Hugo
Flaque de samples
« Dis moi où t’habites je te dirai comment tu rappes ». Mokless sur ‘1 pour la plume version équipe’ / Flynt – J’éclaire ma ville (2007)
Paris change. Plus le temps passe, plus la ville lumière se veut brillante, étincelante, au point de devenir stérile. Elle semble utiliser le périphérique en guise de ceinture amincissante, comme un obèse se poserait un anneau sur l’estomac. Refluer les kilos en trop en banlieue, se rassurer sur sa compassion en exposant les portraits des inconscients sur la façade de l’hôtel de ville, et préférer les cartons et bouteilles de Villageoise qui trônent sous les porches des immeubles de bureaux vides que de laisser remplir ces derniers : ici Paris. Du moins celui offert aux touristes, celui qui est une dichotomie constante entre bobo et parigot. L’élitisme s’y gausse du charme populaire, la vie nocturne est partagée entre comptoirs anonymes et pistes de danse select’, la drague se divise entre jolies étudiantes sur-sollicitées dans les pubs et travs’ bon marché dans les bois, la conscience se vit entre Le Parisien et Libération. La ceinture est bouclée.
Paris manichéen, Paris uniformisé alors ? Au point de torpiller l’adage avec lequel Mokless paraphait le titre ‘1 pour la plume version équipe’ sur l’album de Flynt ? Pas vraiment, car si la phase résonne bien quelque part dans la capitale, c’est dans son 18ème arrondissement. A sa manière, Hugo aussi éclaire sa ville, ou plutôt sa vie, prise en étau entre la ligne 2 et le boulevard Ney, entre les kebabs et les flasques de whisky vendues sous les néons des épiciers. « Soudés aux soucis comme le sont les sourcils d’Emmanuel Chain », les thèmes de ces 39 minutes se résument à une méfiance parcourant le bitume, à une ambiance oppressante vue par des yeux rouges et une haleine chargée cachés sous une capuche. Hugo arpente un territoire où c’est le moral qui est en baisse puisque le pouvoir d’achat, lui, l’a toujours été. Et il le raconte avec un flow qui pue l’urgence, haut-débit et un poil gueulard. Avec des sentiments qui se décongèlent à coup de William Peel, il décrit une réalité qui se résume aux dernières stations de métro de Paris dont le nom suffit à changer la population d’un wagon à la correspondance précédente.
Car Flaque de samples est d’abord un recueil héritier de ces coins de rue où les zonards broient du noir. Bien au-dessus d’un quelconque cliché de rap racailleux, cet album est d’abord une prose fleuve qui dévale le macadam. Des lignes débitées et dépitées après de longues heures d’errances, entretenues par un décor brut de décoffrage. Hermétiques aux tendances et sous-pression, les pas d’Hugo laissent derrière eux une avalanche de punchlines plus ou moins réussies qui peignent en gris-noir quelques cicatrices de plus sur un territoire où les vies sont déjà des stigmates. Ennui, rancoeur, amertume, énervement face à un monde dont les repères partent trop vite et trop loin, voilà ce que porte le flow d’Hugo sur des découpes poussiéreuses de classique aux propensions souvent mélancoliques. Une production héritière d’un rap français des années 90, tissée sur des mélopées de cordes et de froides notes de pianos aux inspirations tristes et sombres. Une structure rythmique calibrée pour des placements de rimes sur caisses claires, enveloppés par quelques rafales d’assonances tout en accélération.
A première vue, cela ferait de cet album estampillé Chambre Froide une sortie bien quelconque, qui ne se distinguerait d’autres que de par sa teinte Paris Nord. Mais ce qui fait la différence chez Hugo, mis à part un flow solide et bien rempli, c’est sa capacité à tourner la galère en bourrique. Derrière une utilisation outrancière du mot « comme », le MC fait preuve d’énormément de percussion dans le sarcasme et l’ironie. Les travers de la société deviennent des vannes pleines d’humour noir, les comparaisons déferlent en cascades et l’aigreur arrive à faire sourire sans pour autant perdre une once de son sens. Au-delà des fantasmes de rue, il est ici surtout question de description, d’un regard tellement désabusé qu’il en devient maître d’oeuvre dans le sarcasme. Hugo connaît bien son terrain, assez pour manier tous ses codes avec subtilité. C’est d’ailleurs ce qui surprend le plus : ce flow bulldozer, cette aptitude à être gras et nerveux, et pourtant cette faculté d’examiner les choses qui démontre un esprit critique et un redoutable sens de l’observation. Hugo appuie là où ça fait mal, localise avec précisions les détails clefs mais les exacerbe avec une franchise crue et sans détour. Finalement, Flaque de samples s’avère être la compilation d’heures et d’heures à traîner en « analysant le terrain comme un paysagiste« . Ni « hardcore » ni « beau et tendre« , « juste le cul fermé et le cerveau étanche« . Un rap sans complexes, cru, pour un album court mais épuisant, dont les textes ne font que ressortir le mauvais côté des choses, à la manière d’ »un obèse qui porte un slip de bain« . Des phases écrites au galop dans les rues du 18ème, un flow avec des œillères, 39 minutes qui prennent presque des allures de one-shot, redoutables certes bien que parfois redondantes. Morad l’aurait formulé ainsi : « J’arrive à fond comme une baffe dans ta gueule« .
[…] pour m’exprimer paspour qu’on me dise c’est toi la star », clame-t-il dans son album Flaques de Samples.Authenticité, tel est donc le crédo du rappeur qui se sert de sa musique pour rejeter touteforme […]