EPMD
Business As Usual
« Quand ils se sont séparés on s’est dit qu’on serait les EPMD des 90’s : ils étaient the tag team, un putain de duo ! Ghost et moi, on était fascinés par eux. Ils nous ont stimulés, on voulait les surpasser – dans le bon sens du terme – parce qu’on sentait qu’on avait ce feeling à la Batman et Robin… », raconte Raekwon (Gasface n°2). Dans les deux cas, on ignore qui s’est dévoué (ou qui a paumé le pari) pour endosser le costume peu glorieux de l’assistant du héros. On devine, par contre, combien EPMD a été un groupe important. Indice de filiation : le morceau ‘Daytona 500’, par lequel Ghostface s’est fait connaître en solo, reprend la même boucle (Bob James, ‘Nautilus’) que ‘Brothers on my Jock’.
La biographie officielle décerne à EPMD le titre convoité d’artistes les plus samplés du hip-hop. Difficile à vérifier ; ce qui est sûr, c’est que le duo de Long Island fait partie de ces groupes très rarement oubliés des dédicaces de tout album de rap qui se respecte depuis presque vingt ans. Il faudrait, d’ailleurs, plutôt parler de trio, en dépit de la présence invisible de DJ Scratch. Ses crissements de platines sont, tout au long de l’album, aussi discrets qu’efficaces, par exemple sur le refrain de ‘Rampage’ (repris sur le deuxième album des NTM), ou sur ‘Funky Piano’, qui lui est dédié.
Avec leur troisième album, les faiseurs de dollars montent d’un cran — visuellement au moins. Les couvertures des deux précédents LP les montraient respectivement tranquillement installés au chaud (« Strictly Business », 1988) puis confortablement assis sur de grosses berlines (« Unfinished Business », 1989). Banal. En revanche, la pochette bleu acier de « Business As Usual », signée Bill Sienkiewicz, est une totale réussite : Eric et Parrish comme deux frères, les deux pieds dans la flotte, impassibles devant la charge d’une armada policière, hélicos à l’appui. La couverture de l’album suivant, « Business Never Personal », renouera avec une imagerie hardcore plus conventionnelle.
Il y a les duos dont la complémentarité mise sur le contraste, l’expression achevée étant Chuck D/Flavor Flav. A l’inverse, Erick Sermon et Parrish Smith jouent sur un autre style : la complémentarité dans l’identité. Nés la même année 1968, les deux rappeurs cultivent la ressemblance, à en juger par la photo interne de la couverture (qui donne aussi une grosse indication des bouleversements en matière de mode vestimentaire…). Question flow, les deux membres du duo sont aussi très proches ; on a pu leur reprocher une certaine monotonie. D’un autre point de vue, la combinaison entre le phrasé nonchalant de Sermon et celui plus nerveux de Smith est au contraire totale. Elle permet aux deux rappeurs d’enchevêtrer leurs rimes de façon très fluide, comme sur ‘Mr. Bozack’ (en gros : « Monsieur Bite »), ou le troisième épisode de la série ‘Jane’.
Les deux MC ont pour terrain de prédilection des productions mid-tempo avec un puissant penchant laid-back (entre autres, l’imparable ‘Manslaughter’). De plus, et même s’ils n’ont pas sur ce terrain l’aisance véloce d’un Big Daddy Kane, ils prouvent aussi d’entrée de jeu qu’ils savent accélérer la cadence (‘I’m Mad’). Quelques gimmicks promis à un riche avenir sont posés au passage (« I don’t smoke crack, I smoke MC’s »). Les deux invités ne déçoivent pas : ni le déjà vétéran LL Cool J, ni le nouveau venu Redman, qui se fait remarquer par un dernier couplet plein d’allitérations sur ‘Hardcore’.
Les productions, assurées par les deux rappeurs en personne, ont posé les jalons du rap de la côte est. Les EPMD s’étaient fait connaître en samplant Zapp et Kool & The Gang, à l’époque de l’échantillon sauvage ; ils continuent ici à puiser dans le jazz (le ‘Funky Piano’, précédée d’une boucle de guitare blues), la soul et le funk (‘Give The People’), avec un talent certain pour réchauffer les beats de quelques notes de cuivres. Des boucles généralement courtes, pour un son parfaitement homogène, plus léché qu’à l’habitude. Là dessus, Eric Sermon et Parrish Smith donnent avant tout dans l’ego-trip, avec quelques exceptions. Les femmes cupides sont ainsi la cible de ‘Gold Digger’, tandis que ‘Give the People’, dans le prolongement de ‘Please Listen to my Demo’ sur l’album précédent, évoque quelques bâtons dans les roues du hip-hop (« It’s a fat jam, that will never win a grammy / Unless we sellout and kill the black movement dead / Which means swallow our pride and become flunkies instead »), avec un clin d’œil à Public Enemy.
« Business as Usual » a attiré des jugements contradictoires quant à sa place dans la discographie des EPMD. Pour certains, l’album relève encore le niveau par rapport aux œuvres précédentes, étant donné des productions plus étoffées qu’auparavant, et il reste leur meilleure sortie. A l’inverse, d’autres ont fait de l’album une relative déception, regrettant le manque d’originalité des deux précédents LP. Malgré ces divergences, tout le monde sera d’accord sur un point : rares sont les groupes à avoir sorti trois albums successifs de cette qualité, en attendant la suite. Avec le recul, difficile de ne pas faire de « Business As Usual » un album indispensable. Tant pis pour le cliché.
Ku Tous bons jusqu’au bout