Chronique

Youssoupha
A chaque frère

Hostile Records - 2007

La relève du rap français. Voilà ce qu’on peut lire régulièrement dans un paquet de communiqués de presse foireux promettant l’arrivée en grande pompe des nouveaux maîtres à penser hexagonaux. Evidemment la plupart du temps les cadors annoncés ne relèvent pas grand chose. Encore moins le niveau. Mais au-delà des grands effets d’annonces, le rap français continue d’offrir son lot de bonnes surprises, symbolisées par la sortie de J’éclaire ma ville, le premier album de Flynt.

Pisté par les auditeurs les mieux renseignés, Youssoupha suscite espoirs et interrogations depuis la sortie de son premier street-CD Eternel recommencement (décembre 2005). L’essai, prometteur, méritait transformation et confirmation. Tel est même l’objectif de ce premier album intitulé A chaque frère (et plus Négritude comme annoncé prématurément), débarqué finalement en mai dernier dans des bacs de rap français surchargés. Il semble que Youssoupha ait préféré prendre le temps de peaufiner son œuvre avant de balancer la barbaque aux fauves. Bien lui en a pris.
Les premières écoutes imposent d’emblée deux constats.

Le premier ? Youssoupha a (toujours) bien les pieds sur terre et des idées fixes. Pas d’apologie du gangstérisme ni besoin de se conformer aux visions fantasmées du ghetto. Plutôt une vision lucide sur son parcours (‘Ma destinée’), ses désillusions et ses racines africaines. Guidé par des références idéologiques clairement énoncées (Martin Luther King débute ‘One Love’, Aimé Césaire sur ‘Rendons à Césaire’…), et un certain héritage familial (son père Tabu Ley Rochereau est un parrain de la rumba congolaise), Youssoupha évite plutôt habilement lieux communs et analyses toutes faites pour se concentrer sur de vrais récits.

A chaque frère s’écoule, guidé par un fil rouge (« t’avais jamais entendu de rap français« ) et un paquet de formules chocs symboliques, qu’elles soient empruntées (« Qui prétend faire du rap sans prendre position« , « Le savoir est une arme« ) ou détournées (« C’est pas l’argent qui pourrit les gens connard c’est la sère-mi« , « Le bonheur n’est pas dans le pré mais dans un Hummer« ).

Le second constat ? Justement, ce sens de la formule, cette finesse dans l’écriture, ces jeux sur les assonances récurrentes tout au long de l’album (« Beaucoup de MCs maquillent leur stricte débilité en street crédibilité. ») Et si le lyriciste bantu a indéniablement du talent sous la mine, ses écrits sont couplés à une technique franchement affûtée. Seul bémol : le phrasé, impeccable, paraît néanmoins, sur la longueur, quelque peu unidimensionnel et (trop) répétitif.

Musicalement ? Il s’extirpe plutôt habilement de l’empilage des dernières tendances façon pot-pourri pour proposer un univers sonore à la fois classique et cohérent. Cet édifice musical laissant la part belle aux boucles de soul apparaît finalement assez en retrait, plaçant Youssoupha au premier plan. Concocté par une belle brochette de jeunes producteurs aux dents longues (The Soul Children, C.H.I, Pellygrosso), et quelques fines lames plus aguerries (Madizm & Sec.Undo), A chaque frère bénéficie d’une vraie direction artistique et de partis pris contestables mais assumés. Le seul « Arrêtez les beats crunk, putain on est pas à Atlanta » (sur ‘Dangereux’) apparait si symbolique et lourd de sens qu’il pourrait à lui seul enflammer les forums Internet les plus apaisés.

Alors évidemment A chaque frère comporte son lot de moments moins enthousiasmants associés à quelques indéniables réussites. Mais mettons pour une fois de côté notre activité favorite (la critique fielleuse) et ne boudons pas notre plaisir. Quelque peu linéaire par instants, A chaque frère demeure un bon album, débordant de bons mots, de bons moments et de promesses.

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