Chronique

Vîrus
Faire-Part

Rayon du fond - 2013

25 mai 2013. Quelques heures avant que le Bayern ne soulève la coupe à Wembley, Vîrus balance sur la toile le premier extrait de son EP à venir. Chacun en prend pour son grade. « Le soulèvement n’aura pas lieu, ce soir y’a un match de Champion’s League ». Le quatrième mur est brisé, et le timing foutrait la chair de poule.

18 juin 2013. Il envoie son Faire-Part. Deux ans, jours pour jours, se sont écoulés depuis le 14 février.

S’il est plus subtil encore, le jeu des chiffres – et des lettres – reste omniprésent. Sauf que cette fois, le faire-part laisse le choix dans la date. Et évidemment, ce n’est ni à un mariage ni à un baptême que le public est convié. Vîrus creusait sa propre tombe tout au long de sa dernière trilogie d’EP’s. Là, il saute dedans à pieds joints et poings fermés.

À quelques mètres, dans l’ombre, un mec le regarde en retrait, prêt à jouer la bande son de la cérémonie. Violons funestes, chœurs d’outre-tombe et caisses claquantes semblant annoncer la venue imminente de la Mesnie Hellequin démarrent dans un capharnaüm sonore qui fait froid dans le dos. Macabres et lugubres à souhait, les instrus foutent définitivement le cafard plus que la Banane, dont l’alchimie avec Vîrus n’a jamais été aussi forte qu’ici.

Littéralement porté par l’oppressante composition qui lui est offerte, l’intéressé peut verser sa bile sans se soucier du reste. Monument de noirceur, Faire-Part contient des fulgurances verbales qu’il fait bon ne pas mettre entre toutes les mains. Écouté seul dans une froide piaule de 6m² avec une pâle lampe de chevet pour seul éclairage, il sera sûrement plus efficace qu’un 6.35 sur la tempe. Pour changer, Vîrus ne change pas de registre. Il change simplement l’ordre des pièces dans sa mosaïque, et c’est plus qu’assez. Comme ses trois aînés et davantage encore, l’EP dans son intégralité pue la rupture sociale et les cachetons de Prozac. « J’ai cru que mes oreilles sifflaient, ce n’était que la bouilloire« . Non content de déjà jouer avec les mots, il rajoute les maux à l’équation, avec en tête la volonté arrêtée de dénicher les mille et une façons d’exprimer une idée et une seule : celle de la solitude. Et surtout, il la pousse à un degré de morbidité rarement vu. « Toujours pas été faire ce dépistage pour le dass. Aucune crainte, malgré des boutons chelous, des p’tites tâches, la toux d’un mauvais joueur de poker qu’à une quinte« . Qu’un homme puisse en venir à regretter amèrement que même le VIH et les langues de putes n’aient aucune chance de l’atteindre tant l’isolement l’étouffe, n’est-ce pas là le pinacle de la claustration ?

« Quand ça va j’ai rien à dire, quand ça va pas je dis rien. J’ai pas de problèmes, j’en suis un« . Le MC Rouennais enfonce le doigt dans ses propres tares avec une précision scie chirurgicale que c’en devient par moment difficilement soutenable. Rarement un projet aura aussi bien porté son titre. Plus qu’une simple oraison funèbre, Faire-Part est une invitation à entrer dans la vie du défunt. Et à ce titre, « Des fins… » fout des frissons. Quand l’autopsie ne se fait plus à coups de scalpel mais de trépan, il en ressort un morceau d’introspection qui fera date. Un trou dans le crâne, Vîrus déverse le négatif de son existence comme on déverserait des pétales sur son propre cercueil. D’abord résigné, dégoûté de la vie, la fracture s’amorcera brutalement au refrain, jusqu’à ce que toute la schizophrénie du personnage explose dans un dernier couplet à se fendre la poire en deux.

« Pour l’instant qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? J’ai tenu. Je tente de garder les yeux ouverts quand j’éternue« .

La cérémonie prend fin. On jette des fleurs au dessus de la bière, se demande si on survivrait de cette hauteur. Vîrus aussi. De lui, on dira plus tard qu’il était d’une générosité à faire pâlir. Un seul faire-part pour quatre petites morts.

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