En plein air et sous l’eau au festival Openair
Du 11 au 13 juillet s’est déroulé à Frauenfeld, dans l’Est de la Suisse, « le plus grand festival Hip-Hop d’Europe », dixit ses organisateurs. 140 000 spectateurs répartis sur les trois jours, de grosses têtes d’affiche, de la pluie, de la boue, des surprises et, forcément, des déceptions…
A l’est de la France se trouve un petit pays nommé « Suisse », notamment connu pour son chocolat, ses montres et ses banques. Un petit pays où l’on peut se permettre d’organiser des festivals de musique Hip-Hop dont les têtes d’affiche sont Cypress Hill, Jay-Z, Ice Cube, Common ou le Wu-Tang Clan. La fouille à l’entrée est minimale, comme la sécurité pendant les concerts, et l’alcool coule à flots. Pourtant, les débordements et autres bousculades demeurent aussi rares qu’une victoire en coupe du monde de football de l’équipe nationale helvétique. Les festivaliers peuvent quitter les campings, laisser leurs affaires dans leurs tentes, se rendre aux manifestations prévues, puis revenir et ne constater aucun vol. Pendant ce temps, à quelques centaines de kilomètres de là au pays du fromage, on n’organise même plus de simples concerts de rap dans certaines villes du fait de mauvaises expériences passées.
Le festival pour nous commence samedi 12 juillet, faute au travail en équipe d’après-midi jusqu’au vendredi. Cypress Hill, Common, Iam et The Hives sont déjà passés la veille. La pluie et des dizaines de milliers de spectateurs également, transformant le site en un immense bourbier, où marcher 100 mètres sans glissade relève de l’exploit. Pas besoin d’aller jusqu’à Leipzig pour faire de splash. Les plus alcoolisés ont déjà abdiqué et prennent des bains de boue façon Woodstock. Les médecins et autres pharmaciens suisses auront du boulot en début de semaine suivante. Place à la musique. Deux scènes, la Hauptbühne, immense et en en plein air, pour les têtes d’affiche, et la Hip-Hop Bühne, sous une tente pas très spacieuse mais tellement plus chaleureuse, pour les autres. Quand un concert sur l’une des bühne s’achève, sur l’autre démarre une autre prestation, pour peu que les intervenants respectent le timing défini.
Dog Eat Dog ayant fini son set à l’extérieur, c’est donc les Canadiens de Swollen Members qui se lancent. Derrière les platines et un peu partout, Rob the Viking. DJ, caméraman, backeur, voire rappeur par moment. Et Viking, donc. Forcément à l’aise au pays du couteau multifonctions, il se fait pourtant rapidement voler la vedette par son grand échassier de collègue, Prevail. Le garçon est visiblement ravi d’être là. Il occupe l’espace comme pas deux, cavale d’un coin à l’autre de l’estrade, harangue la foule, saute dans le public, et continue de rapper ses textes couché sur le dos alors que les spectateurs le trimbalent à droite et à gauche. Une bête de scène comme on dit. Tous les (relatifs) grands moments du groupe y passent, sans que l’intensité ne faiblisse. Prevail nous demande également à plusieurs reprises de témoigner notre affection au troisième larron du groupe, le MC blondinet Manchild, resté à Vancouver pour une raison inconnue. La prestation s’achève sur un salut à la mémoire de grands noms de la musique partis trop tôt : Janis Joplin, Jimi Hendrix, Jim Morrisson et Kurt Cobain. Puis par un freestyle hallucinant sur l’instru de ‘Smells like Teen Spirit’. Vous en rêviez, Prevail l’a fait. Un rappel, deux rappels, puis le MC nous explique qu’il faut quand même que ça s’arrête un jour, qu’il y a du monde qui attend pour passer après. Fin du concert. On a presque oublié que Swollen Members était devenu un groupe bien moyen après ses deux très bons premiers albums.
« Les plus alcoolisés ont déjà abdiqué et prennent des bains de boue façon Woodstock. »
Les groupes qui suivent n’éveillent que peu d’intérêt parmi nous. Par pure curiosité, on jettera quand même un œil et une oreille aux Looptroop Rockers, à Promoe et à son poulpe blond sur le crâne. Une fois cela fait, nous voilà avec suffisamment de temps devant nous pour nous restaurer, et rejoindre les autres non-régionaux de l’étape à qui l’on avait donné rendez-vous. Le moment est idéal pour ingurgiter quelques bières, et, Madame étant restée de l’autre côté de la frontière, regarder ainsi les nombreuses festivalières d’allure plutôt sympathique avec moins de remords. Visiblement le temps exécrable et frais n’a eu que peu de prises sur les comportements vestimentaires.
Puis vient l’heure des choses sérieuses. Pour une raison que l’on ignore, Ice Cube a été programmé sur la Hip-Hop Bühne, la plus petite des deux scènes. Du coup, on arrive une heure en avance mais les meilleures places sont déjà prises. On doit donc se poster derrière deux géants. A force de patience et de ruse, on finira par s’offrir un angle de vue suffisamment bon pour pouvoir profiter du concert. Celui-ci commencera avec une demi-heure de retard, laissant le temps aux spectateurs de s’agglutiner et de se serrer comme des sardines. Chercher son mouchoir dans sa poche devient vite un exercice de contorsionnisme. Enfin, après une intro de WC et Crazy Toones, Cube déboule, sous un étrange mélange d’applaudissements, de huées et de sifflets. La rancœur sera toutefois vite oubliée. En effet, le garçon n’est pas venu ici en touriste. Fini le rôle de l’antihéros sympa et un peu paumé des séries Friday ou Barbershop, Ice Cube a retrouvé le masque du prédateur, du nigga you love to hate. Et frappe fort d’entrée, avec ‘Do your Thang’ et ‘Natural Born Killaz’. Un petit break avec ‘Gangsta Rap made me do It’ et interruption, pour nous informer que la Suisse se situe « right in the middle of the International Westside ». Qui disait que le rap était une musique d’ignorants ? Voilà quelque chose que les profs d’histoire géographie ne vous apprendront jamais. Ca enchaîne aussi sec avec deux nouveaux gros coups de pression, les bangers de la Westside Connection, ‘Bow Down’ et ‘Gangsta Nation’. L’ambiance, surchauffée avant même l’arrivée du MC, devient réellement torride. La notion d’espace vital n’est plus qu’un vague souvenir. Le temps de reprendre son souffle, Cube laisse la scène à WC, qui interprète son couplet de ‘Westcoast Voodoo’. Puis le Glaçon revient, se fait installer un pied de micro, qu’il utilisera entre 5 et 10 secondes au début de ‘It was a good Day’. Au terme du titre, pas rancunier, le MC angelino nous demande si l’on connaît Eazy-E… MC Ren… DJ Yella… et un certain Dr Dre. La suite, vous vous en doutez sera un medley des différents couplets d’Ice Cube sur « Straight Outta Compton ». La tente se transforme en sauna géant. Après quelques petits jeux avec le public, Ice Cube achève son set par certains morceaux moins marquants, tirés de Laugh Now, Cry Later. Probablement pour ne pas se mettre à dos 90 % des spectateurs, WC et Cube auront l’élégance de ne pas interpréter ’80’s Babies’.
Pas de rappel, et une ovation peu conforme à la très bonne qualité de la prestation : le public se presse de quitter la Hip-Hop Bühne. En effet, comme Cube s’est pointé avec du retard, le concert du Wu-Tang, prévu à la suite, a déjà démarré. On quitte donc rapidement les lieux, et en arrivant dehors on aperçoit, sur l’écran géant jouxtant la grande scène, le sourire de Method Man, la mine impassible de RZA et Raekwon en train de rapper. Bizarrement pourtant, on n’entend pas grand-chose. On continue à avancer, et toujours la même, peu de sons arrivent à nos oreilles, si ce n’est une ligne de basse, un break de batterie et un obscur murmure, qui permettront tout de même de distinguer les titres joués. On comprendra notre douleur quand viendra ‘Da Rockwilder’, et le couplet de Redman, probablement en train de chiller du côté de New Jeruzalem ou de Shaolin à cet instant t. Non seulement le Clan est en playback, mais en plus le volume des voix est étrangement faible. Du coup, même le mythique couplet de Deck sur ‘Triumph’ paraît fade. Affligeant. Le Wu a officiellement achevé d’écorner son image avec 8 Diagrams. Désormais, il s’applique à la froisser et à la rouler en boule. La fin de cette histoire qui avait si bien commencé est proche, mais on aimerait qu’elle le soit encore plus, histoire que les bons souvenirs ne perdent pas plus de terrain. Le concert se termine dans une certaine indifférence, les rangs s’étant dégarnis au fil des longues minutes. La pluie n’a cessé, comme pour accompagner la prestation des New-yorkais. On a beau être au courant que le Wu est tout sauf un groupe de scène, qu’il faut s’attacher aux disques et pas aux artistes, un foutage de gueule pareil ne laisse pas insensible. Du coup, pas de motivation pour aller voir les Allemands de Dynamite Deluxe. Fin de la soirée, en eau de boudin, en eau tout court, même. Nuit désagréable dans la voiture. Ca reste probablement toujours mieux que sous une tente, cela dit. En plus, j’ai jamais vécu la guerre mais grâce aux ronflements de mon pote, je sais mieux à quoi ça peut ressembler maintenant.
Dimanche matin. Retour sur le site. L’occasion d’étudier scrupuleusement le déhanché de la charmante – et visiblement très portée sur la chose – Cécile, avant d’enchaîner par la Madd Family, groupe de toasters kenyans, moins sexy mais sympas quand même. Pluie et gueule de bois forment une combinaison détonante, et les concerts se déroulent devant des petits comités tranchant radicalement avec les masses humaines de la veille. C’est donc dans cette atmosphère plus respirable que débarquent The Cool Kids. Et là, on se rappelle immédiatement the game face d’Ice Cube la veille au soir. Les deux MCs de Chicago et leur DJ en sont l’exact opposé. Heureux comme des gosses d’être là, ne cherchant surtout pas à le cacher, avec un show efficace qu’on ne sent toutefois pas encore tout à fait rodé. Loin des grands professionnels de l’industrie et des disques d’or, le genre de mecs que l’on pourrait rencontrer sur un playground ou les bancs de la fac, dans une teuf’ ou une fosse. Frais est l’épithète qui leur conviendrait le mieux s’il n’avait pas été tant galvaudé. Soyons honnêtes, on n’est pas très familiers de la discographie de ces garçons, mais on se prend vite au jeu. Les prods dépouillées sonnent résolument mid eighties, et les refrains simples à retenir et à scander constituent une aubaine en ce lendemain de cuite quasi-générale. ‘What Up Man’, ‘Black Mags’, ‘A Little Bit Cooler’, le duo possède un don certain pour faire des morceaux aux allures de hits potentiels. Assurément un groupe à suivre. Seul bémol, le show s’arrête 10 minutes avant l’horaire prévu. Pas suffisant néanmoins pour atténuer la très bonne impression que le combo de l’Illinois nous a laissée.
Avec ce départ anticipé des Cool Kids vient plus tôt que prévu l’heure de la question fatidique pour nous. Rester ou ne pas rester jusqu’au soir, et au concert de Jay-Z qui clôturera le festival ? Le fait de s’interroger est déjà révélateur de l’état d’esprit de l’équipe. Du coup, de la pluie incessante au manque de sommeil, tous les prétextes sont bons pour envisager de quitter les lieux dans l’après-midi. En plus, les concerts prévus avant celui de Hova n’ont rien de très réjouissant, et partir en avance nous éviterait les bouchons que ne manquera pas de provoquer la masse de spectateurs quittant le site au terme du show du Jigga. Mince. Les quelques éméché(e)s qui font du catch dans la boue ne semblent pas se poser autant de questions. Et là on se dit que nous aussi cinq ans auparavant on serait restés jusqu’au lendemain s’il l’avait fallu. Aller en Suisse pour réaliser qu’on vieillit, c’est ballot. En attendant, on lève le camp : l’averse redouble d’intensité et aller bosser mardi avec la grippe est une idée peu enthousiasmante.
Chemin du retour, 200 kilomètres comme sur des roulettes. Rentrer chez soi, au sec, mais tout de même prendre une douche pour évacuer les odeurs, puis s’endormir devant Stade 2. Se réveiller deux heures plus tard, zapper sur MCM, et tomber sur la rediffusion d’un concert au Ballroom d’Hammerstein de… Jay-Z. Voilà qui ne s’invente pas. Même en n’étant pas fan du bonhomme, on se dit que ça a l’air quand même bien chouette, qu’on aimerait en être. Saleté de temps pourri, saleté de temps qui passe.
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