Les 10 ans de The College Dropout
Le 10 février 2004, Kanye West sortait son premier album solo. Sincèrement, vous les avez vus passer ces dix ans ? Retour sur The College Dropout, un album passé depuis à la postérité.
Le 10 février 2004, Kanye West sortait son premier album solo. Sincèrement, vous les avez vus passer ces dix ans ? Pas nous en tout cas. Et pourtant, même si on se souvient de la première écoute de « Through The Wire » comme si c’était hier, il y en a eu du chemin parcouru pour Yeezy. 10 ans qui ont permis à Kanye de devenir plein de choses à la fois : une superstar planétaire, une des plus influentes figures de la pop culture, le père d’une dénommée North et probablement le pire ennemi des designers du monde entier. Surtout, il est désormais à la tête d’une discographie exemplaire, de six albums solos essentiels qui ont tous, à leur manière, laissé une empreinte indélébile. Il a même sorti un album commun avec Jay Z, son grand frère, qu’il regardait avec plein d’admiration et qu’il a littéralement embarqué dans son propre univers le temps d’un disque. C’est donc d’autant plus intéressant de se plonger dans l’époque The College Dropout où Kanye n’était alors qu’un producteur en vogue que tout le monde regardait avec de gros yeux quand il annonçait ses velléités de prendre le micro. Pour célébrer ce disque que nous avions déjà chroniqué à sa sortie, on a donc décidé de travailler en collaboration avec Regis Boussari du collectif Trick’Art. Son hommage au disque nous a tous donné envie d’avoir un sac à dos Louis Vuitton.
Jesus Walks « You know what the Midwest is? Young and restless. »
Même s’il n’en était qu’à son premier album, Kanye West savait qu’il tenait déjà un morceau particulièrement puissant avec ce « Jesus Walks ». La preuve, il avait consacré pas moins de trois clips pour un titre qui lui colle encore à la peau. Kanye a beau être aujourd’hui à des années-lumière du Christian rap de The College Dropout, le troisième single du disque reste une des plus belles références de son C.V comme en atteste sa ligne sur « Otis » (« I made « Jesus Walks », I’m never going to hell »). En 2004, la musique de Kanye semblait déjà partagée entre sincérité et posture visant à défier les médias et l’opinion générale. « They say you can rap about anything except for Jesus » ? Il n’en fallait pas plus pour que le natif de Chicago fasse de la religion un thème central et s’oppose de manière assez frontale aux autres sorties estampillées Roc-A-Fella. « Jesus Walks », c’était aussi et surtout les influences de The Pharcyde et A Tribe Called Quest revisitées par un cerveau ultra-créatif (le morceau comprenait déjà un bout d’autotune !). 10 ans plus tard, Kanye se présente comme un Dieu, plus tout à fait comme un disciple de Jésus, plutôt comme un de ses semblables qu’il n’hésite pas à inviter sur scène. La boucle est bouclée ? – Mehdi
Never Let Me Down « I know they don’t want me in the damn club »
Dix ans après, réécouter le premier album de Kanye West veut aussi dire s’incliner devant un parcours d’une cohésion confondante. D’album plus que solide même si perfectible, The College Dropout est devenu la genèse passionnante d’une star et d’un artiste à tout faire. « Never Let Me Down », par exemple, contient en lui les éclats de tout ce qu’accomplira Kanye les années suivantes. L’évidente alchimie avec Shawn C. Carter, prolongée sur une flopée de titres et concrétisée par un Watch The Throne triomphant. Les mots augustes de J. Ivy, auxquels viendront répondre les divagations christiques de Yeezus. Un fabuleux sens du refrain et du spectacle, qui trouvera son point culminant dans l’extravagance majestueuse de My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Cette phrase, « I was born to be different », alors presque anodine et qui aujourd’hui résonne lourdement. Même son titre fait sens. Car si l’intitulé du morceau était tourné en question, la réponse serait, six albums plus tard, strictement négative. Et c’est bien là une formidable réussite. – David²
Slow Jamz « I played Ready For The World, she was ready for some action »
Quel meilleur hommage aux samples de soul qui ont fait la gloire de Kanye dans les années 2000 qu’un titre qui, à peine déguisé sous le prétexte de mimer l’ambiance d’une ballade romantique, est entièrement dédié aux maîtres des rythmes langoureux des décennies passées ? L’instru part d’un rien du tout, d’une boucle vocale qui ne cesse d’enfler à mesure que Kanye peaufine son monstre et y rajoute sans cesse des chœurs, des guitares, des bongos hystériques… Une richesse qui n’empêche pas le morceau d’atteindre le juste équilibre entre sensualité quasi mystique et enthousiasme musical débridé. Si l’on y ajoute une pointe d’humour et quelques phrases marquantes (« She got a light-skinned friend, look like Michael jackson… ») on obtient l’une des meilleures illustrations de sa formule de l’époque. Tout cela sans compter le coup de grâce, cet astucieux contrepied de convoquer la foudre de Twista après un interlude mémorable avec Aisha Tyler, qui jouait alors la copine de Ross dans Friends. Eh oui, le temps passe. Dix ans après, l’hommage aux classiques est lui-même devenu un classique. Tout est toujours histoire de boucle. – David
School Spirit « I’mma get on this TV, mama »
Kanye West a déjà connu plusieurs vies. Mais il a eu deux naissances. La première, celle du Kanye producteur, a eu lieu le 11 septembre 2001, quand il forgeait l’identité sonore de The Blueprint, gravant dans le marbre des intemporels comme « Heart of the city » ou « Takeover ». La seconde, celle du rappeur certain de sa destinée, est venue avec The College Dropout. Une ambition sans limites et une confiance en soi inébranlable valent bien tous les diplômes, en plus d’être un disque fondateur, The College Dropout est un manifeste de l’affirmation de soi. Au-delà des diplômes, des conventions et de l’adversité. « School Spirit » n’est pas le morceau le plus marquant de cette ascension galactique, mais il reste le témoin d’une certaine identité sonore. Où les voix pitchés et les chœurs empruntés à une chorale de Gospel prenaient le pas sur les TR-808, les Taiko drums et les déclarations enflammées à l’autotune. – Nicobbl
Two Words « I should’ve been signed twice »
Trois voix charismatiques pour trois styles très différents. Trois couplets à la chaux vive extraits de trois villes violentes et froides. Une bande son en trois éléments clés : le chœur lyrique et puissant des jeunes d’Harlem, la guitare électrique bétonnée et le violon aérien de Miri Ben-Ari. Au final, un exercice de style, une confrontation entre trois écoles, parfaite synthèse du style Kanye de l’époque. Entre la brutalité frontale du State Property de Freeway et la subtilité post-Native Tongues de Mos Def, Kanye West se confronte aux meilleurs du rap contemporain et prouve qu’il sait se mettre à la hauteur. Même s’il reste encore dans une position de challenger, ce statut entre deux mondes va le propulser sur un trône qu’il a fabriqué pour lui seul. Deux mots : Encore bravo. – Lecaptainnemo
Last Call « I’d like to propose a toast… I said toast motherfucker! »
Pour les dix ans de The College Dropout, le magazine Billboard a publié une rétrospective de l’album, racontée par 26 personnalités différentes, toutes associées au projet. Le grand absent était Kanye West lui-même, mais avait-il vraiment besoin d’en être ? Après tout, son oral history de The College Dropout, il l’a déjà donné. Et c’était à l’intérieur de The College Dropout. Pendant les huit dernières minutes du disque, il raconte toute l’aventure qui l’a amené jusqu’au label Roc-A-Fella : les coups de chance, les faux départs, les instants cruciaux et même quelques secrets de production (les drums de « Izzo » ont donc été volés à Dr. Dre). Dix ans après, ces huit minutes restent un grand moment, à la fois parce qu’elles constituent un récit passionnant et dynamique (le timing des dialogues en arrière plan est parfait), une mise en abîme très bien pensée, mais aussi parce que toute cette histoire paraîtrait aujourd’hui dérisoire si Kanye West, jeune espoir en 2004, n’était pas devenu Kanye West, phénomène pop incontournable. Le monologue en dit long sur le culot du personnage, largement documenté depuis, mais aussi sur sa prescience. – JB
les drums piques a explosive de Dre… cest sur « this can’t be life » sur Dynasty 😉
Exact, c’est bien de « This can’t be life » dont il parle dans le morceau. Mais Izzo sample aussi les mêmes drums !