10 trésors cachés de 2013
De Los Angeles à Atlanta, les scènes locales du rap américain continuent de donner naissance à des talents prometteurs. Tour d’horizon en dix albums sorti en 2013.
Dee Goodz – Donny Cash Vol. 1 Nashville
Dee Goodz « South Still Ballin’ »
Nashville a surtout brillé en 2013 pour l’année extraordinaire de Starlito : ses deux solos autour de la dinde et la suite de sa collaboration avec Don Trip. Les passes d’armes avec Kevin Gates ont été particulièrement violentes aussi et nous font espérer de belles choses pour cette clique de rappeurs durs mais émotifs.
Pourtant cette année, Cashville a aussi vu naitre un autre rappeur indépendant solide avec Dee Goodz. Naviguant déjà depuis plusieurs années dans le jeu, son dernier projet en date, Donny Cash, est un condensé de bon rap actuel, moderne dans les productions tout en laissant de la place à des influences bien senties de boom bap/soul à la RZA. Niveau contenu, beaucoup de storytelling, très cinématographique, un univers complet qu’on peut retrouver dans ses vidéos. Sur 16 titres, la cohérence est réelle et permet une écoute en boucle, très rare pour un album de notre époque où le format long n’est plus roi. Pas l’album de l’année mais du concret pour la suite.
Malheureusement, ce n’est pas lui que TDE est venu chercher dans le Tennessee pour leur nouvelle signature mais Isaiah Rashad qui profitera de son premier clip pour placer une ligne sur Dee Goodz à la “Control” de Kendrick, son nouveau mentor. Name dropping de compétition ou vieille rancoeur locale, la mention est assez lourde de sens sur un morceau nommé “Shot U Down”. En effet, 2013 a été aussi marquée par un fait sanglant pour Dee Goodz, touché à la jambe en septembre lors d’une fusillade en plein concert de Fat Trel à New York. Mauvais endroit, mauvais moment mais la balle évite l’artère de quelques centimètres. il s’en sort bien et réagit vite avec un vidéo clip où il chill à Los Angeles, à la cool. Ce qui ne te tue te rend encore plus fort et 2014 risque de le prouver pour ce nouveau talent du Tennessee.
Go Dreamer – The OuttaHere Project Atlanta
Go Dreamer « New Age Macks / One Big Bag »
La scène d’Atlanta a encore été très prolifique en 2013, surtout avec Gucci Mane et ses protégés, Young Thug et Young Scooter en tête. Mais sorti de la nébuleuse Trap, il y a aussi toute une faune de rappeurs indépendants, plus ou moins rejetons de la Dungeon Family et de tout ce qui va avec.
Parmi ce vivier quasi infini se dessine la silhouette d’un ATLien de taille, Go Dreamer. Membre des feu-Hollyweerd, ce mutant s’inscrit clairement dans les pas d’Andre 3000 et Big Boi avec son lot d’expérimentations new age et d’explorations funky modernes. Passé complètement inaperçu, The OuttaHere Project synthétise tout ce qu’on aimerait voir dans un nouvel album d’Outkast : du goût, du danger et de la flamboyance. Le tout en collaborant avec toute la fine fleure indé d’ATL, des prolifiques Two 9 au très arty ForteBowie en passant par Tuki Carter, son ancien coéquipier d’Hollyweerd, maintenant sur le banc du Taylor Gang.
Entièrement produit par The Flush, proche de l’excellente clique SMKA, ce disque passe par toutes les émotions et offre de belles ambitions aux héritiers nombreux de la scène la plus avant-gardiste d’Atlanta. Pour 2014, on peut juste souhaiter à ce WEERDO autoproclamé de sortir des méandres de Bandcamp et Soundcloud pour exploser à ciel ouvert, aux yeux de tous.
TeeCee4800, Nano & Reem Riches – Mid-Town Money Los Angeles
TeeCee4800, Nano & Reem Riches Always
Los Angeles a aussi été largement de la fête en 2013, surtout avec l’alliance DJ Mustard / YG et leur formule “Function” déclinée à l’infini. Le minimalisme entêtant de ces deux-là a fait bouger énormément de têtes et de fessiers, inspirant de nombreux autres artistes. Outre les très bonnes sorties de YG (Just Red Up 2) et Joe Moses (From Nothing to Something 2), c’est vers les seconds couteaux de l’équipe qu’on se tourne.
En effet, TeeCee4800, Nano et Reem Riches sont trois affiliés de Pu$haz Ink, le label du duo infernal. Ils ont sorti en juin dernier Mid-Town Money, une mixtape parfaite pour l’été, regroupant tout le savoir faire de Mustard accompagné bien sûr de YG sur plusieurs titres. Le résultat est un peu moins redondant qu’à l’habitude, les trois rappeurs apportant une fraîcheur différente aux productions de Dj Mustard parfois assez génériques même si toujours très efficaces. Le tout respire la Californie de carte postale entre éternels palmiers, femmes de petite vertu et histoires de gangsters endimanchés. Pourtant, tout est authentique.
Les meilleurs moments restent ceux mettant en valeur des refrains imparables du parfait Ty Dolla $ign. On regrette d’ailleurs le relatif éloignement de ce Nate Dogg du futur. En effet, depuis sa signature chez Taylor Gang, il se fait plus discret et a même réussi à éjecter Joe Moses de son tube « Paranoïd » pour le remplacer par un B.O.B insipide. En espérant que ce ne soit qu’un passage à vide car ses deux Beach House présageaient une voie royale. En attendant la suite, les goons de YG font le boulot et balancent la dose pour tous ceux qui restent en manque de cette recette parfaite.
Grilly – Pour Up A Player Alabama
Grilly « Melody On »
L’Alabama est resté une terre de rap très sous estimée en 2013. Il est vrai que les stars proclamées, comme Yelawolf ou Rittz, ont douloureusement retrouvé les abysses, se rapprochant de plus en plus de l’univers ésotérique de la Three 6 Mafia à l’ancienne. Le tout peine à décoller du simple hommage, voire même de la resucée morbide. Et la fin de l’année a été marqué par un drame, le meurtre de Doe B, grand rappeur en devenir originaire de l’état, fauché en pleine ascension avec le Grand Hustle de T.I. à l’âge de 22 ans. Une année triste donc.
Mais du côté d’Huntsville, les affaires restent florissantes, surtout autour des producteurs Block Beattaz. En produisant plusieurs projets de qualité pour Stalley, ils ont affirmé leur assise. Moins expérimental que sur les deux albums de G-Side, on les retrouve dans beaucoup de registres différents auprès des autres affiliés de Slow Motion Soundz comme Zilla, Mic Strange, Bentley ou même le plus éloigné Jay Dot Rain. Mais le projet le plus abouti, entièrement produit par Mali Boi des Block Beattaz, reste celui d’un sombre inconnu (plus que les autres, disons) : Grilly.
En effet, son premier album, Pour A Player Up, est très agréable de but en blanc. Pourtant la recette parait maintenant réchauffée vu qu’il s’agit de bon vieux Country Rap Tunes, citant allègrement 8 Ball & MJG, UGK ou Outkast. Alors que Big K.R.I.T diversifie son répertoire et que L.E.$ tourne un peu en rond sur son circuit, il n’est pas désagréable de trouver un rappeur tout frais du banc jouer sur ce parquet. Les productions de Mali Boi sont millimétrées, séparées de petites scénettes sudistes du meilleur goût. Les textes parlent de camaraderie autour d’un bon cognac, d’histoires de bonhommes toujours debouts. Très consistant pour un premier essai, Pour A Player Up devrait permettre à Grilly de se faire une place sur cette scène toujours en ébullition, qui vient de voir se reformer son duo le plus important, G-Side. Peut être que 2014 sera l’année où l’Alabama sera reconnu à sa juste valeur.
HBK Gang – Gang Forever Bay Area
HBK Gang « Never Going Broke »
Le HeartBreak Gang a eu une année exceptionnelle en 2013. Avec un deuxième volume de Kilt (excellent) et de MBMCG (un peu en-dessous) pour les deux têtes du groupe, Iamsu! et P-Lo, la continuité est totale entre slap assasin, gros banger pour les clubs et réminiscences 80’s bien senties. Ajoutez à cela les albums de HBK CJ, de la tape de Iamsu! avec Problem puis les très bonnes sorties des affiliés Kool John, Jay Ant, Azure ou Dave Steezy, le tube « Gas Pedal » de Sage Gemini et vous obtenez le crew le plus actif de la côte Ouest entre hymnes à la vie, blagues potaches et danses improbables.
Toute cette énergie positive se retrouve dans le premier projet du groupe au complet sorti cet été sous le nom Gang Forever. Un visuel flashy quasi hippie derrière lequel se cache toutes les facettes des Californiens. Parfois redondante, souvent très communicative, la musique du HBK est une énorme bouffée d’air frais, une tranche de franche camaraderie, une immersion dans les soirées universitaires où les bières sont infinies et les seins, nus.
Toute la fine équipe se passe la balle dans une énorme surprise party, chaque track conviant au moins quatre d’entre eux et, parfois, jusqu’à sept de ces fous furieux. Entièrement produit en interne, Gang Forever est une vraie synthèse avec un début sur les chapeaux de roue et une fin plus aérienne. A noter, un remake très classe du « Can’t Hold Me Down » de Puffy & Ma$e, décidément très à la mode en 2013. On attend maintenant pour 2014 le premier album officiel de Iamsu!, celui de Sage Gemini ainsi que Wet 2 de Skipper, très en verve sur ce disque. Déjà au top depuis 2 ans, le HBK Gang risque bien d’accomplir le reste cette année. Soyez prêt !
NDA : le Wet 2 de Skipper est sorti la semaine de la publication de cet article. Et il est très recommandé !
Maxo Kream – Quicc Strikes Houston
Maxo Kream « Lewinsky »
De nombreux rappeurs ont remis le style de DJ Screw à la mode ces dernières années mais finalement peu de nouvelles têtes de Houston ont remastérisé la formule comme a pu le faire ASAP Rocky et sa bande. Alors que la mafia ASAP changent de références tous les quatre matins, pas toujours de manière très heureuse, c’est par le biais de Maxo Kream que vient cette relève d’H-Town, mélange de références très modernes et de constantes texanes.
Quicc Strikes est un projet sombre, à l’image de sa pochette, entre pixellisation à la Tron et Slime dégoulinant à base de sirop violet. Très proche des tendances actuelles, Maxo Kream marque de sa voix profonde des productions bien choisies entre oppression, tradition et évasion. Très précis, son débit arrive toujours à tenir en haleine avec bien sûr de nombreux passages screwed obligés. Les morceaux de bravoure sont nombreux comme sur ce « Lewinsky » brutal où la voix se fait de plus en plus éraillée et l’interprétation vraiment impressionnante ou encore sur un « Hella Yellas » à la limite de l’épilepsie.
Lourd en symboles, son univers est assez proche de ce que proposent les ASAP, Raider Klan ou autres Deniro Farrar. Mais Maxo Kream le développe avec beaucoup de verve et une constance de qualité qui permet de l’identifier comme la révélation de l’année à Houston, Texas.
Denzel Curry – Nostalgic 64 Floride
Denzel Curry « Threatz »
La scène floridienne est actuellement florissante, un florilège de jeunes pousses en pleine montée de sève. Le Raider Klan fait partie des plus remarqués derrière la personnalité éclatée de SpaceGhostPurpp. Ambiance quasi satanique, rites de la bête et autres invocations perturbées qui rappellent bien sûr les grandes années de la Mafia au trois 6. D’ailleurs, la musique est aussi très proche, le Raider Klan s’appuyant pendant un moment à reproduire le son de cette époque jusqu’à la qualité des mixages. Mais en 2013, le crew s’est émancipé de ce simple copié-collé sous forme d’hommage et une petite déferlante finit de mettre toutes les pendules à l’heure : Nostalgic 64 de Denzel Curry.
L’univers reste mystique mais un peu moins sombre. La simple mise à jour d’un style memphissien n’est plus de rigueur, les productions parfaitement ciselées tapant dans plusieurs autres sous-genres, parfois assez expérimentaux, rappelant le rap indépendant du début des années 2000, Def Jux en tête. Le jeune Denzel, tout juste âgé de 18 ans, nous expose une habilité rare avec le verbe, des changements réguliers de débit, un timbre clair et distinct, une maîtrise totale, très impressionnante pour son âge.
Avec des moments forts comme l’excellent « Parents », la joute avec ses collègues Yung Simmie et Robb Bank$ (auteur du très bon « Tha City » en 2013) sur « Threatz » ou ce « Zone 3 » et ses réminiscences de Project Pat, Nostalgic 64 prouve que la fontaine de jouvence du rap de Floride est loin de se tarir.
YP – Wide Awake Chicago
YP « I Like That in You »
A Chicago aussi, l’année a été chaude. Les résurgences de Chief Keef ont été nombreuses, entre cafouillages, déchets, fulgurances et réussites. La plus remarquable reste Signed from the Streets de Lil Durk, projet solide de bout en bout, brûlot urgent extrait des ghettos de la cité du vent. Mais c’est dans un style un peu différent que vient la bonne surprise du coin.
YP traine depuis quelques temps dans l’entourage de King Louie avec Lil Herb, Giftz et les excellents producteurs C-Sick et Xtreme. Avec une direction très électronique rappelant certaines envolées de ses confrères anglais, il marque les esprits par deux projets d’envergure la même année : Wide Awake et Restless. Le verbe est haut, la parole est radicale même si certaines directions plus calmes se dessinent comme ce duo avec le rafraîchissant, mais assez inconsistant, Rockie Fresh. Sa façon de laisser traîner les syllabes avec un accent un peu forcé donne un résultat dépaysant, parfait pour accompagner les productions insolentes de C-Sick, très en verve sur les deux projets.
YP peine à trouver sa place dans cette scène bouillonnante de Chicago mais devrait continuer à livrer des albums de grande qualité aux côtés de ses compères. Chi-City reste une grande nation du rap actuel et il n’y a aucune raison que cela change en 2014.
Rome Fortune – Beautiful Pimp Atlanta
Rome Fortune Ice Cream Man
Retour à ATL avec un personnage haut en couleur. Rome Fortune détonne avec un mélange assez fou d’expérimentations équilibristes et de Trap pur jus. Épaulé tout le long par la très bonne équipe HPG de Dj Spinz pour les productions, Rome développe un univers complexe à la dialectique dangereuse. Il hante complètement sa musique de sa voix profonde, assénant ses gimmicks comme des mantras psychédéliques.
Avec cette démarche forte, Rome Fortune livre Beautiful Pimp, véritable enfant de ses contradictions. Les très en vue Childish Major, C4 ou Dun Deal ont l’air de prendre un malin plaisir à développer avec lui leurs ambiances les plus mystérieuses, les plus génialement bancales pour un résultat des plus arty. Mais le projet trace sa route dans une cohérence exacte, bien plus qu’une simple posture, une nouvelle voie pour toute une génération à cheval entre deux mondes.
Artiste complet, tout en courbes et arabesques, Rome Fortune a déjà façonné autour de lui une identité très forte. Alors que le deuxième volume est en préparation, il faut absolument se pencher sur ce Beautiful Pimp, un des grands gagnants de l’année.
Casey Veggies – Life Changes Los Angeles
Casey Veggies Faces
Et on termine ce tour d’horizon par la Californie avec un de ses représentants les plus actifs, qui monte en puissance chaque année. Casey Veggies est déjà bien établi depuis quelques années, ancien Odd Future avec qui il collabore toujours et membre de la nouvelle génération de LA aux côtés de Kendrick et son TDE, Dom Kennedy, Skeme ou encore Overdoz. Avant que Dom ne sorte son très bon Get Home Safely et qu’Overdoz ne reviennent dans un grand BOOM, Casey avait ouvert la marche en début d’année avec Life Changes, condensé réussi des deux disques de ses acolytes.
En effet, Life Changes fait appel au duo Futuristiks pour une large partie de la production et le résultat est la quintessence de ce que propose cette scène de Los Angeles depuis quelques temps. En ajoutant Dj Dahi sur « She is My Car » avec l’appui de Dom justement, on obtient un album musical, parfaitement construit, que Casey Veggies maîtrise de bout en bout. Moment d’exception : ce « Faces » aérien où le californien reste en apesanteur.
Si on cumule cet album avec son projet Fresh Veggies, collaboration sympathique avec Rockie Fresh et les remixs, clips, inédits que Casey n’a cessé de balancer au cours de l’année, on obtient une formule éprouvée par le temps, solide, sur laquelle on revient régulièrement avec plaisir. Figure incontournable, Casey Veggies devrait continuer son ascension en 2014 avec un schéma propre, en dehors de tous sentiers battus. Et la boucle est bouclée.
D’accord avec l’autre commentaire, c’est ça la vraie liste de 2013, des mecs inconnus avec un level bien haut ! Mention spéciale au son de Grilly, hyper bien fait avec même pas 2000 vues. Merci de nous sortir des petites perles comme ça
Ce gars la aussi mérite le détour : Waldo Inside/Outside EP
En boucle à la fin de l’année 2013
http://agomusic.bandcamp.com/album/nsde-2
Enfin une liste 2013 digne de ce nom! Je ne comprendrai jamais qu’on parle aussi peu de mecs comme Rome Fortune, Maxo Kream ou Key!. Le HBK Gang (heureusement que IamSu! a sorti Kilt 2) et surtout Two-9 sont les gros oubliés de cette année. Y aurait pu aussi avoir « Eastside Paradise 2 » des FatKidsBrotha dans la liste. Ce collectif est dingue avec plein de personnalités différentes mais complémentaires à la fois et amène un nouvelle facette à Atlanta. J’espère que 2014 sera sous de meilleurs auspices pour eux. #WinterInTokyo