Lightheaded
Wrong Way
Déjà auteur en 2003 d’un vivifiant premier album (Pure Thoughts), le trio Lightheaded – Muneshine ayant, depuis, quitté le navire – revient en 2006 avec Wrong Way. Entre ces deux disques, Braille (MC), Othello (MC) et Ohmega Watts (MC, producteur et graphiste) auront pris le temps de peaufiner et de mener à terme leurs projets solos.
Si vous avez eu l’occasion de jeter une oreille à l’excellent Pure Thoughts, Wrong Way ne vous surprendra pas : le groupe signe là un nouvel opus de qualité ; quinze titres de boom-bap enjoué dans la veine de People Under The Stairs, d’Ugly Duckling ou des Procussions. Ignorant totalement les tendances actuelles, le trio originaire de Portland (Oregon) reste ancré dans le hip-hop du siècle dernier, multipliant hommages et clins d’œil à leurs aînés sous forme de scratches et de citations (en vrac : les Fat Boys, Biz Markie, Nas, Big Daddy Kane, KRS One, Rakim…). Plaisant d’un bout à l’autre, Wrong Way flirte même par instants avec l’anachronisme : plaisir de rapper perceptible dans chaque couplet, flows aiguisés et rapides tout en conservant des textes parfaitement intelligibles, récurrence des scratches, ensemble très rythmé ; ce classicisme réjouissant semble d’un autre temps, d’un autre monde.
Tout au long de l’album les trois MC’s restent parfaitement complémentaires et complices, qu’ils rappent chacun leurs couplets ou se partagent ceux-ci en « pass-pass« , dialoguant sur le beat. Si Othello et Braille évoluent sensiblement dans le même registre – flow rapide, voix parfois nasillarde (bien qu’un brin plus aigue chez Braille) – Ohmega Watts paraît plus posé, calmant le jeu de sa voix grave, modérant l’allure avec un flow plus lent que celui de ses collègues. Cette diversité est appréciable : au rythme où ils rappent la plupart du temps, Braille et Othello auraient pu assez rapidement lasser l’auditeur. La présence d’Ohmega Watts fait qu’il n’en est rien ; et les deux MC’s eux-mêmes profitent d’instrus moins énergiques pour s’accorder un peu de répit (‘Short Stories’, ‘Eye to Eye’) entre deux couplets virtuoses (‘UHH !’, ‘Orientation’, ‘In the Building’, ‘Showcase’). Les textes restent dans la lignée du précédent opus : spiritualité du quotidien, petites histoires, amour du hip-hop, le tout saupoudré de quelques doses d’egotrip. Toujours empreints de religiosité, ils évitent habilement le prosélytisme lourdaud.
Le départ de Muneshine, qui produisait l’intégralité de Pure Thoughts laisse la porte ouverte à de nouveaux beatmakers. Le MC/producteur Ohmega Watts, auteur en 2005 du prometteur The Find, prend en charge la majorité des instrus (9 sur 15) et se distingue par le soin apporté aux rythmiques, toujours claires et marquées, tandis que ses samples variés (cuivres, claviers, guitares…) parfois retravaillés à l’aide d’effets les rendant mouvants, flottants et lointains créent des atmosphères étranges, à la fois vaporeuses et nettes (‘Short Stories’ et ‘Individually Wrapped’ notamment). Tony Stone, révélé par son travail remarquable sur le Shades of Grey de Braille, produit deux titres de qualité ; mais c’est le travail de Stro the 89th Key, du groupe The Procussions, qui émerge le plus de ce projet : ‘Afraid of the dark’, alliance efficace de cuivres et de guitares électriques, s’impose comme le meilleur titre de « Wrong Way », suivi de près par ‘Eye to Eye’ et son envoûtant sample vocal.
Un cran au-dessus de Pure Thoughts, la cuvée 2006 de Lightheaded séduira à coup sûr les amateurs de boom-bap ensoleillé. Sans rien réinventer, le trio de Portland applique une formule maintes fois éprouvée : raps de qualité, textes fins, bons beats et scratches (dont ceux de Rob Swift sur deux titres). Difficile d’y résister.
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