Cormega
Legal Hustle
C’est imprimé sur un dollar, là où se trouve habituellement la figure d’un président américain, que nous revient Cormega. La casquette des New-Yorkers visée sur son crâne pourrait laisser entrevoir une alternative à la monarchie (et aux conflits sans fin pour l’accès au trône) qui règne depuis des années sur le rap new-yorkais. Un président. Cormega candidat.
Point de grand cérémonial royal effectivement lorsque Cormega revient (fréquemment) en studio. La sortie de ce nouvel album Legal Hustle se fait, comme pour les précédents (The Realness puis The True Meaning), assez discrète. C’est que ce président-là préfère avant tout mettre rigueur et force dans sa musique en toute discrétion plutôt que de trop parader. Cormega est dans la place et sa présence a toujours de quoi rassurer. Un rappeur qui, à l’instar de son flow sagement tempéré, sait prendre son temps dans sa carrière, poser un à un les jalons de sa réussite. Contrairement à bien des rappeurs qui l’entourent à New York, il semble toujours moins se soucier des chiffres de vente de ses albums que de la qualité des productions qui l’accompagne. Celles-ci sont toujours bien peu conquérantes d’un autre marché que celui du simple public friand de son new-yorkais au sens le plus classique du terme.
Pas de présence du jeune génie Alchemist ou du vieux briscard Large Professor (il apparaît toutefois en temps qu’MC dans le trop court ‘Sugar Ray and Hearns’) dans Legal Hustle. Cormega nous propose en échange de revenir au poste de producteur qu’il avait un peu abandonné pour The True Meaning. Tel est le deal honnête dont personne ne sort perdant. Celui-ci nous gratifie de quelques clin d’œils à d’anciens morceaux new yorkais d’anthologie (sur ‘Beautiful Mind’ et ‘Hoody’) que l’auditeur prend plaisir à redécouvrir. Il signe en tout trois morceaux pour lesquels il a su bien s’entourer. Pour ‘Beautiful Mind’ et ‘Stay Up’ Cormega fait appel à des musiciens : pianiste, guitariste, bassiste, etc qui jouent de petites compositions efficaces sans trop s’emballer. Sur ‘Hoody’ c’est le célèbre DJ Tony Touch que Cormega invite judicieusement pour une poignée de scratchs.
L’autre très belle surprise c’est l’imposant travail fourni par Ax [Tha Bull] qui n’est en fait qu’une demi surprise après le premier album de l’Infamous Mobb dans lequel il signait déjà deux productions parfaites. En voilà un qui porte bien son surnom ! Des beats massifs qui chargent, ruent comme de furieux taureaux et des instrus hachant menu-menu. Quatre morceaux pour Ax qui ne lésine pas sur les effets afin de susciter son lot d’émotions fortes à l’auditeur. ‘The Bond’, ‘Monster’s Ball’ et ‘The Machine’ sont des morceaux énormes qui vont selon toute évidence faire définitivement de ce producteur un vrai gage d’excellence dans les années à venir. ‘Respect Me’ est aussi bien bâti mais peut-être un cran en dessous, peu importe compte tenu du niveau des autres instrus du Bull. Sa production s’articule sur la boucle obsédante d’une note qui dérape rappelant un peu ‘The Grain’ de RZA en moins minimaliste. Au moment où je désespère un peu de trouver des morceaux vraiment percutants sur quelques albums récents tels que sur le premier du Wu-Banga Masta Killa, Legal Hustle gagne immédiatement mes faveurs.
Emile, sans être un serial killer, propose pour la plupart des instrumentaux classiques et particulièrement efficaces. Quant à Will Fulton, il injecte des vibes jamaïcaines à l’album en samplant ‘Tempo’, le hit ragga d’Anthony Red Rose sur ‘Dangerous’. Hit que Daddy Nuttea, un de nos toaster national (si si à l’époque !), reprenait lui aussi en 94 pour ‘La Compétition’. Il y a bien sûr, sur les dix-sept titres, quelques morceaux un ton en dessous des sommets évoqués précédemment mais l’ensemble reste très cohérent et fidèle à un certain (bel) état d’esprit. ‘Deep Blue Seas’ et ‘More Crime’ sont sans doute dans le creux de la vague.
Côté Mcing Cormega ne s’offre que très peu de morceaux en solo (‘Beautiful Mind’, ‘Bring It Back’) préférant s’entourer entre autre de quelques héros du rap new-yorkais. Il faut ajouter, pour les mauvaises langues qui pourraient vouloir avancer que la masse d’invités reflète un essoufflement du rappeur, que Cormega a volontairement envisagé ce Legal Hustle comme un album de collaborations (éventuelle rampe de lancement de ses protégé(e)s) plutôt que comme un véritable nouvel album solo. Celui-ci sortira prochainement sous le nom d’Urban Legend. Font donc partie des invités les toujours exubérants membres de M.O.P. (‘Let It Go’) et un Ghostface Killah plein de jus sur ‘Tony/Montana’. Sur un instru réussi des Feil Brothers alliant soul music et beat épais, Ghostface envoie un couplet survitaminé à cent à l’heure, oubliant quelques unes de ses intonations traînantes forcées dont il a le secret et finalement pas si éloignées du flow naturel de Cormega. AZ, qui comme Cormega est resté dans l’ombre de Nas mais qui semble avoir plus de difficulté que lui à choisir ses prods (le très moyen Aziatic), est là aussi pour un duo des plus sympathique.
Et il faut avouer que l’on va de découvertes en découvertes en écoutant Legal Hustle car il n’y a pas que la production qui révèle de nouveaux talents ! La rappeuse Doña présente sur plusieurs morceaux (‘The Bond’, ‘Hoody’, ‘Personified’, ‘Respect Me’, etc) explose de par sa voix rentre dedans et assurée en total contraste avec le timide flow de Cormega (‘Intro’). C’est seule qu’elle brille sur ‘Respect Me’. On en reste vraiment sous le charme, heureux d’apprendre qu’elle prépare un album solo intitulé My Brother’s Keeper, impatients qu’il sorte enfin pour la retrouver, plus tard. Le rendez-vous est pris.
Les bons albums sont aussi ceux qui savent proposer aux auditeurs la perpective d’un futur plaisant pour la musique qu’ils apprécient et à ce titre encore Legal Hustle est plus qu’une réussite.
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