Mandyspie, monster énergie
Active sur Soundcloud depuis quatre ans, la rappeuse franco-canadienne Mandyspie sort de l’ombre depuis un an avec sa musique tirant le meilleur de l’underground. Retour avec elle sur son début de parcours et son dernier EP Monster Therapy.
Un an. C’est le temps qu’il aura fallu à Mandyspie pour se faire une place sur la scène du rap francophone, au moins du côté des auditeurs les plus assidus. En seulement quelques mois, la rappeuse née au Canada et ayant grandi en France durant l’adolescence a ainsi pu sortir deux EPs, un double single, jouer au Grünt Festival, et aujourd’hui voir plus clair dans la direction artistique à donner à la suite de sa carrière. En réalité, cela fait quatre années que la jeune rappeuse expérimente sur le sens à donner à sa musique, à mi-chemin entre rap, plug, jersey, rock, et influences électroniques, sur une plateforme qui définit beaucoup son début de parcours.
Enfant de la génération Soundcloud de la deuxième moitié des années 2010, Mandyspie a grandi en tant qu’auditrice puis en tant qu’artiste sur la plateforme au nuage orange, où elle a pu trouver un vrai espace de liberté. D’abord dans son fonctionnement (tout le monde peut sortir de la musique, même sur un coup de tête créatif, et ce sans être jugé) mais aussi dans ses codes musicaux : passant d’un morceau trap, à un titre plug, rock, ou même électronique, le mélange sonore de Soundcloud aura permis à Mandyspie d’assumer ses multiples influences pour faire la musique qu’elle veut, sans barrière, ni compromis, tout en dessinant véritablement sa singularité.
Un mélange des genres que l’on retrouve particulièrement sur Monster Therapy, un nouvel EP de six titres où les guitares rock et les rythmiques drum’n’bass se mélangent aux sonorités trap pour habiller le flow précis de la rappeuse, en plein questionnements sur les changements qui s’opèrent pour elle à l’aube de l’âge adulte. De quoi donner envie d’aller discuter une heure avec la rappeuse, qui, malgré ses quelques années dans la musique, semble déjà avoir une vision claire de la suite à donner à sa carrière, tout en gardant en tête un seul objectif : conserver son éclectisme et sa créativité coûte que coûte, quitte à ne plus du tout se soucier du regard des autres.
Abcdr du Son : Tu es Franco-Canadienne et on te voit souvent entre Paris et Montréal. Où est-ce que tu as grandi ?
Mandyspie : Ma mère est Québécoise et mon père Français donc je suis née au Québec et j’y ai grandi jusqu’à mes 13 ans, tout en allant régulièrement en France. Et je suis ensuite allée vivre là-bas. J’ai fait mon enfance au Canada et mon adolescence à Paris, à Saint Denis très exactement.
A : Tu écoutais de la musique étant jeune ?
M : Oui quand même. Mon père fait du rap depuis qu’il est jeune donc j’ai un peu grandi dans ce milieu-là. Il m’emmenait à des battles, il avait vraiment une vie de rappeur qui essayait de percer. Il voulait en vivre, mais ça n’a pas fonctionné. Espérons que ça le fasse avec sa progéniture. [rires] Mais vu que c’était ce que j’entendais tout le temps à la maison, ce n’était pas forcément ce qui me plaisait au début. Ça me parlait moins parce que je n’avais pas de représentations féminines, j’écoutais beaucoup de pop, Lady Gaga, Miley Cyrus, Avril Lavigne, Rihanna. J’étais vraiment fan des popstars américaines. Et c’est avec l’adolescence que j’ai commencé à vraiment écouter et aimer du rap, vers 12 ans.
A : Quel artiste est-ce que tu as aimé en premier ?
M : Ça a d’abord été Rihanna, puis Doja Cat qui m’a beaucoup inspirée pendant l’adolescence. J’étais l’une des premières à l’écouter sur Soundcloud, à l’époque où elle n’était pas du tout connue, elle s’appelait même Doji Doj. [sourire]
A : Qu’est-ce qui fait que tu te mets à écouter du rap à l’adolescence ?
M : C’est venu progressivement. Vers 13-14 ans, je découvre Young Thug, Lil Wayne, Nicki Minaj. Il y avait un flow un peu différent de ce que j’avais écouté jusque-là, c’était un peu plus nouveau, plus frais, c’était la trap. Et j’ai ensuite découvert Travis Scott, A$AP Rocky, Tyler The Creator.
A : Et le rap français ?
M : Quand j’arrive en France, je n’en écoute pas du tout. Et j’ai très vite vu que c’était la musique la plus écoutée. Les premiers qui m’ont vraiment fait aimer le genre c’est PNL. J’écoutais pas mal Nekfeu aussi. Et Hamza, beaucoup.
« Soundcloud me permettait de sortir de la musique sans non plus être vraiment exposée au grand public. Ça a été un bon crash test pour commencer. »
A : Justement, qu’est-ce qui fait qu’un jour tu te dis que tu vas te mettre à rapper ?
M : Je te dirais que c’est l’ennui. Je commençais à taffer après le lycée, j’étais animatrice avec des enfants, et j’avais des longues pauses le midi, je n’avais rien à faire à part ça. J’étais un peu dans une période à me dire « Qu’est-ce que je vais faire de ma vie » et j’aimais tout ce qui était artistique. J’écoutais des types beats avant de faire du rap, notamment un beatmaker qui s’appelle ICYTWAT et je me suis alors dit « Pourquoi ne pas essayer de poser ma voix dessus ? ». J’écrivais toute seule dans ma chambre, je n’en parlais à personne, puis quand j’ai senti que devenais un peu meilleure au bout de quelques mois j’en ai parlé à mon père, et j’ai fait mon premier vrai son. Il m’a accompagnée à la session studio, c’était incroyable, j’ai trop kiffé.
A : Tu voulais faire du Soundcloud rap, mais en français ?
M : Oui, il y avait déjà plusieurs artistes qui faisaient ça en France et que j’écoutais comme 8ruki, Luni Sacks, ThaHomey aussi, ou Saturn Citizen. Je trouvais ça trop chaud, c’était ce que j’écoutais le plus à ce moment-là. Pour moi c’était du Playboi Carti en français et c’est ce que je voulais écouter. Je voyais qu’il y avait une scène dans ce délire-là, c’était les précurseurs de ce genre en France, et je me disais que j’avais une place aussi. Et surtout, Soundcloud c’était une plateforme facile pour sortir de la musique. Les gens qui m’écoutaient étaient fans du même type de musique que moi, il y avait moins de jugements hâtifs. C’était un peu plus bienveillant, quoi.
A : Il y a un morceau que j’aime beaucoup sur ton Soundcloud c’est « TEkkEN ». Tu rappes vraiment bien dessus, et surtout, tu as l’air d’avoir plus confiance à l’écoute. Tu as vite progressé ?
M : Oui ça s’est fait au fur et à mesure, j’ai charbonné. Un pote à moi faisait du son à ce moment-là et il s’enregistrait prises par prises, en mode DMV. J’ai un peu imité ça, tout le monde le faisait à ce moment-là et c’est une méthode qui fonctionnait pour moi. « TEkkEN » c’est justement un peu à ce moment-là, quand je commence à avoir mon matos pour m’enregistrer toute seule. Je m’enregistrais phrases par phrases et ça me permettait d’avoir un flow plus précis. Et voilà, j’affinais de plus en plus. Je me mettais aussi à plus m’assumer dans mes textes, en me disant que je pouvais raconter ma vie, même si elle me paraissait lambda. Je commençais à avoir une plus grande liberté.
A : Tu repasses un peu à Montréal à ce moment-là ? Ou tu es beaucoup à Paris ?
M : Je reviens à Montréal tous les étés. Mais je ne connaissais pas grand monde dans la musique. Et un été, je me connecte avec Remastered, qui est un créateur de contenus qui fait partie de la culture du rap montréalais avec son label, son collectif, des événements… Et depuis on avance ensemble avec les autres artistes avec qui il travaille, c’est lui qui réalise tous mes clips. Je pense qu’aujourd’hui je fais même presque plus de musique là-bas qu’en France. Parce qu’il y a Remastered, son studio, les beatmakers. C’est plus familial pour moi là-bas en tout cas.
A : En 2021, tu commences à sortir de la musique sur les plateformes de streaming pour ensuite dévoiler ta première sortie longue, Polar Escape, en 2023. Qu’est-ce qui a fait que tu t’es décidée à sortir de Soundcloud pour publier « officiellement » de la musique ?
M : J’avais sorti un EP sur Soundcloud et plein de gens me disaient de mettre les sons sur Spotify, ce que je comprends. Donc je me suis dit que c’était la prochaine étape. Et là, les choses ont commencé à être un peu plus sérieuses. Je me suis mise à faire des visuels qui commençaient à être cool pour accompagner ma musique, notamment. Je me suis dit qu’il fallait prendre les choses au sérieux, quoi.
A : À ton niveau, il y a un accueil vraiment positif autour de ta première vraie sortie Polar Escape en 2023. Est-ce que tu t’y attendais ?
M : Honnêtement, je savais que le projet avait du potentiel, notamment certains morceaux. C’est plus sur l’accueil des clips que j’ai été étonnée de la réponse du public. Mais en soit, pour un début, c’était vraiment super bien. Mais j’étais confiante.
A : Un an plus tard, tu sors ton EP Monster Therapy. Hormis un double single à la rentrée dernière, tu n’as rien sorti pendant un petit moment. À l’écoute, on sent qu’il y a beaucoup de changements, que ce soit dans les paroles, les productions, les visuels même. Est-ce que tu t’es laissée du temps pour repenser un peu ta musique ?
M : Quand j’ai dévoilé « Cool Kid », c’est sur qu’il y avait un parti-pris. C’est grâce à ce son-là que j’ai un peu dessiné tout ce qui allait y avoir autour, même au niveau des visuels avec l’esthétique grunge. J’ai réfléchi un peu plus à ce que je voulais faire pour la suite et je sortais d’une période où je me réécoutais beaucoup de rock et de musique alternative, Nirvana, Men I Trust, Tame Impala. Et je me suis dit : « J’aime bien l’émotion que ça me procure, donc j’ai envie de tester un projet un peu autour de ce style-là » tout en le mélangeant avec de la trap. Et je savais aussi que j’avais envie de sortir quelque chose d’un peu plus personnel. Je voulais mettre à plat certaines choses dans mes textes.
A : Sur le premier morceau tu dis “Je veux plus de bravo, mais trouver le thème que j’aime”. Tu avais vraiment envie de faire ce que tu veux, sans réfléchir à comment ça allait être reçu ?
M : Exactement, même si c’est dur de ne pas regarder ce qu’il se dit sur ta musique. Mais c’est clair que j’essaie au maximum de ne pas trop y penser quand je crée. J’essaie vraiment de moins penser à ça, ne pas me dire ; « Les rappeurs font tels types de phases en ce moment, peut être que je devrais faire pareil ». Là, je me suis dit : « Tu sais quoi ? Je vais faire les choses à ma sauce et faire la musique qui me ressemble ». C’était vraiment ça qui était important pour moi sur cet EP. Être satisfaite et être vraie.
« Monster Therapy, ça veut dire être en phase avec ses facettes plus sombres, ses défauts, s’accepter. C’est moi. »
A : Qu’est-ce que c’est la Monster Therapy, du coup ?
M : C’est être en phase avec ses facettes plus sombres, ses défauts, s’accepter. C’est moi. Ce projet, je le vois comme une thérapie.
A : Tu penses que cet EP est plus sombre que Polar Escape ?
M : Dans la forme oui. Mais je trouve que dans le fond il est super positif. Parce que comme je disais, ça parle d’acceptation, c’est une prise de recul. J’exprime un peu ma frustration mais il y a un regard positif sur l’avenir. En tout cas, je le vois comme ça.
A : Est-ce que tu penses que Monster Therapy est un EP qui parle du passage à l’âge adulte ?
M : Oui complètement. J’avais envie de parler de cette période un peu floue, où tu commences à avoir des responsabilités, où tu es censée être mature, mais ce n’est pas encore complètement ça. Tu as plein de choses à apprendre. Donc c’est normal d’être perdue à cette période-là.
A : Dans ce que tu dis sur l’EP, tu as l’air aussi déçue de l’âge adulte.
M : Oui, un peu. Et en même temps je trouve ça cool, parce que ma psychologie a évolué. Les problèmes qui me paraissaient énormes avant ne le sont plus autant dans ma tête aujourd’hui. Donc il y a aussi du positif. Je suis dans la phase où j’accepte ce truc-là.
A : Tu parles aussi pas mal du fait de garder sa part d’enfant sur Monster Therapy. Pourquoi ?
M : C’est justement beaucoup lié à mon âge. Je me sens adulte maintenant, mais j’ai quand même envie de garder la légèreté qu’il y avait à l’enfance, et les rêves qu’on avait plus petit. Il ne faut pas les oublier je pense. Mais en même temps j’ai envie de vivre de ma musique, on a envie de réussir. Ça peut être un problème parce que ça met une pression sur le travail que je fais, qui est lié à la créativité. Et c’est quelque chose de super fragile. Plus tu vas te mettre de pression, plus tu vas bloquer, et plus tu vas faire quelque chose de lisse. C’est ce côté de l’enfance mise à mal dont je parle dans mes textes.
A : Sur la pochette de l’EP, tu apparais avec une peluche du jeu vidéo d’horreur Poppy Playtime. Pourquoi avoir voulu faire une référence à ce jeu terrifiant ?
M : [Sourire] Ça va être un peu décevant mais on est tombées dessus par hasard avec ma manageuse Juliette. On faisait des brocantes pour trouver des objets pour le clip de « Shadow », on voulait des vieilles poupées, des jouets qui faisaient peur, un peu déchiquetés, et on est tombées sur cette peluche. C’est après qu’un pote m’a dit que ça venait de Poppy Playtime. Mais ce qui a fait que ce jeu a marché, c’est justement le décalage entre un univers hyper enfantin, innocent, et ce truc d’horreur. Et j’aime trop ce contraste. J’aime vraiment bien le genre horreur en général, mais je trouve ça encore plus intéressant de le contrebalancer.
A : Qu’est-ce qui te parle dans ces films et ces univers-là ?
M : J’ai toujours aimé ces ambiances-là, notamment Tim Burton. Et ma mère m’a aussi amenée à ça. Elle a toujours été dans ce délire un peu gothique : à Halloween, j’avais toujours les meilleurs costumes. Et elle jouait beaucoup aux jeux vidéo genre Skyrim, World Of Warcraft. Elle était super créative sur ça et ça m’a influencée dans mes goûts forcément. Je pense par exemple à Silent Hill : je n’y ai jamais joué parce que ça me fait trop peur, mais je trouve l’histoire hyper intéressante. Chaque monstre représente la psychologie du personnage, avec ses cauchemars etc. Globalement, dans l’univers de l’horreur il y a une ambiance. Et il y a souvent un truc plus profond derrière les histoires racontées.
« Je ne pourrai jamais m’enfermer dans un style précis. Je préfère avoir une ambiance, un style d’écriture, un flow, qui regroupe un peu mon style, plutôt que de me cantonner à un genre musical. »
A : Musicalement sur cet EP, tu as fait le choix de faire plein de choses différentes. Il y a de la trap, de la jersey, du rock. Tu n’as pas l’air de vouloir avoir un son unique. C’est le cas ?
M : Je préfère faire ça parce que je ne pourrai jamais m’enfermer dans un style précis. À moins que je crée vraiment un style qui regroupe tout ce que j’aime, mais ça me paraît impossible. Je préfère avoir une ambiance, un style d’écriture, un flow, qui regroupe un peu mon style, plutôt que de me cantonner à un genre musical précis. Je ne vais pas m’empêcher de faire un son parce que ce n’est pas ma DA.
A : Certains artistes arrivent à avoir des sonorités très différentes et à les regrouper sous leur personnalité, leur texte, leur univers.
M : Quand tu arrives à faire ça, tu as tout gagné. J’essaye de travailler là-dessus. J’ai envie d’être reconnaissable dans ce que je fais tout en étant libre de choisir les productions que je veux.
A : Est-ce que avec cet EP tu as l’impression d’avoir progressé, par rapport à ton début de parcours ? Est-ce que tu le vois comme quelque chose de vraiment nouveau pour toi ?
M : Oui complètement. Je vois ça comme un point de départ. Polar Escape a aussi été important, mais j’ai affiné ma proposition. Je suis plus libre dans mon écriture notamment : je me laisse plus le droit de parler de moi alors qu’avant c’était moins le cas. Je me disais que je n’avais pas grand chose à dire ou que ma vie n’étais pas si intéressante que ça. Et en dehors de ça j’ai vraiment envie de mettre en avant ce que je kiffe dans mes visuels. Je pense que j’ai trouvé quelque chose qui me correspond, avec les contrastes, les contre-balancements, sur cet EP. Ça me donne un bon point de départ pour affiner mon univers par la suite.
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