Chronique

Paris
Sonic Jihad

Guerrilla Funk Recordings - 2003

Paris, le rappeur qui n’a jamais hésité à exprimer
ses opinions tout haut dans ses morceaux (« America is a racist country,
it was built on racism », ‘Bring It To Ya’ sur « Guerrilla Funk ») a sorti courant 2003 un cinquième
album incendiaire, « Sonic Jihad », dans le
contexte international déjà extrêmement tendu que l’on connaît tous.

Le militantisme du rappeur s’exprime dès le premier disque
qu’il sort (« The Devil Made Me Do It ») au début
des années 90. Frère de l’Ouest (il est d’Oakland, Californie) des Public
Enemy de l’Est, ses attaques sur fond de productions dépouillées et
survoltées qu’il compose lui-même ne seront pas moins violentes dans les
albums suivants. Du moins peut-on dire jusqu’à « Guerrilla Funk » en 1994.
Dans ‘Bush Killa’ un morceau du second album (« Sleeping With The Enemy ») qu’il réalise en
indépendant alors que son pays est au sortir de la guerre du Golfe (1991),
Paris rêve à voix haute de massacrer George Bush, président républicain des
Etats-Unis d’alors et père de l’actuel. La même année le démocrate Bill
Clinton s’installe à la Maison Blanche pour 10 années et la fin de son
second mandat se fera plutôt sous le signe de la détente pour Paris. « Unleashed », son album qui sort à cette période (1999),
tranche de ses prédécesseurs par un état d’esprit musical moins tendu,
toutefois dans l’ensemble assez plaisant pour qui aime le G-funk bien
laid-back. Les paroles même se font un peu moins agressives.

En
2001, quelques mois avant l’investiture de Bush Junior à la présidence des
Etats-Unis, on retrouve Paris en boursicoteur brillant, ayant visiblement
touché un beau petit pactole lui permettant de subvenir à ses besoins et à
celui de ses proches jusqu’à la fin de ses jours. Il explique tout cela
dans le magazine américain The Source (Mars 2001, n°138), comme d’habitude
sans langue de bois, nous laissant plus l’impression du bon actionnaire
petit-malin que celle d’une de ces taupes terroristes au service de Ben
Laden qu’on a dit tapies dans l’ombre de Wall Street à attendre son heure.
Voilà au moins un rappeur qu’on ne pourra pas accuser de faire de la
musique à des fins mercantiles.

Et c’est tant mieux car « Sonic Jihad » marque le retour tonitruant de Paris sur
le devant de la scène politique et militante. Or on sait combien peut être
nauséabonde la prise d’otage de l’actualité par des artistes afin de
l’ériger en imparable argument marketing. Vous l’aurez compris, ce qui a
réactivé ses réflexes insurrectionnels sont, comme chez d’autres, dans
l’ordre : l’élection litigieuse du républicain conservateur W. Bush en
2001, les attentats du 11 Septembre, les guerres qu’ont déclarées les
Etats-Unis à l’Afghanistan puis à l’Irak. Avec, avant tout et comme à
l’accoutumée, cette intention louable de titiller la censure omniprésente
dans son pays et offrir une alternative à la grand-messe des médias qui y
sont tout-puissants. Pour ceux qui ne comprennent pas les paroles, ne
serait-ce que le titre du disque et sa jaquette en disent déjà long sur le
programme du rappeur pour cet album. Cette jaquette sur laquelle on voit un
avion gros porteur foncer dangereusement sur la Maison Blanche n’est bien
sûre pas sans rappeler celle, originale, de « Sleeping
With The Enemy ». On y voyait Paris planqué derrière un arbre, arme à
la main, à quelques pas de la maison du chef de l’Etat. Des balles de Uzi
pour le père, un Boeing pour le fils. Périodes.

Qu’on ne s’y
trompe pourtant pas, « Sonic Jihad » est tout autre
chose qu’un album contenant la « dure vérité » et juste la « dure vérité »
comme il est pourtant indiqué sur la jaquette cartonnée. Œuvre de
propagande, on y constate Paris enclin aux débordements ainsi qu’en
témoigne la diabolisation (au sens propre) systématique de Bush et le fort
penchant pour l’extrapolation et les thèses conspirationistes en vogue
(dans ‘What Would You Do ?’ et ‘Evil’ en particulier). On réalise
finalement assez vite que le rappeur n’en sait pas beaucoup plus que nous
sur le dessous des événements qui frappent son pays et le monde depuis le
début du nouveau millénaire. On repassera pour une leçon (voir une critique)
sérieuse sur la politique intérieure et surtout extérieure des Etats-Unis
dirigés par Bush. Et c’est bien dommage car on était en droit d’attendre
de la part de Paris plus de précisions et de rigueur quand à la description
de l’état de son pays ! Comme parti en campagne électorale avant l’heure,
Paris n’a de cesse de lutter contre le pouvoir en place, adoptant une
stratégie qui vise à obtenir au mieux l’attention, au pire l’adhésion du
plus grand nombre sur le simple motif qu’il affirme, lui, détenir et dire
la vérité. Le processus employé devenant un pur substitut de celui des
fameux médias américains qu’il fustige. Mais qu’en est-il de la musique
dans tout ça ?

Quelle musique Paris a-t-il choisi pour faire
passer son message ? Après avoir amorcé un virage G-funk à partir de « Guerrilla Funk » en symbiose avec les goûts de
l’époque, ce qui frappe avant tout dans « Sonic Jihad » est le débarquement
de refrains chantés, eux aussi signes des temps (‘Lay Low’, ‘Life Goes
On’ ou ‘Evil’). Ceux-ci pointaient déjà le bout de leurs nez dans
« Unleashed » avec toutefois je trouve plus d’efficacité. « Sonic Jihad » s’en retrouve sérieusement plombé. Dans
‘Ain’t No Love’ le rappeur au duffel-coat laisse couler son flow de miel
rappelant les moments smooths et de nostalgie qui firent les beaux jours de
« Sleeping With The Enemy » (‘The Days Of Old’)
ou de « Guerrilla Funk » (‘Back In The Days’).
Hélas, là aussi, un refrain saoulant vient ternir la qualité du morceau qui
par ailleurs ne bénéficie pas d’un instrumental très folichon, pas assez
efficace pour parvenir à faire intégrer le refrain à l’auditeur. Dans
l’ensemble les instrus sont de toute façon pauvres, à classer dans la
catégorie G-funk de la dernière heure (‘Tear Shit Up’, ‘Evil’,
‘Freedom’) ou hardcore raplapla (‘You Know My Name’, ‘What Would You Do
 ?’). Le meilleur en terme de productions se situe en début d’album avant
une lente et progressive débandade. On constatera une fois de plus (après
l’ère du Dr Dre de « The Chronic ») l’influence
certaine des productions récentes du définitivement génial Dr Dre sur celles
de Paris (‘Sheep To The Slaughter’, ‘How We Do’). A intervalles
réguliers le bruit d’une sirène, d’une fusillade ou d’une foule en
panique ramènent l’album dans une ambiance de chaos. On connaît la recette.
Mais la tension vient encore et surtout de la voix de Paris, toujours aussi
offensive quand il le veut, posée sur deux ou trois instrus pleins de jus
(‘Field Nigga Boogie’, ‘Sheep To The Slaughter’, ‘AWOL’). Ailleurs, à
l’instar de ses productions, il se fait plus fatigué (‘What Would You Do
 ?’, ‘How We Do’) et semble surtout tourner en rond dans ses paroles tel
une panthère en cage. L’appel ininterrompu à la guerre armée contre les
forces de l’ordre et l’agacement face aux MC’s je-veux-être gangsters
pouvant assez vite lasser.

Les invités au microphone ont étés
triés sur le volet. Priorité à la scène la plus engagée du rap américain,
d’hier (Public Enemy) et d’aujourd’hui (Dead Prez). Le remix de
‘Freedom’ avec Public Enemy (et Dead Prez) représente un intérêt tout
particulier à cause du rapprochement fréquemment fait entre le groupe et
Paris. En fait le remix consiste uniquement à la visite du groupe
new-yorkais, l’instru est le même que celui du morceau original qui se
trouve avant dans l’album. On préférera donc la seconde version plus riche
en MC’s tout en se demandant ce qu’apporte la présence de la première sur
le LP. Même si ni Chuck D et encore moins Flavor Flav ne semblent vraiment
inspirés sur ce coup là. Juste une déception supplémentaire. Signalons enfin
‘Spilt Milk’, qui est un bon morceau, bénéficiant de la participation au
refrain du toaster jamaïcain Capelton.

Burning Spear donne, je
trouve, une bonne définition de ce à quoi devrait ressembler une chanson
engagée : « the message is in the music, the music is in the
message » (‘Mi Gi Dem’, « The World Should
Know »). Paris, pour cet album, ne semble s’intéresser qu’à la
première phrase, oubliant de faire preuve d’un véritable intérêt musical
pour son disque-tract. On pourra toujours retourner écouter ses anciens
albums, d’autant plus qu’ils sont ressortis récemment !

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