IAM
…IAM
Deux albums d’IAM dans la même année. On peut affirmer, sans trop se mouiller, que personne ne pensait voir ça de son vivant. Loin des délais iamesques – comprendre pharaoniques – habituels, il n’aura pas fallu six ans mais à peine plus de six mois pour voir arriver la suite d’Arts Martiens. Bien sûr, il convient aussi de relativiser puisque …IAM n’est pas un projet complétement original et qu’il ne contient, à deux exceptions près, que des morceaux non retenus issus des sessions d’enregistrement d’Arts Martiens. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas de livrer les restes. Preuve en est : plusieurs de ces morceaux ont été aperçus lors de la promotion d’Arts Martiens pour finalement ne pas apparaître sur la galette finale, souvent à cause de problèmes de samples à clearer comme ce fut le cas par exemple pour « CQFD ». Consistant et travaillé, …IAM n’a rien d’un projet annexe. C’est le véritable septième album du groupe.
La teneur de ce nouveau disque est donc logiquement très similaire à celle d’Arts Martiens, avec lequel il forme un joli diptyque. Une sorte de version alternative, où certains thèmes se font volontiers écho d’un album à l’autre. Le story telling poignant et morbide de « Peines profondes » nous renvoie d’une certaine manière à celui de « Sombres manœuvres/Manœuvres sombres ». Le final « Renaissance » (enregistré pour cet album) agit comme un étrange miroir au « Dernier coup d’éclat » qui clôturait Arts Martiens. La logique aurait voulu que les deux titres échangent leur place, et on ne peut alors s’empêcher d’y voir, au choix, ou un gros signe au sens encore flou ou un simple petit clin d’œil malin. « Après la fête… », morceau du précédent volet, trouve lui une résonance dans l’excellent « Si j’avais 20 ans » (l’autre inédit du lot), titre majeur de l’album sur lequel le groupe, une fois pour toutes, montre aux sceptiques qu’en France aussi on peut avoir 45 ans et rapper sans faire dans le jeunisme de mauvais goût.
Au-delà de ces renvois successifs, …IAM a aussi suffisamment de caractère pour s’émanciper de l’ombre de son grand frère le temps de quelques morceaux. On retiendra notamment le très bon (et très disparate) trio « Poudre de brique rouge », « Artificielle » et « Fuck le refrain ». Introduisant brillamment l’album, le premier évoque une peinture verbale et abstraite, apposée à même l’asphalte, qui prend magiquement vie au fil du flow de mots des deux MC’s. Les cuivres envoûtent, les scratches de Kheops s’invitent discrètement au refrain… Superbe. Sur le second, Chill et Shu dépeignent tour à tour les méfaits de la dépendance à la drogue et à l’alcool à travers un exercice de personnification rondement mené, le tout sur un instrumental trouble et percutant d’Imhotep. Quant au troisième, il s’agit d’un trop court brûlot hargneux et rétif d’AKH, qui rappe avec une rage contagieuse sur une production surpuissante de Just Music Beats, rappelant au passage qu’il est également un formidable artiste solo. Le morceau laisse d’ailleurs une question en suspens : à quand une suite au mi-figue mi-raisin Soldats de Fortune ?
Le pinacle du disque, « Fuck le refrain » l’est tellement que le reste de l’album peine à se remettre de la performance solo d’Akhenaton. Dans son dernier tiers, …IAM se montre moins percutant et quelques morceaux mièvres, moins inspirés, s’enchaînent alors, de « Musik » à « Que fait la police ». À l’intérieur du livret promotionnel qui a été fourni à la presse avec l’album, Akhenaton y va de ces mots : « (L’adjectif) Le plus adapté pour cet album, c’est orthodoxe. Avec tout ce que ça comporte de méticuleux, qui respecte les traditions et qui n’est pas fait pour danser sur les tables« . Le terme est en effet parfait, mais cette orthodoxie est finalement un défaut autant qu’un atout, notamment à l’écoute de certains instrumentaux manquant d’ampleur (« Médailles », « À nos boots ») qui empêchent des titres pourtant intéressants de décoller. Tout dénué de déchets qu’il est, …IAM manque de bons gros morceaux de bravoure à la « Notre Dame veille » ou « La part du démon ». Il se veut relativement sage – un peu trop parfois – et pour cette raison reste un cran en dessous de son prédécesseur.
Bien sûr, comme à l’époque du Sol Invictus d’Akhenaton et du Black Album qui a suivi, on peut imaginer à quoi aurait ressemblé le premier album s’il s’était débarrassé de ses quelques morceaux moyens pour inclure les meilleurs titres du second, et se faire son propre best of. Bien sûr, on peut se dire que l’excellent « Marvel », un peu en décalage avec le ton du projet précédent, aurait eu plus d’impact placé sur ce septième album. Ou que le sublime instrumental de « Poudre de brique rouge » aurait justement été parfait sur Arts Martiens et son écrin oriental. Mais l’entreprise est vaine dès lors que les deux parviennent à se compléter autant qu’à exister indépendamment l’un de l’autre. Car si il n’a pas les couleurs asiatiques enivrantes d’Arts Martiens et qu’il se montre moins pertinent dans la façon dont il est construit, …IAM a une sobriété, une tempérance, qui certes le desservent à l’occasion mais font aussi toute sa personnalité.
Alors, dernier, pas dernier ? Au final, la réponse importe peu. Dans le premier cas, …IAM reste un album somme, à l’image de son superbe artwork qui est la parfaite illustration de tout ce qui a, fait et continuera de faire IAM : New York, l’Asie antique, des baffles, quelques papyrus, quelques étendards, un vinyle encastré dans un pilier façon shuriken et un micro couronné de fleurs de lys. Entre introspection, conscience sociale aiguisée, sens de la narration et egotrip guerrier, il résume suffisamment bien le crew de la planète Mars pour ne pas avoir à rougir de son statut de dernier disque d’un groupe aussi important et fondateur qu’IAM. Le repos, c’est la santé, encore plus quand il est bien mérité. Dans le second cas, le diptyque Arts Martiens / …IAM aura prouvé par toutes ses qualités que le quintet phocéen, après une carrière de plus d’un quart de siècle, a toujours assez de jus pour lancer une autre brique dans la tronche de ceux qui dorment encore sur L’École en 2013. Et que s’il doit un jour revoir un printemps, il sera à n’en pas douter florissant.
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