RXK Nephew et Varg²™, Wisconsin club
Si RXK Nephew marche dans les pas d’un Lil B, le rappeur de Rochester se distingue du gourou californien de par sa posture et son aura : entre théories complotistes, pichenettes envoyés aux rappeurs et anecdotes personnelles jonglant entre le sordide et le burlesque, la prêche de « Neph » ressemble à celle d’un vagabond habité, dont on ignore si c’est l’alcool ou bien le créateur en personne qui s’exprime à travers lui. Fan revendiqué de techno et d’acid house, le rappeur collabore avec des pointures new-yorkaises du mélange des genres comme DJ Swisha, et ne recule devant aucun style, du moment qu’il peut assouvir son besoin vital et frénétique d’expression. Varg, renommé formellement « Varg²™ » suite à une sombre histoire juridique, est un producteur de musique instrumentale suédois dont la barbe pourrait être celle d’un batteur de death-metal et le coeur celui d’un rappeur anarchiste comme on en compte trop peu. Taquin voir méchant avec les institutions, il se trouve aujourd’hui un peu malgrè-lui au centre d’une nouvelle scène scandinave structurée autour d’influences dépassant la seule musique de club et qui combine une esthétique « avant-gardiste » à des valeurs anti-impérialistes et antifascistes bien affirmées – bien loin de la « business techno » d’obédience berlinoise, qui transforme petit à petit la capitale allemande en parc d’attraction stérile et dépolitisé. Au delà de la techno et l’ambient qui l’ont fait connaitre, ce fan de PNL collabore depuis longtemps avec ses compatriotes rappeurs, notamment Bladee et Yung Lean, avec qui il partage le goût pour les basses profondes qu’on croirait prises dans la glace.
C’est à l’aube de l’hiver que la rencontre a lieu avec LD50 VOL.1, un EP de trois titres sorti sans fanfares sur le label Cease 2 Exist du suédois. Sur l’ouverture « Uncut Cocain 2023 Cypher », Varg construit une cathédrale synthétique au pasteur Nephew, tout en restant dans les standards rythmiques du rap actuel du Wisconsin. Depuis son autel, le sermon du rappeur, qui cite entre autres Ludacris, UPS et Amazon Prime, a des faux airs de menace. « Fast 5 / 2 Tone Bussdown AR 15 » porte davantage la patte du producteur, avec ses longues nappes plaintives et compressées qui déferlent sur la voix de Nephew, piégée comme au milieu d’une tempête de neige. Pas révolutionnaires, voire même anecdotiques à l’échelle de leurs discographies déjà pléthoriques, les deux morceaux confirment néanmoins l’alchimie artistique entre les deux hommes, qu’on sent sur la même longueur d’onde émotionnelle. Sans doute la raison d’être de cet EP en commun, le dernier titre, « Girl I Got Girl (Fortnite E Pill Remix) », voit le MC prendre possession de « A Weak Heart to Break (BD 4-Ever) », tentative réussie de trance taillée pour la rave, sortie par Varg en 2019. Ensorcelés par le rappeur, les accords tristes du suédois se teintent d’une énergie étrange, à la fois festive et inquiétante, comme une version rugueuse d’un tube du groupe de dance allemand Scooter, ou la bande-son d’un grand huit fantôme qui tournerait à toute vitesse, sans passagers et au milieu de la nuit. Ce morceau, virgule dans le parcours des deux artistes, cristallise ce qui les rassemble et les rends uniques au sein de leurs « scènes » respectives : leur refus de révéler où s’arrête la blague et où commence l’angoisse, la nuance n’existant pour eux que dans un brillant chaos.