Qwel & Maker
The Harvest
L’hiver dernier, Freezer Burner n’était pas loin de mettre le feu aux Alpes. Trois ans plus tôt, The Harvest entamait la tétralogie mystico-saisonnière patronnée par Qwel. Cette moisson automnale constitue une très bonne mise en bouche, tout en annonçant clairement la couleur et la suite. L’air de famille entre les deux albums est en effet frappante, malgré le changement de producteur. Entre la bande sonore composée par Meaty Ogre et celle concoctée par Maker, le talentueux beatmaker de Glue, la proximité est évidente. Le projet global en est d’autant plus prometteur.
The Harvest possède une vertu indéniable. De la première à la dernière seconde, tout en développant différentes ambiances, le disque plante tout un décor, il construit un univers cohérent. Il propose trois quarts d’heure d’exode.
D’une complémentarité sans accroc, le duo arrange un automne mélancolique et hargneux, d’une grande qualité mélodique. Aucun coup d’arrêt dans cet album, et quelques transitions parfaites, insensibles, comme entre ‘The Siren of Liberty Island’ (qui s’attaque au États-Unis à travers le symbole-mirage de sa statue) et ‘Deuterium’. Ce dernier morceau donne une image assez fidèle de l’identité sonore du disque : un assemblage savant, par couches successives, entre notes de piano, voix spectrales en chœur et échos de percus souterrains.
Qwel s’illustre avec son habituel débit haletant, qui prend tout juste le temps de respirer. Parfois, ses intonations font penser à une sorte d’evil twin d’Eminem — un faux frère qui serait allé plus souvent au catéchisme qu’aux putes. Infatigable dénonciateur d’un monde vautré dans le pêché, Qwel multiplie les anathèmes et les références bibliques contre la corruption généralisée (‘Broken Wings’), à commencer par le rayon rap (‘The « IT » in « Keeping IT Real« ‘). Il faut bien admettre que le MC de Chicago prêche avec une conviction telle qu’elle a quelque chose d’entraînant, sans compter l’exigence qu’il met à peaufiner ses textes dans le fond comme dans la forme. Difficile alors de résister à son flow en cavalcade sur ‘The Network’ et en cascade sur ‘Chicago ’66’ ; un flow qu’il sait aussi aplanir, pour adopter un ton plus intimiste (‘Ruby Ragdolienne’). En tout cas, Qwel y met à chaque fois son cœur et ses tripes ; visiblement, quand il est derrière un micro, il n’a pas l’esprit ailleurs.
Avec une telle alchimie, The Harvest se déroule sans fausse note, et les moments forts sont légion. Maker fait toujours mouche avec ses boucles de piano. Ailleurs, c’est une guitare qui prend la relève (le superbe ‘Capathy’, qui dénonce l’hystérie yankee pour les armes à feu, avec quelques déflagrations scratchées au passage), ou un orgue d’arrière-plan, et les échos soul ou pop ne sont jamais loin. The Harvest ne dépareillerait pas comme bande originale, marquée d’une empreinte jazz : avec le refrain de ‘Chicago ’66’, on frôle le film noir…
Voilà donc deux premiers tomes qui sont des réussites, jusque dans le soin porté à l’artwork, superbe. Mais les saisons froides collent sans doute plus naturellement au tempérament de Qwel. Reste à voir comment, à l’avenir, le chicagoan négociera des températures plus clémentes.
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