Enz
One Love
« Je m’voyais déjà en haut de l’affiche,
En dix fois plus gros que n’importe qui mon nom s’étalait…* «
A peine égrainées les premières notes du maxi, Enz annonce la couleur : « Mon album arrive, je veux qu’il rentre dans tous les casques, dans tous les foyers ». Mais qu’on ne s’y trompe pas, l’ambition affichée n’est pas synonyme d’arrivisme mais de volonté, et les grandes lettres se tracent ici avec humilité. « One love » comme maître mot, ‘Hip-Hop’ en guise de drapeau.
Avant d’afficher de telles intentions, Enz a pris soin de prendre son élan plusieurs années durant. Rappeur solo depuis qu’il a quitté sa province du Sud-Ouest pour rejoindre la capitale en 2003, il a auparavant évolué en groupe, d’abord en rappant au sein d’un quatuor de jazz (musique qui reste l’influence prédominante de ce maxi) et surtout en compagnie de Kafri avec qui il formait le duo Ed & Enz. C’est ensemble qu’ils sortirent parmi les vainqueurs du concours « Max de 109 », ce qui leur permis de se faire entendre sur la compilation issue de ce projet avec trois titres débordants d’enthousiasme et de passion (‘L’odeur du vinyle’, ‘Au fond de la classe’ et ‘Si t’as pas l’oreille’).
« Rien que sous mes pieds de sentir la scène,
de voir devant moi le public assis, j’ai le cœur battant * «
Après avoir côtoyé Kohndo à plusieurs reprises sur les planches parisiennes, Enz prend finalement son envol avec ce maxi deux titres, en prélude à un album déjà bien avancé. Une fois le casque enfilé ou la touche play de la chaîne enclenchée, nul besoin de s’éterniser pour constater que le premier morceau se révèle méchamment addictif. ‘En grandes lettres’ conjugue tout ce qu’on pouvait attendre de la part d’un jeune rappeur prometteur qui se lance en solo : une écriture fine et lucide, à laquelle Enz semble accorder le plus grand soin sans pour autant se prendre trop au sérieux ; un phrasé souple, riche en musicalité et en impact ; et enfin, un attachement profond à la musique qui ne s’embarrasse d’aucune fioriture : « A chaque mesure de chaque titre, l’estomac noué car on est pas lié à ce rap biz’. Tu peux ranger tes airs hostiles et tes tests bancals, à force de pondre des textes débiles toutes les têtes s’encrassent. »
Sur de telles bases, la production de Stix – déjà à l’origine de quelques morceaux fameux de Kohndo (‘Sauvage’, ‘Loin des Halls’…) – réussit le pari de mettre encore un peu plus en relief la prestation du rappeur. Lorsque les cuivres s’emballent sur le refrain, l’instrumentale prend une allure effervescente qui procure un véritable plaisir à l’écoute. Il n’en fallait pas plus pour qu’Enz joue les « perce-oreilles » et transperce l’enceinte.
Si celui-ci écrase le sillon avec force et habilité sur ‘En grandes lettres’ – le titre phare de ce maxi – ‘Hip-Hop’ s’avère également un morceau de qualité. Enz s’y montre plutôt à l’aise sur le beat, en faisant varier le rythme de ses phrases et le placement de ses rimes, comme pour mieux exalter son désir de créativité : « J’aurais caressé l’espoir d’être unique, mais on m’informe que dans ce monde l’originalité est punie. » Résolu à être libre dans un univers musical où tant d’artistes sont sous écrou, il éprouve néanmoins quelques difficultés à se défaire de ses inspirations parfois flagrantes, tel Kohndo, son comparse au sein de la Heartclick, à qui il empreinte des intonations caractéristiques.
On retiendra de ce morceau un hommage sincère au rap et à la positivité, prenant la peine d’épingler au passage les dérives du genre : « Je me nourris aux 16 barres et aux beats fats, mais ces temps-ci c’est la diète car les MCs se battent : tous grattent pour manger la même part quitte à partager les miettes. » La production nappée de jazz de Boogie Rock, construite autour de notes clairsemées au xylophone, s’impose comme un gage de ce retour aux sources. On regrettera cependant le manque de profondeur de l’instru et le fait qu’elle ait tendance à bercer le flow du rappeur plutôt que de le bousculer pour lui permettre d’atteindre des sommets.
« … un jour viendra je leur montrerai que j’ai du talent * »
« One Love » est un maxi brillant annonciateur du meilleur pour son auteur. Dans un registre différent des morceaux en duo avec Ed, tout en conservant fraîcheur et efficacité, Enz trace son chemin dans une veine jazzy décidément prolifique en terme de qualité pour les rappeurs français. Entendre poser Enz sur des sons plus dynamiques ne manquerait toutefois pas de piment, et permettrait peut-être de faire complètement éclore une personnalité un brin en retrait lorsqu’elle arpente un style balisé. Confiant dans ses qualités – ou fervent adepte de la méthode Coué – Enz ne montre en tout cas aucun signe de fébrilité avant son album prévu pour début 2006 : « Malgré tous les obstacles sur ma trajectoire, il m’est impossible de perdre, je suis fait pour la victoire ! »
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* Aznavour, ‘Je m’voyais déjà’
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