Chronique

mary sue
Voice Memos From A Winter In China

2024

Singapour, cité-état tapissée d’arbres et d’immeubles, semble protégée des remous qui agitent la région. Préférée à Hong Kong par la bourgeoisie « expatriée », elle jouit d’un PIB par habitant parmi les plus élevés au monde, et d’une stabilité politique et sociale comparable à celle de son climat chaud et humide, uniforme tout au long de l’année. Comme souvent dans les enclaves sans histoires, la jeunesse en quête d’aventure tourne son imagination par-delà les mers. Ainsi la trap, la drill et autres avatars du rap mondial serviront comme ailleurs de références à la nouvelle vague de rappeurs de l’archipel. C’est à l’adolescence que mary sue se prend de passion pour le Kanye West nerdy et bricoleur des débuts, avant de ne plus se retrouver dans le style de production de plus en plus boursoufflé du rappeur de Chicago. Les modèles du jeune singapourien deviennent alors ceux en marge des modes, les MF Doom ou The Alchemist, brillants représentants d’un rap souvent décrit à tort comme « orthodoxe » pour avoir le malheur de privilégier l’immédiateté dans la transmission, au service d’une certaine forme de profondeur et d’authenticité émotionelle.

Des émotions au coeur du rap de mary sue, dont les premiers textes naissent lors de son service militaire, en remède à l’ennui et à la solitude. Son approche délibérement brute et son set-up minimaliste font de lui un cousin musical de MIKE, nouveau héros d’un rap à la sincérité portée à bout de bras et à fleur de peau, que cela soit dans les textes, le mixage ou les choix de productions. Interrogé par Bandcamp Daily, mary sue revient sur cette filiation spirituelle avec le rappeur de New York : « Il n’a pas besoin d’écrire comme un orfèvre ou de déborder d’assurance pour s’exprimer. Mon premier album parlait du décès de mon grand-père, et la sincérité avec laquelle MIKE parle du deuil dans ses textes m’a permis d’y trouver refuge. » Loin d’être un simple ersatz asiatique de son estimé collègue, mary sue développe un style lyrical bien à lui, dont la force poétique s’affine d’un album à l’autre. Sur son précédent album Kisses of Life, le rappeur faisait montre d’une vulnérabilité qu’on ressentait comme cathartique à une période difficile de sa vie. Sur Voice Memos From A Winter In China, c’est une intériorité plus tranquille et tout en maitrise qui s’exprime au long du disque. Pour un album-concept conçu comme un carnet de voyage intime de sa tournée à travers la Chine, où l’artiste fera la connaissance de l’hiver, jusqu’alors un rêve distant pour cet enfant de l’Équateur.

Et si pour les habitués du changement des saisons, l’hiver est souvent synonyme de repli sur soi, voire de blues plus ou moins intense, pour mary sue, cette saison en Chine ressemble au contraire à un rejaillissement printanier. Les boucles sont chaudes et souriantes comme un soleil pâle se reflétant sur le paysage enneigé, la voix profonde du rappeur qui les surplombe semble plus sereine et posée que jamais. Les moments de vie qui ponctuent l’album, les enregistrements de concerts et quelques souvenirs éparses évoquent cette joie d’échapper à la chaleur ambiante, pour mieux mettre au travail son propre feu intérieur :  « inner fire all nighters in some new nations / inner fire burn brighter when the year ages. » Un motif que l’on retrouve tout au long de l’album, comme sur « Sentimental Thingz », où le feu n’est pas tant synonyme de rage ou de destruction que de transformation : « own my time but it was too late / i watch it burn, i watch it burn / i watch it churn and exude hatred / staring at the ashes on my feet / swear im good baby, slow time i escape grief ». Comme bercée d’une confiance nouvelle, l’identité singapourienne de mary sue semble émerger naturellement, comme quand il imite avec le public le cri du Coucou koël, un oiseau typique de l’archipel. Ou lorsqu’il délaisse l’anglais pour rapper en mandarin sur « Expired Toffee », sur la production du guitariste Kenzo Nagari, rencontre toute douce entre références new-yorkaises et une certaine tradition chinoise. Imprégné dans son âme par l’hiver chinois, mary sue n’oublie pas d’y apporter sa sensibilité, portant un regard neuf et lumineux sur une saison plus souvent subie qu’elle n’est vécue.

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