Chronique

Qwel & Kip Killagain
The New Wine

Galapagos 4 - 2008

Une pluie de dollars tombant soudain d’un ciel crépusculaire… Pour le commun des rappeurs, un rêve devenu réalité. Pour Qwel, une malédiction, le signe annonciateur de la décadence. Pour ceux qui n’auraient pas compris, l’intérieur de la pochette précise : « Dedicated to the United States of Babylon« . Voici donc The New Wine, troisième volet de la tétralogie biblique du rappeur de Chicago, avec cette fois pour comparse Kip Killagain, réputé pour faire flirter le hip-hop et la jungle.

La première écoute provoque une certaine déception. D’un côté, le flow de Qwel apparaît globalement plus lent ou en tout cas plus calme. On retrouve bien sûr le même sens de l’allitération et de l’enchaînement de rimes complexes sinon alambiquées, le même phrasé accusateur des turpitudes du monde et de la passivité des pécheurs qui l’occupent, avec une qualité d’écriture qui mériterait d’être examinée de près (on est quand même content que la distance de la langue préserve un peu d’un prêche épuisant). Reste que dans l’ensemble, il joue sur une gamme plus introvertie. De l’autre, le travail de Kip Killagain est plus qu’honnête, mais il souffre de la comparaison avec ceux de Meaty Ogre et de Maker malgré le renfort d’instruments : des boucles moins accrocheuses, une texture sonore plus terne et plus convenue. Et au total des morceaux moins entraînants, pour ne pas dire un sentiment de torpeur. On peine à croire que The New Wine annonce l’arrivée du printemps, tant Freezer Burner semble à côté revigorant. Il est vrai que comme le troisième cavalier de l’Apocalypse représente la famine, il aurait été déplacé de trop faire dans le guilleret…

Après plusieurs écoutes attentives, le constat s’impose : The New Wine est sans nul doute inférieur à ses prédécesseurs. Inégal, inabouti, le disque suscite la frustration. Trop court (41’41 tout juste, ce cinglé est capable de l’avoir fait exprès et de bourrer ça de significations cachées), il comporte aussi des ratés côté productions. Ainsi parfois quelques caisses qui semblent sorties d’une boîte à rythmes bon marché assorties de quelques samples de synthèse un peu trop artificiels (‘Can’t Fool the Blues’ sonne par exemple un peu cheap, d’autant que Qwel y donne dans son registre le plus doux), ou le choix d’une rythmique très en avant aux dépens d’une atmosphère plus enveloppante (‘Innuendo’). En ce qui concerne Qwel, on regrette qu’un ‘Internet Killed the Video Star’ (sur l’air de…) se contente d’être un a capella. Et un featuring même attendu n’aurait pas été de trop, histoire d’éviter le monopole du bavard chicagoan.

Pourtant, il serait injuste de s’en tenir à ce constat sévère. Car ce volet printanier est aussi indéniablement un bon disque. Au fur à mesure qu’on approfondit l’écoute, on se met à apprécier à leur juste valeur les essais de Kip Killagain : son goût des boucles de cordes aux accents parfois orientaux, ses jeux sur les changements de beat (‘The New Wine’, où la batterie tient en haleine une minute avant de lâcher la bride), son sens particulier du spleen à partir de discrètes petites variations (‘Heliocentric’). Sans compter quelques vrais coups de maître, à commencer par ‘Agape Rain’, duo de piano et d’un violon larmoyant à souhait – il faut avoir un cœur de pierre pour être insensible à un truc pareil. Même sans virtuosité, la combinaison d’une boucle lancinante et d’un piano discret donnent à Qwel un tapis rouge pour dérouler son phrasé (‘B.Rainwashing’).

Toujours cette vieille affaire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Moitié vide : se désoler d’une petite déception due à un opus moins homogène et moins éclatant que ses prédécesseurs. Moitié plein : une belle pièce qui contribue à faire de la tétralogie de Qwel, en attendant son achèvement, une œuvre sans pareille et fascinante.

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