour une réédition de 1999. Il faut saluer, une fois encore, le travail exceptionnel de DJ Quik, qui retourne le sample en lui donnant une énergie nouvelle avec cette production ultra riche, agrémentée de cuivres dirigés par Terrace Martin. Il peut être difficile de s’approprier la musique des Isley Brothers pour en faire quelque chose de neuf, dans la mesure où il n’y a souvent rien à retirer ni à ajouter, mais à DJ Quik, rien n’est impossible. Sans doute le meilleur morceau d’Ego Trippin du père Snoop.

Snoop Dogg - « Press Play » ft. Kurupt

« Coolin Me Out (Part 1 & 2) » (1978) samplé par Warren G

Cette fois, c’est de la triche, Ronald est venu réenregistrer sa voix pour le tube de Warren G le temps d’un détournement de refrain (et quel refrain). Il a toujours été comme ça, Ron. Il aime bien traîner avec les jeunes qui lui paient hommage. Warren G et R. Kelly hier, Kendrick aujourd’hui. Toujours dans les bons coups, Mr. Biggs. Quant aux portions de guitare de « Coolin Me Out », un peu de dépouillement, un beat plus marqué, et les voilà intégrées dans un classique du G-funk qui n’a pas pris une ride, même après des années de ride.

Warren G - « Smokin Me Out » ft. Ronald Isley

« Ballad for the Fallen Soldier » (1983) samplé par Jay-Z

The Isley Brothers « Ballad for the Fallen Soldier »

Sans doute pas le titre le plus marquant de la carrière du groupe, mais l’intro se prête une fois de plus merveilleusement à l’échantillonnage. On a clairement basculé dans les années 1980 avec ces guitares grasses, ce pont et ce refrain qui frisent le mauvais goût, et Ronald qui en fait un poil trop. Le résultat est un brin pompeux et naïf, comme souvent quand les Isley Brothers penchent vers un esprit plus rock. Jay-Z et Too $hort s’en emparent pour un récit amer sur un partenaire de business qui se met à balancer des noms après s’être fait pincer. Le sample apporte pile la grandiloquence qu’il faut quand Hov endosse son habit de conteur. « It was all good just a week ago… »

Jay-Z - « A Week Ago » ft. Too $hort

« Between the Sheets » (1983) samplé par Notorious B.I.G.

The Isley Brothers « Between the Sheets »

La musique de chambre par excellence. Les Isley Brothers se sont essayés à tous les registres, mais s’il y a bien un domaine où ils sont imbattables, c’est celui-ci. « Between the Sheets », c’est leur « Sexual Healing » à eux. C’est ouvertement lascif, ça clappe, ça fleure bon les années 1980. Pimp shit, comme dirait l’autre. Biggie l’a bien compris et déboule dans le club en roulant des mécaniques et en balançant des œillades à tout ce qui porte une jupe. Léger, festif, rappé avec un talent fou, « Big Poppa » contribuera à faire de Ready To Die un succès commercial. Et ambiancera un nombre incalculable de soirées sur des générations. Le single parfait en somme.

Notorious B.I.G. - « Big Poppa »

Fermer les commentaires

3 commentaires

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*

  • Mr Funkee,

    Entièrement d’accord avec toi… Me gave tous ces tops qui font l’impasse sur les classiques de la 1ère heure, j’aurais ajouté également Black Sheep – Without A Doubt

  • Krimo,

    Ne pas citer Masta Ace – The INC Ride qui a samplé For The Love of you est quand même pas terrible de votre part!!

  • Vever,

    Aelpeacha avait samplé « that lady » bien avant Kendrick Lamar, avec « acheter du terrain ». Que les choses soient claires.

    Bye!