Chronique

Qwel & Meaty Ogre
Freezer Burner

Galapagos 4 - 2006

Tout a commencé par un bête accident. Le pasteur nettoyait son arme : le coup est parti tout seul. Qwel fut touché en pleine tête et par la grâce. Alors, se nourrissant fébrilement du Livre, il décida d’accomplir un Grand Projet. Faites place, les Vivaldi et autres petites frappes de la création ! Qwel allait tramer ses quatre saisons à lui. Et pas n’importe lesquelles, attention. Le grand jeu. Un producteur attitré à chaque fois, et surtout une imagerie de premier choix : les quatre cavaliers de l’Apocalypse et tout le bordel. Du sérieux. Plus que ça : une offrande.

Il faut donc, parfois, se munir d’une indulgence en kevlar pour supporter le prosélytisme du rappeur chicagoan, ses litanies ensoutanées, ses pieuses divagations sur un ‘Machinegun Monkey’ qui, effectivement, fout froid dans le dos. Le MC confie d’ailleurs à la fin de ‘Read Writer’ sa motivation profonde : la trouille de la fessée au jour du Jugement dernier. Heureusement, il nous avait confié le mode d’emploi dans une interview : « ne prenez pas tout ça trop sérieusement, je suis dingue« .

Alors, comme lui, on pardonne. Parce qu’il prouve tout au long de Freezer Burner un talent d’écriture indéniable (les amateurs d’allitérations alambiquées et d’implicites ésotériques seront servis). Parce que son flow « habité » fait partie de son charme, ajoutant ce qu’il faut d’enfiévré pour que l’album ne soit ni trop frigorifique ni trop cotonneux. Parce que Qwel sait prendre quelques détours ludiques, comme le texte truffé de références de ‘Saved’, des Native Tongues à Rakim. Ses variations dans sa façon de rapper sont du domaine de l’inflexion : un peu plus énergique ici (‘I Forgive ‘Em’, emmené par son harmonica), un peu plus assourdie là, avec même un ton chantant sur ‘Fallen Rome’. Domine un débit tout d’une pièce, incorporant les refrains aux couplets, ne s’accordant d’arrêt qu’à la fin de chaque morceau. L’homogénéité de l’atmosphère vous prend alors dès la ‘Wintro’ pour ne jamais vous lâcher, avec quelque chose de cinglant et d’implacable comme un vilain hiver. Parsemé tout de même de quelques accalmies : ‘Practice For Hope’, atterrissant gracieusement entre violon et guitare.

L’essentiel est là : ce que Freezer Burner a de fascinant, c’est la densité de son spleen enneigé, à l’image de sa superbe pochette. Guirlandes et cadeaux ont été mis au placard, pour une froidure brumeuse et métallique (le léger grésillement de ‘ID Glue’). Meaty Ogre fait preuve d’un sens de la boucle quasiment infaillible. Mêlant les guitares, omniprésentes (‘The Cyclops’), il agrémente superbement ses cordes d’échos de voix soul : celle, plaintive, qui gémit « This is my life » sur ‘Read Writer’ a de quoi glacer les os. Des percussions à la flûte qui traverse ‘Practice for Hope’, le producteur empile soigneusement ses samples, cassant la linéarité des compositions par des variations discrètes. L’ajout d’un chant affligé en écho, et le morceau change de direction, comme ce ‘Cabin Fever’ qui s’envole après la première minute. Là-dessous, des rythmiques nonchalantes, des basses caverneuses, une parfaite cohérence musicale.

Mine de rien, Qwel est en train de réaliser avec sa tétralogie une oeuvre inédite. Après la moisson automnale en compagnie de Maker (The Harvest en 2004), ce deuxième volet hivernal, indéniablement, a de la gueule. C’est donc avec intérêt qu’on attend le prochain équinoxe…

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