Chronique

Chy Cartier
NO BRING INS

Chy Cartier - 2025

Photographie à la une : Claryn Chong

C’est avec « Bossed Up » sortie en Novembre 2023 que le grand public découvre Chy Cartier, rookie londonienne de 19 ans. Un petit tube dont la production évoque une version embuée par le crachin britannique de la motivational music « consciente » qui a fait le succès de Meek Mill. Essai gagnant pour la rappeuse de Tottenham, à qui tout réussi depuis : freestyle viral dans l’émission Victory Lap, portraits dans les grands médias spécialisés, respect et admiration des grandes vedettes du Royaume, de Stormzy à Central Cee. Une route sans cahots, qui tient un peu à sa bonne étoile, mais surtout à son charisme naturel, porté par un mélange de joie contagieuse et de puissance maitrisée. Une personnalité qu’on aimerait autant avoir comme confidente qu’à ses côtés dans une baston générale en sortie de boite. NO BRING INS, son premier long format, a pour tâche de confirmer musicalement cet engouement initial et de délimiter les contours du « son » Chy Cartier, par-delà le talent évident de la rappeuse.

De fait, ce qui est présenté comme une mixtape correspond à la lettre à la définition contemporaine du terme : NO BRING INS se présente comme un laboratoire, une compilation resserée dont le but est de prendre la température et de voir ce qui prend. Ainsi le disque fait le grand écart entre de la drill à 145BPM et des productions plus « laidback » autour de 95, qui tendent vers le RnB alternatif de FKA twigs. Mais si l’énergie monte et redescend, les textures drills qui habillent la mixtape donnent à l’univers de l’artiste ses couleurs et son ton : du noir, du brun et du gris, éclairés par des néons crépitants. Une ambiance rétro-futuriste cartoonesque, paradoxalement anxieuse et pleine de combativité, proche d’un décor à la Days of Future Past, série de comic-books où les X-Men résistent aux Sentinelles dans un futur dystopique. La rappeuse virevolte à travers les balles et les lasers dans les tranchées de « NO BRING INS », puis dans l’enfer synthétique de « DIFFERENT KETTLE », où un crescendo évoquant la « Deep Note » de THX envahit l’espace comme une sirène macabre. La production de Cage Beats sur « NOT THE ONE », à base de cordes maltraitées, déplace le champ de bataille vers une zone cloisonée, rajoutant une dimension claustrophobique aux combats. La guerre cyberpunk trouve son point culminant avec « SN », morceau épique et exalté dans la veine de « Bossed Up », les synthés du Jugement dernier en plus. Les moments de relâchement, comme sur le clinquant « PROBLEM » ou le mélancolique « GOOD APPROACH » pourraient être pris comme des respirations vers le présent. Mais dans le monde des radars automatiques et des enceintes bluetooth, les images de rides nocturnes et de piano-bars undergrounds qu’ils convoquent semblent davantage à leur place dans des univers de science-fiction. Avec « WEAKEST LINK », la mixtape se termine en pur néo-noir, où le motif qui structure le morceau évoque un insecte robotique qui prendrait un lampadaire pour la lune. Conclusion pessimiste d’un disque traversé de noirceur même dans ses moments les plus lumineux.

Une noirceur à laquelle Chy Cartier ne succombe pourtant jamais. Son interprétation oscille entre drill orthodoxe et flow « worldwide » à la Nicki Minaj (l’une des influences revendiquées de la rappeuse), ses couplets resserés compensant une certaine redondance propre à la drill. Si les ambiances futuristes et apocalyptiques libérent la créativité paranoïaque et anxieuse de certains artistes, Chy reste fidèle à elle-même, déroulant 30 minutes d’arrogance et de « flex » bien mérité. Dans la forme comme sur le fond, ses textes n’ont rien de révolutionnaire et mettent en scène son ascencion à base de marques de luxe et d’un monde extérieur vu d’en haut, aussi bien les ennemis que les amis. Ainsi le crépusculaire « NOT THE ONE » est une mise au point autoritaire où son date du moment est décrit à la manière d’un accessoire (Why cah’ I keep it in my purse like my lip gloss (Huh?).) Une superficialité sympathique, qui au regard du jeune âge et du dynamisme de l’artiste, a des airs de sincérité. Sur « CRAZY », morceau le plus ouvert de la mixtape, Chyna baisse légèrement la garde et s’essaye à la sérénade premier degré, refrain chanté et rimes gentiment kitschs comprises (We could take a pic by the Louvre / Then after the Eiffel / I don’t like to say how I feel). La production brumeuse de Bkay, aux tonalités déprimées voire dépressives, semble pourtant raconter une histoire bien différente. Une dissonance propre au rap britannique depuis de nombreuses années, les productions sombres et violentes ayant souvent valeur de subconscient symbolique, apportant de la nuance à l’insolence et à la légereté de façade affichées par les rappeurs. Le paradoxe de la drill, dont Chy Cartier, guerrière venue d’un futur révolu, livre une nouvelle déclinaison.

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