Foreign Beggars
Asylum Agenda
Maintenir intacte cette citadelle d’objectivité rédactionnelle qu’est l’Abcdrduson exige des principes inflexibles. Résister contre vents et marées à toute forme de pression, refuser les pots-de-vin les plus mirobolants, ça ne vient pas tout seul. Cela dit, on n’est quand même pas du genre à jeter hâtivement la suspicion sur la sincérité des jeunes femmes responsables de la promotion d’un artiste lorsqu’elles viennent défendre leur cause avec ardeur en s’installant impudiquement sur les canapés hospitaliers et convertibles de nos luxueux locaux. Alors quand on nous dit qu’outre-Manche – comme on dit pour se la jouer au lieu de parler tout simplement de la perfide Albion – les Foreign Beggars sont la sensation rap du moment, et même depuis plusieurs années (depuis leur premier album, Asylum Speakers, en 2003, suivi de Stray Point Agenda en 2006, sans compter une dizaine de maxis), tout le monde se bastonne pour rafler la mise, et le vainqueur fonce.
Il fonce quand même à un rythme raisonnable, parce que comme ce genre de sensations se ramasse à la pelle tous les quatre matins et que les gars en question sont à peu près inconnus au bataillon ici, forcément, on se méfie. Apparemment, nos rosbifs d’importation se sont fait un nom, à en juger d’abord par les prix qu’ils ont raflé, et ensuite par le casting international convié sur Asylum Agenda : chaque morceau possède au moins une guest plus ou moins star. Quant au groupe lui-même, on se pince pour vérifier qu’on ne rêve pas : les deux rappeurs Orifice Vulgatron (!) et Metropolis sont accompagnés d’un producteur (Dag Nabbit), mais aussi et surtout d’un DJ (NoNames) et d’un beatboxer (Schlomo) ! À croire que le hip-hop est vraiment de retour. On tend l’oreille et on ouvre l’œil, histoire que si le groupe déballe d’un coup des graffeurs et des danseurs de derrière les fagots, on soit prêts à dégainer bonnets Kangol et fat laces pour fêter ça.
Tout ce beau monde affiche selon ses talents propres des références rutilantes, en ayant travaillé aux côtés de Bjork, Gorillaz, Talib Kweli ou les Scratch Perverts, entre beaucoup d’autres. Si avec un peu de chance, comme a l’air de le suggérer le nom du groupe et le titre du disque, on a droit à un discours politique venu du fin fond des quartiers ouvriers de Brixton – à bas Tony Blair, vive les prolétaires – on se croirait revenu aux meilleures heures du rap anglais. Mettons la bride sur cet espoir : ce n’est pas tellement le style de la maison, même si ça a pu l’être en partie par le passé. D’après une gazette du Nord de la France où les clodos étrangers devaient démontrer leurs talents, ayant, en plus de toutes leurs qualités annoncées, la réputation de mettre les dance-floors sens dessus dessous (et on le croit sans aucune réserve), on aurait affaire à un album « dansant et addictif », et même à « un bon goût proche du sans faute », rien que ça.
Alors, ce Asylum Agenda, une bombe made in England, une féerie pour les sens ? Euhhh, oui mais non, doucement, on s’emballe, un peu de sang-froid, tout va trop vite entre nous. Car si l’album a bien « quelque chose », on est assez loin de tout ça. N’allons pas nous imaginer des productions follement imaginatives, par exemple, parce qu’on s’exposerait à une cruelle déception. On a le plus souvent affaire à d’honnêtes instrumentaux, variés sûrement, de quoi servir de support aux rappeurs, pas de quoi se lever la nuit. Quant à l’absence de faute de goût, faudrait voir à pas pousser. En témoigne la très douteuse série (où à chaque fois, Dag Nabbit a laissé sa place à d’autres) qui mène du sirupeux « 2nd Hand Contraband » à l’énervant « Bollocks », frayant une voie « électro » qui laisse pour le moins perplexe : écouter ça en musique de fond pendant une partie de Playstation un peu agressive, c’est un coup à finir aux urgences. Ce sont les affres habituelles du crossover entre dance-hall, nu soul et tout le bazar : tout ça est un peu trop formaté pour plaire, et ça se sent, et c’est désagréable. On se demande d’ailleurs si le DJ et le beatboxer participent aux enregistrements en studio, parce que le premier est trop discret et le second carrément inaudible (à moins qu’il n’imite vraiment bien les boîtes à rythmes), laissant le champ libre à un abus caractérisé de refrains faciles.
D’où vient donc l’aspect plaisant de Asylum Agenda ? La longue brochette d’invités (des français se cachent parmi eux, sauras-tu les trouver ?) pourraient faire redouter que les deux piliers vocaux du groupe ne sont pas à la hauteur et ont besoin de renforts pour tenir la barre. C’est tout le contraire. D’une technique parfois impressionnante, l’aisance microphonique de Metropolis et de son Orifice préféré est le fil conducteur de cet album. Même quand les productions sont d’un faible intérêt, voire insipides (« Let Go », entrée en matière décevante avec Wildchild), les deux rappeurs les transcendent avec une indéniable efficacité, particulièrement quand ils dévalent le beat à toute vitesse, avec cet accent inimitable qui faisait le charme de leurs ancêtres de Gunshot, les bien nommés Alkaline et Mercury. C’est le cas sur « Hold On », qui débute la (très) bonne série de morceaux de l’album, de plus en plus efficace au fur et à mesure des écoutes. On goûte alors avec plaisir les essais mieux contrôlés de la dernière partie de l’album, comme l’influence jazz rugueuse et futuriste de « Astroscience », ou tout simplement le bon vieux boom-bap qui fait son apparition à plusieurs reprises. Bref, tout cela est un peu inégal, mais donne fortement envie d’aller découvrir les premiers morceaux du groupe (probablement moins « calculés ») et surtout la performance des MC’s sur scène.
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