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Gavus, mec de partout
Suite à la sortie de son album Mon dernier flash en octobre dernier, Gavus raconte ses pérégrinations, de la Bretagne à l’Arménie, et la façon dont il concilie le rap et la vie de bureau, en plein virage de la trentaine.
Avec Mon dernier flash, album publié en octobre dernier, Gavus raconte la vie d’un rimeur, assis sur une chaise de bureau et un vécu de vadrouilles crapuleuses. Pris entre les discussions à la machine à café et sa quête d’adrénaline, le Parisien décrit les différents costumes qu’il enfile au gré de ce qui l’entoure.
En plein virage de la trentaine, il se penche pour jeter un coup d’œil dans le rétro. Plus sérieux que par le passé, et donc défait d’un côté parodique, Gavus choisit bien ses prods, épurées. Elles accompagnent un rap juste, à sa manière, parfois cru, de sa voix particulière qui appuie une identité affirmée par des années de rap. Retour sur ce parcours, de Stomy Bugsy à Black M en passant par l’Arménie et le bord de mer breton.
Dernier flash, un Gavus assagi
Pour moi, le flash ça symbolise la jeunesse. C’est la fougue. « Dernier flash », ça veut dire que j’arrive à un âge où il y a plein de trucs que je fais encore, mais qui sont bizarres. Quand je les fais, je me dis : « frère, grandis. » Même le rap ça rentre là-dedans. Mais ça ne veut pas dire que c’est mon dernier album. Il est peut-être plus sérieux que ce que j’ai fait avant. Il a été fait sur un temps long, et il y a eu plus de sélection. Il y a pas mal de morceaux qui partaient dans tous les sens qu’on n’a pas mis, pour garder les plus impactants. Entre mes deux premiers EP, j’ai fait la série de freestyles « Gavroche », pour montrer que je sais rapper. Ça a attiré des auditeurs qui aiment ce genre de rap, donc je suis resté dans cette continuité. Moi aussi j’aime ça, mais c’est juste que dans les projets d’avant, il n’y avait pas de son boom-bap. Alors que quand j’ai commencé à rapper, c’était là-dessus.
Un regard dans le rétro
« Si demain tout s’arrête, on se sera bien marré », c’est le thème de mes gamberges actuelles. J’ai envie de continuer toute ma vie à faire comme si j’étais un adolescent, comme si j’avais encore 17 ans. Mais il faut avancer. J’ai 30 ans. Ça met une petite claque. Mais ça va, dans ma vie, j’en suis à peu près là où je pensais être à 30 ans. Mais, quand tu as 30 ans, tu ne peux pas te balader en ville avec un flash à la main, et croiser des gens avec qui tu travailles. Alors que ça passait encore à 20 ans. Mon collègue Patrick (« Je prends ma pause avec Patrick », dans « Dernier Flash », NDLR) ne connaît pas ce que je fais, mais il y a quelqu’un qui m’a grillé au bureau. Je lui ai dit : « Ferme la porte. Tu ne vas jamais me reparler de ça, c’est comme si ça n’existait pas. » Il avait aimé en plus. Le problème, c’est que le rap, c’est connoté. Ce n’est pas comme si tu dis : « je fais de la guitare. » Et en plus, je rappe vraiment toutes les conneries que j’ai pu faire. C’est l’inverse que je mets en avant au bureau. Ne faites pas écouter à Patrick, c’est tout ce que je demande.
Un empilement de casquettes
Je parle beaucoup de ça dans mes projets, j’aime bien le mettre en avant. Dans « Si demain tout s’arrête », je ne cite que des lieux où j’ai vécu. Ou alors, où je suis parti en vacances, mais que je connais bien. Vaulx-en-Velin, j’ai vécu trois ans là-bas. Le 94, c’est là où je vivais dernièrement, et là j’ai déménagé dans le sud. La Bretagne, c’est où je passe toutes mes vacances depuis que je suis petit. Dans tous les endroits, je vais facilement vers les autres. Forcément, à force de traîner avec des gens, tu prends de leurs traits. Et à la fin, tu deviens un peu hybride. Mais je crois qu’on est tous comme ça. Je ne suis pas perdu, plutôt en décalage parfois. Mais c’est de l’apparence, du visuel. Je peux être en survêtement dans le 16e. Et je peux être habillé en Lord écossais au fond d’une chicha crapuleuse (« Lord écossais « , NDLR). Si je parle avec les gars du 16e ou de la chicha, ils vont comprendre que je suis comme eux. J’ai l’impression qu’on est tous compatibles. Je suis pote avec des mecs de la jeunesse dorée, des fils d’ambassadeurs, et avec des mecs qui sortent de prison pour braquage. J’ai l’impression d’être la même personne avec eux, et qu’ils m’aiment pour la même raison. Mais des fois, quand je rassemble tous mes potes, ils ne se mélangent pas. J’ai grandi dans le 8e arrondissement de Paris, un arrondissement très riche, très bourgeois. Mais très contrasté aussi. Tu prends n’importe quel immeuble haussmannien, au rez-de-chaussée, il y a une loge de gardien, où vit une famille, avec le père sur le chantier, la mère femme de ménage dans l’immeuble. Il y a des gens très riches, des médecins, des avocats, et des familles très pauvres qui vivent dans des chambres de bonnes. On est tous mélangés, mais à la fin du collège, les groupes se séparent par origines, et moi, je voulais rester connecté à tous les groupes, parce que je ne sais pas où est ma place. Du côté de ma mère, c’est une famille française, plutôt bourgeoise. Du côté de mon père, son père est un Arménien d’Iran, arrivé en Occident pour ses études. C’est un mélange. J’ai été élevé à la dure comme mes potes arabes et d’Afrique noire, en même temps j’ai passé mes vacances en Bretagne et j’ai fait le catéchisme comme mes potes de familles françaises bourgeoises. J’ai des points communs avec tout le monde. Mais à part mes deux frères, il n’y a personne qui est comme moi.
« Je rappe vraiment toutes les conneries que j’ai pu faire. C’est l’inverse que je mets en avant au bureau. »
Le rap et ses classiques
Depuis que j’ai l’âge d’écouter de la musique, j’écoute du rap français. Mon premier souvenir avec le rap, c’est que Stomy Bugsy habitait dans l’immeuble d’un pote de mon grand-frère. Et ce pote là, il faisait une boum. Eux, ils étaient en primaire, et moi, je devais être en maternelle. On avait été invités pour faire dédicacer des CD, donc ma mère avait acheté l’album Trop jeune pour mourir. Et je me rappelle qu’on n’avait pas le droit d’écouter après la track 7. Je le faisais en cachette, mais je comprenais pas. J’ai réécouté récemment, et ça parlait clairement de sexe. Par l’intermédiaire d’une connaissance, je me suis mis à écouter tous les classiques, Les Sages poètes de la rue, Time Bomb, Arsenik… En 2006, j’écoutais des trucs à l’ancienne. À l’époque, j’étais un peu réfractaire à ce qui passait sur Skyrock, et après, je me suis modernisé.
Posté devant Skyrock
À l’époque, je faisais mes études, et j’allais à la bibliothèque à Beaubourg, qui ferme vers 21h. Après, je rentrais chez moi à pied, et sur le trajet, je passais devant les locaux de Skyrock, à l’heure de la fin de Planète Rap. Souvent, il y avait des rappeurs en bas, et une fois, il y avait Black M et Abou Debeing face à deux petits, qui freestylaient. Moi, j’ai envoyé un truc a capella. (« Demande à Black M, s’il se rappelle du petit blanc à lunettes », dans « CPGE », NDLR) Ils ont kiffé. Je me rappelle que Black M a dit qu’il n’avait pas prévu de rapper, et il avait envoyé un méchant couplet, Abou Debeing aussi. Je suis rentré chez moi, j’étais content.
Un jeune gavroche
Mon prénom, c’est Gustave, donc mon surnom naturel c’est « Gus ». Après c’est devenu « Gav » avec le javanais. Puis les gens ont commencé à m’appeler « Gavus », et même ma mère, elle peut m’appeler comme ça. « Gavroche », c’est venu après. Je suis un pur Parisien. J’ai grandi en écoutant Mister You, Sexion d’Assaut, Abis, Bilel, … Mon père était très strict et, dans ma famille, les études étaient importantes. À aucun moment, je ne me suis imaginé ne pas faire d’études d’ingénieur. On est trois frères, et les trois, on a le diplôme d’ingénieur. On n’a pas eu le choix. (« Vous serez ingénieur tous les trois » dans « CPGE », NDLR) Chez moi, je ne faisais rien à part mes devoirs, manger, me laver et dormir, et encore dormir, genre, passer huit heures du matin c’était interdit. Je n’avais pas de Playstation, il y avait la grosse télé dans le salon, mais je n’avais pas le droit de la regarder. Il y avait un gros ordi dans le salon, j’avais le droit à un quart d’heure. Dès que je finissais mes devoirs, je trouvais un prétexte pour aller dehors. Et les potes qui sont souvent dehors, ce ne sont pas forcément les meilleures fréquentations. Tu fais des petites conneries, au début, c’est marrant, puis ça passe à de la délinquance, sans jamais que ce ne soit trop grave. Ce n’était pas par nécessité, plutôt pour l’adrénaline. Tous nos besoins ont été comblés, ma famille est aisée, mais on n’avait pas d’argent de poche. Il fallait avoir un petit billet pour la semaine dans la poche. Ce qui peut te perdre, c’est d’avoir trop d’appétit. Je me suis déjà fait attraper pour des petits trucs, mais j’ai toujours eu un pied dans les études. Et le fait de voir des amis gâcher leur vie, ça te rend frileux. Je n’ai jamais eu envie de faire un métier en particulier. Je me suis déjà dit dans mes rêves que je ferais rappeur, mais c’est trop risqué. J’ai besoin de stabilité financière. Je serais allé dans le mur, comme 99 % d’entre nous. Même si les études, c’est chiant et que tu ne vas pas devenir Bill Gates parce que tu sors d’une école, au moins, ça t’assure un minimum.
« À force de traîner avec des gens, tu prends de leurs traits. Et à la fin, tu deviens un peu hybride. »
Un œil avisé sur la jeunesse
Je n’ai jamais trop calculé l’histoire de génération et d’âge. Pour être mon pote, il faut juste me faire rire. Je suis un peu dans une génération pivot, dans le sens où on a connu la vie sans accès facile à Internet, sans les réseaux sociaux. Et maintenant, on est dans la même ère que tout le monde. La première fois que tu vois un mec avec une puff qui fait des lumières arc-en-ciel, tu te demandes ce qu’il fait (« Puff myrtille », NDLR). Pour « RS3 vert pomme », à un moment j’en voyais plein passer sur les Champs. J’ai eu l’idée comme ça, et après l’avoir écrit, je me suis souvenu qu’un pote avait eu un accident en sortant d’un mariage, une semaine avant.
Livreur de CDs
Les CDs de Mon dernier flash, je les voulais au moment où ça sortait, mais ils ne sont pas arrivés pour la release party. J’étais en plein déménagement quand je les ai reçus. Donc j’ai fait Paris-Marseille en moto, et j’ai pris un gros sac ficelé sur le top case. J’ai fait une pause à Lyon et j’en ai distribués aussi. C’est moi qui finance tout. Pour les prod, c’est Toled, julio la b, Srk, et un type beat aussi, pour la première fois dans un de mes projets. Il y a moins de prod type Jul, mais ce n’est pas forcément voulu. Ça dépend de ce que mes potes m’envoient. J’aime beaucoup ce genre de prods, tu peux faire quelque chose de mélancolique ou festif. Tu peux écouter en voiture, en soirée. Mon style de rap, ça serait un mélange entre le rap des années de 2008 à 2012, plutôt de Paname, ou du 91, Néochrome, des rappeurs comme Abis, Mister You, et le rap de Marseille des années 2015-2016, les Jul, l’Allemand, etc.
Connecté avec Lujipeka
Je ne sais pas exactement comment il m’a découvert, par son petit-frère peut-être qui me suivait, où par des connaissances qu’on a en commun. Un jour, je vois plein de nouveaux followers, parce qu’il avait mis son bilan Spotify et j’étais dedans avec « Capuché dans la ville ». Après, il m’a proposé de faire le remix à son Planète rap (le 11 janvier 2022, NDLR). Planète Rap, c’est symbolique pour les gens de ma génération. On y est allé pour faire le son en feat avec mon petit frère, qui rappe aussi. Je lui envoie souvent ce que je fais. Il enregistre de son côté, et il a une belle plume, comme sur « Piège à loup ». Il envoie des phrases simples, sans figures de styles, qui touchent directement.
Star locale en Bretagne avec DCASD
DCASD, c’est le groupe de mes potes de Bretagne. Sur Paname, j’avais mon équipe, j’étais dans le graffiti, certains rappaient, et pendant l’année, ça freestylait en mode rap de parisien, un peu fermé. Et dès que j’allais en Bretagne, il y avait les potes qui, eux, sont dans leur petite ville, où tous les jeunes se connaissent, où ils s’amusent, et je n’assumais pas trop ce côté-là. Je n’allais pas rapper dans les clips, au début, parce que j’avais un peu honte par rapport à Paris, où ça se juge plus. Et puis après, je me suis mis à poser un couplet à gauche, à droite. J’ai fait mes armes avec eux. C’était une renommée très locale, dans un rayon de 20 kilomètres. C’est ça que je kiffais.
« Un mélange entre le rap de 2008 à 2012, plutôt de Paname ou du 91, et le rap de Marseille des années 2015-2016. »
Les showcases
Martin Vachiery organisait des soirées, Check Club, où il faisait des DJ sets. Et dès qu’il pouvait, il me ramenait. J’allais à Bruxelles par exemple. Quand je bougeais, généralement, c’était le bordel, on débarquait à 20. Comme j’ai beaucoup bougé, je connais des gens un peu partout, et j’ai des noyaux d’auditeurs dans un peu toutes les grandes villes de France. Franchement, avant d’entrer sur scène, tu te dis : « pourquoi je fais ça ? » Dès que tu commences, tout le stress part, tu te sens trop bien, t’as envie de recommencer directement. J’ai connu ça dans le graffiti aussi, peindre un métro, c’est pareil. Tu es dans le souterrain, tu te dis : « mais je suis un fou, ça ne sert à rien. » Et dès que tu commences à peindre, tu ne penses plus à rien.
Boosté par Roland-Gamos
Je regardais les stories de Mehdi Maïzi, pendant le confinement. La première fois, il a pris mon petit frère en Roland-Gamos. Il me semble qu’il l’a battu. Et après, j’ai insisté pour qu’il me prenne. Je l’ai battu aussi, sur des trucs un peu précis. C’est là que j’ai connu Martin Vachiery. Pas mal de gens sont venus me suivre, ils ont écouté et ils ont kiffé. Ça m’a bien mis le pied à l’étrier. Je rappais déjà, mais à l’époque, je ne faisais pas grand-chose. J’avais un casque de moto, je ne voulais pas montrer ma tête. Et puis je me suis lancé avec ça.
Les discours dans le rap
J’aime l’honnêteté. Quand j’écoute un rappeur, et qu’à la fin, je vois quel genre de personne il est. Il y en a beaucoup qui ne racontent rien, avec des discours creux. Tu as passé ta jeunesse à écouter des mecs et à prendre pour argent comptant ce qu’ils disaient, et au final, soit c’est des schlags, soit c’est des anciens qui n’ont pas tourné la page, soit ils ont percé, ils sont riches, mais seuls et ils ne peuvent même vivre en France. Ce qui m’énerve dans le discours des rappeurs, c’est quand ils disent que tout le monde veut leur chute, etc. Arrête, au bout d’un moment, tu es livreur, tu as fait 12 000 vues. Moi, je donne ma confiance aux autres, de base. Après, je pense qu’il y a aussi des gens qui ont des attentes trop élevées en l’être humain. Moi, tu me fais rire, t’es mon pote.
L’Arménie
J’y suis allé environ six fois. Je ne suis qu’un quart Arménien, par le père de mon père. Je suis très fier d’être Français, je le revendique. Mais quand j’étais petit, je me suis plus construit en disant que j’étais Arménien, parce que je suis fier de l’être. Et avec les événements récents (depuis 2021, l’Arménie est en conflit armé avec l’Azerbaïdjan, qui a annexé la région du Haut-Karabagh et entraîné l’exode de milliers de locaux , NDLR), j’ai conscience d’appartenir à un peuple en voie d’extinction. Je connais l’histoire de ma famille. Mon arrière-grand-père a écrit des mémoires, donc je me revendique Arménien par rapport à tout ce qu’ils ont vécu. C’est important d’en parler, il n’y a pas mille rappeurs arméniens, il n’y a pas mille personnes qui parlent de l’Arménie.
Mission accomplie
À l’heure actuelle, je suis partagé quant à savoir si je veux percer. Ils ne sont pas heureux ceux qui percent. Tu as l’impression que le top pour eux, c’est qu’on leur offre du champagne quand ils vont faire les courses chez Gucci. Et le reste du temps, soit ils sont trahis par leurs potes, soit il y a des grands de chez eux qui les rackettent, soit ils sont en dépression à cause d’une ex. Mais si tu rappes, forcément, tu as envie que ça marche. Si on me propose de signer et d’avoir la vie de Heuss l’Enfoiré pendant deux-trois ans, je vais le faire. Là, je suis fatigué de sortir des trucs, d’envoyer des trailers, regarder les chiffres. Mais je suis content, j’ai eu des bons retours sur l’album. Je pense que quelqu’un qui aime vraiment le rap me connaît. Ça, pour moi, c’était le but ultime.
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