Halle Berry et le rap : une longue histoire d’amour

Lorsqu’on est une femme, se retrouver citée en canon de beauté dans une chanson de rap, c’est sans doute une petite consécration, la preuve ultime d’être entrée dans l’imaginaire populaire. Même si ce n’est que le temps d’une rime facile où on sert de point de comparaison pour le fessier d’une strip-teaseuse. Il n’empêche, c’est bien là. Évidemment, le rap et le temps sont sans pitié, et les noms des égéries disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus dans les couplets. C’est même à cela qu’on reconnaît parfois qu’un morceau date. Quand on commence à se dire « mais mec, de qui tu parles ?« , ou encore « ah ouais, l’actrice que mon grand frère kiffait au collège« , forcément l’effet est moins réussi. La roue tourne, et entre l’état de grâce et la ringardise il n’y a souvent qu’un pas. C’est comme ça. Mais s’il en est une qui échappe à cette dure loi, c’est bien Halle Berry. Dans un genre musical peuplé de players qui ont érigé l’infidélité en devoir conjugal, elle a réussi l’impossible : devenir la référence indémodable, le fantasme absolu. Une prouesse d’autant plus grande qu’à bien y regarder, la belle a tourné dans peu de films, et parmi ces films beaucoup de navets. Mais on ne peut pas lutter contre le charme d’Halle, qui a conquis sans peine le cœur folâtre des rappeurs. De 1992 à 2012, retour sur vingt ans d’amour sincère et d’hommages plus ou moins graveleux.

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Dr. Dre – « The $20 Sack Pyramid » (The Chronic)

L’histoire débute avec le meilleur interlude de tous les temps. Dans une version complètement délirante et sans Patrice Laffont du jeu Pyramide, l’un des participants hasarde le nom de la jeune Halle pour faire deviner à son compère : « bitches I wanna fuck » (1 minute 45). À l’époque, elle n’a joué à peu près que dans Jungle Fever et Le Dernier Samaritain, mais elle a tapé dans l’œil de beaucoup de monde. On ricane avec les potes, on balance de grosses blagues vulgaires pour faire bonne figure, mais au fond, on sait déjà qu’il se passe quelque chose.

Big L – « 8 Iz Enuff »  (Lifestylez ov da Poor and Dangerous)

« Wicked like Harry / But fuck Sally, I’d rather marry Halle« . Un pur retournement de cerveau à la Big L. « Harry » fait d’abord référence à l’inspecteur Harry, et l’instant d’après au film Quand Harry rencontre Sally. Cette phase, devenue classique, prouve que le name-dropping peut être original. À ce moment-là, les choses deviennent sérieuses entre Miss Berry et le rap. Big L en est déjà à vouloir l’épouser. Tout cela va peut-être un peu trop vite.

Missy Elliott – « Work It »  (Under Construction)

Après s’être un peu perdus de vue pendant quelques années, Halle resurgit dans la vie des rappeurs. Il faut dire qu’elle vient de payer de sa superbe personne dans Opération Espadon et de nous prouver qu’elle avait du talent dans À l’ombre de la haine. Par désespoir, Missy veut bourrer la gueule à son mec pour qu’il lui trouve une ressemblance avec l’actrice (à 1 minute 53). Technique ancestrale, mais toujours efficace.

Kanye West – « The New Workout Plan » (The College Dropout)

« What’s scary to me (is) / Henny makes girls look like Halle Berry to me« . Kanye apporte la preuve que Missy Elliott avait raison. Pendant ce temps, sur une plage, Halle met la planète à genoux dans Meurs un autre jour et déclenche une vague d’amour sans précédent. Une vague qui traverse l’Atlantique puisque Oxmo y va lui aussi de sa petite référence (à 1 minute 21).

Hurricane Chris – « Halle Berry (She’s Fine) » (Unleashed)

Les choses prennent une ampleur inattendue, Halle a maintenant sa propre chanson, un bon club banger aussi inepte qu’irrésistible. Son nom est passé dans le langage courant, il est devenu un compliment. Tout comme les poètes se vantaient d’immortaliser leur muse, les rappeurs ont porté Halle Berry aux nues. Et c’est bien la seule circonstance où Hurricane Chris peut vaguement être comparé à un poète.

Booba – « Top Niveau »  (Lunatic)

« Halle Berry en contact dans mon Blackberry« . La routine s’installe. Les rappeurs commencent à sortir des rimes paresseuses. La passion s’essouffle d’autant plus que l’actrice ne tourne quasiment plus rien. On la cite par habitude, mais le cœur n’y est plus vraiment. Et si c’était fini ?

Kendrick Lamar – « Money Trees »  (Good Kid, m.A.A.d. City)

L’impressionnant retour de flamme. Compton, vingt ans après l’interlude de Dre, on n’a rien oublié. Kendrick orne l’actrice de l’un ses meilleurs refrains : « It goes: Halle Berry or Hallelujah / Pick your poison, tell me what you doin’« . Elle n’est plus une femme, elle incarne la femme. Elle entre dans la mythologie contemporaine en devenant la Vénus du rap. Halle, on t’aime.