Élections législatives : la parole au rap français
Ce week-end se tient le premier tour d’élections législatives déterminantes en France. L’Abcdr du Son laisse la parole à 11 rappeurs et rappeuses sur la situation. Pour faire front, mais aussi voir plus loin dans un avenir aux contours menaçants.
Des années que la même soupe est servie. Des plateaux télé aux Unes des journaux, la politique est devenue un divertissement cynique plus qu’un espace d’échange et ses acteurs sont pour la majorité des carriéristes avec autant de casseroles au cul qu’une voiture de mariés. Une carotte au goût amer et qui ne rend plus aimable, faisant par la même occasion, chaque jour un peu plus, le jeu de l’extrême droite. Avec, ou plutôt sans, une gauche incapable de (se) fédérer, il ne resterait plus que la droite ultra libérale de Macron, remplaçant peu à peu les services publics par des entreprises privées soucieuses de faire du chiffre, ou le grand épouvantail du RN, et son habile remaniement novlangue. Le 9 juin 2024, l’extrême droite fait un raz de marée aux élections européennes. Prévisible et immonde. Mais encore : les gouvernements récents de Macron ne sont-ils pas déjà dans une idéologie d’extrême droite ? Ont-t-ils écouté les gilets jaunes avant qu’une pandémie mondiale ne les arrête ? Ont-ils entendu la jeunesse des quartiers prétendument prioritaires, meurtrie par une police toujours plus violente ? N’ont-t-ils pas autorisé des défilés néo-nazis en plein Paris alors que des manifestations pro-palestiniennes face au massacre en cours au Moyen-Orient étaient remises en question, voire carrément criminalisées ? Les lignes éditoriales des grandes chaînes d’information en continu, BFM, CNews, LCI, ressemblent de plus en plus aux « deux minutes de la haine » du roman 1984.
Le vainqueur du vote de ces élections européennes, et des nombreuses élections précédentes, profite aussi de l’aversion des Français pour la politique. Un système électoral dans lequel les électeurs votent contre quelqu’un et non pour un programme devrait-il être encore considéré comme adapté ? Nous ne sommes pas dans un épisode de The Wire, bien que la série soit au plus près de la réalité, mais une citation de l’œuvre vient à l’esprit. En V.F : « Le jeu est truqué. Mais tu ne peux pas perdre si tu ne joues pas. » Oui, mais voilà : on ne peut pas gagner non plus, et en l’occurrence, on a beaucoup à perdre si on ne joue pas. La situation oblige à prendre le chemin des bureaux de vote, pour glisser dans l’urne un bulletin Nouveau Front Populaire, en se bouchant le nez peut-être, en serrant les dents sûrement, mais il le faut. Auditeurs de rap français, journalistes culturels, acteurs associatifs, et tous les autres profils qui constituent l’équipe de l’Abcdr poussent aujourd’hui le site à donner sa voix et ses voix. Sans enthousiasme, et avec lucidité quant à ce que la gauche de gouvernement a fait subir au rap, aux minorités et aux jeunes. Si David Simon et George Orwell cités plus haut restent des maîtres d’écriture, certains rappeurs français ont eux aussi des traits d’esprit mettant le doigt sur les troubles politiques d’un système sclérosé. La rédaction de l’Abcdr a décidé, plutôt que de se contenter de donner une consigne de vote, de faire ce qu’elle a toujours fait avec passion : parler du rap français et le faire parler. Pour faire front, mais aussi voir plus loin dans un avenir aux contours menaçants.
La rédaction
Retrouvez notre playlist « Élections législatives : la parole au rap français » sur Spotify et Deezer.
Médine – Médine France (2022)
« Le morceau « Médine France » est le premier titre de mon dernier album du même nom, et j’y réfléchissais depuis une bonne année. C’est toute l’atmosphère post-Covid, post manifestation d’infirmières, post gilets jaunes qui m’a amené à écrire ce morceau. Et comme dans le quinquennat d’après il y a eu autant d’injustices et d’ingérences, il a eu une résonance très actuelle. Le morceau parle de l’extrême droite, mais aussi de ses sympathisants, et de comment leur discours a fini par être épousé par la majorité, voire parfois même par une partie de la gauche. Il y a ce qu’on appelle le bloc bourgeois qui reprend aisément les idées d’extrême droite et qui, au final, se ligue derrière la critique de l’islam, des musulmans, parfois même de l’immigration, en utilisant la défense de la laïcité. Et ce bloc-là va aujourd’hui de la gauche jusqu’à l’extrême droite.
Sur le morceau, je parle aussi des aides-soignantes et des professeurs parce que ça faisait partie des problématiques qui étaient présentes dans le débat public en 2021-2022. Ce sont des sujets d’urgence, des endroits qui ont été désertés par les pouvoirs publics et les autorités, et qui sont même sujets à de la répression. C’est assez représentatif de la considération que le gouvernement porte à ces citoyens-là. C’est « faites ce qu’on vous dit », notamment chez les professeurs, qui ne sont jamais alertés des nouvelles mesures, et à qui on balance ensuite une espèce de polémique épouvantail dans les pattes. Pour reprendre les termes de Macron, on leur envoie des grenades dégoupillées dans les jambes avec la question de l’abaya à la rentrée plutôt que de les aider sur le manque de professeurs et de moyens. Il n’y a plus de dialogue social, on ne peut plus échanger dans l’apaisement, et on envoie tout de suite la police ou les CRS pour intimider et faire en sorte que les gens soient effrayés et ne se prononcent plus sur des sujets tels que la réforme des retraites ou d’autres qui ont été violemment réprimés ces derniers temps. On n’est plus dans une logique de démocratie de consultation, mais plutôt dans un rapport de force où un bloc impose sa vision à un autre.
Comme le fond de l’air l’exprimait, je m’attendais à une percée du Rassemblement National aux Européennes. Mais je ne m’attendais pas à cette dissolution, qui nous a tous un peu coupé les jambes, j’ai l’impression. Donc j’étais un peu abattu le lendemain des résultats. Je voyais le match retour qu’on a tant vu se répéter, d’abord en 2002, puis ensuite en 2017 et 2022. Je pense en tout cas que la lutte est importante, et qu’il faut se mobiliser tout au long de l’année. Ça passe bien sûr par le vote, mais aussi par la lutte dans les actions sociales, dans la présence dans les manifestations, ou dans les prises de parole politiques et publiques. Le vote est un instrument de cette lutte globale mais ce n’est pas assez par rapport au problème qu’il y a aujourd’hui. On ne peut pas juste aller voter et ensuite se dépolitiser. Bien sûr qu’on fait notre devoir, mais on est dans la réaction. Alors qu’en réalité il ne faut céder aucune ligne à l’extrême droite. Il faut faire bloc et ne rien céder. Et ça, c’est tout au long de l’année. Pas que pendant les échéances électorales. »
Prince Waly – Messe (2022)
« J’ai toujours eu à cœur de parler de la condition des jeunes des quartiers populaires et des minorités. Pour « Messe », comme pour tous les morceaux où j’en parle, c’est un thème qui m’est venu naturellement, il m’a suffi de regarder autour de moi, d’observer le monde pour avoir besoin d’en parler. Je suis un jeune, mes origines sont africaines, je suis musulman et noir. Cela suffit à inspirer un titre comme celui-ci. J’ai besoin de parler du racisme parce que j’ai l’impression que la situation empire. Je me sens malheureusement de moins en moins à ma place dans ce pays, comme beaucoup d’autres personnes qui me ressemblent, alors que nous sommes français : « Pères africains font des fils français. » À travers le regard de certains, qu’il s’agisse de personnalités politiques ou de gens du quotidien, on ne se sent plus français et on est stigmatisés. Ces gens sont des égoïstes et des ignorants. Nous ne sommes pas arrivés ici par hasard, c’est l’histoire qui a fait qu’aujourd’hui, il y a tant de communautés différentes dans ce pays. Oublier un morceau de l’histoire, ça les arrange.
Je crois à l’union, il ne faut pas se laisser diviser, et essayer de nous organiser. Même dans le rap, on a des gens de l’extrême droite qui s’approprient le truc. Des morceaux plus anciens comme « Kidnappe le président » ou « Soudoyer le maire » abordaient la politique, ses manigances et sa corruption, avec un angle cinématographique et de la dérision, pour ne pas paraître chiant, et ça a toujours fonctionné. Récemment, sur mon titre « Charm-El-Cheikh », j’ai fait une phrase directe : « Fuck Jordan, qu’il se barre de là. » J’ai mis un peu plus les pieds dans le plat. J’ai eu quelques mecs qui m’ont dit ne pas être d’accord avec ça, prétextant que je n’avais pas à parler de politique. Vous êtes fous ? C’est du rap, les mecs ! Mes grands frères écoutaient Grandmaster Flash et N.W.A, je pourrais dédier ma vie à cette lutte. Cette musique est devenue tellement populaire, on l’écoute partout. Et alors que j’ai grandi en écoutant des rappeurs qui crachaient à longueur d’albums sur les racistes, sur le FN et sur tout ce système qui nous méprise, aujourd’hui, il y a de plus en plus de rappeurs qui se veulent apolitiques, voire même qui sont de droite avec un rap méga capitaliste. Ils ne prônent que l’oseille, l’individualisme, la concurrence à outrance, le besoin d’écraser l’autre, c’est le capitalisme. Donc finalement, des mecs de droite et d’extrême droite peuvent se retrouver dans les textes de certains rappeurs.
On a subi tant d’injustices, tant d’inégalités, en tant que Noirs, en tant que banlieusards, on ne peut pas se laisser faire. Quand j’envoyais un CV ou un dossier pour un appartement au nom de Moussa, ce n’était pas un avantage. Alors qu’ayant grandi avec toutes sortes de communautés, ma culture est extra large, et c’est ce qui manque aux racistes. Pendant longtemps, je voulais débattre avec eux, essayer de les convaincre. C’est fini, maintenant, j’ai juste envie de les insulter. Je suis quelqu’un de très optimiste, mais là je ne vois pas comment on va s’en sortir. D’ailleurs, on parle d’extrême droite, mais je ne vois plus de frontière entre les gouvernements de Macron et l’extrême droite. Je suis clairement de gauche, et quand il a fallu faire barrage au RN avec Macron, je l’ai fait. Si la même situation se reproduit, je me dis : « à quoi bon ? » Ce n’est plus un barrage, puisqu’ils ont les mêmes politiques. Je n’arrive plus à être optimiste. Mais j’utiliserai le rap pour apporter ma contribution à la lutte. »
BEN plg – Les mégots dans le bac à sable (2024)
« La phrase « La madame, elle a dit que j’étais un k-soss » fait écho à tout un tas de comportement dédaigneux vis-à-vis du manque d’argent, y compris par des gens qui eux-mêmes le subissent… Dès l’enfance, on entre dans un cercle vicieux : on se moque de toi car tu n’as pas une belle paire de chaussures, en grandissant tu arrives à te l’acheter et tu fous la honte à ceux qui ne l’ont pas. C’est logique de vouloir de l’argent dans ce monde, mais ça n’implique pas d’adopter une mentalité de grand capitaliste.
Il y a une espèce de conditionnement qui crée un plafond de verre par lequel, au sein des classes populaires, on se dit « ce que je fais, c’est déjà bien. » Des gens de 50 ans ne se sont jamais éloignés du SMIC, par habitude. Ils se retrouvent au seuil de pauvreté, ne sont pas épanouis et joignent difficilement les deux bouts. Ça me révolte et j’ai l’impression que pour réussir à s’élever, il faut sortir du système, à jouer hors de ses règles, sans quoi il te maintient où tu es. Je n’ai pas l’impression que les institutions sont là pour nous montrer qu’il est possible de faire mieux que ce que l’on fait. Il n’y a qu’à voir l’état de l’école, avec des profs en détresse face à des gamins en détresse aussi. Aucun n’est à sa place, et les conditions de travail et d’apprentissage sont déplorables. Ça ne se limite pas à l’éducation, il y a plein de couches institutionnelles qui maintiennent un statu quo qui leur va bien.
Le RN va chercher des voix auprès de ces personnes qui restent toute leur vie dans la même condition, partent en vacances à quelques dizaines de kilomètres de chez eux et ne voient rien d’autre. Et ces gens qui ne regardent le monde que de leur petite bulle autocentrée croient que ce parti leur parle concrètement. Des ouvriers votent RN parce qu’ils ont un collègue de chantier sans papiers qui travaille au black et ça les empêcherait eux de faire des heures supplémentaires pour arrondir le SMIC qui les bloque depuis toujours. Ils ne voient pas plus loin que ça, et en aucun cas ce parti ne changera leur quotidien. C’est un parti raciste, il faut remettre ça au centre et arrêter d’écouter Jean-Michel Éclaté-au-sol qui explique autre chose sur TPMP. Les racistes prennent le pouvoir par la bêtise, et ils sont aidés par des années de politiques pas claires.
On a un Président qui a dit savoir ce que c’est que de galérer et de devoir aller manger au McDo… Chez nous, il y en a pour qui y aller, c’est une vraie sortie au restaurant. Personne n’est fier de la France, personne n’aime son gouvernement ni l’État, et on a besoin de se sentir un minimum représentés pour se réapproprier ce pays. Je n’ai plus trop d’espoir en ce système politique, mais j’ai l’impression qu’on est obligés de jouer avec. Nos grands-parents nous ont inculqué qu’il fallait aller voter, car pour eux, le droit de vote était important en soi, donc ils ne se posaient pas la question. Aujourd’hui, c’est tellement le bordel qu’on ne se sent plus concernés, mais il faut saisir l’importance du moment. Je n’arrive pas à imaginer un monde avec le Front National au pouvoir. Non seulement je n’y arrive pas mais en plus je me demande comment les gens vont finir par réaliser : « ça y est, c’est Hunger Games ? » Chacun est concerné. Il faut se réveiller. On est un pays au passé colonial dégueulasse, qui a fait n’importe quoi avec l’immigration. Les générations d’avant ont fait n’importe quoi, nous, on se doit d’être solidaires et se porter garants de la suite. »
Sako – L’oeil et le bras (2023)
« Pour « L’œil et le bras », c’est la situation qui impose d’intervenir. J’ai grandi avec un rap qui était revendicateur. Ma musique est issue de la culture contestataire. Je suis père de deux enfants, je ne peux pas regarder les choses se faire et rester impuissant. Mon truc, c’est d’écrire des textes et de les mettre en musique. Ce qui ne me fait pas plaisir, c’est que mon mode de fonctionnement est tel que je crée en réaction. C’est l’actualité qui impose de prendre position. Aujourd’hui, certains sont arrivés à penser que Jordan Bardella, c’est le genre idéal. Et que le Front National est un parti complètement respectable, alors qu’il est fondé par un Waffen-SS. Sous couvert de brushings et de costumes bien propres, l’idéologie est toujours la même.
« S/O les chaînes d’info, la France s’est Manuel Valls-isée » : il y a 5 milliardaires, Arnault, Bolloré, Drahi, Niel, et Dassault, qui possèdent la majorité des médias du pays. Ce ne sont pas des personnes de gauche, ce sont des personnes de droite et d’extrême droite. Quand tu vois le nombre d’heures d’antenne qui sont données à des gens d’extrême droite, leurs discours sont banalisés. Je sais pertinemment que le rap, ça ne va pas changer la donne. Mais si des fois, dans un texte, j’arrive à amener quelqu’un à aller sur Internet pour chercher une référence que j’ai mentionnée dans un texte, se questionner, ou remettre un raisonnement qu’il a ancré dans sa tête, je me dis que c’est déjà ça. Je t’avoue que c’est même une démarche égoïste, pour extérioriser et dégager toute cette rancœur, cette colère qui sommeille en moi.
Pour ce qui est du Front populaire, c’est très bien, ils ont réussi à s’allier en trois jours, ce qu’ils n’avaient pas réussi à faire pendant des années auparavant. Respectons le truc. Et surtout, l’intérêt, c’est de laisser le moins de place possible à l’Assemblée aux députés du RN. Le Front populaire n’est pas idéal, mais il a le mérite d’exister et d’être le véritable rempart face à la mainmise sur l’Assemblée nationale du RN.
Quand on voit les résultats de ces européennes, je ne peux plus croire que le vote RN, c’est un vote contestataire, un vote de colère. Les gens savent pour quoi ils votent. Parce qu’il n’y a rien à savoir, en fait, dans le vote du RN. Il n’y a pas de subtilité particulière dans le programme. C’est d’ailleurs pour ça qu’il fonctionne bien. Pour eux, les responsables de tous les maux du pays, ce sont les immigrés. Et il n’y a pas plus simple à faire rentrer dans la tête des gens qui ne réfléchissent pas et pour qui la politique est complètement secondaire. »
Theodora – BOSS LADY (feat. Implaccable) (2023)
« Je mets toujours des phrases politiques ou sociales dans mes morceaux parce que je suis née dans un environnement avec des problèmes sociaux et politiques. Mes parents ont dû partir du territoire congolais pour arriver en Grèce, quitter la crise, chercher des papiers, ensuite arriver en France, et essayer d’être naturalisés. Ce sont des choses qui m’ont tellement construite que finalement je vois la nécessité d’en parler dans mes morceaux, ne serait-ce qu’un minimum. Et je parle donc de la Macronie et des femmes qui votent pour lui sur « BOSS LADY » parce que pour moi, ce sont des personnes qui pensent qu’elles ont quelque chose à y gagner, alors qu’en vrai, pas du tout. Pour certains, les gens qui ne sont pas fans de Macron sont des fainéants, ou des bons à rien. Et moi, à ce moment-là, je voulais juste rappeler que non. On n’est pas contents de Macron parce qu’il est super élitiste dans tous les domaines auxquels il touche, que ce soit la musique, l’art, l’école, tout.
Je parle aussi sur le morceau du concept de Boss Lady, que je différencie de celui de « Girlboss ». Pour moi, la Boss Lady, c’est faire des choix en adéquation avec ta vision du monde, et les suivre jusqu’au bout. Ce n’est pas être allée faire telles études ou passer tel examen. Tu n’as pas ton bac, tu as arrêté l’école en CM2, je m’en fous, tu peux très bien être une Boss Lady. Et je pense que c’est là où ça se démarque de la droite. Je ne base pas ce concept sur des clichés comme les diplômes ou la place au travail.
Quand j’ai appris les résultats des Européennes, j’étais déçue, mais pas non plus surprise. J’ai beaucoup changé de lieux de vie quand j’étais petite, j’ai vécu à la campagne, j’ai vécu en ville, et j’ai l’impression que beaucoup de gens que j’ai pu connaître, notamment dans certaines campagnes où je suis passée, auraient pu voter RN. Ce qui m’a vraiment déçue, c’est le manque d’implication des gens. Autour de moi, je connais beaucoup de personnes qui n’ont pas voté. Et ils le justifient en disant que c’est une autre forme d’engagement, parce que les gouvernements en place et les gouvernements qu’on nous propose ne sont pas adéquats. Je l’entends complètement, et je suis d’accord, mais le problème c’est qu’à droite, ils n’oublient pas d’aller voter. Du coup, même si ces gens sont dans une pensée plutôt d’anarchie, il y a des fois où il faut savoir faire pression et se dire « Ok, je n’aime pas voter pour différentes raisons, mais là je vais le faire ».
Je suis née en Suisse, ma sœur est née à Paris, j’ai vécu au Congo, à la Réunion, en France métropolitaine, c’était beaucoup de va-et-vient pour trouver un endroit où l’on peut se poser convenablement et avoir une vie comme les autres. Donc oui le score du RN m’a touchée. Et quand les gens parlent du Rassemblement National, des immigrés qui ne veulent pas travailler, ce sont des personnes qui n’ont jamais vu d’immigrés en vrai. C’est pour ça que je trouve important de renseigner les gens, peut-être par touches, dans ma musique. Dans le public qui m’écoute, certains viennent sans doute d’une campagne où ils n’ont jamais vu de personne noire de leur vie, et je suis peut-être la seule figure noire qu’ils apprécient. À côté de ça, il y a beaucoup de récupération politique à la télévision, qui est pour beaucoup de gens le seul moyen de s’informer. Donc j’ai ce devoir de dire : « Les gars, en vrai, ce qu’on vous dit, c’est des mensonges. » »
JP Manova – Is Everything Right (2015)
« J’ai écrit ce texte suite à une prise de tête avec Guru de Gang Starr. J’étais avec Flynt à La Maroquinerie, à la fin des années 2000. Guru me disait « Ici, j’arrive à faire aboutir mes projets. Aux États-Unis, il y a trop de racisme, alors qu’en France, c’est génial, je suis accueilli à bras ouverts. » Mais non, ce n’est pas aussi simple. Le ton est monté, je lui ai fait comprendre que c’était son statut et sa renommée qui lui ouvraient des portes. Les artistes étrangers fantasment beaucoup la France, et en particulier Paris.
« Loin des Etats-Unis qui votent massivement pour Obama
Je vis la France où l’on agite une Taubira ou Rama »
Il y a en France, une forme d’invisibilisation des personnes noires, et également une instrumentalisation, du genre « regardez, on est pas raciste, on en a une. » [Rires] Il y avait un coté alibi de la femme noire dans tel ou tel parti politique. C’est de l’hypocrisie pour faire taire les critiques. C’est très français. Ensuite, l’Histoire des États-Unis et celle de La France ne sont pas les mêmes, mais il y a des convergences dans l’histoire des luttes. Ce qui s’est passé avec Black Lives Matter a eu une résonance avec ce qui se passe ici. Assa Traoré, c’est le premier personnage public au discours hautement politique qui n’est pourtant pas issu de la classe politique, et avec autant d’impact médiatique. On n’a pas beaucoup de leaders d’opinions issus du peuple dans l’Histoire de France récente. Ce genre de personnes existaient déjà dans les années 80 et 90, mais elles n’avaient pas voix au chapitre. Ceci étant, en politique comme dans les médias, les personnes noires sont encore très peu visibles en France. Quand certains sur les réseaux sociaux confondent la journaliste Rokhaya Diallo et la députée Obono, ça en dit long sur le problème. [Rires]
« La famille Le Pen n’m’a jamais déçue dans son blabla
Beaucoup m’avaient dit qu’on était potes, avec eux au moins ça va »
Concernant ce qui se passe actuellement, je pense que ça fait plus de 20 ans, voire 30, que la politique française joue un jeu dangereux. Depuis Mitterrand, le RN, c’est ce qui peut arriver de pire à la société française. Parallèlement, ça fait des années qu’on dédie un ministère important (qu’est celui de l’Intérieur) à la politique du Rassemblement National, et ça quel que soit le gouvernement en place. Ce ministère est depuis longtemps propre à satisfaire l’électorat d’extrême droite. Colombe, Castaner, Darmanin, le ministère de l’Intérieur définit clairement la politique de La France sur la question de l’immigration, mais aussi du traitement des minorités et des quartiers populaires. Quand Sarkozy disait qu’il allait supprimer la police de proximité, parce qu’elle n’était pas censée faire des matchs sportifs avec les jeunes le dimanche, c’était un non-sens absolu de la part d’une personne qui ne connaît pas la réalité du terrain, mais qui conforte un certain électorat. »
Lujipeka – Putain d’époque (2020)
« J’ai écrit « Putain d’époque » alors que le mouvement Black Lives Matter battait son plein, autour de l’affaire George Floyd. C’est de là qu’a pu naître une phrase comme « Martin Luther avait un rêve, vaut mieux pas qu’il se réveille… » Mais le texte aurait pu être écrit plus tôt, et il est encore d’actualité. Malheureusement c’est raccord avec 2024 comme ça l’était avec 2020.
J’ai vu la montée du racisme et de l’extrême droite depuis que je suis petit. Pas seulement dans le monde politique, mais aussi dans la banalisation des idées racistes et dans l’adoucissement de l’image des racistes. Quand je parle des comédies racistes au cinéma, ça en témoigne. Les films qui fonctionnent le mieux parmi les comédies françaises, ce sont ceux qui jouent avec le racisme, pleins de clichés. Ça met des graines dans la tête des petits qui regardent ça, et en France, maintenant, un enfant peut grandir là-dedans. À côté de ça, les hommes politiques racistes se donnent une image plus lisse avec les réseaux sociaux notamment. Et tout ça arrive au moment où les petits écoutent le plus de rap, donc on se retrouve avec des gens déconnectés qui peuvent écouter du rap et regarder des TikTok de Bardella. Voire même des TikTok de Bardella qui récupèrent la musique de Jul, or ça, c’est incompatible. Soutenir le RN et écouter du rap en même temps n’est pas possible. Je ne parle même pas de valeurs du hip-hop ou autre, c’est simplement ce qui se dégage de cette musique, son histoire. C’est incompatible à 300% d’être raciste et d’écouter du rap.
Si sur le plan musical « Putain d’époque » ne me parle plus trop quatre ans après, trop de choses restent vraies dans le propos. Je dis aussi sur le morceau : « J’prie pour que le banquier m’laisse m’endetter. » Cela rend compte du cynisme d’un système et d’un mode de vie qu’on nous met dans le crâne : mariage, emprunt, maison… On veut ancrer ça dans la tête des classes populaires pour ne pas qu’elles s’élèvent. Les gens se retrouvent à idéaliser ça et à se dire « une vie différente, c’est pour les autres. » Tu ne te laisses jamais rêver, tu ne t’imagines pas qu’il y a d’autres possibilités, que tu peux changer de travail un jour dans ta vie… Tu en as un c’est déjà pas mal. Tu vis dans ce monde capitaliste avec cet emprunt sur le dos en croyant que tu es sur la bonne voie.
Dans les valeurs du gouvernement en place, il y a l’ultra capitalisme, quelque chose d’autocentré au maximum. Alors ils vendent du danger aux gens,et chacun protège son truc.
« Qu’est-ce qu’on va dire à ceux qui crèvent dehors ? ‘On en avait assez, on en voulait encore ?' »
Le gouvernement actuel démantèle des camps de réfugiés, frappe des gens qui vivent à la rue, il y a un truc sans pitié qui est arrivé en France depuis des années, c’est hyper choquant, révoltant. Les classes ouvrières et populaires, en toute logique devraient se révolter contre ce système en place. Elles devraient être dans une démarche de gauche. C’était davantage le cas avant, et il y a eu à un moment ce besoin d’accuser les autres, les gens issus de l’immigration. C’est le travail de l’extrême droite qui a fini par porter ses fruits pour mettre ça dans le crâne des gens. Aujourd’hui on accuse l’autre d’être responsable de sa propre misère. C’est quelque chose qui finit toujours de manière catastrophique, il faut s’éduquer. »
Okis – Paresse Saine (2023)
« Le morceau « Paresse Saine » est un titre dans lequel on trouve un bon condensé de mes idées politiques. Je parle du libéralisme, je parle de l’extrême droite radicale que j’identifie comme mes ennemis, et je parle de notre modèle social. Je pense notamment au chômage, qui a été fondateur dans la création de mon premier album. Quand j’ai sorti mon premier EP, c’est parce que j’étais au chômage tout simplement. J’avais quelques mois devant moi, et c’est comme ça que j’ai pu faire pas mal de choses. C’est pour ça que je dis « La recette c’est la sincérité et l’ARE » [Allocation d’Aide au Retour à l’Emploi, ndlr]. Je trouve que c’est d’actualité, notamment avec la récente réforme de l’assurance chômage : c’est toujours vers les chômeurs et les bénéficiaires du RSA qu’on va aller faire des économies, alors qu’il y a énormément d’argent à aller chercher ailleurs dans ce monde.
Je parle aussi de la réforme des retraites sur ce morceau, en expliquant que les vieux veulent se reposer après la fin de leur journée, mais En Marche leur met un flingue sur la tempe pour qu’ils se relèvent pour aller au travail. Et je parle de Ceuta [enclave espagnole au nord du Maroc, où des migrants tentent d’accéder pour ensuite aller en Europe, ndlr] et des politiques migratoires. Ceuta, c’est un symbole de la violence des frontières. Je ne suis pas dans le travail à tout prix et dans le Macronisme en tout cas : avant de rechercher la productivité, il faut chercher à ce que chacun puisse vivre décemment.
J’ai commencé à militer quand j’avais dix-sept ans en 2014. C’était au lendemain des élections européennes où l’extrême droite avait fini premier des élections. Ma sœur était déjà militante, et on est allés en manif, on a rencontré du monde, j’avais même pris ma carte dans un organe de jeunesse, je m’étais vraiment mis à militer à partir de ce moment-là. Et c’était pile il y a dix ans. Et dix ans plus tard tu te dis qu’ils sont toujours plus forts, toujours plus proches d’être au pouvoir. Mais pour moi c’est un tout : les libéraux créent des conditions pour que l’extrême droite soit au pouvoir. Ils créent la pauvreté, ils créent la possibilité pour les entreprises de se barrer et de délocaliser, ils créent de la misère partout. C’est les libéraux qui sont les meilleurs défenseurs du fascisme, ils ont décidé de faire ami-ami et ils votent les lois ensemble. On sait tous qu’ils sont moins inquiets de la montée du fascisme que de ce qui remettrait en cause leur logique libérale.
Donc c’est un tout et je n’étais pas surpris du résultat des Européennes. Et ça m’a surpris que des gens le soient. Mais c’est cool si des gens se mettent à s’engager, je commence à en voir autour de moi. Peut être que ça va créer une génération d’antifascistes. C’est la seule chose positive que je puisse voir là-dedans. C’est le moment de sortir dans la rue, et il faut arrêter de militer uniquement derrière un écran. C’est le moment de faire des choses et de militer. Parce que même s’ils échouent maintenant, ils pourront très bien revenir en 2027. »
Advm – .DEMAIN L’APOCALYPSE. (2024)
« J’essaie de développer dans mes textes mes positions politiques de gauche, mais je pense être encore trop immature pour en faire le cœur d’un morceau, car j’ai peur qu’il soit chiant. Alors ça passe par des phrases, des punchlines ici et là, en attendant de réussir à écrire un titre entièrement engagé que l’on puisse écouter avec plaisir. C’est important car j’appartiens à une génération qui ne croit plus en grand chose, et il faut que l’on se réveille.
Lorsque j’écris « les gens s’en foutent de tout c’qui va s’passer, ils veulent juste que leur joint soit bien tassé », c’est symptomatique de cette époque. Des gens engagés à gauche par le passé ont baissé les bras et se sont retrouvés à gueuler « c’est tous les mêmes » en regardant les hommes politiques à la télé. Ma génération a suivi cette idée et se fout de ce qui se passe, en pensant que la liberté est acquise, qu’elle ne pourra pas nous être récupérée. Mais peu importe le cocon dans lequel on a l’impression d’être, il faut continuellement se battre pour la liberté.
Si Jean-Marie Le Pen avait remporté l’élection présidentielle en 2002, je ne sais pas ce qui aurait pu arriver à ma famille. Ma grand-mère est venue en France dans les années 1970, et s’est retrouvée à vivre dans un vieux HLM de Laval, elle s’est ruiné la santé dans des abattoirs de poulets. Mon père a été ouvrier pendant 25 ans, et lui comme ma mère sont partis de très bas et se sont abîmés au travail pour avoir une vie très digne et faire de moi un privilégié qui n’a jamais vraiment manqué de rien. Les gens arrivent trop à accepter le travail comme seul moyen de vivre. Ce n’est même pas pour profiter, c’est juste pour se nourrir. C’est tellement triste. Et maintenant on les fait travailler jusqu’à 64 ans, pour qu’ils meurent un an après tellement ils ont souffert au boulot. C’est une aberration décidée par des gens qui n’ont jamais travaillé eux-mêmes. C’est horrible, c’est une torture. On a besoin d’espérer, de croire en des rêves, on ne peut pas se contenter de naître et mourir dans une classe sociale où seul le travail permet de nourrir les enfants.
Et face à cela, que font les médias ? Ils ne parlent que de faits divers, d’une prétendue insécurité et d’un soi-disant problème d’immigration. Le Front National a été dédiabolisé, ses idées ont été reprises partout, et nous sommes arrivés à une inversion totale des valeurs. À les entendre, les fachos seraient La France Insoumise, et le RN, parti d’extrême droite fondé par des nazis, serait le rempart. Un parti rempli d’immenses racistes qui enchaînent les dingueries. C’est fou. Ce pays rejette constamment la faute sur les immigrés, cela donne les politiques islamophobes de Macron, et des gens qui au fond de leur campagne pensent que la France est en feu parce qu’ils se lèvent avec CNews et se couchent avec TPMP.
Les jeunes doivent se réveiller, ne pas se laisser récupérer par des TikTok de Bardella ou des stories de Macron. La jeunesse n’est pas qu’une caution, un moyen pour les politiques d’arriver à leurs fins, c’est une population qui existe concrètement et doit se faire entendre. Si on laisse faire, l’apocalypse c’est réellement demain, pas dans 10 000 ans. On s’entretue, et des gens commencent à devoir se réfugier loin de chez eux à cause du climat. Comme d’habitude, ce sont les populations les plus pauvres de la planète qui le subissent en premier. C’est maintenant qu’il faut se battre. »
Eesah Yasuke – Focus (2024)
« J’ai écrit et composé ce morceau après la mort de Nahel l’an dernier, quand les émeutes ont commencé. J’avais besoin d’exprimer quelque chose, parce que j’avais été très touchée par les images qui étaient sorties sur les réseaux sociaux. Et quand on a sorti le clip du morceau la semaine dernière, on n’avait pas du tout lié ça à l’agenda politique ou aux résultats des élections. C’est vraiment tombé à ce moment-là, c’est ça qui est fou. Et je suis assez touchée de voir qu’il se passe des choses autour du titre, Assa Traoré m’a par exemple contactée en m’invitant à le performer sur scène à la fin de la prochaine marche pour Adama.
« Focus » est aussi un morceau qui essaye d’être positif et motivant parce que je pense qu’un certain nombre de gens aujourd’hui ont besoin d’espoir. On a besoin de se dire « On est ensemble et on ne lâche pas. » Même si c’est dur, même si c’est difficile. Et quelque part, je crois que j’avais envie, en toute humilité, d’être cette personne qui essaye de fédérer. Je me suis dit que je n’avais pas le droit d’être abattue, j’avais besoin de me remplir d’espoir et de le communiquer aux autres.
Quand j’ai appris les résultats des élections européennes, j’étais triste, mais pas naïve. Le RN avait déjà fait un gros score il y a deux ans, donc je savais bien ce qu’il se tramait. On assistait très clairement à une dédiabolisation de l’extrême droite et ça a finalement porté ses fruits aujourd’hui. Alors que ce sont des gens qui ne sont même pas populistes, je ne sais pas comment ils ont réussi à faire croire ça. Enfin si, je sais, mais ce n’est pas la vérité, ils ne sont pas du tout en faveur du peuple. Il y a par exemple eu une proposition de loi pour permettre aux agriculteurs d’avoir un revenu digne : ils se sont abstenus. Et ce sont les mêmes gens qui vont ensuite aller dans les campagnes dire « on est de votre côté. » Mais c’est faux, factuellement. Je suis en tout cas intimement convaincue d’être du bon côté de l’Histoire. Je ne vais pas dire que tout est parfait dans les valeurs de la gauche, mais il y a quand même cette notion d’inclusion. Avoir ces idées et être dans des valeurs progressistes, en quoi c’est mal ?
Il y a une phrase qui tourne un peu en ce moment et que j’aime beaucoup qui dit : « Si tu ne t’occupes pas de la politique, la politique s’occupera de toi. » C’est réel. Et ça ne veut pas dire que je ne respecte pas les abstentionnistes. Je peux entendre leurs arguments. Mais au bout d’un moment, on est actuellement dans une situation d’urgence. Et « Focus » est aussi un morceau avec un message clair qui est : « Allons en manif ». Je n’ai pas toujours l’occasion d’y aller parce que je bouge beaucoup mais dès que je peux je suis en manif. J’essaie, en tout cas, au maximum. C’est important. Un petit Mai 68 2.0, ça ne pourrait être pas mal, non ? »
Haroun – Voyous (2007)
« Dans le hip-hop, on allume tous les partis, selon ce qu’ils méritent. De base, c’est pas nos potes. Quand je rappe « J’ai pas de parti, pas d’patrie, c’est comme si t’avais pas d’papier / Quand t’es de ceux que la B.A.C n’en finit pas d’palper« , c’est que, oui, c’est pas pour nous. On est dépossédé de notre citoyenneté, comme on est dépossédé de notre musique, parce que de toute façon, le capitalisme te dépossède de tout. Dans un tel système, plus t’es pauvre, dominé, moins il y a de solution électorale pour toi ; voter à gauche là, revient à faire pouce dans une cour de récré et à gagner du temps. Mais si on joue la montre et que derrière, on ne se mobilise pas entre nous, l’arrivée du fascisme est inéluctable. En 2002, j’étais dans la rue contre le FN. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? On a eu Sarkozy, dont le discours sur les racailles et le Kärcher est samplé dans « Voyous ». Ensuite les musulmans, notamment, face à leur stigmatisation permanente et les événements à l’international se sont dit : on ne peut pas rester sans rien faire.
En 2012, on bat le record des votes ; on a la dédiabolisation de la déchéance de nationalité, la continuité des actions au Moyen-Orient, tout ce qui va dégoûter au plus possible les gens à qui on demandait de croire en Hollande. Du coup le PS perd toute crédibilité et se disloque. Les bobos foncent vers le macronisme, et des mecs de quartiers, dont certains artistes, commencent à se politiser sur Internet via la pseudo « dissidence », Alain Soral, Dieudonné. Chaque groupe se fait récupérer à sa manière. Je me souviens d’un gars qui m’avait fait « écoute Soral, il dit tout ce que tu dis dans ‘Mon poster’. » Ouais, sauf que pour lui la solution c’est Le Pen l’anti-système « parce que c’est le seul truc qu’on n’a jamais essayé ». Le Pen anti-système, tu vois pas la carotte ?
Sortir de ce jeu, ça demande de penser un système dans lequel on est complètement intégré : c’est pour ça que je trouve que la représentativité est un fléau, en politique comme dans la musique. Si on pense que quelqu’un va faire le travail à notre place, en déléguant le pouvoir, on ne s’en occupe plus, et on le perd. Les acteurs du hip-hop, on est des genre d’antifas dans notre domaine : on est la branche artistique d’un mouvement populaire autogéré, autodéterminé, sans illusions, sans politique partisane même si chacun individuellement a le droit d’aller dans l’urne. Le problème, c’est que le système tient sur ce socle-là : faire croire que c’est en étant représenté et pas en participant à tous les niveaux qu’on vaincra le fascisme.
Pour moi, le hip-hop doit être un écosystème à part entière. Les gens ne réalisent pas la force d’un art qui te permet de forcer ta visibilité dans une société qui fait tout pour te rendre invisible. Et par l’art, on réunit tout le monde. Des petits fachos écoutent du rap ? Limite, tant mieux, c’est la preuve de notre force. Si ça peut les convaincre d’aller voir du côté de la justice et de l’égalité, qui sont nos valeurs de base, ou de se sentir honteux… Le mot d’ordre, c’est de conserver le rapport de force en notre faveur. Il faut donc qu’on réfléchisse et qu’on s’organise, en tant qu’acteurs du hip-hop, au-delà de la soumission au piège électoral, à comment œuvrer à l’éradication du fascisme. »
Pas de commentaire